lundi 26 mars 2018


Mute
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il y aurait plein de choses méchantes à dire sur Mute, ce Blade Runner du pauvre. On n’a pas trop envie, parce qu’on avait bien aimé Moon et Source Code puis que Duncan Jones, c’est quand même le fils de David Bowie.

Mais bon, copier Blade Runner à ce point pour n’en rien faire, était-ce bien nécessaire ? Piquer des sous à Netflix, refiler un scénario de jeunesse, pourquoi pas, mais si Duncan Jones semble avoir un vrai amour de la SF, il ne peut pas bousiller le genre comme ça.

La Science-Fiction part d’une ambiguïté congénitale ; est-elle, comme on le comprend en français, une extrapolation futuriste de la science actuelle, une format Black Mirror ? Ou comme on le prononce en anglais, une fiction située dans un background scientifique ? Mute n’est ni l’un ni l’autre*.

Projeté artificiellement dans une Europe fascisto-communiste d’un proche futur, cette enquête improbable d’un serveur muet (Alexander Skarsgård) pour sa chérie aux cheveux bleus (Seyneb Saleh) n’a rien de futuriste, rien de scientifique, rien de fantastique. Aucun des postulats émis par le décor (la dictature communiste, la guerre américaine perdue en Afghanistan, les drones qui servent des pizzas) ne vient influer l’intrigue. Tout le contraire de son illustre modèle, qui sur à peu près la même trame (une chasse à l’homme, des ennemis) en profite pour poser les questions vertigineuses que l’on sait sur l’impact des biotechnologies…

Ici, c’est une simple course poursuite, un décor d’opérette, des américains pédophiles et des citations en veux-tu en voilà**

Une fois de plus, le décor sert à cacher la faiblesse de l’argument initial, sans parler du scénario.

Et un premier constat, les films Netflix semblent moins réussis que les séries Netflix : un Mute raté, un Cloverfield Paradox marrant mais sans plus, et un Annihilation à voir.

On y va et on revient vous dire.

*Le projet initial, d’ailleurs, se passait de nos jours.
** La Low symphony de papa, la BD Blue de Joël Houssin, le Blade Runner de Ridley.




lundi 26 mars 2018


Grave
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Il existe encore des croyants dans le cinéma ; Julia Ducournau, réalisatrice de Grave, en fait partie. Et elle pose la question à laquelle bien peu savent répondre : comment rester un artiste tout en faisant un film de genre, malgré ses codes et ses clichés ? Bien peu ont su répondre correctement à cette question (le Kubrick de Shining, le Jonathan Glazer d’Under the Skin…). On le voit, la barre est haute.

Grave se présente comme une chronique naturaliste : l’entrée d’une jeune élève en école vétérinaire, avec son bizutage afférent.

Mais subrepticement, quelques indices montrent que le fantastique n’est pas loin… Ou pas. La future vétérinaire est végétarienne… comme toute la famille : père, mère, et grande sœur. Celle-ci est déjà à la fac. Si elle aide d’abord «la petite », elle se met ensuite à la bizuter méchamment.

On le voit, on entre progressivement sur des terrains sombres et troublants, où se mélange veganisme et bestialité, sexe et enjeux de pouvoir… On n’en dira pas plus car le plaisir est dans l’exploration de ces continents inconnus. C’est, de plus, formidablement bien filmé et bien joué.

Mais vous êtes encore devant CineFast ? Qu’est-ce que vous attendez ?




dimanche 25 mars 2018


Moi, Tonya
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

L’image d’Épinal, c’est l’état final du biopic. Comme les tablettes de chocolat Meunier, et ses cartes à collectionner (Saint Louis rendant la justice sous son chêne, Roland à Roncevaux, Napoléon et le Soleil d’Austerlitz…), le biopic procède de même : narrer, via des clichés, l’Histoire. Illustration avec Moi Tonya, une histoire passionnément émotionnelle transformée en image d’Epinal par la malédiction du biopic.

L’histoire est belle, pourtant : le vilain petit canard white trash du patinage artistique (Tonya Harding) ne peut lutter contre la jolie princesse des cœurs Nancy Kerrigan, malgré le travail, malgré le talent. Tonya est musclée et vulgaire, elle ne sait pas s’habiller, sa mère fume sur la patinoire. Pendant ce temps, Nancy et les autres font des ronds de jambes bien galbées au jury. Devant tant d’injustice, son entourage (mari, ami du mari, connaissances de l’ami du mari, soit une belle bande de bras cassés) décide de lui casser non pas les bras, mais lesdites jambes galbées d’un bon coup de marteau.

Tonya est-elle coupable ? Le savait-elle ? L’a-t-elle commandité ? En tant que spectateur, en fait, on s’en fout*. On voudrait plutôt savoir ce que c’est d’être le vilain petit canard. Parce que de toute éternité, les histoires (conte, chanson de geste, théâtre, opéra, cinéma) servent à ça : nous faire ressentir ce que les autres humains ressentent. Compatir ou s’indigner.

Mais un biopic ce n’est pas ça, c’est juste une collection des grands moments de la vie de Sainte Tonya (Tonya enfant et sa méchante maman, Tonya ado rebelle, Tonya à Albertville, Tonya et son couple dysfonctionnel…) Malgré l’agrégation d’immenses talents devant la caméra (Margot Robbie, Allison Janney) et derrière (c’est si bien filmé que ça donnerait envie de s’intéresser au patinage artistique), aucune émotion n’en sort.

Pendant deux heures, on ne ressent aucune empathie pour ce personnage, pourtant éminemment sympathique (cf. images d’Epinal ci-dessus). Pourquoi alors, à la fin, l’émotion vient ? Parce que la caméra se pose, sort de sa pseudo bonne idée de reconstituer image par image les interviews vidéo d’époque** et laisse enfin aux acteurs un peu de temps pour montrer leur désarroi : Tonya ne pourra plus jamais patiner ; elle qui détestait ça se retrouve soudain sans raison de vivre.

Et là, l’émotion est prenante ; mais c’est trop tard.

* On peut se passionner par ailleurs pour l’affaire, ce qui était le cas du Professore en 1994.
**avec preuves à l’appui post générique