[ Pour en finir avec … ]

On peut pas aimer tous les gens…



samedi 1 février 2025


Denis Villeneuve le cinéphile
posté par Professor Ludovico

Nous avons dit beaucoup de mal de Denis Villeneuve récemment, le qualifiant d’Idiot de Cinéma. Et du bien, aussi. En tout cas, nous avions signalé aussi que c’était un frère de cinéphilie. Et voilà que Konbini, dans cette amusante séquence de la vidéothèque, invite le réalisateur des bientôt 3 Dune.

Eh bien oui, c’est un frère. Car voilà un garçon qui aime exactement tout ce que nous aimons : Apocalypse Now, mais pas les versions Redux « On ne devrait jamais refaire un film, parce dès qu’il est fini, il appartient aux spectateurs, et j’aimerais le dire à Coppola », Persona, Blade Runner, 2001, etc.

Bref, le Professore, qui est aussi mathématicien à ses heures, est bien obligé d’arriver à la conclusion suivante.

Si Ludovico = Villeneuve, et que :

Villeneuve = mauvais cinéaste,

alors cela veut dire que Ludovico aurait fait un très mauvais cinéaste.

CQFD.




vendredi 17 janvier 2025


David Lynch, la mort du poète
posté par Professor Ludovico

David écarta le rideau de velours rouge et découvrit la pièce, dallée de noir et blanc et nimbée d’une musique douce. Esquissant quelques pas de danse, un nain élégamment vêtu s’approcha, et posa à David La Question :

– Iev at ed tiaf sa ut euq ec tseuq ? 
– J’ai rêvé, répondit David en souriant…
Alors, tu peux entrer.

***

Pourquoi la mort de David Lynch nous rend si triste ? Nous ne le connaissions pas. Il ne faisait pas partie de notre famille, ni de nos amis. Il avait l’air sympathique ; l’était-il vraiment ? On ne sait.

Mais voilà, c’est ça, le cinéma. Un virus, un parasite qui se niche dans notre lobe frontal, et devient une partie de notre âme. Ce n’est pas la disparition de David Lynch qui nous fait de la peine, c’est la perte des cellules Lynchiennes imbriquées dans notre cerveau depuis que nous sommes nés, c’est-à-dire depuis que nous sommes devenus cinéphiles.

Si cette chronique est si dure à écrire, c’est que nous sommes submergés de souvenirs. De la première émotion mélodramatique, à quinze ans, avec Elephant Man, à la passion amoureuse pour les filles de Twin Peaks. De l’effroi à l’apparition de Frank Booth ou Bobby Peru (Blue Velvet/Sailor et Lula), à l’affection pour Alvin Straight, le grand père d’Une Histoire Vraie. Et des rêves, des rêves à foison ; le ciel étoilé d’Elephant Man, le radiateur d’Eraserhead, les feux rouges de Twin Peaks, le ranch de Mulholland Drive, l’oreille coupée de Blue Velvet, le couloir sombre de Lost Highway, la main ensanglantée de Dune

Hubert Reeves se trompait, nous ne sommes pas de la poussière d’étoiles, nous sommes des atomes de David Lynch.

Rares sont les cinéastes qui arrivent à nous émouvoir, nous effrayer, et nous faire rire.

Kubrick est cérébral, Hitchcock, excitant, Spielberg, émouvant. Lynch est tout cela à la fois, car il délaisse l’efficacité de ses collègues au profit de la matérialisation de ses rêves, sans chercher à y réfléchir. C’est l’un des rares authentiques poètes du septième art. Même Dune, son film raté, honni, banni de sa cinématographie officielle, et dont tout le monde s’accorde à dire que c’est un mauvais film, a marqué l’imaginaire de tous ceux qu’ils l’ont vu, et reste un film culte…

Que dire de plus ? Un seul mot.

Silencio.




lundi 23 décembre 2024


Leni Riefenstahl, La Lumière et Les Ombres
posté par Professor Ludovico

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Cinéma sans morale n’est que ruine de l’âme, également. Voici donc la tragédie de Leni Riefenstahl, qui, si elle était morte en 1938, ou simplement exilée à Hollywood, serait devenue l’une des plus grandes icônes du cinéma mondial. Danseuse, skieuse, alpiniste, magnifique actrice, géniale réalisatrice : voilà ce qu’on aurait retenu de Leni Riefenstahl.

Mais non, elle est restée auprès d’Hitler puis a prétexté qu’elle n’y pouvait rien. La Lumière et les Ombres démontre le contraire, évidemment. Ses contradictions et ses mensonges, et, au cœur, l’égo incommensurable d’une star ; une Kim Kardashian des Années Trente. Leni Riefenstahl ne peut pas à la fois être un génie et n’avoir rien compris de ce qui se passait autour d’elle.

Le film le montre très malignement, à base d’interviews d’après-guerre non coupés (montrant une Riefenstahl colérique et soucieuse de son image), d’extraits de talks-shows, de photos issues de ses archives personnelles, et de making of jamais vus jusque-là. Le documentaire découvre (comme on ôte un voile) le portrait d’une femme obsédée par l’Art et la Beauté, qui ne réfléchit jamais plus loin. On l’interroge sur le message du Triomphe de la Volonté, son panégyrique du congrès nazi de 1933 ? Il n’y en a pas, moi je filmais simplement ce que je voyais : je filmais le congrès, je filmais les Jeux olympiques, je filmais la Pologne en guerre…

Mais c’est comme par hasard sur ce dernier reportage inachevé qu’elle démissionne. En 1939, elle suit la Wehrmacht dans sa campagne de Pologne. Pour la première fois, elle est confrontée non plus à la beauté, mais à la réalité. Des soldats, des civils se font tuer. Et parfois même, selon ce documentaire, à cause d’elle. Suite à une directive de la cinéaste « Je ne peux pas filmer, avec tous ces juifs qui sont dans le plan », s’ensuit une méprise. Et une fusillade.

Le film se termine par un plan grotesque, mais qui résume sa personnalité. Presque centenaire, on l’installe dans un fauteuil pour une interview. Grande professionnelle, elle se préoccupe du cadre, des éclairages… Alors qu’elle y voit à peine, elle décèle une ride sur son visage (qui en compte des dizaines), mais cette ride-là, il faut absolument l’effacer au maquillage…

Filmer la beauté, la perfection. Jusqu’au cauchemar.




lundi 7 octobre 2024


Megalopolis
posté par Professor Ludovico

L’échec cosmique que représente Megalopolis – et le suicide artistique qui va avec – nous oblige à démonter enfin la légende du génie Coppola, colportée depuis cinquante ans. C’est l’objet de cette rubrique « Pour en finir avec » qui en a vu d’autres, mais celle-ci sera probablement la plus prestigieuse.

Qu’est-ce qu’un génie  ? C’est a minima quelqu’un qui a réalisé de nombreux chefs-d’œuvre. Si on se cantonne au cinéma, cela existe : Fellini, Welles, Eisenstein, Clouzot, Hitchcock, Kubrick, Ozu, Miyazaki, Spielberg… Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas connu d’échec, mais qu’il y a une certaine continuité dans l’œuvre.

Coppola, pour sa part, est l’auteur de trois chefs-d’œuvre : Le Parrain I et II, et Apocalypse Now, placé, comme on le sait, tout en haut du panthéon du Professore.  

Pour le reste, il y a fait quelques films intéressants : Cotton Club, Jardins de Pierre, Dracula, des films moyens : Outsiders, Rusty James, Peggy Sue s’est Mariée, et des films oubliables et oubliés : Jack, L’Homme sans Age, L’Idéaliste, Tetro, Twixt… Et aussi quelques films prétentieux et mégalomaniaques qui l’ont ruiné : Coup de Cœur, Tucker.

On peut dire sans se tromper, que depuis trente ans, et le flamboyant Dracula, Francis Ford Coppola n’a rien fait.

Où est le génie, dans ce cas ?

Malheureusement, chez les marketeux du cinéma et leurs victimes (les cinéphiles), on appelle abusivement génie quelqu’un qui combat seul le méchant système des studios. Rien n’est moins vrai, évidemment. Le cinéma est l’affaire de millions de dollars, de francs, de lires, de yens et d‘euros. Et rien, absolument rien, ne se fait sans les studios. Même Godard, même Kubrick, même Justine Triet, aucun film ne se fait sans une dizaine d’acteurs, une centaine de techniciens, et un producteur.

S’agissant de Coppola, ses grands films ont été faits grâce aux studios. Le Parrain ne serait rien sans le très grand patron de la Paramount Robert Evans, tout simplement parce que Coppola ne voulait pas le faire. Et même Apocalypse Now, produit pas Coppola lui-même, n’aurait pas existé si United Artists n’avait accepté de le distribuer.   

La jolie histoire qu’on raconte sur Megalopolis veut que Coppola se soit ruiné une nouvelle fois pour produire sa grande œuvre, que personne ne voulait. Vrai ou faux, cela a peu d’importance. Le film est projeté en salle, donc il a trouvé un distributeur (Le Pacte)… et donc parlons-en.

Megalopolis est la démonstration, comme les innombrables remontages et director’s cut de son vrai chef d’œuvre conrado-vitenamien, de ce qu’est un film sans producteur. Un film de mégalomane, qui s’est auto-proclamé génial, sans personne (commanditaire, collègue ou ami) pour lui dire son fait. Plus personne d’ailleurs ne peut dire quelque chose à Francis Ford Coppola, et il n’a pas l’intention de demander conseil. Il sait ce qui est bien pour le film, pour ses acteurs, et pour ses futurs spectateurs.    

Personne n’a pu lui susurrer que son film était prétentieux, pontifiant, verbeux, incompréhensible, mal monté, et par-dessus tout, d’une laideur absolue. Que son pitch – les États-Unis vu comme une Rome décadente au bord du gouffre – était plausible, mais qu’on ne voyait pas ce que venait faire là-dedans son histoire d’architecte façon Cités Obscures de Schuiten/Peeters ? Que ses dialogues – volés à Shakespeare -, sa parodie de Trump – pas très claire -, et l’Amour avec un grand A faisait un drôle de cocktail… Et que sa vision, très rancie, de la décadence (des femmes qui s’embrassent, vraiment ?), n’était plus trop de saison.

Non, comme César Catilina, son architecte, Coppola était seul tout en haut du Chrysler Building, à ruminer de noires pensées, un pied dans le vide. Comme lui, il espérait arrêter le temps, et peut-être revenir en arrière. En arrière, quand Francis Ford Coppola était un génie.

En 1979.




jeudi 5 septembre 2024


Alain Delon
posté par Professor Ludovico

Alain Delon a disparu pendant l’été. A vrai dire, l’acteur avait disparu depuis longtemps. Les années 80, pour être précis, et pour fixer les choses, Le Choc ou Trois Hommes à Abattre.

Odieux connard mais bon acteur, beauté incandescente mais insupportable réac : comment évaluer sereinement la carrière de Delon ? Un artiste n’a pas besoin d’être quelqu’un de bien pour être d’extraordinaire ; c’est le cas de Chuck Berry, Mick Jagger, Bob Dylan, Stanley Kubrick, Philip K. Dick.

Delon ne peut être réduit à sa personnalité, mais ce n’était pas non plus un acteur gigantesque. Son œuvre est longue, il est tourné avec les plus grands (Visconti, Melville, Antonioni, etc.) Mais quels sont ses grands rôles ? Comme me l’avait un jour expliqué Mademoiselle K., il y a une différence entre acteur et comédien. Un comédien sait tout jouer, un acteur ne joue que lui-même. Par exemple, Delon*. CQFD.

Delon n’était pas De Niro ou Pacino, ni même Gabin, Trintigant ou Depardieu. Il ne pouvait pas tout jouer. On n’imagine pas Delon jouer un cuistot, un soldat traumatisé ou un autiste.

Delon jouait lui-même et le jouait très bien. Sa filmographie parle pour lui, et cela suffit.

* Elle me précisa immédiatement qu’elle était comédienne…




mardi 9 juillet 2024


Nouvelle Vague, Roman             
posté par Professor Ludovico

La fainéantise est toujours punie. Le Professore ne voulait pas se cogner les 224 pages du livre d’Antoine de Baecque*. Moralité, il souffre 432 pages sur Nouvelle Vague, Roman de Patrick Roegiers.

La proposition de lire quelque chose de léger, sur un mouvement qui intéresse peu le Ludovico, semblait alléchante. Mais on aurait dû réécouter le Masque et la Plume, qui disait pis que pendre de l’opus en question.

Mais voilà, le Professore est feignant. Il a l’Euro à voir (et ses innombrables buts de Mbappé), le Tour de France, Band of Brothers et Tokyo Vice. On ne peut pas tout faire et nobody’s perfect… Au final, le voilà bien puni, le Ludovico, à se coltiner la purge de Monsieur Roegiers.

Que dire en effet d’un livre – anecdotique dans tous les sens du terme – qui se contente de raconter des historiettes sur Godard, Truffaut, et consorts ?

On apprend ainsi que Agnes Varda est Scorpion, qu’elle fait 1,54 m, qu’Arditi est plus petit qu’André Dussollier, qui lui-même est Taureau, etc.** Et puis il y a l’incroyable égocentrisme du monsieur. Roegiers s’inclut dans le récit, comme s’il faisait partie de cette histoire. Il ne les pas interviewés, ni même rencontrés… Non, il a vu Sami Frey sur le trottoir d’en face, aperçu Lino Ventura aux Puces de Saint-Ouen, croisé Godard qui tourne à Montparnasse. Incroyable vacuité du cameo, incapable par ailleurs d’apporter une once de réflexion sur ce que la Nouvelle Vague a apporté au cinéma français, ni le mal qu’elle y fit. Rien sur Hitchcock/Truffaut, pas grand-chose sur Godard, deux lignes sur Rivette, rien sur Eustache, et des pages hors sujets à foison : Sautet, Resnais, recopiant des pages entières d’On Connait la Chanson. Roegiers est juste un fanboy qui publie chez Grasset.

Quant au style, parlons-en. Il empreinte les douteux canons de la Nouvelle Vague, à base de jeu de mots faciles, façon Godard. Ludovico ne peut résister à l’idée d’en citer quelques-uns :

« Chacun sa vie, chacun sa voix »

« C’est en lisant qu’on lit, c’est en filmant qu’on filme »

« Cléo aime la vie, la vie aime Cléo »

« Le temps est flou. Le temps efface tout. Le temps est partout »

« Les contrôleurs contrôlent.
Les traîtres trahissent.
Les assassins assassinent… »
(14 lignes idem)

« La vie s’écoule. Le monde change. Le temps passe. La journée s’avance »

« La page se tourne. On tourne la page »

Et bien sûr : « Le cinéma c’est la vie »

Mais en creux, ce tas de papier misérable dit quelque chose de la Nouvelle Vague. En empruntant sa forme, il en montre la vacuité ontologique. Dans le fond, il n’y a pas grand propos dans les films de la Nouvelle Vague. Avant tout une destruction des formes anciennes (le fameux « cinéma de papa » (Carné/Autant Lara/Grangier) et son remplacement par un bricolage qui l’affranchissait des lourdeurs des studios (son direct, tournage dans la rue, improvisation…) , déstructuration du scénario, et la nécessaire modernisation des sujets (on filme enfin la jeunesse, les baby-boomers, et plus l’éternel Gabin en vieux paternaliste de service)…  

Coup de balai révolutionnaire tout autant qu’indispensable, cela – on le sait – a fini par mener au vide. Soixante ans après, la révolution est finie, et on est revenu au cinéma « Qualité Française » vilipendé par ces jeunes turcs.

Le grand mérite du livre est d’en montrer les deniers soubresauts …

*Antoine de Baecque, La Nouvelle Vague

** J’avoue, cher CineFaster, que je n’ai pas eu le courage de vérifier ces données.




vendredi 21 juin 2024


Donald Sutherland
posté par Professor Ludovico

La mémoire cinéphilique est trompeuse ; pour nous, Donald Sutherland faisait partie de ces grands acteurs avec de nombreux rôles majeurs à son actif, et qui continuait – bon an mal an, comme les acteurs de son âge – à mettre sa patte dans les films de la génération suivante (Hunger Games), ou à la télé (Dirty Sexy Money ou Les Piliers de la Terre…)

Retour à la réalité : IMdB nous informe que Donald a joué dans 199 films (ce qui est énorme), et pas beaucoup de chefs-d’œuvre (ce qui nous confond) : M.AS.H., de Robert Altman, Le Casanova de Fellini, Klute d’Alan J. Pakula, 1900 de Bernardo Bertolucci, Des Gens comme les Autres de Robert Redford…

Il a en revanche traîné sa très reconnaissable carcasse comme second rôle dans de nombreuses GCA : Les Douze Salopards, De l’Or pour les Braves, L’Aigle s’est Envolé, Backdraft, Alerte ! Space Cowboys, Le Droit de Tuer, L’Aigle de la Neuvième Légion, Moonfall, et même… Jappeloup avec Guillaume Canet !

Mais ce qui compte, ce n’est pas la réalité, c’est les souvenirs. Dans ses films, même moyens, il imposait son rire étincelant, sa stature imposante, son anticonformisme et parfois même, une étincelle de terreur …

Malgré ses yeux globuleux, il était beau.




mardi 14 mai 2024


Usual Suspects
posté par Professor Ludovico

Comme nous, les films vieillissent…

Regarder aujourd’hui Usual Suspects, c’est voir ce que le temps fait aux films, aux spectateurs, voire aux deux. C’est mesurer bizarrement qu’il y a des films qui vieillissent et d’autres pas. Usual Supects et Heat sont sortis tous deux en 1995 avec des accueils radicalement différents. Usual Suspects a immédiatement été encensé par la critique : « très grand film policier » pour Positif, « plus beau thriller de l’année » pour Télérama. Le film prenait par surprise le spectateur, on y retournait pour démêler le vrai du faux, tâche quasi impossible. Ce fut donc un grand succès public.

Pour Heat, la critique fut plus mesurée : « inégalement réussi » pour Positif, « sorte de film noir « new age », fondé sur une suite de sensations » pour les Cahiers du cinéma, « honnête série B. où Michael Mann a la main lourde » pour Télérama. D’un côté un petit film de 6M$, de l‘autre la grosse machine Hollywoodienne. Les deux, chacun dans leur catégories, furent de beaux succès au box office (67M$ et 187M$).

Trente ans après, la donne critique a changé. Heat est devenu un classique du cinéma, et Usual Suspects un film malin, mais qui a beaucoup vieilli. Le style maniéré des acteurs (qui nous plaisait tant en 1995 !) ne passe plus. Le côté malin de l’intrigue s’est un peu éventé. Avec ses petits décors, le petit budget du film se voit maintenant. En face, Heat est devenu ce monument minéral, imputrescible, classique et éternel.

Life is a bitch.




vendredi 8 mars 2024


Dune, deuxième partie  
posté par Professor Ludovico

« Yom asal, yom basal »
Un jour du miel, un jour des oignons

Le cinéphile dunien erre dans le désert depuis 1965, à la recherche d’une bonne adaptation de Dune. Un jour, il mange du miel, le lendemain, des oignons. La suite tant attendue arrive sur les écrans : Dune : Deuxième Partie, la bien nommée. Le Professorino crie au chef d’œuvre. Son père, le Naib Ludovico, n’est pas content et parle d’idiot cinématographique. C’est en réalité une cause perdue. Le Professore est un de ces fondamentalistes, comme dit Villeneuve, qui traquent l’hérésie dans chaque plan – tu ne prononceras pas le nom de Muad’Dib en vain !

La fatwa fera l’objet d’une prochaine chronique. Essayons donc de regarder ça uniquement sous l’angle cinématographique : là aussi, le compte n’y est pas. Rendons grâce néanmoins à Denis Villeneuve d’avoir quelques réussites. Le film a un point de vue, ce qui est rare dans les adaptations de bestsellers. Le cinéaste de Premier Contact déploie ici un débat dialectique entre la vraie foi (incarnée par Stilgar) et un athéisme post-moderne, où la religion n’est qu’un outil de domination des masses (un outil utile pour Jessica, ou scandaleux pour Chani). Villeneuve lance le débat à peu près correctement, mais dans la dernière ligne droite, son propos ne devient plus très clair (Paul, d’abord contre, devient pour).

Autre avantage, Villeneuve injecte un peu d’humour dans Dune, ce qui n’est pas vraiment le point fort du roman. Et puis visuellement, Dune est toujours aussi fantastique. Villeneuve filme le désert comme personne : ergs, couchers de soleil, récoltes d’Epice, ou combat d’arène en noir et blanc.

Beau, oui, mais con à la fois…

« Lourde est la pierre, et dense est le sable.
Mais ni l’un ni l’autre ne sont rien à côté de la colère d’un idiot. »

Qu’est-ce qu’un idiot de cinéma ? C’est quelqu’un (acteur, réalisateur, décorateur) qui ne réfléchit pas à son métier. Ses idées sont un flux de conscience, qui impriment directement la pellicule. À ce titre, Villeneuve est un idiot de cinéma. Prenons tout de suite les précautions d’usage : par bien des égards, Denis Villeneuve est notre frère. Il a notre âge, il vénère le même panthéon cinématographique (2001, Apocalypse Now!, Persona, Blade Runner), et c’est un fan sincère de Dune. Depuis l’adolescence, Villeneuve rêve de « faire » Dune. Il a même storyboardé le livre de Frank Herbert à l’âge de 13 ans. Et voilà, à 54 ans, qu’on lui donne la chance de le faire. On peut comprendre que l’aboutissement de ce rêve soit un achèvement.

Mais un cinéaste ne peut pas être qu’un fanboy. Filmer sa vision n’est pas du cinéma. Qu’est-ce que ce film veut dire ? Qu’est-ce que le spectateur va comprendre ? Ça, Denis Villeneuve n’y réfléchit pas. Est-ce que cela a de l’importance, si les images sont belles, si les acteurs sont bons, si les décors sont grandioses* ? Pour un film à gros budget, il n’est pas très compliqué de réunir les meilleurs talents. Les faire travailler ensemble à une grande œuvre est une tout autre affaire.

Un exemple : la maison de l’Empereur Shaddam IV. Une jolie scène bucolique, un petit pavillon en béton dans un coin de verdure… Mais l’Empereur est la personne la plus puissante, la plus riche de l’univers. Les Harkonnens et les Atreides sont ses vassaux. Pour le lecteur de Dune, pas de problème : il décode, il interprète. Mais pour le spectateur lambda, Christopher Walken est un être faible qui vit dans une petite maison : contresens !

Ensuite, l’Empereur arrive sur Arrakis dans un vaisseau magnifique, une immense boule métallique**. Il s’installe sur la planète et déploie un immense palais, argenté lui aussi. Contradiction : pourquoi le gars qui vivait dans une petite maison possède un si grand palais ?  

La confrontation a lieu. Grâce à sa ruse et ses vers géants, Paul écrase ses ennemis. Voilà l’Empereur réduit à se retrancher dans le palais. Ses fidèles Sardaukar forment le dernier carré, faisant rempart de leur corps. Mais Paul pénètre dans le palais comme dans un moulin. Passe devant les Sardaukar. Se dirige vers le Baron Harkonnen. Et le tue, sans que personne ne s’interpose… Cette salle du trône, elle est dans l’obscurité, comme TOUTES les pièces de TOUT le film. Pourquoi l’homme le plus puissant de l’Univers habite dans l’ombre ? Pourquoi la déco (portes rondes, pièces obscures) est la même partout ? Pourquoi ses gardes ne combattent-ils pas ? Pourquoi cet homme, qui possède tout, habite dans un pavillon mal jardiné de Villeneuve-la-Garenne ? Tout cela pollue – consciemment ou inconsciemment – l’esprit du spectateur…

Soit on résout ces questions, comme le pense Kubrick, qui dit qu’on peut filmer n’importe quelle idée, à condition d’arriver à l’incarner correctement*** . Soit on évite au spectateur de se poser ces questions, comme le préfère Hitchcock****. Or ces contradictions montrent qu’il ne s’agit pas d’une volonté de Villeneuve, mais bien d’un oubli, d’un manque de réflexion. Il n’y a pas réfléchi, comme il n’y réfléchissait pas, déjà, dans Sicario.

Denis Villeneuve est un idiot de cinéma.

*C’est ce que semble penser le public, qui fait un triomphe à cette Part Two. On peut aussi penser que Dune touche un public habitué à bien pire (Marvel) et qu’il trouve enfin dans le film de Villeneuve quelque chose d’intelligent et mature.

** Comme Mitterrand, Villeneuve aime les formes simples : triangle/rond/carré.

*** « Hélas, les idées ne font pas les bons films. Il faut des idées dans les bons films, mais cela demande beaucoup de créativité artistique pour incarner fortement une idée… »

**** « Je retrouve ces erreurs partout : [le spectateur] découvre soudain qu’on a changé de lieu, sans explication, ou deux personnages portent le même costume, et de fait, on ne sait plus qui est le méchant… »

Chronique publiée également sur PlanetArrakis




vendredi 5 janvier 2024


Autant en Emporte le Vent
posté par Professor Ludovico

Après s’être refait l’intégrale Ken Burns – The Civil War, Arte diffuse Autant en Emporte le Vent et l’envie de revoir la bête nous saisit. Vu il y a une trentaine d’années, l’objet nous avait laissé à peu près sans commentaire : froufrous, Technicolor, et « Tara ! Tara ! Tara ! »

Aujourd’hui, le film de Victor Fleming pique carrément les yeux. C’est non seulement une propagande éhontée pour le Vieux Sud, son art de vivre, ses robes à crinoline et ses esclaves si bien traités, et l’immense tristesse que tout cela disparaisse sous les coups de boutoir de ces vulgaires yankees…

C’est aussi l’éloge de personnages absolument détestables. Comment le livre, puis le film, ont pu avoir un tel succès (notamment auprès de la gent féminine) reste un mystère insondable. Scarlett O’Hara est une garce capricieuse, une insupportable manipulatrice, entièrement centrée sur elle-même. Rhett Butler, qui pourrait fournir un intéressant point de vue, est tout aussi détestable. Quand elle s’adoucit, il la frappe et la viole. Elle, si prompte à la vengeance, se réveille le lendemain matin plutôt satisfaite !

Le cinéma regorge de sociopathes de ce genre, mais il y a toujours un point de vue. Tony Soprano est une ordure, un tueur, un mauvais père, mais on sait pourquoi. Il est capable d’actions désintéressées, ce qui fait qu’on ne peut vraiment le détester. Mieux, on voudrait le protéger de lui-même. Garance, des Enfants du Paradis, fait tout pour survivre, quitte à sacrifier les hommes qu’elle aime : elle en paiera le prix cher. Barry Lyndon est un arriviste : d’abord aimé du spectateur qui l’ « aide » dans son ascension aristocratique, le voilà détesté au mitan du film pour son attitude envers sa femme… Chacun de ces personnages n’existerait pas sans l’empathie du spectateur, elle-même créée par le point de vue du réalisateur.

Mais le pire de Gone with the Wind reste à venir : la morale finale… Pour Scarlett (et pour Margaret Mitchell) rien ne compte plus que la terre. Elle a perdu père et mère, maris et amants, et deux enfants, le plus souvent par sa faute… Pas grave : il lui reste Tara, et demain est un autre jour ! Philippe Pétain ne disait pas mieux : « La terre ne ment pas »

Que reste-t-il alors : la technique. Un technicolor éclatant,  d’une beauté rarement égalée, des audaces visuelles, et des reconstitutions spectaculaires…

Et bien sûr, la punchline la plus célèbre du cinéma :

– « Que vais-je faire ? Où je vais aller ?
– Franchement, ma chère, c’est le cadet de mes soucis
! »

Autant en Emporte le Vent ? Frankly my dear, I don’t give a damn…   




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