lundi 27 février 2017


La La Land
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Voilà un film qui défie toute forme de jugement… Dès la première scène, il déploie une telle perfection artistique, de mise en scène, de danse, d’éclairage, de couleurs… Pendant ce plan séquence d’ouverture, désormais anthologique, Damien Chazelle nous en met plein la vue. Est-ce un si bon choix que cela ? Faire l’étalage de sa virtuosité n’est pas le but de l’artiste, c’est le but du virtuose.

Or il s’agit d’un film ; pas d’une démo du talent de Damien Chazelle. Pas un CV. On peine donc pendant près d’une heure et demie à s’intéresser à ces deux personnages. D’abord parce qu’on est noyé sous cette technique, ces plans séquences incroyables, et que l’on voit trop bien les citations et hommages à la comédie musicale (Demy, Minelli &co). Mais surtout parce que Mia et Seb n’ont rien de très attrayant. Ils sont lisses et fades comme une bonne partie des chansons de La La Land, hormis peut-être ce refrain entêtant de la chanson-titre.

C’est en suivant néanmoins ce motif, petit à petit, que le film s’installe et décolle, comme par hasard au moment où il y a moins de comédie musicale et plus de réalité. Le couple se forme et le poids de la vraie vie commence à se faire sentir*. Les personnages prennent de l’épaisseur. Et c’est par un final époustouflant et mélancolique que Damien Chazelle nous emportera définitivement parce que oui, La La Land est un très bon film.

Il y a une maladie commune qui traine à Hollywood. Damien Chazelle, Denis Villeneuve, Alejandro González Iñárritu, ces cinéastes se sentent comme obligés de faire l’étalage de leur incroyable talent. Oui, leurs films sont magnifiquement filmés, interprétés au cordeau, la musique est inouïe. Mais cette apparente perfection cache souvent la grande misère du scénario (Sicario), ou le manque d’empathie (Birdman). Ces grands cinéastes devraient éteindre au fond d’eux-mêmes la petite flamme égotiste qui les pousse à l’écrasante démonstration ; nous savons déjà que ce sont génies. C’est pour ça que nous sommes là, dans cette salle. Maintenant nous voulons qu’ils nous racontent des histoires.

* Symptomatiquement, la scène la plus forte du film est celle de l’engueulade : un simple champ / contre champ.




dimanche 26 février 2017


Chaînes Conjugales
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Mercredi soir, c’était assemblée générale CineFast. Après un imbroglio cinématographico-culinaire dont le Framekeeper a le secret – après avoir promis cuisine indienne et programmation suédoise (Bergmann) – il s’est rabattu comme par hasard sur le combo libanais/Mankiewicz. CineFast est une dictature éclairée…

Surprise néanmoins, car le principe de l’AG CineFast est de faire découvrir aux autres participants un genre ou un cinéaste qui leur est inconnu, par exemple, un film de vampires iranien. Chaînes Conjugales, au contraire, est un classique. Et un rapide sondage permet de vérifier que Snake ou Michel vaillant l’a vu aussi. Pour sa part, le Professore Ludovico l’a vu il y a bien longtemps, au Ciné Club.

Et même si la mémoire est défaillante, les souvenirs reviennent. Trois femmes, un twist final, ah, tiens, il y a Kirk Douglas, on avait oublié.

Chaînes Conjugales, c’est l’âge d’or, Hollywood avant la télévision et 1949, c’est l’âge d’or de l’Amérique.

Le pitch tient en très peu de choses. Trois amies (Letter to Three Wives) reçoivent une lettre d’une quatrième, absente, qui parle en voix off. Oui, vous l’avez reconnu, c’est le début de Desperate Housewives, hommage assumé au film de Mankiewicz. Elle leur annonce, au moment où ils vont encadrer une sortie d’école, qu’elle est partie avec un de leurs maris. Quelques indices préalables avaient déjà été posés, un mari trop bien habillé, l’autre ronchon, etc. Qui a perdu son mari ? On l’a compris, Addie Ross, la quatrième amie, est un McGuffin, on ne la verra jamais, juste une obsession des personnages – et, partant, du spectateur – pour permettre à Mank’ de déployer son histoire, et ses thèmes. L’histoire sera révélée, assez mal et assez vite, en cinq minutes à la fin.

Ce n’est pas le sujet de Chaînes Conjugales. Chaînes Conjugales, c’est la description millimétrée d’un monde qui s’écroule, l’Amérique corsetée par le puritanisme et l’après-guerre, joyeuse en apparence mais qui pète de toutes parts. La pire décadence possible est d’écouter la radio, et ses programmes abrutissants.

Mankiewicz s’appuie sur ses trois couples pour décrire cela : un couple progressiste, avec une femme qui gagne de l’argent (à la radio, tiens, tiens) et qui est moche, et son beau mari (Kirk Douglas, prof, amateur de Shakespeare (re-tiens, tiens)) qui n’en gagne pas. Une jeune vendeuse qui a épousé un riche propriétaire de chaîne de magasins, un couple d’intérêt, où chacun se harcèle à coup de bons mots. Et deux anciens militaires qui sont rencontrés dans la Navy, mais que la psychose guette.

Et c’est au travers de trois flash-back que Mankiewicz va explorer toutes les raisons qui font que le mari aurait pu quitter l’épouse en question. Dialogues qui fusent, ambiance orientée à la comédie mais où le tragique affleure en permanence. La fin de la culture, remplacée par les mass media, comme une illustration de L’Âme désarmée, le célèbre pamphlet d’Allan Bloom sur le déclin de l’Amérique. La fin du couple monolithique, où l’homme doit ramener l’argent. La fin de l’hypocrisie des rapports sociaux… Tout cela rend le film de Mankiewicz passionnant, bien plus riche que la plupart des films Hollywoodiens aujourd’hui.

Dialogues millimétrés, mise en scène classique mais totalement maitrisée. Des acteurs inconnus aujourd’hui*, mais Hollywood à son sommet, tout simplement.

*dont la troublante Linda Darnell, dont les volutes de cigarettes ne laissèrent pas le conseil d’administration de CineFast indifférent…




dimanche 5 février 2017


Nadal-Federer, victoire au ralenti
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Ça y est : en cinq sets miraculeux, le Prince-Electeur de Bâle vient de battre à la régulière le méchant Baronnet de Majorque. C’était dimanche dernier, la finale de l’Open d’Australie. On l’a dit, le sport procède le même dramaturgie que le cinéma ou le théâtre… c’était particulièrement vrai la semaine dernière…

Car rien ne ressemble plus au tennis qu’un tournoi de chevalerie. Cet affrontement à distance, caché à l’abri d’une lice (le filet) est pourtant d’une violence impitoyable. À cela s’ajoute le conte de fée : le gentil Federer, sa princesse et ses deux adorables enfants contre le méchant Nadal, jamais souriant, la mâchoire carnassière et perpétuellement fermée (s’il l’ouvrait, en sortirait-il des vapeurs méphitiques ?), et dont on ne connait rien de la vie extratennistique.

Rien n’est moins vrai, bien sûr. On dit parfois que Nadal est le plus grand joueur de tennis, et Federer, le plus grand champion. Mais leur palmarès est comparable (14 grands chelem contre 18), et s’il y a rivalité, aucune haine n’existe entre eux.

Pourtant, il suffisait de regarder le spectacle dans un café parisien, où tous, du fan de tennis à la mémé de passage, s’enthousiasmaient pour Federer et vouaient Nadal – inexplicablement – aux gémonies.

Pour autant, même si tout est bien qui finit bien, et que le conte de fée federerien se termine comme il était écrit – la princesse acclamant son héros, ils vécurent heureux et eurent encore beaucoup d’enfants – quelque chose est venu gâcher cette belle histoire.

Ce quelque chose, ça s’appelle le ralenti. Car lors du point final, après cinq jeux harassants gagné par le suisse, l’espagnol demanda l’arbitrage vidéo de cette ordalie. Nous, supporters de Federer, savions qu’il avait gagné. Au moyen-âge, ou il y a quelques années, aucun chevalier du tennis ne se serait abaissé à demander un arbitrage. Les erreurs d’arbitrage faisaient la joie ou le drame du spectateur. La part inconnue de drame créait cette intense dramaturgie.

Ceux qui suivent le foot connaissent ça. Comme par hasard, le sport le plus populaire au monde refuse de s’aligner sur la vidéo. Il a compris que l’intensité des émotions vient de là ; l’arbitraire et pas l’arbitrage, le chevalier félon qui leste sa lance pour faire tomber le preux Lancelot. La traîtrise, la main de Thierry henry, les échantillons de sang des anglais à Twickenham, Lance Armstrong ou Maradona…

Le Tennis, lui, a sombré aux avances du ralenti. Ce ralenti impitoyable qui condamna Nadal et sacra Federer. Celui-ci, ayant retenu son émotion, se mit à crier comme un enfant de sept ans à qui on offrait un train électrique.

Mais c’était trop tard, l’émotion était déjà partie.




vendredi 3 février 2017


Villeneuve sur Arrakis !
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -Les gens ]

C’est la bonne nouvelle du jour et la deuxième meilleure nouvelle de l’année. Denis Villeneuve va réaliser l’adaptation de Dune promise par le fils Herbert.

Denis Villeneuve c’est Monsieur Incendies, Prisoners, Enemy, Sicario, Premier Contact et bientôt, Blade Runner 2049 !

On sait donc déjà une chose : Dune sera très beau. Mais il reste un risque, déjà en germe dans les derniers films du canadien : une forme magnifique pour une coquille un peu creuse. Il ne faudrait pas que Denis Villeneuve tombe dans l’affèterie. Premier Contact était très beau, avec une narration trop intellectualisée pour une histoire qui ne méritait pas cette complexité. Villeneuve mélangeait en quelque sorte 2001 et Rencontres du Troisième type, mais sa portée intellectuelle était plutôt celle du Spielberg. Sicario était pire ; un scénario totalement rocambolesque caché derrière une forme, encore une fois, très élaborée qui masquait ces faiblesses, du moins au premier coup d’œil.

En art, la forme doit épouser le fond. Il faut donc pour Dune le Denis Villeneuve de Enemy (propos simple, forme simple) ou celui de Prisoners : film graphiquement magnifique mais à la forme épurée, au service de l’intrigue.

Car si l’histoire de Dune, ses complots, ses personnages, sont extraordinaires, il faut quelqu’un pour adapter le monstre ; David Lynch et Jodorowsky se sont brisés les dents, dans deux optiques différentes, blockbuster et expérimentale.

Pour que le Dormeur s’éveille, il faudra un bon scenario à Dune, et dans l’idéal, un schéma à la Seigneur des Anneaux, i.e. plusieurs films pour reconstituer sa complexité… Sinon Denis Villeneuve se sera contenté d’illustrer Dune, et ce serait bien dommage.

Mais comme le dit le prophète, « Si les vœux étaient des poissons, nous lancerions tous des filets. »