[ Pour en finir avec … ]

On peut pas aimer tous les gens…



mardi 9 juillet 2024


Nouvelle Vague, Roman             
posté par Professor Ludovico

La fainéantise est toujours punie. Le Professore ne voulait pas se cogner les 224 pages du livre d’Antoine de Baecque*. Moralité, il souffre 432 pages sur Nouvelle Vague, Roman de Patrick Roegiers.

La proposition de lire quelque chose de léger, sur un mouvement qui intéresse peu le Ludovico, semblait alléchante. Mais on aurait dû réécouter le Masque et la Plume, qui disait pis que pendre de l’opus en question.

Mais voilà, le Professore est feignant. Il a l’Euro à voir (et ses innombrables buts de Mbappé), le Tour de France, Band of Brothers et Tokyo Vice. On ne peut pas tout faire et nobody’s perfect… Au final, le voilà bien puni, le Ludovico, à se coltiner la purge de Monsieur Roegiers.

Que dire en effet d’un livre – anecdotique dans tous les sens du terme – qui se contente de raconter des historiettes sur Godard, Truffaut, et consorts ?

On apprend ainsi que Agnes Varda est Scorpion, qu’elle fait 1,54 m, qu’Arditi est plus petit qu’André Dussollier, qui lui-même est Taureau, etc.** Et puis il y a l’incroyable égocentrisme du monsieur. Roegiers s’inclut dans le récit, comme s’il faisait partie de cette histoire. Il ne les pas interviewés, ni même rencontrés… Non, il a vu Sami Frey sur le trottoir d’en face, aperçu Lino Ventura aux Puces de Saint-Ouen, croisé Godard qui tourne à Montparnasse. Incroyable vacuité du cameo, incapable par ailleurs d’apporter une once de réflexion sur ce que la Nouvelle Vague a apporté au cinéma français, ni le mal qu’elle y fit. Rien sur Hitchcock/Truffaut, pas grand-chose sur Godard, deux lignes sur Rivette, rien sur Eustache, et des pages hors sujets à foison : Sautet, Resnais, recopiant des pages entières d’On Connait la Chanson. Roegiers est juste un fanboy qui publie chez Grasset.

Quant au style, parlons-en. Il empreinte les douteux canons de la Nouvelle Vague, à base de jeu de mots faciles, façon Godard. Ludovico ne peut résister à l’idée d’en citer quelques-uns :

« Chacun sa vie, chacun sa voix »

« C’est en lisant qu’on lit, c’est en filmant qu’on filme »

« Cléo aime la vie, la vie aime Cléo »

« Le temps est flou. Le temps efface tout. Le temps est partout »

« Les contrôleurs contrôlent.
Les traîtres trahissent.
Les assassins assassinent… »
(14 lignes idem)

« La vie s’écoule. Le monde change. Le temps passe. La journée s’avance »

« La page se tourne. On tourne la page »

Et bien sûr : « Le cinéma c’est la vie »

Mais en creux, ce tas de papier misérable dit quelque chose de la Nouvelle Vague. En empruntant sa forme, il en montre la vacuité ontologique. Dans le fond, il n’y a pas grand propos dans les films de la Nouvelle Vague. Avant tout une destruction des formes anciennes (le fameux « cinéma de papa » (Carné/Autant Lara/Grangier) et son remplacement par un bricolage qui l’affranchissait des lourdeurs des studios (son direct, tournage dans la rue, improvisation…) , déstructuration du scénario, et la nécessaire modernisation des sujets (on filme enfin la jeunesse, les baby-boomers, et plus l’éternel Gabin en vieux paternaliste de service)…  

Coup de balai révolutionnaire tout autant qu’indispensable, cela – on le sait – a fini par mener au vide. Soixante ans après, la révolution est finie, et on est revenu au cinéma « Qualité Française » vilipendé par ces jeunes turcs.

Le grand mérite du livre est d’en montrer les deniers soubresauts …

*Antoine de Baecque, La Nouvelle Vague

** J’avoue, cher CineFaster, que je n’ai pas eu le courage de vérifier ces données.




vendredi 21 juin 2024


Donald Sutherland
posté par Professor Ludovico

La mémoire cinéphilique est trompeuse ; pour nous, Donald Sutherland faisait partie de ces grands acteurs avec de nombreux rôles majeurs à son actif, et qui continuait – bon an mal an, comme les acteurs de son âge – à mettre sa patte dans les films de la génération suivante (Hunger Games), ou à la télé (Dirty Sexy Money ou Les Piliers de la Terre…)

Retour à la réalité : IMdB nous informe que Donald a joué dans 199 films (ce qui est énorme), et pas beaucoup de chefs-d’œuvre (ce qui nous confond) : M.AS.H., de Robert Altman, Le Casanova de Fellini, Klute d’Alan J. Pakula, 1900 de Bernardo Bertolucci, Des Gens comme les Autres de Robert Redford…

Il a en revanche traîné sa très reconnaissable carcasse comme second rôle dans de nombreuses GCA : Les Douze Salopards, De l’Or pour les Braves, L’Aigle s’est Envolé, Backdraft, Alerte ! Space Cowboys, Le Droit de Tuer, L’Aigle de la Neuvième Légion, Moonfall, et même… Jappeloup avec Guillaume Canet !

Mais ce qui compte, ce n’est pas la réalité, c’est les souvenirs. Dans ses films, même moyens, il imposait son rire étincelant, sa stature imposante, son anticonformisme et parfois même, une étincelle de terreur …

Malgré ses yeux globuleux, il était beau.




mardi 14 mai 2024


Usual Suspects
posté par Professor Ludovico

Comme nous, les films vieillissent…

Regarder aujourd’hui Usual Suspects, c’est voir ce que le temps fait aux films, aux spectateurs, voire aux deux. C’est mesurer bizarrement qu’il y a des films qui vieillissent et d’autres pas. Usual Supects et Heat sont sortis tous deux en 1995 avec des accueils radicalement différents. Usual Suspects a immédiatement été encensé par la critique : « très grand film policier » pour Positif, « plus beau thriller de l’année » pour Télérama. Le film prenait par surprise le spectateur, on y retournait pour démêler le vrai du faux, tâche quasi impossible. Ce fut donc un grand succès public.

Pour Heat, la critique fut plus mesurée : « inégalement réussi » pour Positif, « sorte de film noir « new age », fondé sur une suite de sensations » pour les Cahiers du cinéma, « honnête série B. où Michael Mann a la main lourde » pour Télérama. D’un côté un petit film de 6M$, de l‘autre la grosse machine Hollywoodienne. Les deux, chacun dans leur catégories, furent de beaux succès au box office (67M$ et 187M$).

Trente ans après, la donne critique a changé. Heat est devenu un classique du cinéma, et Usual Suspects un film malin, mais qui a beaucoup vieilli. Le style maniéré des acteurs (qui nous plaisait tant en 1995 !) ne passe plus. Le côté malin de l’intrigue s’est un peu éventé. Avec ses petits décors, le petit budget du film se voit maintenant. En face, Heat est devenu ce monument minéral, imputrescible, classique et éternel.

Life is a bitch.




vendredi 8 mars 2024


Dune, deuxième partie  
posté par Professor Ludovico

« Yom asal, yom basal »
Un jour du miel, un jour des oignons

Le cinéphile dunien erre dans le désert depuis 1965, à la recherche d’une bonne adaptation de Dune. Un jour, il mange du miel, le lendemain, des oignons. La suite tant attendue arrive sur les écrans : Dune : Deuxième Partie, la bien nommée. Le Professorino crie au chef d’œuvre. Son père, le Naib Ludovico, n’est pas content et parle d’idiot cinématographique. C’est en réalité une cause perdue. Le Professore est un de ces fondamentalistes, comme dit Villeneuve, qui traquent l’hérésie dans chaque plan – tu ne prononceras pas le nom de Muad’Dib en vain !

La fatwa fera l’objet d’une prochaine chronique. Essayons donc de regarder ça uniquement sous l’angle cinématographique : là aussi, le compte n’y est pas. Rendons grâce néanmoins à Denis Villeneuve d’avoir quelques réussites. Le film a un point de vue, ce qui est rare dans les adaptations de bestsellers. Le cinéaste de Premier Contact déploie ici un débat dialectique entre la vraie foi (incarnée par Stilgar) et un athéisme post-moderne, où la religion n’est qu’un outil de domination des masses (un outil utile pour Jessica, ou scandaleux pour Chani). Villeneuve lance le débat à peu près correctement, mais dans la dernière ligne droite, son propos ne devient plus très clair (Paul, d’abord contre, devient pour).

Autre avantage, Villeneuve injecte un peu d’humour dans Dune, ce qui n’est pas vraiment le point fort du roman. Et puis visuellement, Dune est toujours aussi fantastique. Villeneuve filme le désert comme personne : ergs, couchers de soleil, récoltes d’Epice, ou combat d’arène en noir et blanc.

Beau, oui, mais con à la fois…

« Lourde est la pierre, et dense est le sable.
Mais ni l’un ni l’autre ne sont rien à côté de la colère d’un idiot. »

Qu’est-ce qu’un idiot de cinéma ? C’est quelqu’un (acteur, réalisateur, décorateur) qui ne réfléchit pas à son métier. Ses idées sont un flux de conscience, qui impriment directement la pellicule. À ce titre, Villeneuve est un idiot de cinéma. Prenons tout de suite les précautions d’usage : par bien des égards, Denis Villeneuve est notre frère. Il a notre âge, il vénère le même panthéon cinématographique (2001, Apocalypse Now!, Persona, Blade Runner), et c’est un fan sincère de Dune. Depuis l’adolescence, Villeneuve rêve de « faire » Dune. Il a même storyboardé le livre de Frank Herbert à l’âge de 13 ans. Et voilà, à 54 ans, qu’on lui donne la chance de le faire. On peut comprendre que l’aboutissement de ce rêve soit un achèvement.

Mais un cinéaste ne peut pas être qu’un fanboy. Filmer sa vision n’est pas du cinéma. Qu’est-ce que ce film veut dire ? Qu’est-ce que le spectateur va comprendre ? Ça, Denis Villeneuve n’y réfléchit pas. Est-ce que cela a de l’importance, si les images sont belles, si les acteurs sont bons, si les décors sont grandioses* ? Pour un film à gros budget, il n’est pas très compliqué de réunir les meilleurs talents. Les faire travailler ensemble à une grande œuvre est une tout autre affaire.

Un exemple : la maison de l’Empereur Shaddam IV. Une jolie scène bucolique, un petit pavillon en béton dans un coin de verdure… Mais l’Empereur est la personne la plus puissante, la plus riche de l’univers. Les Harkonnens et les Atreides sont ses vassaux. Pour le lecteur de Dune, pas de problème : il décode, il interprète. Mais pour le spectateur lambda, Christopher Walken est un être faible qui vit dans une petite maison : contresens !

Ensuite, l’Empereur arrive sur Arrakis dans un vaisseau magnifique, une immense boule métallique**. Il s’installe sur la planète et déploie un immense palais, argenté lui aussi. Contradiction : pourquoi le gars qui vivait dans une petite maison possède un si grand palais ?  

La confrontation a lieu. Grâce à sa ruse et ses vers géants, Paul écrase ses ennemis. Voilà l’Empereur réduit à se retrancher dans le palais. Ses fidèles Sardaukar forment le dernier carré, faisant rempart de leur corps. Mais Paul pénètre dans le palais comme dans un moulin. Passe devant les Sardaukar. Se dirige vers le Baron Harkonnen. Et le tue, sans que personne ne s’interpose… Cette salle du trône, elle est dans l’obscurité, comme TOUTES les pièces de TOUT le film. Pourquoi l’homme le plus puissant de l’Univers habite dans l’ombre ? Pourquoi la déco (portes rondes, pièces obscures) est la même partout ? Pourquoi ses gardes ne combattent-ils pas ? Pourquoi cet homme, qui possède tout, habite dans un pavillon mal jardiné de Villeneuve-la-Garenne ? Tout cela pollue – consciemment ou inconsciemment – l’esprit du spectateur…

Soit on résout ces questions, comme le pense Kubrick, qui dit qu’on peut filmer n’importe quelle idée, à condition d’arriver à l’incarner correctement*** . Soit on évite au spectateur de se poser ces questions, comme le préfère Hitchcock****. Or ces contradictions montrent qu’il ne s’agit pas d’une volonté de Villeneuve, mais bien d’un oubli, d’un manque de réflexion. Il n’y a pas réfléchi, comme il n’y réfléchissait pas, déjà, dans Sicario.

Denis Villeneuve est un idiot de cinéma.

*C’est ce que semble penser le public, qui fait un triomphe à cette Part Two. On peut aussi penser que Dune touche un public habitué à bien pire (Marvel) et qu’il trouve enfin dans le film de Villeneuve quelque chose d’intelligent et mature.

** Comme Mitterrand, Villeneuve aime les formes simples : triangle/rond/carré.

*** « Hélas, les idées ne font pas les bons films. Il faut des idées dans les bons films, mais cela demande beaucoup de créativité artistique pour incarner fortement une idée… »

**** « Je retrouve ces erreurs partout : [le spectateur] découvre soudain qu’on a changé de lieu, sans explication, ou deux personnages portent le même costume, et de fait, on ne sait plus qui est le méchant… »

Chronique publiée également sur PlanetArrakis




vendredi 5 janvier 2024


Autant en Emporte le Vent
posté par Professor Ludovico

Après s’être refait l’intégrale Ken Burns – The Civil War, Arte diffuse Autant en Emporte le Vent et l’envie de revoir la bête nous saisit. Vu il y a une trentaine d’années, l’objet nous avait laissé à peu près sans commentaire : froufrous, Technicolor, et « Tara ! Tara ! Tara ! »

Aujourd’hui, le film de Victor Fleming pique carrément les yeux. C’est non seulement une propagande éhontée pour le Vieux Sud, son art de vivre, ses robes à crinoline et ses esclaves si bien traités, et l’immense tristesse que tout cela disparaisse sous les coups de boutoir de ces vulgaires yankees…

C’est aussi l’éloge de personnages absolument détestables. Comment le livre, puis le film, ont pu avoir un tel succès (notamment auprès de la gent féminine) reste un mystère insondable. Scarlett O’Hara est une garce capricieuse, une insupportable manipulatrice, entièrement centrée sur elle-même. Rhett Butler, qui pourrait fournir un intéressant point de vue, est tout aussi détestable. Quand elle s’adoucit, il la frappe et la viole. Elle, si prompte à la vengeance, se réveille le lendemain matin plutôt satisfaite !

Le cinéma regorge de sociopathes de ce genre, mais il y a toujours un point de vue. Tony Soprano est une ordure, un tueur, un mauvais père, mais on sait pourquoi. Il est capable d’actions désintéressées, ce qui fait qu’on ne peut vraiment le détester. Mieux, on voudrait le protéger de lui-même. Garance, des Enfants du Paradis, fait tout pour survivre, quitte à sacrifier les hommes qu’elle aime : elle en paiera le prix cher. Barry Lyndon est un arriviste : d’abord aimé du spectateur qui l’ « aide » dans son ascension aristocratique, le voilà détesté au mitan du film pour son attitude envers sa femme… Chacun de ces personnages n’existerait pas sans l’empathie du spectateur, elle-même créée par le point de vue du réalisateur.

Mais le pire de Gone with the Wind reste à venir : la morale finale… Pour Scarlett (et pour Margaret Mitchell) rien ne compte plus que la terre. Elle a perdu père et mère, maris et amants, et deux enfants, le plus souvent par sa faute… Pas grave : il lui reste Tara, et demain est un autre jour ! Philippe Pétain ne disait pas mieux : « La terre ne ment pas »

Que reste-t-il alors : la technique. Un technicolor éclatant,  d’une beauté rarement égalée, des audaces visuelles, et des reconstitutions spectaculaires…

Et bien sûr, la punchline la plus célèbre du cinéma :

– « Que vais-je faire ? Où je vais aller ?
– Franchement, ma chère, c’est le cadet de mes soucis
! »

Autant en Emporte le Vent ? Frankly my dear, I don’t give a damn…   




jeudi 21 décembre 2023


Les illusions perdues de Gérard Depardieu
posté par Professor Ludovico

Il y a une dizaine d’années, nous avions comparé l’étrange bienveillance dont bénéficiait Notre Plus Grand Acteur National, comparé aux footballeurs, voués aux gémonies dès la moindre incartade, steak en or de Ribéry, sex tape de Valbuena, ou… négociations salariales avec les sponsors de l’Equipe de France.

Aujourd’hui, force est de constater que cela a peu changé. Ce que fait Gérard Depardieu, tout le monde le sait depuis longtemps… Ce n’est pas l’avis du Président de la République, qui a cru bon se lancer – parmi mille autres arguties hasardeuses, celle-là bien plus graves – dans la défense de notre trésor national.

Hier dans C à Vous, Emmanuel Macron a rappelé la présomption d’innocence : il aurait dû s’arrêter là. Depardieu est accusé de viol. Il doit être jugé par la justice, et non par les médias, nous sommes d’accord. Le rôle du Président de la République n’est pas de l’accabler. Il ne doit pas le défendre non plus.

C’est pourtant ce qu’a fait Emmanuel Macron, longuement (3mn) : « C’est un grand acteur », « Il a fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages dans le monde entier », « Il rend fière la France… »

Non, Monsieur le Président, il y a longtemps que Gérard Depardieu ne rend plus fière la France.




jeudi 19 octobre 2023


First and Last and Always ?
posté par Professor Ludovico

En 1958, Danny & the Juniors chantaient « Rock’n’roll is here to stay, it will never die ». Hier, le Professore est allé voir The Sisters of Mercy à La Cigale, un concert qu’il attendait depuis 35 ans. 35 ans, c’est à dire 1988, quand Mikke Pikke Pö nous exhortait à sortir du « fuckin’ boogie woogie » des Stones, du Pink Floyd et de Bowie ; ouvrant ainsi la Boite de Pandore des Pixies, de Joy Division et des Sisters of Mercy.

Je ne vais plus trop aux concerts rock, leur rituel me bassine désormais, moi qui ai tant aimé ça : l’attente, le bruit, la fumée, la promiscuité. Tout ça me fascinait, tout ça m’ennuie. Je ne vais plus voir que des gens que je n’ai jamais vu et qu’il faut voir avant de mourir : Dylan, P.I.L., Joan Baez, ou Lady Gaga…  

Mais depuis quelques mois, je me dis qu’il faut que je m’arrête : j’en ressors à chaque fois énervé et frustré : est-ce vraiment la peine de mettre des dizaines d’euros dans le genre de soirée ? Ce n’est pas eux, bien sûr, c’est moi, mais c’est quand même un petit peu eux…

Voir un type chanter la révolution (alors qu’il possède sa maison à Ibiza ou un château en Touraine), ou sa frustration sexuelle (tendance viagra plutôt qu’orgiaque), c’est carrément insupportable. C’est la spécificité du rock. On peut jouer du blues, du classique, de la variété, en ayant soixante-dix ans. Pas du rock.  

Hier, les Sisters of Mercy étaient partagés en deux. La moitié du groupe venait du groupe originel : Andrew Eldritch, Chris Catalyst, faciles à reconnaitre à leur look sexagénaire, tendance Gaetan Roussel. Deux jeunes guitaristes assuraient devant. Charge à eux d’assurer la posture rock : look eighties, (Rayban Aviator de Eldritch à son heure de gloire), pantalons de cuir et poses guitar hero. Ils surjouaient les Sisters of Mercy de 1988 : totalement pathétique.

Où était passé, par ailleurs, le bruit et la fureur ? Le public pourtant mixte (50% de vieux à T-Shirt First and Last and Always, 50% de jeunes vampires, rouge à lèvres noir) ne dansait pas et chantait peu.

Je ne suis pas un jeuniste. Je ne pense pas que c’était mieux avant. Mais comme Mick Jagger, je pense que le rock est comme la déesse Kali, elle mange ses petits enfants, et tout cela n’est simplement plus de sens. La révolte est ailleurs : dans le Rap (dont je me fous) ou sur Internet (qui m’intéresse beaucoup plus)…

En est-il de même des autres arts ? Pas sûr…  La musique classique survit malgré (ou peut-être grâce) à sa spécificité CSP+, le théâtre évolue, le cinéma se réinvente dans les séries. Mais le rock est peut-être comme le cinéma américain ; il meurt comme expression d’une culture, celle des boomers, celle d’une certaine révolte contre l’ordre ancien de l’avant-guerre. Le cinéma US était porteur de ces rêves-là, comme Elvis ou Little Richard.

Le rock n’est pas mort, mais les rockers, oui.




lundi 24 juillet 2023


King Kong vs Godzilla (Studios contre GAFAM)
posté par Professor Ludovico

C’est la polémique du moment : suite à la grève Hollywoodienne des scénaristes puis des acteurs, on voue aux gémonies Amazon, Netflix, Apple, etc. Il semble au Professore Ludovico (qui n’a rien à gagner dans l’affaire) qu’on confond deux problèmes.

Le premier, c’est l’avidité des studios, totalement avérée chez les GAFAM, mais qui n’est pas moindre chez Disney, HBO, où à la Warner. Et cela, de toute éternité. Si on ne les contraint pas, les studios ne font jamais évoluer les droits dérivés qui font vivre les différents artisans de l’Usine à Rêves… Il y a vingt ans, c’étaient les droits DVD qui enrichissaient télés et majors, et les artistes touchaient peanuts. Moralité, déjà une grève dévastatrice… Aujourd’hui, c’est le streaming, mais l’idée est la même.

Le deuxième problème serait de considérer ces GAFAM comme les destructeurs d’Hollywood, comme une récente interview de Mel Brooks, consterné de voir Prime Video occuper aujourd’hui les anciens studios de David O’ Selznick, Monsieur Autant en Emporte le Vent.

Pourtant c’est le contraire : les Netflix, Apple, Prime injectent non seulement des milliards de dollars dans la production, mais les résultats sont à la hauteur . Les séries originales (Stranger Things, Severance, For all Mankind, Bonding, The Boys, Too old to Die Young, Arcane…), les documentaires (Tiger King, Wild Wild Country, Fran Lebowitz (pretend it’s a city), Drive to Survive…) sont tous d’excellents produits télévisuels.

Seuls les films sont restés un peu en dedans (en donnant carte blanche à des films qui ne le méritaient pas (Mank, The Irishman, Athena…)), mais produisant aussi des réussites impossibles en salle (The King, The Vast of Night, Prospect…)

Les GAFAM, comme la télévision en son temps, puis le magnétoscope ou le DVD, sont en train de révolutionner le cinéma et de bousculer les studios. Qui survivront, ou pas. Mais le cinéma, lui, restera.

Time waits for no one.




mardi 30 mai 2023


Héritage de Succession
posté par Professor Ludovico

Peut-on enfin mesurer l’incroyable succès artistique que représente Succession, désormais un des 8000 télévisuels après cette season finale d’exception ? Là où il n’y a plus beaucoup d’oxygène pour les series faiblardes, mais en bonne place à côté des autres Everest que représentent Sur Ecoute, Mad Men ou Les Soprano ? C’est-à-dire une série parfaite de bout en bout, sans accroc, ni failles ?

Sur le papier, pourtant, Succession accumulait les tares. Une série sur le monde de l’entreprise, très rarement filmé correctement par nos amis du Monde Merveilleux de la Scène et du Spectacle. Au cinéma, le travail est souvent ridiculisé. Les cadres sont stupides, les ouvriers opprimés… Succession a évité ce premier écueil en proposant des personnages tous aussi horribles les uns que les autres, évoluant dans un cadre réel : un conglomérat de la presse et de l’entertainment. Ce qu’ils font n’est pas idiot, ils constituent des empires, les défont, les revendent : en un mot, ils travaillent.

Le deuxième récif était de faire un Biopic. On ne peut s’empêcher en effet de penser aux Maxwell, aux Murdoch*, et aux Lagardère. Mais en choisissant justement de ne pas traiter un sujet en particulier – faiblesse du Biopic – Succession devient universel en passant du particulier au général. Et fait œuvre.

Troisième point d’achoppement possible : la description du luxe. Si Hollywood, pour des raisons évidentes, est plus à l’aise sur le sujet, il fallait néanmoins soigner le réalisme de chaque détail, à l’aune desquels la série serait jugée**. Yacht, hélico, montres de luxe, vins fins, niveau de langage : tout sonne juste dans Succession.

Après, la série a les qualités habituelles des grandes œuvres : un propos fort, et des personnages solides extrêmement bien joués, sans fausse note aucune. Aussi bien le Front Row (le père et ses quatre enfants, Brian Cox, Jeremy Strong, Kieran Culkin, Alan Ruck, Sarah Snook) que les personnages annexes, Tom et Greg (Matthew Macfadyen, Nicholas Braun), le CODIR Waystar (Peter Friedman, Dagmara Domińczyk, David Rasche) et les vautours qui les survolent (Arian Moayed, et le toujours génial Alexander Skarsgård). Casting parfait, qualité HBO : à simple titre d’exemple, on notera la présence de J. Smith-Cameron, une habituée HBO, dans le rôle de la directrice des affaires juridiques. Elle incarnait quelques années auparavant, une white trash louisianaise dans True Blood.

Dernier succès et non le moindre, avoir su tirer une histoire d’un ensemble de rebondissements répétitifs. Chez ces Atrides de new-yorkais, on s’aime, on s’allie, on se trompe et on se trahit… Pourtant le spectateur n’a jamais l’impression que la série se répète, tant elle est capable de renouveler ces jeux d’alliance (le frère et la sœur, le père et le frère, l’ami et le traitre, etc.), tout en dévoilant petit à petit les fractures intimes des personnages. Roman Roy, interprété par le fabuleux Kieran Culkin, en est le plus vibrant exemple.  

Il y a enfin la capacité du showrunner à bâtir, à partir de ces intérêts particuliers, un propos plus vaste. Comme cette saison 4, où les déchirures familiales peuvent potentiellement amener à l’élection d’un clone de Trump.

On constatera l’impact, au sens physique du terme, de ces décisions puériles sur la vie de ceux-là mêmes qui auront créé ce chaos…

* Inspiration originelle de Jesse Armstrong, qui voulait d’abord ne réaliser qu’un film…

** Un contre-exemple possible étant l’adaptation indie – donc fauchée – de l’American Psycho de Brett Easton Ellis par Mary Harron. Pour que le film marche, il fallait des restaurants luxueux, des appartements gigantesques, ce que la production ne pouvait s’offrir.




samedi 24 décembre 2022


Jackie Brown
posté par Professor Ludovico

On sait ce qu’on pense ici de la filmographie de Quentin Tarantino. On peut néanmoins la résumer en quelques mots, pour les newbies. Quentin Tarantino refait, pour des millions de dollars, des films qui en ont couté quelques centaines de milliers. QT est probablement le plus grand cinéphile de tous les temps, mais il ne fait que recopier, avec un immense talent, les films de série B. qu’il a aimés. Par ailleurs, son cinéma n’a rien à dire. Combien de fois faudra-t-il le répéter : une œuvre d’art est là pour dire quelque chose : même Flashdance, même Doctor Strange in the Multiverse of Madness, même La Grande Vadrouille… Au contraire, le cinéma de QT est creux, il ne dit rien d’autre que les rêves de gamin de Tarantino, Quentin : un cinéma fait par un enfant, avec ses jouets fétiches : voitures, Cowboys et Indiens, Gendarmes et Voleurs.

Mais de cette filmographie minimaliste émerge, un film, un seul : Jackie Brown. Comme par hasard, le seul film qui n’est pas un scénario original de QT. Le seul film tiré d’un livre (Punch Creole, d’Elmore Leonard). Un livre. Un livre, ce jouet des adultes.

La période des fêtes est souvent l’occasion de revoir les vieux films. Jackie Brown n’a pas vieilli, il a même embelli. D’abord, on a rarement vu autant d’amour projeté sur une actrice à l’écran. Quentin Tarantino est fou de Pam Grier, et ça se voit. Il colle littéralement à son visage, et ne se lasse jamais de la filmer. Cela pourrait être une embarrassante démarche voyeuriste à la Hitchcock, une pure pulsion sexuelle, mais Jackie Brown est beaucoup plus. C’est George Cukor qui filme Audrey Hepburn dans Sylvia Scarlett, Vadim qui filme Bardot, Carax qui filme Binoche. Pour la première – et la dernière – fois de sa carrière, Tarantino a de l’empathie pour son personnage, et évidemment, ça en crée pour le spectateur. Pas pour n’importe qui, pas pour une blonde aux jambes de 2,50 m qu’il affectionne (Uma Thurman, Margot Robbie …) Non, pour une femme fatiguée, humiliée, qui sait que le meilleur est derrière elle. Cette femme c’est Jackie Brown, mais c’est aussi Pam Grier. En 1997, Grier a quarante-huit ans, elle sort d’un cancer, et n’a tourné que des navets mettant en avant sa poitrine. Elle est au bout de sa – toute petite – carrière. Ça tombe bien, Jackie Brown aussi. Elle a déjà fait de la prison pour son ex-mari et travaille comme hôtesse de l’air sur une compagnie merdique. Elle est harcelée par deux flics débiles (dont Michael Keaton, génial) qui se servent d’elle pour faire tomber un marchand d’armes minable, Ordell Robbie (Samuel L. Jackson). Ordell est un idiot, mais un idiot dangereux ; il vient de tuer de sang-froid un type qui pouvait le balancer. Comment va-t-elle sortir ? Comment va-t-elle embobiner tout le monde, flics et voyous ?

Arrive l’autre personnage attachant du film, interprété par Robert Forster dans son plus grand rôle : Max Cherry, chargé de caution quinqua à la ramasse, mais avec un sens inné de la décence et de la justice. Max tombe instantanément fou d’elle, comme le spectateur : au cinéma, ça s’appelle un point de vue.

C’est dans Jackie Brown qu’on voit à quel point le talent de Quentin Tarantino est gâché dans ses autres films. Il a ici un personnage de femme forte. Et c’est ce qu’il filme, précisément. Il ne filmera jamais la plastique, pourtant spectaculaire, de Grier, mais uniquement son visage, son sourire mystérieux, son profil de pharaonne. Il filme le cerveau d’une reine…

Il a un propos : qu’est-ce que la vie nous fait ? Et en particulier, qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que les hommes, font aux femmes ? Et Tarantino va tenir ça pendant 2h27 dans un polar crispé, alors que trois malheureux coups de feu seront tirés, on ne verra même pas de sang. La tension dramatique est uniquement transmise par ses fantastiques acteurs, ses dialogues brillants, ce qui, reconnaissons-le, est toujours formidable chez Tarantino. Samuel L. Jackson, tendu comme jamais, De Niro à contre-emploi en nounours pataud, Bridget Fonda en surfeuse blonde énervante dans tous les sens du terme…

Et Tarantino se permet même un fin douce-amère, une rareté chez lui. Une histoire d’amour qui finit mal entre Jackie et Max, dans une dernière scène sublime.

Il faut voir Pam Grier, au bord des larmes, chantonnant du bout des lèvres Across 110th street…. Puis esquissant, quand même, parce que la vie continue, ce léger sourire en coin… 

Been down so long, getting up didn’t cross my mind
But I knew there was a better way of life, and I was just trying to find…




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