dimanche 24 novembre 2013


13 channels of shit on the TV to choose from…
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Incroyable Bob Dylan.

A 70 ans, il surprend encore. Pour lancer son coffret intégral, le voilà qui propose un clip de sa chanson-phare, Like a Rolling Stone, un clip tout simplement extraordinaire…

Ça se présente sous la forme d’une télé dont vous pilotez la télécommande. Sur la première chaîne, Dylan lui-même, dans sa période sublime, c’est à dire 1966, Blonde on Blonde, la tournée en Grande-Bretagne, le Royal Albert Hall, Don’t Look Back

Mais si vous zappez sur la chaîne suivante, vous tombez sur une chaîne de télé-achat. O surprise, la blondasse qui vend un aspirateur de table chante aussi Like a Rolling Stone ! Enfin, en play back, c’est toujours Dylan qui chante… mais en désignant l’aspirateur de son doigt manucuré : « How does it feel … », en passant l’aspirateur : « To be on your own … »

Zappez sur la 3 et la comédie dramatique fait de même « Like a complete unknown… » Et ainsi de suite, sur le match de tennis (Diotvesky-Plotnivich), l’émission de Télé Réalité, Le Juste Prix, etc.

L’effet est tout bonnement extraordinaire : la juxtaposition du texte de Dylan sur des images à chaque fois différentes les charge d’un sens nouveau.

Coup de génie aussi : comment mieux démontrer l’universalité de cette chanson, déjà considéré comme l’une des plus importantes de l’histoire du rock ?




jeudi 21 novembre 2013


Dredd
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Et de deux.

Deuxième film raté sur les aventures du Judge. Deuxième film, après celui de Stallone en 1995, qui passe à côté de la BD de John Wagner et Carlos Ezquerra*. Judge Dredd est une satire, amis cinéastes ! Pas un film d’aventures. Pas un film d’action hard-boiled. C’est tout le contraire, même, c’est leur parodie ! Un metteur en scène a compris Judge Dredd, c’est Paul Verhoeven, et son Robocop n’est qu’une adaptation déguisée.

Un peu d’histoire. En 1977, 2000 A.D. publie les premières aventures de Judge Dredd. Philippe Manœuvre – à l’époque brillant rédac chef de Métal Hurlant (il a 23 ans !) – les achète pour les publier dans le mensuel. Il réalise même une adaptation radiophonique pour sa délirante émission de France Inter, Intersideral**.

C’est ainsi que nous découvrons les aventures du Judge. Et feuilletons Métal chez le libraire(c’est moins cher), pas loin du lycée de Rambouillet. Puis mettons nos économies de côté pour l’acheter plutôt que se procurer le dernier album des Dogs***. Et dévorons les aventures du Judge.

Le pitch ? Le même que celui du film. En 2099, la terre a été ravagée par une guerre nucléaire. C’est la Terre Maudite (Cursed Earth). La population s’est réfugiée dans une gigantesque mégapole, Mega City One, qui va de New York à Boston. La criminalité y est endémique. Pour y répondre, on a créé les Judges, au programme Sarkozyste avant l’heure : Flic, Juge, et Bourreau dans un seul homme. La justice est rendue en deux minutes, c’est quand même plus efficace, et ça coûte moins cher au contribuable. Les Judges ses déplacent sur de gros choppers un peu ridicules, et ils sont casqués : on ne verra jamais le visage du Judge Dredd. Au fil de ses aventures, Dredd poursuit les crimes, tous les crimes, meurtre en série ou franchissement au feu rouge. Combat les punks, les mutants, les excès de vitesse et les Cocos. Et applique la sentence. Car, comme il le répète au fil des pages : « I’m the Law ». Ou comme l’admettent volontiers les contrevenants « Il est dur, mais il est juste ! »

On l’a compris, Judge Dredd est une parodie de l’implacabilité, une claque à Dirty Harry et autres Justicier dans la Ville. Une parodie qui propose des méchants délirants (mention spéciale au Judge Death, un ancien juge devenu zombie, ou le Tyran Cal, un autre Juge façon Caligula qui s’entoure d’hommes-crocodiles pour sa garde rapprochée). Dredd, c’est aussi des dialogues décalés (« There is no justice, there is just us », et des aventures ubuesques (les Jeux Olympiques sur la Lune). L’unique objectif semble être de se payer une certaine morale conservatrice, à base d’œil pour œil et de dent pour dent.

Dredd, la nouvelle tentative d’adaptation de Pete Travis ne comprend pas mieux que la version Stallone ce qu’est Judge Dredd. Graphiquement, cette nouvelle tentative est magnifique, notamment les scènes avec la drogue slo-mo. Mais Travis n’a rien compris au Judge Dredd. Son scénario prend au sérieux Mega City One et ses habitants (dans la BD, le populace qui accepte cette justice expéditive est autant vilipendée que les Judges).

Dredd nous propose donc le spectacle très sérieux de narcotrafiquant ayant pris une cité en otage. Malgré le casting de luxe, ces narcos ne dépareraient pas dans un nanar des années 80, au hasard, Commando. Lena Headey (ma chérie de Game of Thrones), Wood Harris (Avon Barksdale, qu’est tu venu faire dans ce bousier, on était si bien à Baltimore !) surjouent la méchanceté comme il y a trente ans: « TUEEEEZ-LE !!! » avec des capitales et des points d’exclamations à chaque phrase. Les scènes de combat sont pas mal, mais comme dans Commando, assez répétitives, vous voyez le genre : deux trafiquants font les malins, ils répètent à qui veut l’entendre qu’ils vont buter le Judge, mais Dredd les bute. Puis on passe à deux autres trafiquants, qui répètent qu’ils vont buter le Judge, mais Dredd les bute. Etc., etc.

Ces épisodes étant irrémédiablement conclus par une phrase définitive du Judge, en ligne droite de la BD : « Negotiation’s over. Sentence is death ».

Mais comme toute intention comique a disparu, elles provoquent plutôt le malaise.

Car ce peut être un choix d’adapter la BD sérieusement ; c’est la liberté de tout artiste. Mais dans ce cas, la thématique devient plutôt rance, et moi, spectateur, je n’ai pas envie de voir ce film-là. C’est d’ailleurs exactement ce qui se produit : Dredd le film finit par développer des thématiques malsaines typiquement américaines (alors que le film est anglo-sudafricain) : viol fantasmé d’une petite blonde par un grand black, puis vengeance féminine ad hoc : un coup de dents mal placé, là où justement le fantasme était placé (cf. affaire Bobbitt.)

Vous vous en doutez : à la fin, le Judge gagne. Comme dans les BD. Mais sans nous avoir fait rire. Peter Travis n’a pas compris qu’ils filmait une comédie.

*Personnellement je préfère la partie dessiné par Brian Bolland
** Peut-être la seule émission de radio au monde à avoir proposé des parties de jeux de rôles en direct avec ses auditeurs !
*** Too Much Class For The Neighborhood




mercredi 20 novembre 2013


Un Football Français, season finale
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Il est fort ce Deschamps. Après nous avoir endormis pendant toute la saison avec une intrigue secondaire (Evra-Menes-Lizarazu), il sort deux épisodes de folie pour la fin de la saison de Un Football Francais, Direction Le Brésil.

Avant-dernier épisode, les méchants Ukrainiens plantent deux buts à nos héros. Enjeu maximum : comment réaliser l’impossible, puisque jamais une équipe n’a remonté deux buts en éliminatoire ? Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Deschamps a relu Corneille et surtout Hitchcock/Truffaut à Clairefontaine pendant la causerie d’avant match.

Surprise is not Suspense : Didier filme en gros plan un joli chronomètre calé sur 90. Dans quatre-vingt dix minutes, la bombe va exploser à la tête de l’Equipe de France, si nos vaillants héros n’arrivent pas à la désamorcer.

On commence par un but de Sakho (le sidekick, le p’tit gars de Paris dont le Qatar ne veut plus) à la 22°minute, puis deux du Tom Cruise du Football français, Karim B., dont un refusé –(ça fait monter le suspens). Fin du premier acte.

Et là, 70ème, gag final Sakho : troisème but. La France est qualifiée. Et hop ! Didier Hitchcock déclenche un deuxième chrono, calé sur les vingt dernières minutes. Vingt minutes d’angoisse, à ne pas se trouer sur un corner, prendre un péno ou un coup franc…

Mais voilà, c’est fini, l’arbitre a sifflé, Giroud chante la Marseillaise, comme à la fin de Casablanca.

C’est simple, le football.




mercredi 20 novembre 2013


The Gospel According to Saint Alfred#6 : Surprise is not Suspense
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Imaginez une table. Deux personnes discutent et quelqu’un (pas Hitchcock) filme ça. Qu’est-ce qu’ils racontent ? Bof, on s’en fout un peu, on n’écoute pas trop. Soudain, une bombe explose. Sous la table. Surprise. « C’est bien si vous voulez un twist » dit Maître Hitch. Par exemple, quand vous révélez qui est Keyser Söse, traduit le Professore Ludovico. Mais sinon, rien ne vaut le suspense… »

C’est quoi le suspense ? C’est l’essentiel de l’œuvre hitchcockienne : l’ironie dramatique. Le spectateur sait quelque chose que le personnage ne sait pas.

Imaginez une table. Deux personnes discutent et quelqu’un (Hitchcock) filme ça. Sous la table, il filme une bombe qui fait tic-tac. On sait déjà que la bombe explose à treize heures. Et Hitch filme la montre qui indique l’heure : une heure moins le quart. Comme dit le Patron, « Maintenant, au lieu de quinze secondes de surprise, vous avez quinze minutes d’attention du spectateur ! Et ces quinze minutes de dialogue vont devenir beaucoup plus intéressantes ! »

C’est simple le cinéma.




mardi 19 novembre 2013


The Gospel According to Saint Alfred#5 : The Problem of the Set Dresser
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

« Le problème avec les chef-décorateurs, c’est qu’ils achètent des meubles et arrangent l’appartement comme un décorateur d’intérieur. Alors qu’ils devraient être des écrivains, qui décriraient la personnalité, le goût des personnages au travers du décor. »

Un défaut fréquent dans la production française, où le moindre flic a souvent un appartement designé par Conran…

Dans ce troisième opus de l’excellent podcast Hitchcock, le Maître pose la question usuelle : réalisme ou stylisme.

En fait, il vient de répondre à Truffaut qui croit lui faire un compliment en disant une vacherie sur Clouzot « C’est pour ça que [Clouzot] a du mal : il essaie de faire des choses dans votre style. En même temps il a un tempérament très réaliste… Chez vous, tout est très stylisé, comme le tapis rouge de L’Homme qui en Savait Trop.» Pas de bol, Hitch se sent très réaliste lui aussi. Et dans cette relation SM entre adultes consentants, l’« esclave » Truffaut va recevoir la « leçon » de « maître » Hitch.

« Pour résoudre ce problème, je les envoie avec un appareil photo couleur, et je leur demande prendre des vrais appartements en photos. Pour Les Oiseaux, j’ai fait photographier les habitants de Bodega Bay, pour le département des costumes. Le restaurant est l’exacte copie d’un restaurant local. Pour l’appartement de la prof, j’ai fait photographié de fond en comble un appartement de San Francisco (parce que c’est de là qu’elle vient) et un appartement de Bodega Bay ».

Le réalisme permet au spectateur d’oublier qu’il est au cinéma, dans l’art ancestral de la magie, où l’on « fait semblant » de faire quelque chose. Mais pour que le tour ne se voie pas, il faut distraire l’attention du spectateur.

Une leçon que retiendra Kubrick : dans Eyes Wide Shut, il enverra son gendre photographier une rue entière sur un escabeau pour reconstituer son New York de studio. Son tour de passe-passe à lui, c’est de nous faire oublier – grâce à ce réalisme extrême – que nous ne sommes pas à New York, pour mieux nous concentrer sur les personnages, et le flux d’émotions qu’ils engendrent en nous.




lundi 18 novembre 2013


The Gospel According to Saint Alfred#4: The Lack of Clarification
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

« I find these errors all the time… »

Des erreurs furent commises, comme le dit un chapitre fameux du Freedom de Jonathan Franzen. En fait, c’est Maître Hitch qui s’insurge devant le nombre incroyable d’approximations, d’erreurs, de fausses pistes, que laissent passer ses collègues réalisateurs.

« On découvre soudain qu’on a changé de lieu, sans explication, ou deux personnages portent le même costume, et de fait, on ne sait plus qui est le méchant… »

Et ça c’est très grave nous dit l’homme de L’Homme qui en Savait Trop. Pendant que le spectateur s’interroge, il ne pense plus à autre chose. Je croyais que nous étions dans la chambre de Claire ? L’homme au complet gris, c’est lui l’agent russe ? L’esprit est accaparé à recoller les morceaux. « Alors qu’il devrait être envahi par les émotions » nous dit Hitchcock.

« Il faut avoir un esprit de simplification » ajoute Truffaut. « Il faut styliser » Ce qu’Hitchcock nie plus tard, voir chronique à venir…

Ce manque de clarification, c’est arrivé pas plus tard que lundi, dans le 11ème arrondissement de Paris. Tandis que le Professore et le Professorino tentaient d’initier madame la Professora aux arcanes d’Un Village Français saison 1 (sur France 5, faut-il le répéter ?) ; la tragédie de juin 40, l’exode, les allemands qui débarquent et abattent des français dans la rue tandis que l’armée française se débande… Celle-ci décrocha au bout de dix minutes. Motif : Tequiero, le bébé qui venait de naître n’était pas alimenté depuis 24 heures.

On avait perdu la Professora, amateure du naturalisme de Zola et de Maupassant, dans les limbes de la fiction… Les vagues de l’émotion s’étaient brisées sur un petit rocher de réalisme*…

*Réalisme ou crédibilité, un sujet déjà abordé là




dimanche 17 novembre 2013


Dramaturgie du football
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Et voilà, la France l’a, son grand drame du football. En s’inclinant à Kiev, l’Equipe de France de Football écrit une des plus grandes pages de sa dramatique histoire.

Car évidemment, ils l’ont fait exprès. Perdre, a fortiori 2-0, un score qu’aucune équipe n’a jamais remonté en barrage, c’est le script d’un scénariste de génie (Didier Deschamps) qui écrit le blockbuster de l’année. Les médias, qui s’acharnaient sur les à-côtés des bleus (putes, insultes, et défis divers) sont revenus à l’essentiel : le sport. Il faut gagner mardi.

Et en utilisant les plus grosses ficelles de la GCA : le tic-tac de la bombe prête à exploser, réglé sur 90:00, comme dans Speed ou Die Hard.

Et en sortant sa bande de Douze Salopards gritty : Ribery, Evra, l’énigmatique Benzema, et la petite frappe Koscielny.

S’ils gagnent, c’est un film américain. S’ils perdent, c’est la tragédie grecque.




samedi 16 novembre 2013


Tunnel
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

C’est la bonne surprise de la rentrée : la « série événement » de Canal+ est bien foutue, accrocheuse, novatrice ; un coup d’air frais (voire même glacial) dans le PAF des séries policières françaises. C’est en fait un remake d’une série suédo-danoise, mais peu importe.

Le pitch : un corps est découvert dans le tunnel sous la manche, pile à mi-parcours entre la France et l’Angleterre ; c’est donc un duo de flic franco-anglais qui mène l’enquête. C’est la première réussite de Tunnel : entre le british sympa (Stephen Dillane, Stannis Baratheon revenu du Trône de Fer) et la très spéciale inspectrice française Élise Wassermann (Clémence Poésy, Harry Potter), c’est un duo inédit de cinéma qu’on nous propose. Car Poésy incarne un personnage exceptionnel, dans le premier sens du terme : un glaçon odieux, déprimé et psychotique mais flic obstiné.

Tunnel est aussi malicieusement mis en scène, le pilote étant un chef d’œuvre du genre (surtout quand on vient de regarder celui de Luck). Dominik Moll (Harry, Un Ami Qui Vous Veut Du Bien) lance toutes ses lignes, prêt à pêcher ce gros poisson de spectateur plus tard : le meurtre, le politicien menacé de mort, l’étrange protecteur de prostitués, la jeune femme qui vole les médicaments des petits vieux… Tout cela donne un furieux goût de revenez-y.

Ensuite, respectant en cela un pilier fondamental du polar, Tunnel est avant tout la description d’une réalité sociale sordide ; on a rarement vu une telle description de cette zone fantomatique qu’est le Pas de Calais de Sangatte, et les abords de Folkestone: prostitués, abattoirs, rue glauques et grands champs déserts, zones portuaires… la mise en scène est-elle même glaciale : nuits verdâtres, lumières dans le lointain, et même quand il fait beau, l’impression qu’il fait moins dix.

Mais surtout, c’est le sous-texte de la série qui est passionnant : Tunnel est le lieu de toutes les désillusions européennes ; les français et les anglais qui se détestent, les espagnols qui s’insurgent à quelques milliers de kilomètres de là, les théoriciens du complot anti-européens et les politiciens qui les encouragent en crachant sur l’Europe pour mieux cacher leurs faillites nationales.




jeudi 14 novembre 2013


Inside Llewyn Davies
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Les frères Coen aiment la musique. Ils aiment aussi les losers. Un jour, il faudra faire un film sur les perdants magnifiques du rock ; c’est chose faite avec Inside Llewyn Davies, le biopic inversé d’un folksinger qui ne réussira pas.

Inversé parce que quand on dit folk, on pense Dylan. C’est ce que n’importe quel studio aurait demandé aux Coen : la geste dylanienne, les Débuts au Gaslight, la Love Story Avec Joan Baez, l’Accident de Moto, la Rédemption Christique, et, bien sûr, le Trauma Familial Originel (à inventer, parce que Dylan n’en a pas). Mais les Coen sont des croyants du cinéma, et ils adorent le Dieu Fiction. Plutôt que de faire le biopic de Dave Van Ronk (un vrai raté du folk), ils s’en inspirent. Et racontent ce qu’ils veulent…

Inversé parce qu’il ne s’agit pas d’une histoire épique (comme dans bio-pic), mais bien d’un ratage, celui de Llewyn Davies. Inside Llewyn Davies, donc… Qu’y’a-t-il à l’intérieur d’un poète folk trentenaire, qui chante bien, joue gracieusement de la guitare, compose de très belles chansons, mais peine à réussir dans le boom folk de cette année 61 ? Inside Llewyn Davies, c’est A Serious Man version tragique. Le Livre de Job revu par les Coen. La tragédie d’un homme que Dieu abandonne, et sur qui tout tombe dessus. L’ex-copine qui est enceinte, le partenaire qui se suicide, le manager qui le vole…

Ça pourrait être drôle, comme dans A Serious Man. Ici c’est tragique, et c’est probablement le tour de force des frères Coen. Arriver à nous faire toucher du doigt le moment où l’on réalise qu’on ne sera pas un artiste. Malgré les efforts, les galères, les canapés pour dormir quelque part, la Déesse de la Musique ne s’est pas penchée sur vous. Le folk explose, mais sans vous.

Là aussi, les Coen sont brillants. Ils auraient pu choisir un Llewyn Davies pathétique, pas doué, pas diplomatique : donner au spectateur une raison qui explique l’insuccès. Ça aurait été une Comédie des Idiots qui veulent réussir, comme dans Burn After Reading. Non, au contraire, Davies a tout pour lui. Il est beau, il chante bien, ses chansons sont émouvantes. Mais pour réussir dans le showbiz, il faut de la chance. Être là au bon moment. Au début de 1961, il faut être poli et un peu lisse pour réussir dans le revival folk (le film propose de formidables imitations de Peter Paul and Mary en la personne de Justin Timberlake et de Carey Mulligan). Mais Llewyn Davies ne colle pas dans le tableau : trop libertaire, trop en colère, trop en rébellion contre la société. A la fin de l’année 61 (et à la fin du film) c’est pourtant ce qu’il faudra être, comme ce jeune chanteur qui débute au Gaslight, les cheveux fous et une voix pas terrible.

Bob Dylan. Mais c’est trop tard.




mardi 12 novembre 2013


Magic Mike
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Steven Soderbergh est parfois traité de faiseur ; un cinéaste qui ferait des films sans chercher l’homogénéité d’une œuvre.

C’est tout le contraire : Soderbergh est quelqu’un qui tente, un expérimentateur : capable du classicisme télé le plus ennuyeux dans Ma Vie avec Liberace, grand expérimentateur dans Solaris ou Girlfriend Experience.

Ici, pas d’innovation extraordinaire, juste quelques bonnes idées de cadrage, et un joli travail sur les couleurs : jaune-rouge-bleu. On est à Tampa, en Floride, et il fait chaud : ceci expliquant cela. Mais plutôt une originalité globale qui donne un coup de frais dans le cinéma US actuel.

Depuis toujours, Soderbergh est un cinéaste engagé, du style qu’apprécie le plus le Professore : discret. La lutte contre la drogue (Traffic), la montée du Terrorisme (Syriana, qu’il a seulement produit mais dont la patte est toute soderberghienne), le capitalisme pollueur (Erin Brockovich) : chacun de ces thèmes a toujours été traité avec beaucoup de finesse et de distance.

Ici, l’auteur de Sexe Mensonges et Vidéo ne s’attaque à rien de moins que la crise de l’Amérique, habilement camouflée, mesdames, sous un film de chippendale. Oui, vous avez bien lu. Karl Marx meets The Full Monty. Habituellement, on reproche au cinéma d’action, au jeu vidéo, aux clips, une utilisation dégradante du corps de la femme. Magic Mike propose un pendant féminin : des corps de beaux mecs musclés, et c’est tout aussi dégradant, tout aussi putassier, et ça marche évidemment. Qui n’a pas envie de voir Channing Tatum à poil ? tapez dans Google, vous comprendrez pourquoi. Ou même Alex Pettyfer, l’acteur qui joue le Kid, un gamin qui cherche du travail, et qui en trouve, au black, dans le bâtiment. Première indication : on n’avait pas filmé des ouvriers exploités et des patrons tricheurs comme ça depuis les années 70, Cinq Pièces Faciles par exemple, de Bob Rafelson. Dans cette Amérique qui se délite, on triche sur les impôts, on paie les gens au noir, et on menace de les virer à la moindre incartade. Et pour grimper dans l’échelle sociale, on fait trois boulots à la fois : couvreur, décorateur d’intérieur et… Chippendale. C’est là que le Kid rencontre un autre ouvrier, beau, fort, musclé et sûr de lui : Magic Mike (Channing Tatum). Mike est chippendale la nuit dans le club de Dallas (extraordinaire performance de Matthew McConaughey) et lui propose d’arrondir ses fins de mois en participant au spectacle.

L’originalité de Magic Mike, le film, c’est de magnifier ces danses érotiques tout en suscitant un léger dégoût : au début c’est sympathique, mais paradoxalement, c’est à l’arrivée, après la première demi-heure du film, du personnage féminin (Brooke, la sœur du Kid) que le film bascule. Brooke est inquiète pour son frère, elle ne veut pas qu’il fasse ce job, il a déjà lâché un boulot prometteur. Magic Mike promet de le protéger, mais…

La moue boudeuse de Brooke (Cody Horn, à qui le Professore promet une belle carrière dans le cinéma) nous fait brusquement changer d’avis : ces danses, même dans le regard d’une femme ne sont que l’exploitation des corps, et ces chippendales ne valent pas mieux que des stripteaseuses. Ce n’est pas moins glauque qu’un peep show, et c’est la performance du film, de les présenter comme on présente habituellement le striptease féminin. Face à l’attendrissement ou l’amusement Full Monty, nous ressentons de la pitié, du rejet, du dégoût, comme pour les filles du Bada Bing, le strip club de Tony Soprano.

Dans le même souci d’inversion, Soderbergh filme l’histoire d’amour qui nait entre Brooke, cette fille toute simple, jolie, sans plus, et Magic Mike, bombasse mâle apparemment inaccessible, objet sexuel à qui pas grand monde ne résiste. C’est pourtant Mike qui va ramer, avec un réalisme et une légèreté qui fait beaucoup de bien dans le cinéma américain.

Du cinéma de faiseur comme celui-là, Ludovico veut bien en manger tous les jours…