mercredi 30 mars 2022


Citizen Kane/Massacre à la Tronçonneuse
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films ]

La cinéphilie, c’est l’art du rapprochement. Qui a tourné avec qui ? Qui a produit le film dont X était le réalisateur ? Voir un film, puis en voir un autre, et leur trouver des points communs. Revoir Citizen Kane pour éduquer la jeunesse, et, le lendemain, voir pour la première fois Massacre à la Tronçonneuse. Le point commun ? Quel point commun ? Deux classiques du genre, en fait. Ou plutôt, un classique, LE Classique, le Classique des Classiques, et la Première Pierre du Slasher. Mais dans les deux cas, ces films ont mal vieilli.

Citizen Kane

Le premier visionnage, au début des années 80, nous avait émerveillé. Mais nous étions probablement hypés par Claude Jean-Philippe, qui présentait le Ciné-Club d’Antenne2, tous les vendredis soir : Orson Welles, le cinéaste maudit, Orson Welles, seul contre Hollywood, Orson Welles, le premier à filmer des plafonds, à faire des travellings inexplicables à travers le néon du night-club, à cadrer d’improbables doubles focales, etc., etc. Ce n’est pas pour rien que Citizen Kane est considéré comme le plus grand film de l’histoire du cinéma.

Mais aujourd’hui, le film est bizarrement vide. On pense, sans totalement oser, au cinéma esthétisant à la manière de Jeunet/Scott/Jimenez. Un cinéma formellement impressionnant mais qui ne s’occupe guère de ses personnages. Avec une différence majeure, évidemment : Citizen Kane a quelque chose à dire sur l’Amérique, sur l’argent qui détruit, sur l’idéalisme qui se dissout dans la corruption du pouvoir.  

Si le film de Welles reste très efficace, en déroulant l’histoire de son protagoniste dans un immense flashback (très cut pour l’époque), le film peine aujourd’hui à nous émouvoir. A l’instar de son protagoniste, Charles Foster Kane (Orson Welles), un type brillant, balançant punchline sur punchline. Les témoignages extérieurs (son épouse, son meilleur ami (Joseph Cotten*)) contrebalancent malignement ce portrait hagiographique, mais il faut arriver à la toute fin du film pour toucher du doigt la détresse du personnage. Et saluer au passage la métamorphose incroyable de Welles en Kane âgé – il n’a que vingt-cinq ans au moment du tournage. On commence enfin à ressentir quelque chose. Charles Foster Kane avait tout, mais il lui manquait l’essentiel, ce qui n’existe plus : l’enfance, une luge, Rosebud.

Massacre à la Tronçonneuse

Le film de Tobe Hoper, 33 ans après Citizen Kane, n’est évidemment pas sur le même registre, mais c’est également une référence : le premier des slashers. Au contraire de Citizen Kane, ce Massacre peine à décoller : une bande de jeunes se balade au fin fond du Texas dans un Combi Volkswagen. Ils prennent en stop un type étrange, à moitié fou, avant de s’arrêter à cause d’une panne d’essence. Les voilà obligés de dormir dans une maison abandonnée. Les ennuis commencent… au bout de quarante-cinq minutes !

On voit bien l’installation du scénario-type du slasher (des crétins insouciants se font trucider par des rednecks revanchards) mais voilà, The Texas Chainsaw Massacre est le premier à l’exposer. Idem pour les séminales scènes gore : sculptures en os, masque en chair, giclées de sang et cadavres momifiés ont laissé une empreinte indélébile qu’on retrouve encore, cinquante ans plus tard, du Silence des Agneaux à True Detective.

Mais le film reste assez long et ennuyeux, et surtout pas drôle. Aujourd’hui, le slasher essaie souvent de produire une terreur de second degré (Scream, ou les remakes d’Alexandre Aja (La Colline a des Yeux, Piranhas)…

Pourquoi, alors, juxtaposer ces deux films ? Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des moules qui ont produit de brillantes copies. Mais si on le découvre aujourd’hui, le plaisir originel a disparu. Un peu d’admiration, mais beaucoup d’ennui. Il faut expliquer ce que ça représente dans l’histoire du cinéma, car c’est la seule trace qui reste. Des films moins formellement innovants comme Les Enfants du Paradis ou Seul les Anges ont des Ailes produisent encore de l’émotion : ces films sont toujours vivants. Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des films morts. Ils n’en sont pas moins passionnants..

*Malencontreusement confondu avec William Holden par un stagiaire, dans une version précédente de cet article. Merci le Rupelien !




vendredi 18 mars 2022


BAC Nord
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Une fois passée la polémique, BAC Nord passe sur Canal et on peut enfin regarder le film dans l’apaisement… Car au final, beaucoup de bruit pour rien : on ne peut pas dire que BAC Nord soit un film politique, mais on ne peut pas prétendre non plus qu’il ne le soit pas. Le point de vue de Cédric Jimenez est clairement du côté de la police qu’on suit dans des scènes intimistes et dans des scènes d’action, toutes très réussies…

Malheureusement, BAC Nord fait partie de ces films qui ne savent pas où ils habitent. Partant sur un mode réaliste (le difficile quotidien des flics dans les zones ravagées par le deal*), Cédric Jimenez nous emmène en terrain connu : Baltimore, McNulty, faire du chiffre à tout prix… On se croit parti dans une critique à l’os de notre système politico-judiciaire. Mais au mitan, BAC Nord bascule dans un tout autre film : l’assaut de la cité des dealeurs. Séquence survitaminée, ça tire dans tous les coins, hors-bords et poursuite en voiture, à la façon des meilleurs Michael Bay. Jimenez est d’ailleurs très bon à la manœuvre… Mais, voilà, on était dans The Wire, on est maintenant dans l’exagération du film d’action, façon The Shield.    

Cédric Jimenez confirme, après HHhH, qu’il fait du cinéma adolescent. Un cinéma qui a des idées de cinéma, mais qui ne réfléchit jamais à ce qu’il filme. Un cinéma qui pioche dans les clichés pour illustrer une idée (par exemple, le désespoir des flics en prison), sans se dire une seconde que ce désespoir est un peu ridicule (ils ne sont qu’en détention provisoire)…

En revanche, les acteurs sont bien : François Civil (qu’on n’aime pas beaucoup), révèle l’étendue de son talent, Karim Leklou et Adèle Exarchopoulos sont très convaincants. Seul Gilles Lellouche en fait des tonnes, en Vin Diesel mal rasé.

Il faut dire qu’il n’est pas aidé par des dialogues sottement explicatifs, alors que tout le monde avait compris.

* La vraie affaire est là : l’emballement politique et médiatique autour d’une petite affaire (la plupart des policiers ont été relaxés)

** Illustré par les trois intournables : je hurle, je tape dans la porte jusqu’au sang, je me laisse glisser le long de la porte, la tête dans les mains…




mardi 15 mars 2022


Francis Huster, le Misanthrope, l’Ukraine, et le joueur de ping-pong
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -Les gens ]

Si on doutait que le Merveilleux Métier de la Scène et du Spectacle pouvait rendre fou, les exemples sont là. Les multiples comédiens rendu dingos par Kubrick (Shelley Duvall, Marisa Berenson,Malcolm McDowell), par Hitchcock (Tippi Hedren), les personnalités déjà limites (Bela Lugosi, Tom Cruise, Pee Wee Herman, Sean Young…), les gars défoncés à la Méthode (Jim Carrey, Pacino) ou boursouflés par le triomphe (De Niro, Depardieu, Adjani…) Certains ont préféré carrément quitter le Métier (Kathleen Turner, Debra Winger) plutôt que de finir en hôpital psychiatrique.

Mais il est rare d’en avoir l’incarnation live. Nous avions déjà attiré l’attention du Cinefaster sur le show Godard, l’été dernier. C’est au tour de Francis Huster.

Adèle Van Reeth ne se doutait pas, en invitant le sociétaire de la Comédie Française dans son émission Les Chemins de la Philosophie, sur France Culture, qu’elle allait tomber sur une tornade.

Pourtant Huster est coutumier du fait. Comme tous les théâtreux, il a tendance à en faire des tonnes. Mais là, c’est un chef d’œuvre d’humour involontaire, de melon surdimensionné, et de vacheries confraternelles. Invité à parler du Misanthrope, Huster parle surtout de lui, Francis Huster : sa vie, son œuvre. Classique, sauf que ça part carrément en vrille. L’Ukraine, Joe Biden, JFK, le Pape, le Christ, et Fabrice Lucchini (« joueur de ping-pong ») avec une séance de drague plutôt gênante entre la présentatrice 39 ans et le vieux beau de 74 printemps.

Et évidemment, mansplaining à tous les étages, « Laissez-moi vous expliquer, Adèle… » Sachant que la demoiselle a fait Normale Sup et l’autre le Cours Florent, c’est assez réjouissant. C’est en tout cas la meilleure comédie du mois, et comme dirait le joueur de ping-pong, « c’est énooooorme ! », et c’est ici.




lundi 14 mars 2022


Mais Qui a Tué Harry ?
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Le film de Hitchcock commence par une surprise, lui qui préférait plutôt le suspense : des plans bucoliques, un gamin, trois coups de feu, et un cadavre.

Le film bascule alors dans la folie douce : quatre personnes vont découvrir ce cadavre et… ne pas s’en émouvoir une seconde ! Un chasseur sexagénaire pense l’avoir tué par accident, une vieille fille vient draguer le chasseur, un artiste tirer le portrait dudit cadavre. Cherry on the cake : une jeune femme (le premier rôle de Shirley McLaine) affirme que c’est son mari : bon débarras  !

Le débat entre ces personnages va alors tourner autour du cadavre ; faut-il le dissimuler à la police ? (Ne me demandez pas pourquoi, Hitch s’en fiche aussi). Au bout d’un quart d’heure, on a accepté cette situation loufoque pour se concentrer sur le reste : le sexe !

Car c’est un des films les plus chaud-bouillants du Grand Hitch, et pas forcément le plus subtil. Pas de tunnel-métaphore façon La Mort aux Trousses, pas de chignon torsadé façon Marnie, ou de fantasme blonde/brune à la Vertigo, mais plutôt des dialogues bourrés de sous-entendus égrillards…

On dissertera donc sur la bonne taille d’une anse de tasse à café « pour hommes », sur la reproduction des lapins, « comme pour les éléphants », sur le mariage « une façon agréable de passer l’hiver », sur l’état de conservation d’Unetelle « les conserves sont faites pour être ouvertes un jour »… et sur le Shirley McLaine, évidemment, jeune rousse aux seins en obus, qu’il faut embrasser doucement, « parce qu’il ne faut pas grand-chose pour y mettre le feu* »… On le voit, on ne nage pas dans la finesse…

Mais Qui a Tué Harry ressemble en fait à une comédie de boulevard ; c’est sa force et sa faiblesse. Au-delà du ping-pong salace, il n’y a pas vraiment de dramaturgie. Un type est mort. On se fiche de savoir qu’en faire… Quant à savoir qui l’a tué, on s’en fiche encore plus.

* « Lightly, Sam. I have a very short fuse. »





lundi 14 mars 2022


William Hurt
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

On a du mal à imaginer, si l’on n’est pas une femme de cinquante ans, ce que représentait William Hurt dans les eighties. En un film, Le Baiser de la Femme Araignée – où il incarnait paradoxalement un homosexuel – il avait brisé le cœur des cinefasteuses. Pour notre part, on l’avait découvert en avocat amoureux de Kathleen Turner, pris dans le piège floridien de La Fièvre au Corps. Il était aussitôt devenu un argument pour aller voir en salle ses autres films : Au-delà du Réel, Les Copains d’Abord, Voyageur Malgré Lui…

Mais cet acteur fin, capable de jouer les salauds comme les héros, a eu une carrière de bimbo hollywoodienne. Ce qui arrive tout le temps aux femmes – et rarement aux hommes – lui tomba dessus : ses grands rôles étaient liés à sa beauté. Celle-ci, une fois éclipsée, le cantonna dans des seconds rôles, même si ce fut de beaux seconds rôles (Smoke, ou le fabuleux Dark City d’Alex Proyas).

Et comme ses collègues féminines, il réapparut dans sa cinquantaine, au tournant des années 2000, souvent dans des rôles de méchants : A.I., Le Village, A History of Violence, Raisons d’État, Into the Wild, ou Avengers. Il eut aussi des rôles remarquables à la télé : le Duc Leto Atréides dans l’horrible série Dune, mais aussi Damages, Goliath, Condor

Il y promenait toujours sa grande carcasse, sa coolitude absolue, ses cheveux blonds et fins sur une calvitie précoce, mais surtout ce regard – doux ou cinglé, c’était selon.

Adieu Monsieur Hurt.