[ Séries TV ]

Il n’y pas que le Cinéma dans la vie.. y’a aussi quelques séries TV…



lundi 1 décembre 2025


Painkiller
posté par Professor Ludovico

On a le temps, quand on est cinéphile, de regarder deux versions d’une même histoire. Et à Hollywood comme au Pays du CNC, il y a souvent des projets qui bourgeonnent en même temps. Armageddon et Deep Impact (1998), Les deux Guerres des Boutons (2011), et maintenant deux séries concurrentes sur la crise des opioïdes : Dopesick (2021) et Painkiller (2023). Si Disney et Netflix s’affrontent sur ce même thème, c’est que la plaisanterie a fait 700 000 morts en un quart de siècle au Pays de la Libre Entreprise Pharmaceutique. LE Sujet par excellence.  

Puisque c’est basé sur une histoire vraie, on reprend les mêmes éléments : Richard Sackler, cette fois-ci très bien interprété par Matthew Broderick ; un malade, notre chouchou Taylor Kitsch ; deux commerciales de l’entreprise pharmaceutique ; la Justice, cette fois-ci incarnée cette fois-ci par une femme, Uzo Aduba, la « Crazy Eyes » de Orange is the New Black.

Il a fallu le générique du pilote pour comprendre qu’on avait Peter Berg aux commandes. On a connu Monsieur Friday Night Lights plus subtil. Là, on était plutôt chez Michael Bay, avec ce montage nerveux à visée comique façon No Pain No Gain, avec des spectateurs eux-mêmes sous OxyContin. Une démonstration pour école de cinéma, quand le style fait tout : d’un côté la comédie speedée et grinçante, de l’autre le drama sentencieux.

Toutefois, c’est le film de gauche que les Américains ne savent pas faire. Parce qu’on ne peut pas dessiner comme ça des méchants capitalistes sur un petit morceau de carton. Qu’est-ce qui motive Richard Sackler ? Croit-il vraiment sauver le monde de la Douleur ? Ou est-ce un salopard seulement obsédé par le fric ? Et dans ce cas, pourquoi ? Les deux séries tentent des pistes (le fils mal aimé, l’oncle mentor…) mais n’arrivent jamais à convaincre tant elles ne creusent pas assez leurs hypothèses. Il nous faudrait le Jesse Armstrong de Succession pour y voir clair dans cette famille d’ultrariches dégénérés. Ou David Fincher (The Social Network), J. C. Chandor (Margin Call), Martin Scorsese (Le Loup de Wall Street).

Idem pour les commerciales, la-brave-fille-de-la-campagne et la-connasse-hystérique. Tout ça reste en surface : la surface des clichés On se rappelle pourtant ce que Peter Berg était capable de faire avec ses personnages féminins marqués, de Lyla Garrity à Tyra Collette…

Ces méchants de Painkiller ne fonctionnent pas parce qu’ils ne sont pas humains Des silhouettes obscures du Mal, dont on peut s’amuser mais difficilement haïr.




jeudi 20 novembre 2025


Dopesick
posté par Professor Ludovico

Il y a le Fond et la Forme. Ici, très souvent, on attaque en piqué les tenants de la Forme qui oublient le Fond, comme Ridley Scott depuis Blade Runner, Jimenez et Jeunet, ou, récemment, 5 septembre …  

Et puis il y a le Fond. Souvent le problème des biopics, BOATS et autres autofictions à la Française, Yann Moix, Frédéric Beigbeder, you name it. Sous prétexte du Vrai, on ne s’occupe pas trop de la Forme.

Dopesick est entre ces deux extrêmes. Il bénéficie en effet d’un sujet extraordinaire : l’avidité des Big Pharma conduisant l’une d’entre elles, Purdue Pharma, à mettre sur le marché l’Oxycontin, un puissant antalgique, en affirmant contre toute réalité scientifique, qu’il n’est pas addictif. Quelques mois plus tard, le médicament fait des ravages.

Mais Dopesick est plutôt bien réalisé, en saisissant le problème des opioïdes sous trois trajectoires narratives (les malades : un médecin prescripteur qui devient accro et une de ses jeunes patientes, Purdue Pharma, la famille Sackler qui se déchire pour la direction du géant pharmaceutique avec un petit gars qui rejoint sa force de vente (Will Poulter), et la Justice, un procureur déterminé et ses assistants pugnaces). Autant la partie malades est réussie, avec deux très bons comédiens (Michael Keaton, Kaitlyn Dever), autant la partie Purdue Pharma est caricaturale et ultra pédagogique (avec un Michael Stuhlbarg qu’on a connu plus fin chez les Coen), tandis que la Justice ne propose que des personnages unidimensionnels.

Pour bien connaitre le secteur commercial, certes, ça marche comme ça, pep talk, séminaire incentive et primes sur objectif, mais c’est un peu plus subtil que Dopesick. Quant à la Justice, on pense évidemment aux flics désabusés de David Simon de Sur Ecoute – déjà une histoire de drogue – mais ces gars-là manquent singulièrement d’épaisseur.

De sorte que Dopesick recourt régulièrement aux bonnes vieilles recettes du Docudrama, faire passer une idée dans la réplique d’un personnage.

Procédé un peu basique, on en conviendra.  




lundi 10 novembre 2025


Shogun
posté par Professor Ludovico

Sur la recommandation de Karl Ferenc et d’AJ Beresford, on s’est abonné à l’Empire du Mal, Disney, c’est à dire le Côté Obscur qui cache en son sein Marvel, Pixar, ABC, LucasFilm et toutes les horreurs disneyennes, évidemment. Tout ça pour voir Alien: Earth (une immense déception), alors on cherche dans le catalogue de la plate-forme de quoi rentabiliser les 11€ mensuels…

Eh bien il y a Shogun, le reboot de la série avec des années 80. À part l’idée de voir des samouraïs, des belles armures, et des cerisiers en fleur, il n’y a pas grand-chose de motivant là-dedans. Mais bingo ! C’est exactement ça. La série est une ode au Japon, sa culture, ses valeurs, son art de vivre…

Pour qui est allé au Japon, l’exotisme ne vient pas du pays, mais des Japonais eux-mêmes. Leur rapport à l’honneur, la parole donnée, le sentiment d’appartenir quelque chose de plus grand, tout ça fait la splendeur de Nihon. La série justement, ne se contente pas de magnifiques paysages (filmés en Colombie Britannique !) mais incarne cette incompréhension.

Elle reprend pour cela le duo Blackthorne/ Mariko, le barbare échoué sur les rives du japon médiéval et sa jeune traductrice…

Richard Chamberlain est remplacé par un acteur génial, Cosmo Jarvis, qui joue les brutes bas du casque comme peu d’acteurs oseraient. Car c‘est l’inversion de Shogun, la série. Les barbares, c’est l’Occident. La Civilisation, c’est le Japon. Les Orientaux sont beaux, propres, intelligents, extrêmement civilisés… Avec, en face, un Anglais mal dégrossi, sale et un peu idiot.

Dans tous les films américains, on parle étranger pendant cinq minutes et puis on bascule, comme par magie, vers l’anglais. Shogun utilise au contraire la barrière de la langue comme ressort dramatique : on parlera japonais pendant dix heures. Et le personnage clef sera ici la traductrice, Dame Mariko (Anna Sawai).

Comme on dit, traduction égale trahison ; tout est là. Mariko va s’efforcer de traduire les demandes de son Maître, le Daimyo Toranaga (Hiroyuki Sanada, notre Ayato de San Ku Kaï !) Elle traduit aussi les réponses de Blackthorne. Tous les dialogues sont ainsi en double, ce qui parait fastidieux de prime abord. Mais on comprend vite que ce projet est le cœur de Shogun. Ce que dit Toronaga n’est pas compréhensible par Blackthorne : il faut que Mariko l’explique. La réponse du marin est offensante : elle doit l’atténuer pour le Daymio…

La grande force de la série est de tenir jusqu’au bout cette posture, et de l’incarner ailleurs, dans l’histoire d’amour impossible entre la Marin et la Dame.

Mais l’amour, n’est-ce pas la tentative désespérée de comprendre l’autre ?




mercredi 29 octobre 2025


Alien: Earth
posté par Professor Ludovico

Disney avait toutes les cartes en main : une licence quadragénaire, un showrunner ultra respecté, et des moyens… Faire du shocker SF une saga de super héros teen semble donc un drôle de pari…

Bien sûr, il y a le génie palimpseste de Noah Hawley pour réécrire par-dessus les grandes œuvres, comme dans Fargo. Hawley s’amuse à filmer les scènes culte de la saga : le chestbuster, la cantoche du Nostromo, la baston avec le robot…  Il y rajoute une petite couche Apocalypse Now (jungle thaïlandaise + fondu enchaîné) mais ce qui domine, c’est un sentiment de what the fuck… Tout ça ne tient pas debout, est assez moche, le xénomorphe est en plastique, et la métaphore Peter Pan est extrêmement lourdingue…

Bref, la déception de l’année…




vendredi 10 octobre 2025


1883
posté par Professor Ludovico

Ce qui se passe dans les arcanes du KGB reste un mystère… L’un de ses plus célèbres représentants, l’Agent du TAROT Karl Ferenc Scorpio, dont la trouble fascination pour l’Amérique capitaliste ne cesse d’étonner, transmet ses instructions à ses taupes recrutées en Occident.

Malheureusement, pour une sombre histoire de dettes de jeux contractée au Prix d’Amérique, le Professore Ludovico se doit de répondre régulièrement à ces injonctions, tant que cela ne met pas en danger la Libre Entreprise.

En l’occurrence, suivre précisément le programme Montana. Trois saisons de Yellowstone, une saison de 1883, une saison de 1923, puis éventuellement finir la série originelle.

Qu’est-ce qui lui prend à Karl Ferenc Scorpio à affirmer sans ciller que 1883 est – mot rare chez lui – un chef-d’œuvre ? Aurait-il pris du pentothal ? Est-ce une nouvelle tentative de déstabilisation ? Ou un simple test de nos défenses ?

Car oui, 1883 est une saine respiration après trente épisodes de Yellowstoneries (on y reviendra plus en détail), il n’y a pas chef d’œuvre dans ce stand-alone. Ça commence bien, c’est-à-dire comme une sorte de Terrence Malick meilleure période, l’Homme face à la Nature, mais ça se termine comme La Petite Maison dans la Prairie, et c’est pas gentil pour La Petite Maison…

Peut-être que Karl Ferenc Scorpio est tombé amoureux de l’héroïne, petite blonde plutôt marrante, mais qui pérore ensuite pendant huit épisodes sur la Vie, l’Univers et le Reste.




mercredi 6 août 2025


Curb Your Enthusiasm
posté par Professor Ludovico

Hell of a ride ! Quelle traversée télévisuelle en effet, pour Curb Your Enthusiasm, la série étalée sur 25 ans. Connu aussi sous le nom de Cache ta Joie ou Larry et son Nombril, le show a tenu 12 saisons, 120 épisodes, 55 Nominations aux Emmys, de 1999 à 2024.

Difficile donc de « mesurer son enthousiasme » devant ce monument télévisuel, prévu au départ comme une blague ; un vrai-faux documentaire sur Larry David, le cocréateur de Seinfeld à la retraite.

Réalisée de façon très feignante, en retroscripting (on donne les grandes lignes aux comédiens qui improvisent), tournée en vidéo caméra portée, avec un éclairage, une déco fainéante, et une musique d’ascenseur, Curb va connaitre pourtant un immense succès, critique et public, jusqu’à devenir un élément de la culture populaire américaine.

On y suit donc les vraies-fausses aventures de Larry David, désormais millionnaire, sa jeune et jolie femme, son agent béni-oui-oui et son acariâtre épouse, ou son vieil ami standupper.

Mais c’est là que ça se gâte. Qui est qui ? Larry David est joué par Larry David. Sa femme Cheryl est jouée par une actrice (Cheryl Hines). Jeff Greene, son agent qui opine à tout ce qu’il dit est joué par Jeff Garlin, et sa femme par Susie Essman. Mais son ami Richard Lewis est joué par… Richard Lewis ! On verra ainsi toute l’aristocratie Hollywoodienne faire un tour dans Curb, et souvent donner une version très antipathique d’eux-mêmes* : Mel Brooks, Martin Scorsese, Ben Stiller, Christian Slater, Lucy Liu, Seth Rogen, Shaquille O’Neal, Mila Kunis, Lin-Manuel Miranda, et bien sûr le cast de Seinfeld – Jerry Seinfeld, Julia Louis-Dreyfus, Jason Alexander et Michael Richards.

Mais cela se complique encore car des acteurs connus remplissent des rôles fictifs : Vince Vaughn, Bryan Cranston, Bob Odenkirk, Elisabeth Shue, Stephen Colbert, Tracey Ullman, Steve Buscemi, ou Allison Janney.

C’est ce mélange de réalité et de fiction qui rend Curb Your Enthusiasm si particulier : on ne sait jamais sur quel pied danser. Ted Danson est-il un démocrate hypocrite, pensant avant tout à sa carrière ? David Schwimmer, le gentil Friends, est-il un salopard dans la vraie vie ? Conan O’Brien a-t-il un melon gros comme ça ? Le pire mystère étant le vrai-faux Larry, peut-être le plus odieux personnage inventé par la télévision américaine : sociopathe assumé, misanthrope, misogyne, pingre, raciste. Un type sans filtre, qui vit selon ses propres règles et ne supporte pas qu’on ne les respecte pas.

On retrouve là le show about nothing seinfeldien. Curb Your Enthusiasm s’attaque à tous les petits riens énervants de la vie quotidienne et en fait un épisode : les tables de café bancales, les pantalons qui font des plis, l’usage du N-Word, les règles de priorité au golf ou le rangement des cassettes porno. Les fermetures éclair, les groupes Whatsapp et les clôtures de piscine…

Mais Larry, c’est aussi le gars à qui tout retombe sur la tête, simplement parce qu’il dit La Vérité. Toutes ces horreurs quotidiennes que l’on n’ose pas dire : tu es mal habillé, tu sens mauvais, ce vin n’est pas très bon, si je regarde tes seins, c’est parce que tu as un décolleté, tu aimes la pastèque parce que tu es noir, toi le juif tu m’emmerdes avec Shabbat, etc.

Larry David ne fera reculer Curb devant rien : se moquer du Parkinson de Michael, J. Fox, séduire une handicapée pour avoir une place prioritaire, prendre une prostituée en stop pour bénéficier du covoiturage, emprunter des chaussures de victimes de la Shoah, parce qu’on a perdu les siennes.

Larry David est odieux, mais nous ne sommes pas mieux. Il dit ce qu’il pense, il fait ce qu’il a envie, même s’il ne devrait pas.

Derrière cette forme je-m’en-foutiste se cache une profonde étude de mœurs, en apparence cantonnée chez les « heureux du monde » dans ce Westside de Los Angeles où s’activent stars, chirurgiens, et avocats (des blancs presque tous ashkénazes) suivis de leur troupeau de domestiques noirs, hispanos et asiatiques**.

Formellement, Curb a amené une pierre nouvelle à l’édifice audiovisuel. Mais en dénonçant les non-dits qui nous habitent, le racisme, la misogynie, l’insupportable condescendance des riches, le pharisianisme religieux, l’hypocrisie généralisée du couple ou de la famille, la série est devenue universelle. Rien en réalité n’a échappé à l’œil assuré de Larry David, dont on ne sait toujours pas s’il pense ce qu’il dit.

Le nombril de David, c’est le nôtre.

* Exemple type : Lori Loughlin, condamnée (avec Felicity Huffman) pour avoir versé des pots de vin afin de faire entrer ses enfants à l’université, revient jouer le même rôle dans Curb. Elle corrompt Larry pour entrer dans son prestigieux club de golf et triche sur le green.  
** A leur merci, mais pas toujours reluisants (couvreur incompétent, masseuse escroc, restaurateur voleur de parapluie…)




mardi 29 juillet 2025


L’Effondrement
posté par Professor Ludovico

On a mis du temps à regarder L’Effondrement, malgré les appels du pied répétés de James Malakansar. Peut-être tout simplement parce que le thème est déprimant : l’effondrement de notre société, de notre vie quotidienne wi-fi, chauffage et petites bouffes entre amis. Un thème qui a le désagréable avantage d’être en permanence à la télé. Donc quand on regarde une série, on a envie de penser à autre chose.

Créée, écrite et réalisée par le collectif Les Parasites : (Guillaume Desjardins, Jérémy Bernard et Bastien Ughetto), L’Effondrement démonte notre petit confort en huit épisodes saignants de 20 minutes, constitué à chaque fois d’un seul plan séquence. Ce gimmick, devenu à la mode pour montrer qu’on est cinéaste (Birdman, The Revenant, 1917…*), c’est un peu l’Orson Welles du pauvre. Mais ici, loin de l’afféterie, c’est un concept. Balayer un thème en vingt minutes, dans un lieu iconique de la vie quotidienne (le supermarché, la station d’essence, le hameau…) et c’est absolument impressionnant. Parce que l’émotion est là, parce qu’elle supplante la technique, parce que les comédiens jouent juste (pour la plupart inconnus, sauf quelques guests).

On regrettera juste un épisode final maladroit, moins subtil comparé au reste, mais qui a la charge (peut-être trop lourde) de résumer le propos politique du film.

L’effondrement n’est peut-être pas pour après-demain, mais ça vaut le coup de s’y plonger… après les vacances !




lundi 21 juillet 2025


Andor
posté par Professor Ludovico

Il faut être un génie.

Oui, un génie absolu pour avoir réussi à transformer une saga ridicule en chef-d’œuvre sériel. Que pouvait-on espérer tirer du space opera, ce genre oublié sorti des poubelles de la SF par George Lucas ? Conçu à l’époque comme un hommage aux serials de son enfance (John Carter from Mars, Flash Gordon, ces courts-métrages d’une demie-heure que l’on passait avant les films dans les salles de cinéma), Star Wars a dépassé l’intention initiale de son créateur, et est devenu, bien malgré lui, LA Science-Fiction…

Il fallait un gars musclé, Tony Gilroy, scénariste sexagénaire d’Armageddon, et des Jason Bourne, et fin réalisateur de Michael Clayton, mais aussi une productrice inflexible, Kathleen Kennedy, l’amie des Lucas/Spielberg, la productrice de leurs plus grands succès (E.T., Indiana Jones, Star Wars, Jurassic Park) mais aussi de grands films (Retour vers le Futur, Munich, Sur la Route de Madison, Sixième Sens, La Liste Schindler).

Aujourd’hui, Kathleen Kennedy est présidente de LucasFilm, et donc Madame Star Wars chez Disney, avec les pleins pouvoirs. On peut donc lui reprocher les épisodes 7, 8 9 mais elle est aussi derrière Rogue One (Tony Gilroy , Gareth Edwards) et Solo.

C’est donc elle qui a signé le projet Rogue One / Andor, en partant d’une toute petite idée : expliquer qui a dérobé les plans de l’Etoile Noire, c’est à dire les premières secondes de La Guerre des Etoiles, premier du nom. Gilroy, lui, a posé ses exigences. Ce sera un Star Wars adulte, avec de la boue sur les stormtroopers, et des protagonistes équivoques, qui tombent en résistance, plutôt que des personnages de BD tirés du Parcours du Héros.

Banco, répliqua Kathleen Kennedy.

Mais il fallait néanmoins une sacrée paire de couilles pour s’attaquer aussi frontalement à Star Wars, une saga qui travaille, elle, un certain merveilleux enfantin, Magicien d’Oz de l’espace, avec robot doré à la place de l’Epouvantail, et Chewbacca en Lion Peureux. Not in Aldebaran anymore

En 2016, Rogue One resterait un film d’aventures, plutôt simpliste sur la caractérisation des personnages. Mais c’est Andor, six ans plus tard, qui fit vraiment le travail. Motivations creusées (et ambiguës) des personnages, du sexe et de la drogue, et des trahisons à tous les étages. Pas vraiment l’univers propret de G. Lucas, ses vaisseaux Ikea, ses princesses en bikini, ses héros costumés en judoka, et ses extraterrestres en plastique…

Tout cela ne serait rien si ce n’était au service d’un propos fort, qu’on colle trop rapidement à la situation americano-trumpiste. Conçu depuis les années 2010, Rogue One/Andor est traversé par un sujet bien plus universel, celui de la révolte, ou de l’acceptation de la domination.

Montrer qu’entrer en résistance est souvent le fruit du hasard, parce qu’on est touché personnellement, ou que l’on a plus le choix. Ou qu’au contraire, on se met du côté des vainqueurs pour protéger sa famille, sa carrière : par opportunisme, ou par conviction idéologique …

Tout cela serait bien joli, mais ne mènerait nulle part si on n’arrivait pas à incarner ces idées. Pour cela Tony Gilroy a réuni (et réussi) une galerie de personnages absolument parfaite, tout autant du côté de l’Empire que de la Rébellion. Pas des personnages unidimensionnels, mais des vrais gens qui hésitent, qui doutent, et peuvent être attachants ou horripilants, peu importe le camp qu’ils servent. Signe qui ne trompe pas, on s’attache aussi bien aux rebelles qu’aux factotums impériaux.

Paradoxalement, Andor, le personnage principal (Diego Luna) est peut-être le plus falot. Un Han Solo au rabais, sans charisme, parfois détestable, mais qui sert de mètre-étalon aux autres. Car le monde tourne autour de lui, proposant un échantillon de trajectoires : Luthen Rael, leader implacable, cynique et désespéré (Stellan Skarsgård), Mon Mothma, la Sénatrice perdant ses illusions les unes après les autres (Genevieve O’Reilly), le Lieutenant de l’Empire Dedra Meero, SS blonde, entièrement consacrée à sa mission, rouage implacable du totalitarisme (Denise Gough)… On pourrait multiplier ces exemples à l’envi, tant chaque personnage, impeccablement écrit, impeccablement joué, vient nourrir cette immense saga… contenue en seulement une vingtaine d’heures.

Car c’est aussi la force d’Andor. Singulièrement boudée par la geekosphère, Andor s’est vue obligée de conclure sur sa deuxième saison. Tout bénéfice en réalité : c’est ramassé, musclé et cela finit au bon moment.

Aucun jedi d’ailleurs ne traine dans ces vingt-quatre épisodes.

C’était inutile : la Force était avec eux.




mardi 17 juin 2025


I Know this Much is True
posté par Professor Ludovico

Derek Cianfrance, c’est l’Atlantide. Le continent oublié du cinéma américain. Quelque chose qui existait encore dans les années 2010, et qui a disparu : un cinéma profond, adulte, orienté sur les personnages et la vraie vie… Ce cinéma indépendant qui faisait des beaux films avec seulement 1M$.

Cianfrance, il en a fait deux, magnifiques : Blue Valentine et The Place Beyond the Pines. Et puis il a disparu, englouti par le déluge Marvel.

Ce continent indé existe toujours, sur Netflix ou sur Prime. Et Derek Cianfrance revient justement sur HBO avec une série en six épisodes, I Know this Much is True, tiré du livre éponyme de Wally Lamb.

En l’occurrence l’histoire tragique de Dominick, dont le jumeau Thomas est schizophrène paranoïaque. Depuis l’enfance, Dominick s’occupe de Thomas qui sombre peu à peu dans la folie. La série prend alors une forme classique du cinéma américain, le thriller psychologique en forme de saga familiale. Un film psy, trauma domestique étalé sur presque un siècle. Le Prince des Marées version HBO.

On retrouve tout de suite la patte Cianfrance, ce cinéma volontairement imparfait, tourné en Kodak 35mm, ces zooms et cette musique discrète qui laisse toute sa place aux performances d’acteur. Et performance il y a : les frères Birdsey sont joués par un seul acteur, l’immense Mark Ruffalo et Philip Ettinger (pour les frères dans leur vingtaine)*…

Ruffalo est prodigieux dans ce rôle de peintre en bâtiment, italo-américain en colère permanente qui tient son frère à bout de bras, et s’oublie dans cette mission quasi christique.

Là où le – trop –  long métrage se gâte, c’est que l’accumulation de drames qui tombe sur Dominick finit par devenir ridicule (au point que le personnage se demande lui-même comment autant de malheurs peuvent lui arriver…)

Mais dans le dernier épisode, le cinéaste joue une carte qu’il avait cachée dans sa manche, et qui n’est pas celle que l’on croit. Le propos du film se révèle alors : les spectateurs, comme Dominick, sont tout autant victimes de leurs perceptions, de leurs préjugés, de leurs angoisses.

Il n’en reste pas moins que la série a « triché », qu’elle a joué trop longtemps cette carte-là. Evidemment, la forme sérielle réclame des pistes secondaires, des rebondissements, des cliffhangers.

Mais peut-être que pour une fois, on peut dire qu’un film aurait fait mieux.

* Le reste du cast est à l’avenant (Melissa Leo, John Procaccino, Juliette Lewis, Kathryn Hahn, Rosie O’Donnell, Imogen Poots, Archie Panjabi, Bruce Greenwood…)




lundi 9 juin 2025


Ozark
posté par Professor Ludovico

Il a fallu, après avoir vu le final de Ozark, retourner à la source, c’est-à-dire revoir le premier épisode pour s’assurer du chemin accompli. C’est-à-dire ce moment où un petit banquier falot, marié, deux enfants, mate du porn en plein rendez-vous professionnel, et se révèle être à blanchisseur de cartel.

Le propos : dévoiler le dessous de l’Amérique, qui, comme le dit un personnage, est obsédée par le fric. Derrière le remake d’Une Famille en Or, le démontage en règle de la famille américaine, de ses hypocrisies, de ses dépendances (sexe, alcool, opioïdes, religion), et le rôle implacable de l’argent dans une société qui ne cesse de clamer que la famille est au centre du tout.

Oui, mais quelle famille ? La famille Byrde, cadres sup urbains, bien sous tous rapports, mère au foyer, et gentil papa cadre ? La famille Langmore, rednecks paumés vivant dans une caravane au bord du magnifique Lac des Ozarks ? Ou la grande « famille », dans son sens le plus dévoyé, le cartel Navarro ?

Si la série a un seul défaut, c’est de jouer en permanence sur les coups de pression de manière parfois un peu mécanique. Mais c’est aussi pour notre plus grand plaisir mais car c’est ce qui rend la série addictive. Pour le reste tout est parfait. Les acteurs sont tous phénoménaux, en particulier les jeunes (Sofia Hublitz , Skylar Gaertner, Julia Garner…) Laura Linney est glaçante en mère de famille frustrée de sa carrière professionnelle, tout comme son mari, Jason Bateman, dans le contre-emploi d’une carrière.   

La mise en scène est simple mais parfaite, basée sur de légers mouvements de caméras, de mises au point subtiles et de survol magnifiques de la nature sauvage des Ozarks. La musique, à l’unisson, est discrète et parfaite.

Le cinéma dans son plus pur classicisme, pour dépeindre l’horreur du monde.

Une leçon.




décembre 2025
L M M J V S D
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
293031