On sait ce qu’on pense ici de la filmographie de Quentin Tarantino. On peut néanmoins la résumer en quelques mots, pour les newbies. Quentin Tarantino refait, pour des millions de dollars, des films qui en ont couté quelques centaines de milliers. QT est probablement le plus grand cinéphile de tous les temps, mais il ne fait que recopier, avec un immense talent, les films de série B. qu’il a aimés. Par ailleurs, son cinéma n’a rien à dire. Combien de fois faudra-t-il le répéter : une œuvre d’art est là pour dire quelque chose : même Flashdance, même Doctor Strange in the Multiverse of Madness, même La Grande Vadrouille… Au contraire, le cinéma de QT est creux, il ne dit rien d’autre que les rêves de gamin de Tarantino, Quentin : un cinéma fait par un enfant, avec ses jouets fétiches : voitures, Cowboys et Indiens, Gendarmes et Voleurs.
Mais de cette filmographie minimaliste émerge, un film, un seul : Jackie Brown. Comme par hasard, le seul film qui n’est pas un scénario original de QT. Le seul film tiré d’un livre (Punch Creole, d’Elmore Leonard). Un livre. Un livre, ce jouet des adultes.
La période des fêtes est souvent l’occasion de revoir les vieux films. Jackie Brown n’a pas vieilli, il a même embelli. D’abord, on a rarement vu autant d’amour projeté sur une actrice à l’écran. Quentin Tarantino est fou de Pam Grier, et ça se voit. Il colle littéralement à son visage, et ne se lasse jamais de la filmer. Cela pourrait être une embarrassante démarche voyeuriste à la Hitchcock, une pure pulsion sexuelle, mais Jackie Brown est beaucoup plus. C’est George Cukor qui filme Audrey Hepburn dans Sylvia Scarlett, Vadim qui filme Bardot, Carax qui filme Binoche. Pour la première – et la dernière – fois de sa carrière, Tarantino a de l’empathie pour son personnage, et évidemment, ça en crée pour le spectateur. Pas pour n’importe qui, pas pour une blonde aux jambes de 2,50 m qu’il affectionne (Uma Thurman, Margot Robbie …) Non, pour une femme fatiguée, humiliée, qui sait que le meilleur est derrière elle. Cette femme c’est Jackie Brown, mais c’est aussi Pam Grier. En 1997, Grier a quarante-huit ans, elle sort d’un cancer, et n’a tourné que des navets mettant en avant sa poitrine. Elle est au bout de sa – toute petite – carrière. Ça tombe bien, Jackie Brown aussi. Elle a déjà fait de la prison pour son ex-mari et travaille comme hôtesse de l’air sur une compagnie merdique. Elle est harcelée par deux flics débiles (dont Michael Keaton, génial) qui se servent d’elle pour faire tomber un marchand d’armes minable, Ordell Robbie (Samuel L. Jackson). Ordell est un idiot, mais un idiot dangereux ; il vient de tuer de sang-froid un type qui pouvait le balancer. Comment va-t-elle sortir ? Comment va-t-elle embobiner tout le monde, flics et voyous ?
Arrive l’autre personnage attachant du film, interprété par Robert Forster dans son plus grand rôle : Max Cherry, chargé de caution quinqua à la ramasse, mais avec un sens inné de la décence et de la justice. Max tombe instantanément fou d’elle, comme le spectateur : au cinéma, ça s’appelle un point de vue.
C’est dans Jackie Brown qu’on voit à quel point le talent de Quentin Tarantino est gâché dans ses autres films. Il a ici un personnage de femme forte. Et c’est ce qu’il filme, précisément. Il ne filmera jamais la plastique, pourtant spectaculaire, de Grier, mais uniquement son visage, son sourire mystérieux, son profil de pharaonne. Il filme le cerveau d’une reine…
Il a un propos : qu’est-ce que la vie nous fait ? Et en particulier, qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que les hommes, font aux femmes ? Et Tarantino va tenir ça pendant 2h27 dans un polar crispé, alors que trois malheureux coups de feu seront tirés, on ne verra même pas de sang. La tension dramatique est uniquement transmise par ses fantastiques acteurs, ses dialogues brillants, ce qui, reconnaissons-le, est toujours formidable chez Tarantino. Samuel L. Jackson, tendu comme jamais, De Niro à contre-emploi en nounours pataud, Bridget Fonda en surfeuse blonde énervante dans tous les sens du terme…
Et Tarantino se permet même un fin douce-amère, une rareté chez lui. Une histoire d’amour qui finit mal entre Jackie et Max, dans une dernière scène sublime.
Il faut voir Pam Grier, au bord des larmes, chantonnant du bout des lèvres Across 110th street…. Puis esquissant, quand même, parce que la vie continue, ce léger sourire en coin…
“Been down so long, getting up didn’t cross my mind
But I knew there was a better way of life, and I was just trying to find…”
posté par Professor Ludovico
Tandis qu’Avatar : La Voie de l’Eau est en ce moment sur les écrans, le seul chef d’œuvre de James Cameron se jouait hier au Stade de Lusail : la finale de la Coupe du Monde 2022. Après que le boa constrictor argentin ait étouffé nos Bleus pendant tout le match, la magie de la dramaturgie footballistique prenait enfin son envol. Le football n’est pas une science exacte, domination et possession ne valent pas score.
Après quatre-vingt minutes de dictature, les argentins faisaient une erreur, une seule ! et offrait un penalty à Mbappé qui n’en demandait pas tant… Et qui, selon la logique vicieuse du football, entraînait un deuxième but, car la panique s’était installée dans la pampa… C’était la remontada.
La France aurait pu (du) tuer le match ce moment-là, elle serait aujourd’hui championne du monde, mais le football est un trop beau spectacle pour se contenir dans ces clichés étroits. Prolongation, nouveau but de Messi. Nouveau penalty de Mbappé. Qui écrit un tel scénario, à part les James Cameron du football ?
Mbappé et Messi étaient sur la même planche, mais il n’y a pas de place pour deux : le plus grand drame sportif du XXIe siècle était en place, tout serait décidé au hasard, ou plutôt dans cet incroyable rendez-vous avec soi-même que sont les tirs au but. La fin fut sublime. Le roi Messi gagna. L’héritier Kylian perdit.
Commença alors une autre pièce, un autre blockbuster, signé Shakespeare. Le jeune Hamlet Mbappé ne veut plus vivre. Devant une telle malignité de fortune (perdre en inscrivant un triplé), être ou ne pas être : telle est la question. A l’aube de de son vingt-quatrième anniversaire, le futur Roi du Monde ne peut comprendre que cette défaite le rendra beaucoup plus fort. Il ne peut, à lui seul, être le sauveur de la Nation. Mais la leçon est amère. Pour le moment, il n’est que douleur… Il y a quelque chose de pourri dans l’émirat du Qatar… On veut mourir, dormir, rêver peut-être…
Mais le football est cruel ; il honore les gagnants mais veut aussi humilier les perdants. Médailles en chocolat, discours interminables… Survient Claudius-Macron, le roi des Francs… Pour la première fois, le Président réussit à nous attendrir. Peut-être parce que son masque de porcelaine est exceptionnellement tombé, et que l’on voit enfin un amour authentique du football, et une sincère déception. Macron relève le Petit Prince du football, le réconforte, et l’encourage à aller chercher son horrible trophée (un soulier doré Adidas de meilleur buteur), en passant, sublime image, devant cette coupe qu’il désirait tant. Un simple regard, l’œil vide, une photo de groupe…
Bonne nuit, doux prince…
samedi 29 octobre 2022
You shake my nerves and you rattle my brain
posté par Professor Ludovico
Too much love drives a man insane
You broke my will, but what a thrill
Goodness, gracious, great balls of fire
I laughed at love ’cause I thought it was funny
You came along and moved me honey
I’ve changed my mind, your love is fine
Goodness, gracious, great balls of fire
Kiss me baby, woo feels good
Hold me baby, well
I want to love you like a lover should
You’re fine, so kind
I want to tell the world that you’re mine mine mine mine
I chew my nails and I twiddle my thumbs
I’m real nervous, but it sure is fun
Come on baby, drive my crazy
Goodness, gracious, great balls of fire
mardi 4 octobre 2022
Athena
posté par Professor Ludovico
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Il en va de même pour le cinéma. Athena, de Romain Gavras, fait partie de ces films-là. Le cinéaste s’y enivre de sa propre virtuosité, sans réaliser que son œuvre a oublié son âme au passage.
Au début, le film semble très clair : après la mort d’Idir – un jeune maghrébin tué, paraît-il, par des policiers –, ses trois frères réagissent différemment alors que la colère gronde dans la cité Athena. Abdel, militaire de carrière, tente de ramener le calme, alors que Karim, son cadet, dirige la révolte. Le troisième, Mokhtar, est un gangster et espère tirer les marrons du feu.
Le propos, lui aussi, est limpide : la misère des banlieues additionné au complotisme d’extrême droite mène tout droit à la guerre civile. C’est très clairement dit, on ne peut le nier*. Mais plus le film se développe – via des plans séquences étourdissants, comme on en a sincèrement jamais vus au cinéma -, plus Romain Gavras oublie l’essentiel, c’est à dire l’image qu’il renvoie de la banlieue : des jeunes sauvageons, à qui seul la colère anti-flic est accessible. Des familles apeurées, qui fuient leur propre cité sans réagir. Des CRS qui n’ont d’autre solution que mener l’assaut, façon siège médiéval.
Si le film était fun (on pense souvent à un film de zombies), tout cela serait très excitant. Mais Athena se veut un film politique sérieux. Sa description « réaliste » de la banlieue produit l’effet inverse : on est terrifiés par les « héros » d’Athena, et on ne souhaite, comme l’extrême droite, que leur éradication pure et simple. Ce qu’accomplit le film, dans l’explosion finale de l’immeuble.**
Filmer cela sans y réfléchir, c’est grave. Et pour une fois le Professore Ludovico est d’accord avec la critique de la Sainte Trinité, unanime :
« Ce tour de force technique, si impressionnant dans la forme, se révèle particulièrement embarrassant sur le fond »
Télérama
« Romain Gavras assomme le spectateur avec une désinvolture politique qui force l’irrespect »
Libération
« Faux brûlot d’un vrai fétichiste de violences urbaines »
Les Inrocks
« Déluge de violence stylisée, personnages inexistants », « Romain Gavras assomme le spectateur avec une désinvolture politique qui force l’irrespect »
Libération
Sans parler de l’avis – définitif – du Professorino : « Romain Gavras n’arrive pas à se résoudre à l’idée qu’il n’est qu’un blanc privilégié et petit-bourgeois. »
C’est bien le problème d’Athena.
* Dans le making of disponible sur YouTube, le cinéaste parle de la Cité d’Athènes, de la poésie, de la violence, etc. Ce n’est pas interdit, d’autres l’ont fait. Apocalypse Now, La Ligne Rouge se sont aussi enivrés eux aussi de la beauté de la guerre. Mais ces films n’oublient jamais leur but.
** Par un ancien islamiste revenu de Syrie : cherry on the cake
lundi 26 septembre 2022
Moonage Daydream
posté par Professor Ludovico
Dans une œuvre d’art, on dit souvent que la sincérité est cruciale. C’est la question qui s’est posée à propos de David Bowie, tout au long de son immense carrière. Était-il vraiment bisexuel ? Vraiment mod ? Vraiment soul ? Vraiment punk bruitiste ? Était-il soudain devenu fasciste ? Ou hétérosexuel ?
Pour Moonage Daydream, la question ne se pose pas. L’amour du réalisateur pour Bowie transpire à chaque seconde. Un film qui aime son sujet (David Bowie, sa vie son œuvre) tout en étant capable d’en montrer les errances et les défauts.
La performance de Brett Morgen* est immense. Un déluge d’images, mais une seule voix, celle de Bowie. Pas de commentaire, ou de collègues venant saluer l’idole défunte (Jagger, Reznor, au hasard). Moonage Daydream reconstitue l’un des puzzles culturels les plus intrigants du XXe siècle : David Bowie.
Morgen a eu accès aux immenses archives du bonhomme, qui, fait exceptionnel, a TOUT gardé : costumes, sculptures, tableaux, vidéo clips, interviews, films… Tout y est.
Le génie du Rêve Eveillé de l’Age Lunaire n’est pas là, mais dans le soin extrême porté à l’ordonnancement de ces archives. Le montage crée des rebonds, des synergies, des associations d’idée. Un procédé de cut-up totalement bowiesque qui convient parfaitement à cette geste synesthésique.
Ce n’est donc pas un documentaire auquel nous avons affaire, mais bien une œuvre d’art. Une œuvre d’art signée Brett Morgen, dont le thème serait David Bowie…
* déjà réalisateur du très bon Crossfire Hurricane sur les Stones et producteur du cultissime (en tout cas à CineFast) Kid Stays in the Picture
vendredi 16 septembre 2022
Delphine Horvilleur
posté par Professor Ludovico
« Dans nos obsessions identitaires, beaucoup de gens pensent qu’on est ce que notre naissance a fait de nous. Je suggère, dans ce texte, qu’on est bien souvent aussi les enfants des livres qu’on a lus, des histoires nous a racontés. »
Ce matin, sur France Inter. Delphine Horvilleur* est la bienvenue au Conseil d’Administration de CineFast.
* « Je suis juive, rabbin, mais aussi parisienne, mère de famille, et je ne fais pas de sport. Pourquoi voulez-vous m’enfermer dans une identité ? »