mardi 31 décembre 2024
Treme
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Difficile, pour un auteur, de marcher dans les pas d’un géant, surtout quand ce sont les vôtres. Difficile aussi, pour le spectateur, quand l’attente est aussi grande : David Simon, porté au pinacle depuis 25 ans par le Professore, est attendu comme le Messie, the Second Coming.
De Treme, on attend évidemment beaucoup. Treme, le The Wire de la Nouvelle-Orléans, un découpage en règle de Big Easy, ses flics corrompus, sa spéculation immobilière, ses droits civiques malmenés, et sa musique, LA Musique…
Au-delà des particularismes du Ludovico (qui n’est pas vraiment un fana de jazz), oui, Treme est un grand film sur le jazz et sur la musique. Mais il est néanmoins légèrement en dessous de l’opus majeur de David Simon.
Le propos est plus léger, malgré la tragédie Katrina qui hante la série (moins de flingues, moins de drogue, moins de tragédie grecque que The Wire) et affleure même un peu de comédie. D’où le sentiment diffus que l’imprécateur David Simon est moins à l’aise dans ce registre. Le casting est inégal ; si on retrouve les usual suspects (Wendell Pierce, Clarke Peters, Jim True-Frost..), ou des pointures TV (Kim Dickens, Melissa Leo, John Goodman), certains acteurs flottent un peu…
De même, le montage, qui découpe toutes les scènes en petits morceaux, ou les dialogues (lourdement politico-explicatifs) donnent l’idée d’un travail un peu plus bâclé que l’excellence simonienne habituelle. Il reste que la série ne fait que s’améliorer saison après saison, et que le final est extrêmement émouvant. Mais peut-on aimer inconsidérément ? Sûrement pas…
NB : A l’heure où nous écrivons, un attentat a eu lieu à l’endroit même où se déroule la série : Canal St et Bourbon St. Un épisode, déjà, narrait cela : une fusillade pendant la parade de Mardi Gras. La réalité, une fois de plus, rejoint la fiction.
lundi 23 décembre 2024
Leni Riefenstahl, La Lumière et Les Ombres
posté par Professor Ludovico dans [ Documentaire -
Les films -
Les gens -
Pour en finir avec ... ]
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Cinéma sans morale n’est que ruine de l’âme, également. Voici donc la tragédie de Leni Riefenstahl, qui, si elle était morte en 1938, ou simplement exilée à Hollywood, serait devenue l’une des plus grandes icônes du cinéma mondial. Danseuse, skieuse, alpiniste, magnifique actrice, géniale réalisatrice : voilà ce qu’on aurait retenu de Leni Riefenstahl.
Mais non, elle est restée auprès d’Hitler puis a prétexté qu’elle n’y pouvait rien. La Lumière et les Ombres démontre le contraire, évidemment. Ses contradictions et ses mensonges, et, au cœur, l’égo incommensurable d’une star ; une Kim Kardashian des Années Trente. Leni Riefenstahl ne peut pas à la fois être un génie et n’avoir rien compris de ce qui se passait autour d’elle.
Le film le montre très malignement, à base d’interviews d’après-guerre non coupés (montrant une Riefenstahl colérique et soucieuse de son image), d’extraits de talks-shows, de photos issues de ses archives personnelles, et de making of jamais vus jusque-là. Le documentaire découvre (comme on ôte un voile) le portrait d’une femme obsédée par l’Art et la Beauté, qui ne réfléchit jamais plus loin. On l’interroge sur le message du Triomphe de la Volonté, son panégyrique du congrès nazi de 1933 ? Il n’y en a pas, moi je filmais simplement ce que je voyais : je filmais le congrès, je filmais les Jeux olympiques, je filmais la Pologne en guerre…
Mais c’est comme par hasard sur ce dernier reportage inachevé qu’elle démissionne. En 1939, elle suit la Wehrmacht dans sa campagne de Pologne. Pour la première fois, elle est confrontée non plus à la beauté, mais à la réalité. Des soldats, des civils se font tuer. Et parfois même, selon ce documentaire, à cause d’elle. Suite à une directive de la cinéaste « Je ne peux pas filmer, avec tous ces juifs qui sont dans le plan », s’ensuit une méprise. Et une fusillade.
Le film se termine par un plan grotesque, mais qui résume sa personnalité. Presque centenaire, on l’installe dans un fauteuil pour une interview. Grande professionnelle, elle se préoccupe du cadre, des éclairages… Alors qu’elle y voit à peine, elle décèle une ride sur son visage (qui en compte des dizaines), mais cette ride-là, il faut absolument l’effacer au maquillage…
Filmer la beauté, la perfection. Jusqu’au cauchemar.
dimanche 15 décembre 2024
Le Successeur
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les films ]
Le cinéma, c’est compliqué. Avec Le Successeur, on se dit pourtant que c’est dans la poche, vu qui est aux commandes : Xavier Legrand, le très bon réalisateur de la duologie sur les violences familiales Avant que de Tout Perdre / Jusqu’à la Garde, où Legrand avait démontré un sens inné du thriller.
Paradoxalement c’est ce qui pêche ici. Le Successeur est un film-cerveau, extrêmement bien structuré, où la construction des enjeux semble planifiée par un tableur Excel. Mais il manque un tout petit détail, un simple réglage qui va faire tomber l’échafaudage.
Rappelons le pitch. Au début du film, Ellias (Marc-André Grondin*), vient de réussir sa première collection de haute couture, et va devenir directeur artistique d’une grande maison parisienne. Mais le voilà obligé de retourner au Québec pour organiser les funérailles de son père qu’il n’a pas vu depuis 25 ans, et visiblement, qu’il déteste. Ce n’est pas l’avis du voisinage, qui aimait cet homme bon et généreux. En fouillant la maison paternelle, Ellias fait une découverte qui bouleverse son existence.
Ce qui cloche alors, c’est l’attitude avec laquelle réagit notre protagoniste. Pour dire les choses simplement, Ellias est présenté de manière plutôt positive. C’est ce qu’on appelle en dramaturgie un « héros » ; on est avec lui. Mais il fait alors quelque chose, dramatiquement parlant, d’« antihéroïque ». Ce geste qu’il entreprend dans le second acte du film n’a aucun sens, par rapport au personnage présenté jusque-là.
Si Legrand avait montré ce personnage sous un angle un tout petit peu plus négatif (odieux, carriériste, égocentrique…), cette chronique n’aurait pas lieu d’être. Le réalisateur a bien laissé quelques indices dans le premier acte, mais ces signaux sont trop faibles pour être perçus par le spectateur. C’est comme si le volume « odieux connard » était réglé trop bas…
A partir de là, on va s’interroger sur cette incohérence (gars sympa/parfaite saloperie**) et quitter mentalement le film. Film qui construit pourtant un parfait échafaudage de montées en pression propres au thriller (voisins, maison de couture, pompes funèbres…)
Problème : notre héros est devenu quelqu’un dont n’a plus rien à foutre…
*Peut-être une erreur de casting, parce qu’il est immédiatement sympathique
** Pour ceux qui ont vu le film, l’autre solution aurait pu être de partir de l’accident de l’escalier, qui rendait son attitude plus réaliste…
samedi 14 décembre 2024
The Substance
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Chez les copieurs, il y a les copieurs de génie, et les autres. Un copieur de génie, par exemple, c’est Martin Scorsese. Il n’a jamais caché – n’ayant pas fait d’école de cinéma – donner à ses équipes consigne de copier une idée dans son immense cinéphilie : « Je voudrais une musique intimiste, un peu comme chez Fellini, des couleurs éclatantes, comme chez Michael Powell… », etc.
Et puis il y a Coralie Fargeat, qui a elle aussi absorbé toute la cinéphilie du monde. Avec The Substance, elle est tombée sur un filon, un sujet d’époque, un sujet magnifique. La possibilité de créer un double, meilleur que soi-même, mais avec qui on doit partager sa vie : une semaine pour toi, une semaine pour moi. Belle fable à l’heure d’Instagram, de la téléréalité, du Male Gaze et de la chirurgie esthétique, The Substance tombe juste, Portrait de Dorian Gray moderne. Le temps qui passe, l’obsession de la beauté et de le jeunesse, Hollywood la machine qui bousille tout, et notre irrémédiable propension à l’autodestruction.
Mais ce qui cloche, c’est la forme. A trop vouloir copier, trop vouloir citer, on finit par ne plus savoir où est la cinéaste Coralie Fargeat. Ici encore, on a une cinéaste qui ne pense pas. Ou plutôt qui ne pense qu’à l’image qu’elle veut réaliser, au lieu de penser à l’idée que cette image doit véhiculer.
Au milieu des innombrables citations (2001, Shining, Elephant Man, Mulholland Drive…), le film se perd, le film est trop long. Fargeat a beau avoir deux très grandes actrices aux commandes, Demi Moore et Margaret Qualley (qui accomplissent toutes deux des performances exceptionnelles), elle a beau invoquer une direction artistique et une musique parfaite, elle ne fait jamais confiance à son public, ou a son cinéma. Tout est expliqué, réexpliqué, souligné, stabiloté.
L’ordonnance de la Substance ? On la reverra sous toutes les coutures. L’héroïne prend une aspirine ? Coup de tambour ! Elle saigne du nez ? Musique dramatique ! Son patron est un connard ? Fish eye sur Dennis Quaid qui enfourne des crevettes. Pour l’intelligence du spectateur, sa capacité à formuler le film dans sa tête, on repassera.
Quant aux dialogues – qui semblent écrits par Luc Besson – tout y est caricatural*. Le portrait des hommes en particulier est gratiné : veules, obsédés sexuels, crétins : pas un gramme de nuance là-dedans. On n’écrirait pas une telenovela autrement*.
Le body horror, ce n’est pas pour tout le monde. Le grand prêtre du genre, David Cronenberg, a réussi parfois (Videodrome, Faux Semblants), mais aussi échoué (EXistenZ, Le Festin Nu). Le sous-genre exige à la fois des transgressions ultimes et des subtilités paradoxales.
The Substance cite encore un film pour finir (le Carrie de Brian de Palma), mais trop c’est trop, on n’en peut plus, la réalisatrice nous a perdu en route avec un final catastrophique et grand guignolesque. D’abord parce que les effets spéciaux, jusque-là parfaits de réalisme, semblent soudain sortis du plastique des années 80 de The Thing. Ensuite, parce que ce final n’a aucun sens. Gore, ensanglanté, démesuré, il fait sortir The Substance des rails du réalisme clinique où il naviguait depuis deux heures, avec la mâle assurance d’un TGV…
C’est dommage, parce qu’il y a un grand film caché sous The Substance, qu’on aperçoit parfois ; il fallait être plus court, plus léger, et surtout, plus subtil.
*Mais Palme d’Or 2024 du scénario…
mercredi 4 décembre 2024
Fallout
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
L’Apocalypse préoccupe l’Amérique depuis toujours. Son annihilation, son retour possible à la barbarie font partie, bien plus qu’en Europe, de l’impensé US. De La Planète des Singes à The Walking Dead en passant par La Route, voilà que surgissent deux séries sur le même thème, mais opposées dans leur traitement. Silo, tiré d’un livre ambitieux mais finalement assez faible, et Fallout, une franchise phare du jeu vidéo.
L’apocalypse peut se montrer de nombreuses manières. Fallout, le jeu, avait décidé pour la parodie : que deviennent les atomisés de 1950, âge d’or de la Guerre Froide, quand ils ressortent 200 ans plus tard ? Des do-gooders, des nunuches, confrontés à un western mad maxien sous les retombées (« fallout ») ? Le jeu parodiait ces références 50s, et l’adaptation Prime vidéo tente de faire de même. Mais voilà, Fallout n’est pas drôle, ne fait pas peur, et n’émeut pas une seconde.
Le contrexemple absolu d’Arcane, chroniqué ci-avant : un pur film marketing, qui a pour but d’attirer un maximum de monde, action-gore-romance, Kyle MacLachlan et Walton Goggins, mais rien ne marche. L’intrigue est idiote (Spoiler : les mégacorporations des années 50 ont décidé de déclencher l’apocalypse nucléaire pour vendre leur produits … à cent fois moins de gens ?) Dans le détail, ce n’est pas mieux, les personnages se croisent par miracle, obtiennent une rédemption alors que leurs actes devraient les condamner, leurs armures imperçables deviennent subitement des boites de conserve (peut-être parce qu’on leur tire dessus dans le noir ?), etc.
Bref, cela fait penser à un jeu vidéo avec quick time events : un personnage est confronté à plusieurs choix, il fait le moins débile et on passe à la cinématique suivante.
Je retourne voir Silo.
C’est dire…