Il existe des cinéastes invisibles comme il existe des chefs-d’œuvre invisibles. Joachim Trier fait partie de cette élite. Un cinéaste qui fait des choix, mais ne les étale pas à la face du monde, comme par exemple Paul Thomas Anderson.
Rien ne semble en effet distinguer l’art de Joachim Trier : un cinéma modeste, nordique, protestant. On avait ainsi adoré Oslo, 31 août, pas trop goûté l’europudding Back Home, et voilà que débarque Valeur Sentimentale, pas loin du chef-d’œuvre.
Le pitch : un vieux cinéaste, père abandonniste (Stellan Skarsgård) se lance dans son « dernier film » en espérant y embarquer sa fille actrice (Renate Reinsve). Mais un trop grand fossé s’est creusé entre eux. Par un heureux hasard – au Festival du Cinéma Américain de Deauville ! –, il tombe sur une actrice américaine à la recherche d’un grand rôle (Elle Fanning).
Autour de ce trio, Trier va tisser sa toile avec une douceur infinie, mélangeant fiction et passé familial, en ajoutant par petites touches quelques personnages secondaires.
Le film n’est pas subtil : il n’est fait que de subtilités. Ainsi, une vieille maison de famille prendra le rôle de narrateur*, une sœur jalouse apportera un contrepoint tendre, un couple mal formé révélera les ambiguïtés d’un personnage.
À aucun moment, on ne sentira la mise en scène, pourtant elle est là, dans ses glissando sur le vernis rouge et vert d’un balcon, ou ses caméras portées disruptives, ou le jeu des acteurs, calibrés a minima.
Nous regardions en même temps le Shogun de Disney+, (qui est par ailleurs remarquable), mais dont beaucoup de scène d’ « extérieur » sont tournées en studio à l’aide de la CGI. C’est le cinéma d’aujourd’hui, revenu aux techniques des années 50, et qui n’ose plus mettre le nez dehors.
Valeur Sentimentale nous apportait ce sentiment réconfortant de la réalité vraie, celles des décors comme des sentiments. Ce qui reste, parmi peu d’autres, une bonne raison d’aller en salle…
* « Une maison aime-t-elle se faire caresser [par des mains d’enfants] ? Est-elle contente, ou triste, quand tout le monde est parti ? »
posté par Professor Ludovico
C’est décidé, on n’aime pas le style de Paul Thomas Anderson. On a vu tous ses films, et on aimait le PTA du début, quand il faisait son Sidney Lumet (Double Mise), son Martin Scorsese (Boogie Nights), ou son Robert Altman (Magnolia). Tout s’est gâté quand il a pris son virage fabuliste, et fait tomber un piano du ciel dans Punch Drunk Love*. A partir de là, PT Anderson a commencé à se regarder filmer. Il ne peut s’empêcher d’en rajouter, ce qui est agaçant…
Certes, son talent est indiscutable, et il le démontre une fois de plus, dans un genre qu’il n’a jamais abordé, le thriller. Il adapte à nouveau, après Inherent Vice, son auteur fétiche Thomas Pynchon, et il filme comme Pynchon écrit, c’est-à-dire de manière cryptique. On peut trouver drôle ces Suprémacistes Blancs qui se baptisent Club des Aventuriers de Noël, rire aux allusions pour initiés** parsemées ici et là, mais tout cela est-il émouvant ? On sourit de temps de temps en temps, mais surtout, on est là pour admirer…
Oui, PTA réinvente la scène de poursuite, oui PTA nous enivre avec ses plans séquence, mais PTA fait plus de mal à la tête que de bien au cœur. Trop de dialogues, trop de musique, trop de gags souvent étirés jusqu’à l’ennui…
On sent un cinéaste sûr de lui, sans aucun contrepouvoir (studio ? producteur ?). Alors oui, on s’émerveille devant le talent, mais on n’aura pas forcément envie d’y retourner.
* Et un camion qui roule à l’envers dans Licorice Pizza, et la course en moto dans The Master, et la hotline terroriste d’Une Bataille après l’Autre…
** Le Colonel Lockjaw (Bouche fermée), le prix Bedford Forrest (Confédéré sanguinaire célèbre), etc.
mardi 9 septembre 2025
Vous ne ferez pas de votre défaite une victoire
posté par Professor Ludovico
« Monsieur le premier ministre, vous ne ferez pas aujourd’hui de votre défaite une victoire, de l’absurde un haut fait, du vide politique l’étoffe d’un destin. Non, ce vote auquel vous vous soumettez n’est pas un acte de courage, c’est une dérobade.
Face à l’adversité, vous vous résignez. Face à la difficulté, vous reculez. Face à la responsabilité, aujourd’hui, vous vous effacez.
Dans le grand silence de l’été, nous pensions que vous prépariez le budget. En réalité, vous prépariez votre sortie. Derrière votre geste politique – solitaire et désinvolte – votre faux sacrifice en dissimule un vrai : celui des millions de Français, de l’Hexagone et des outre-mer. (…)
C’est sur leurs dos courbés que vous voudriez écrire votre légende d’un futur roi qui aurait raison contre tous, et pour qui la fin personnelle justifie les moyens, publics et politiques. Et cela, monsieur le premier ministre, ce n’est pas qu’une erreur funeste. C’est une faute morale. »
Parfois, la politique, c’est beau comme la littérature.
Boris Vallaud le 8 septembre à l’Assemblée Nationale, en réponse au discours de François Bayrou