mercredi 31 décembre 2014


Whiplash
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

On cherchait encore la définition de « gentillet ». Peut-être l’a-t-on trouvé avec Whiplash, le chef d’œuvre autoproclamé des fêtes de noël.

Gentillet, c’est tout simplement quand le spectateur, au lieu d’adopter le point de vue du « héros », ou au moins du personnage principal, préfère se ranger du côté du méchant.

Dans 2012, grand film gentillet par excellence, on est du côté d’Hades, le méchant conseiller de la Maison Blanche. Nous pensons comme lui qu’ « il y a un problème » quand le héros préfère sacrifier la vie de dizaines de milliers de personnes pour sauver un pauvre type coincé sur un engrenage.

Dans Whiplash, c’est pareil, on est du côté du méchant. D’autant que c’est J. K. Simmons, le prof de batterie, déjà génial et terrifiant Vernon Schillinger dans Oz. Le « gentil », le « héros », c’est Andrew (Miles Teller), un jeune batteur doué qui a intégré le prestigieux conservatoire Shaffer. Va commencer un terrifiant face à face entre le batteur et son mentor, qui le pousse dans ses derniers retranchements, humiliations comprises, pour l’amener à l’excellence.

C’est là que le bât blesse car on peine à comprendre où va le scénario. Si l’objectif – affiché – est de faire d’Andrew le meilleur des batteurs, alors c’est la methode Fletcher qui est la bonne. Penser le contraire, c’est mal connaitre le monde artistique. Quiconque a, un jour, ambitionné de faire de la musique sait le niveau d’abnégation obsessionnelle qu’il faut pour atteindre les hautes sphères. Que l’on soit au Philarmonique de Berlin ou chez Oasis, quel que soit le niveau technique, il faut travailler beaucoup. A l’Opéra de Paris, on « casse » des générations entières de Petits Rats pour obtenir le meilleur ballet possible. Chez les Rolling Stones, on élimine les maillons faibles (Dick Taylor, Brian Jones, Mick Taylor, Bill Wyman, pas forcément les pires techniciens), tout simplement pour survivre.

C’est donc une illusion toute américaine que poursuit Whiplash. L’idée, séduisante, qu’il faut aider les enfants à grandir en étant uniquement bienveillants à leur égard. C’est ainsi que l’on éduque les enfants américains. Faites l’expérience : quand un enfant américain parle, les parents s’arrêtent et écoutent ce qu’il a à dire. Quand un enfant français parle, on lui apprend à ne pas interrompre les adultes*.

C’est cette idée un pêu gnangnan que refuse Terence Fletcher (J.K. Simmons) : ce n’est pas en tapotant Andrew dans le dos (avec un « good job ! » de circonstance) qu’il aidera son élève à devenir le nouveau Buddy Rich. Et malheureusement, le spectateur est un peu d’accord avec lui, d’autant que … ça marche !

Car dans un final abracadabrantesque, Damien Chazelle fait basculer son film dans le ridicule, pour le simple plaisir d’un twist totalement inattendu ; une épreuve supplémentaire qu’on inflige au héros et qui lui permet de prouver l’étendue de son talent. Une épreuve, un défi, qui démontre, par la plus grande absurdité possible, que la méthode Fletcher était la bonne.

Il est dommage que Damien Chazelle ait les idées si peu claires, car le reste de son cinéma est excellent : acteurs, mise en scène, façon de filmer la musique au plus près des instruments : Chazelle a tout d’un grand. Reste la bonne idée à incarner.

* A 18 ans, la tendance s’inverse, l’enfant américain est désormais responsable de son destin et doit remercier (en réussissant) les efforts de ses parents. En France, on continue à les aider longtemps après.




lundi 22 décembre 2014


Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Que dire ? Les bras nous en tombent. Nous sommes consternés, comme devant le PSG qatari qui fait match nul au Parc contre Montpellier… Autant d’argent, de talent, d’énergie, pour aboutir à un si petit résultat.

Dans La Bataille des Cinq Armées il y a tout, et il n’y a rien. Des armées d’orcs, d’elfes, de nains. Un dragon qui crache le feu. Une ville en ruine, une deuxième, une troisième. Des batailles interminables. Des duels interminables. Un méchant devenu une victime, censé apporter une touche comique, pas drôle du tout.

Et pas de mise en scène. Pas de dramaturgie. Pas d’actes. Pas d’enjeux. Pourtant, un enjeu magnifique, shakespearien en diable, traîne entre deux scènes : ce roi devenu fou par l’or des nains, et qui se retourne contre sa communauté. Mais l’acteur – Richard Armitage, excellent – ne peut rien quand le texte est mauvais.

Et l’on ne peut s’empêcher de penser que, comme les dialogues, tout sonne creux : ces pierres sont en polystyrène, ces épées en plastique et cette couronne en carton. Même les elfes ont des têtes d’acteurs de série télé (Halt & Catch Fire, Lost)…

On ressort épuisé de ces neuf heures de saga. Ce long roller coaster ininterrompu, cette reconstitution en stuc et en plastique, cette pornographie de la violence permanente, auront réussi à détruire l’œuvre de Peter Jackson : rendre plausible l’idée même d’heroic fantasy. Ce que Le Seigneur des Anneaux avait réussi, Le Hobbit le détruit en réduisant l’œuvre de Tolkien à un pitoyable péplum de série B condamné aux poubelles de l’histoire.




mercredi 17 décembre 2014


The Affair s01e08
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Pour en finir avec ... -Séries TV ]

Pourquoi s’embêter à aller au cinéma ? Pourquoi s’embêter, en effet, quand vous avez, dans votre canapé, un film par semaine de la qualité de The Affair ? Car c’est bien de cela dont il s’agit : un drame d’une heure, intelligent – européen, oserait-on dire – filmé avec goût, esthétique et formidablement joué.

Un film chaque semaine qui traite des errements de l’amour, de la difficulté de vivre, de la vie et de la mort, des parents et des enfants, et qui rappelle les meilleures heures de Téchiné, Sautet, ou tout simplement de Six Feet Under ?

Pendant ce temps, que nous propose-t-on pour dix euros ? Les mêmes comédies rances du cinéma français, ses drames bourgeois, ses polars irréalistes, ou le recyclage infernal du patrimoine (Petit Nicolas et autres Benoit Brisefer).

Hollywood, en vérité, ne propose pas mieux. L’usine à rêves a renoncé aux adultes ; elle ne présente que la version aseptisée, infantilisée, des thèmes de The Affair. Rapport père/fille traité en mode balourd dans Interstellar, dilemmes psychologiques abracadabrantesques dans les films de superhéros. Le grand écart post moderne entre une prétendue modernisation de ces sous-genres et le vide criant de l’ambition affichée. Nous voilà revenus aux mauvaises séries B des fifties, mais maintenant, les séries B coûtent 200M$.

Quoi d’autre ? Le recyclage tout aussi infernal de l’animation 3D à base de pingouins, de zèbres, d’avions et de voitures anthropologiques, répétant à l’infini le scénario insupportable du roman d’apprentissage et de la rédemption. Sans parler, last but not least, de la sortie cette semaine du massacre, numérisé à la truelle, du plus grand conte de fées de tous les temps.

Je préfère passer l’hiver à Montauk.




dimanche 14 décembre 2014


Hard Eight
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Hard Eight, c’est le premier film de l’immense PT Anderson. Dans ce film de débutant, aussi appelé Sydney ou Double Mise, tout le talent du réalisateur est en germe. Toutes ses obsessions aussi : les pères absents, les fils et les filles perdues, l’Amérique des losers, le sexe et la violence.

L’intrigue est simple. Un homme âgé, Sydney (Philip Baker Hall) prend sous son aile un jeune homme un peu paumé, John (John C. Reilly). Nous sommes dans le Nevada, ce no man’s land de l’Amérique, entre Reno et Las Vegas. Déserts, motels, diners, et casinos.

Ce couple, père et fils de substitution, nous semble dès lors très étrange. Pourquoi Sydney consacre tant de temps (et d’argent) à aider ce parfait inconnu, cet abruti de John ? Court-il en fait après sa petite amie, la délicieuse Clementine (Gwyneth Paltrow) ? Et que vient faire dans ce trio Samuel L. Jackson, le trouble Jimmy, mi-maquereau, mi-chef de la sécurité du casino ?

Avec le jeu des acteurs, qui passe du minimaliste Philip Baker Hall, au jeu outré de Samuel L. Jackson, avec la perfection graphique de chaque plan, P.T. Anderson installe ce qui va devenir une œuvre, de Boogie Nights à The Master.

Mais ce qu’on peut néanmoins regretter, au visionnage de Hard Eight, c’est la complexification inutile – et semble-t-il, irréversible – de l’œuvre andersonienne. Après des débuts limpides (Hard Eight, Boogie Nights), Paul Thomas Anderson semble vouloir de plus en plus faire l’auteur. Ses films sont de plus en plus magnifiques (There Will Be Blood), mais aussi de plus en plus arides (The Master). Ses personnages nous touchent moins, le propos est moins clair.

C’est peut-être plus arty, mais c’est moins parfait.




mercredi 10 décembre 2014


Interstellar
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il n’y a rien de pire que le génie sous-exploité. Comme si Léonard de Vinci avait consacré sa vie à dessiner Largo Winch, Michel-Ange à la poterie et Victor Hugo au Club des Cinq

Le talent de Christopher Nolan est indiscutable. C’est un grand metteur en scène, un grand directeur d’acteurs. Ses films sont magnifiques (Le Prestige, Insomnia), la musique y est formidable. Mais il semble faire carrière à l’envers : après un premier film excellent (Memento), Nolan, comme le héros de son film, est en train d’échouer à rebours. Ses films sont de plus en plus adolescents, de plus en plus débiles (au sens de du manque de force) sur le fond, tout en étant de plus en plus sublimes sur la forme.

Car Interstellar est magnifique : tout y est indéniablement parfait : acteur, musique, photo. Mais c’est un nanar. Un effroyable et sublime nanar. Tout en squattant une des grandes idées de la science-fiction (dans La Guerre Eternelle, Joe Haldeman pose déjà la question de revenir sur Terre plus jeune que ses enfants), Nolan gâche le travail par son incroyable prétention. Ce qui n’est pas une nouveauté puisque sa série Batman, unanimement salué ici et là, n’est qu’un indigeste pudding où l’on peine à découvrir l’intention artistique, malgré, encore une fois, l’accumulation de talents (Bale, Caine, Ledger).

Le cinéma de Nolan pose, une fois de plus, l’éternel problème de l’ambition artistique. Que veut faire l’Artiste ? Sculpter la plus belle pietà de tous les temps ? Ou faire une statuette pour votre jardin ? L’Artiste est toujours jugé à l’aune de l’ambition affichée. S’il en a peu, on le louera toujours s’il la dépasse (Scott, tendance Tony). Mais s’il dit vouloir faire son Grand Film (Scott, tendance Ridley), il a vraiment intérêt à le réussir.

C’est ce que semble nous dire Nolan dans les vingt premières minutes – remarquables – d’Interstellar. La Terre se meurt, sous les effets du réchauffement climatique. L’Homme refuse de l’accepter, espérant toujours « la prochaine récolte » qui viendra le sauver. Ce début magnifique pose la question ontologique de notre présence dans l’espace infini. Que faisons-nous là, au milieu de « ces noirs océans d’infinitude » selon la belle formule de Lovecraft ? Que se passera-t-il à la fin des temps ? Ou ira l’humanité quand la terre disparaitra ?

Nolan ajoute alors un deuxième enjeu fantastique (le « fantôme » communiquant avec la fille du héros, Cooper, l’astronaute devenu fermier (Matthew McConaughey) … en morse (sic). Et c’est là, en à peine vingt minutes, que Nolan « saute le requin ». Car sans rien révéler, le morse décodé met le père et la fille sur la piste d’une mystérieuse base secrète. Voilà nos héros arrêtés, mis au secret et conduits devant le Grand Patron (Michael Caine, of course) : « Ça tombe bien, nous cherchions à vous contacter… » (resic)

C’est là, vous l’avez compris, que ça devient du Cinéma Adolescent. Interstellar va se couvrir de comédons en quelques minutes. Car le Cinéma Adolescent, c’est le cinéma que l’on peut faire à quinze ans, et à quinze ans seulement : un cinéma qui ose tout, sans recul, sans perspective, sans sagesse, sûr de lui et dominateur, qui se croit tout permis parce qu’il est jeune et beau…

Nolan, c’est cela, un adolescent mégalo à qui Hollywood a confié les clefs de la Mustang sans vérifier s’il avait le permis. Comment lui reprocher ? Le wonderboy rapporte des zillions de dollars avec ses Batman fichus à l’as de pique. Si le petit Christopher veut jouer avec une maquette de Navette Spatiale, on va quand même pas l’en priver…

C’est donc parti pour le Grand Huit interstellaire : Nolan a envie de tout et Hollywood lui donne tout : théorie de la relativité, fermiers dustbowl au bord de la crise de nerfs, temps qui passe, réchauffement climatique, voyage spatial, virée dans le champ de maïs, relation père-fille (x2), paradoxes temporels, explorations planétaires, civilisation extraterrestre en dimensions (reresic)… On mélange tout et ça devient un horrible cake aux fruits indigeste. Après un quart d’heure de ce traitement indigne d’un spectateur adulte, on décroche et on se met alors à chercher à retenir, cruels que nous sommes, les phrases cultes, dites sans rire par des acteurs formidablement bons*.

Le plus drôle restant évidemment les cours de physique quantique, Nolan découvrant les brouillons des frères Bogdanoff** et les filmant tels quels : deux heures cinquante de dialogues abscons qui feraient passer Matrix pour du Labiche. C’est le deuxième indice du pouvoir de Nolan à Hollywood. Qu’aucun producteur ne lui ait demandé de couper dans son salmigondis pseudo-scientifique est tout à fait remarquable.

Le troisième indice de sa mégalomanie galopante est malheureusement assez fréquent à Hollywood : c’est la mégalomanie Kubrickophile. A quarante ans, si t’as pas fait 2001, t’as raté ta vie. Nolan veut faire son Kubrick ; il veut faire son 2001. Mais là où Kubrick (au même âge) invente tout et ne s’embarrasse pas d’explications scientifiques quand il ne peut pas en donner (la Porte des Etoiles, les Extraterrestres, le Monolithe), Nolan surexplique : le Tesseract. Le Trou Noir. Le Trou de Ver. La gravité dans la cinquième dimension au carré de la puissance. Et pompe allègrement dans le répertoire 2001. Un robot intelligent (mais drôle cette fois-ci) qui s’appelle TARS (hé hé, quatre lettres écrites en majuscule)… en forme de monolithe. Ça serait juste pathétique si ce n’était pas l’une des créatures visuellement les plus ridicules de ces dix dernières années (une sorte de Rubiks cube habillé par Paco Rabanne qui se déplie. C’est indescriptible, il faut aller voire Interstellar juste pour ça). Et on passera sur les plans silencieux dans l’espace, le souffle haletant, et tutti quanti

Autre mégalo Kubrickophile, Spielberg devait initialement réaliser Interstellar ; il y a finalement renoncé. Car Spielberg a beaucoup de défauts, mais il sait ce qu’il peut faire, et ce qu’il ne sait pas faire. Il sait jusqu’où faire l’Artiste, et quand il faut s’y arrêter, sous peine de ridicule. Il sait aussi quel âge il a, et quel âge il faut avoir pour faire un film. Qu’il faut avoir trente ans pour faire Les Dents de la Mer et soixante ans pour faire Munich. Et qui comprend à coup sûr que celui qui marche dans les pas de l’autre ne laisse pas de traces.

* Au hasard : « The bulk beings are closing the tesseract »
** En fait le film est co produit par Kip Thorne, un physicien expert de la théorie de la relativité




mardi 9 décembre 2014


La Playlist de Décembre
posté par Professor Ludovico dans [ Playlist ]

Musique : Amazing Grace, par Judy Collins, Jade, de Edward Sharpe & the Magnetic Zeros, et Warren G & Natte Dogg : A Party We Will Throw Now
Série : Un Village Français Saison 6, The Affair saison 1
Livre : Will le Magnifique, la biographie de Shakespeare de Stephen Greenblatt
BD : Last Man, de Vives, Sanlaville et Balak, Stalag BII, 2ème partie, de Tardi




dimanche 7 décembre 2014


Bastien Vivès est-il le meilleur scénariste du moment ?
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Il y a en ce moment dans ce beau pays un scénariste génial, et le cinéma français l’ignore superbement. Il s’appelle Bastien Vives, il a trente ans et il est scénariste de BD. Et l’on pourrait tout aussi bien lui confier une mission de script doctor sur Un Village Français, Iron Man 3, ou Le Gamin au Vélo, car il est capable d’arranger tout cela…

Bastien Vives explose en ce moment avec Last Man, un incroyable monument de culture pop, avec ses deux complices, Sanlaville et Balak. Le pitch de cet ovni mi-BD, mi-manga : dans un royaume d’opérette, une jeune boulangère, Marianne, et son jeune fils Adrian vivent heureux, jusqu’à ce qu’ils rencontrent un mystérieux étranger : Richard Aldana. Arriveront- ils à gagner tous les deux la Coupe du Roi, ce combat rituel façon Tekken ou Street Fighter? Derrière ce pitch dragonballesque, Vivès, qui scénarise, s’est lancé dans une saga extraordinaire, qui a la capacité de se renouveler à chaque épisode (six au compteur). Mieux, il semble capable d’amener la série toujours plus loin, toujours plus haut. On pense à un modeste DragonBall à la française ? voilà que Last Man lorgne du côté de Mad Max, du catch américain, ou du Seigneur des Anneaux. La BD, vaguement regressive, et premier vrai manga à la française (rythme de parution, fan service, etc.), semble viser exclusivement les 12-15 ans ? Last Man regorge d’allusions pour adultes. Et alors, ne serait-ce qu’une aimable pochade ? Last Man est capable de passer à la romance ou au drame. Et si l’on croit avoir fait le tour de l’intrigue avec ce tome VI, la série relance la machine avec un incroyable final.

Mais il y a encore mieux : car au-delà du phénomène Last Man, le talent de Bastien Vives est protéiforme. S’imposant d’abord comme un auteur sérieux, dessinant les affres de l’amour adolescent (Le Goût du Chlore, Amitié Etroite), il a montré qu’il était capable de bien plus : le roman graphique sérieux (Polina), l’observation de nos travers quotidien (Le Jeu Video, La Famille) et même la parodie érotique (Les Melons de la Colère)…

Qu’attend donc le cinéma pour utiliser un tel talent ? Un projet d’animé Last Man est dans les tuyaux parait-il, mais Bastien Vives vaut plus que cela. Il sait écrire des personnages (pour Iron man ?), construire une dramaturgie, (intro, acte I, acte II, final, ce qui manque si cruellement au cinéma français (et à notre Village Français en particulier), il sait faire rire et faire pleurer (pour Un Gamin au Vélo).

Ecrire à CineFast, qui transmettra.




lundi 1 décembre 2014


Borgia, dernière saison
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Argh ! O rage, ô désespoir. Les bras nous en tombent.

Maniaque as ever, le Professore Ludovico veut finir Borgia. S’en débarrasser, une fois pour toutes. Par respect pour Nicolas Machiavel, Marcel Brion, Ivan Cloulas, tous ces historiens qui ont voulu raconter la geste de Cesare Borgia, Cardinal, Gonfalonier, et Capitaine Général de l’Église.

Mais quel supplice. La troisième et dernière saison est un cauchemar. Un immonde bâclage. La télé pédagogique, façon année soixante. Chaque scène bâtie sur le même modèle : introduction des personnes, bonjour Votre Grâce, bonjour Caterine Sforza. Exposition. Faenza vient d’être reprise. Conclusion. Regard féroce de Cesare, qui menace. Je les tuerais. Scène suivante.

Borgia est un immense gâchis et c’est la faute de Canal, de Canal, et encore de Canal. De l’ego de la chaine payante, comme toujours surdimensionné. Qui veut faire comme les Tudors (histoire + sexe) : ça a marché, ça marchera encore. Qui prend un wonderboy des séries US au chômage, Tom Fontana, Mr Oz, Mr Homicide. Sans se demander pourquoi, justement, il est au chômage. Et va le laisser faire, parce que c’est un Aââârtiste.

Mais les artistes, c’est des fainéants. Même les artistes américains. C’est pour ça qu’on a inventé les Producteurs. Et ça, ça aurait du être le boulot de Canal.

Voir tout ce gâchis est un crève cœur. Un sujet en or. Des acteurs formidables. Une lumière parfaite, éclairant un magnifique travail de déco et de costumes. Le tout gâché par un scénario lamentable et une mise en scène en mode automatique.

Hier, dans l’épisode 1502, arrive l’épisode tant attendu par le Professore, le chapitre 7 du prince. Machiavel y décrit une anecdote à propos de Cesare Borgia, un exemple à suivre si l’on veut bien gouverner*. Le valentinois a confié à l’un de ses homme, Remirro de Orco, mission de pacifier la région de Rome (la Romagne), en proie à de nombreux troubles. Ce qu’il fait, selon sa manière, c’est à dire assez expéditive. Pour montrer qu’il est l’auteur du résultat (la paix et l’ordre) mais qu’il désapprouve la méthode (expropriations et exécutions diverses), il fait tuer son ministre. Un conseil repris depuis – de manière moins sanglante – par tous les gouvernements et conseils d’administration du monde. Un premier ministre, un directeur fait le sale boulot, réforme, licencie, restructure à la hache. Quand il a suffisamment bien travaillé et devient trop haï, on le démet. Sinon, c’est nous (le Président de la République, le PDG) qui sommes haïs.

Tom Fontana adapte cette anecdote en faisant une fois de plus un contresens total: Cesare, horrifié du comportement de son ministre, le fait découper en morceaux. Cesare, homme de valeurs morales. Tout le contraire du Prince qui « doit ne pas se départir du Bien, s’il le peut, mais savoir entrer dans le Mal, si c’est nécessaire« …

A ce moment-là, nous aurions bien mis Tom Fontana à la place de Remirro de Orco. Et nous aurions volontiers accepté « la férocité de ce spectacle », à force de rester devant notre téléviseur « à la fois satisfait et stupide »…

* « Quand le duc eut pris la Romagne, trouvant qu’elle avait été gouvernée par des seigneurs impuissants, qui avaient dépouillé leurs sujets plutôt qu’ils ne les avaient corrigés, et leur avait donné matière à désunion, non à union – si bien que cette province était pleine de brigandages, de querelles, et de toutes sortes d’insolences – il jugea qu’il était nécessaire, pour la rendre pacifique et obéissante au bras royal, de lui donner un bon gouvernement : c’est pourquoi il y préposa messire Remirro de Orco, homme cruel et expéditif, à qui il donna les pleins pouvoirs. Celui-ci la rendit en peu de temps pacifique et unie, pour sa grande réputation.

Après quoi, le duc jugea qu’une autorité si excessive n’était pas nécessaire, parce qu’il craignait qu’elle ne devint odieuse, et il établit au centre de la province un tribunal civil avec un président excellent, où chaque cité avait son avocat.

Et comme il savait que les rigueurs passées avaient engendré quelque haine, afin de purger les esprits et de se les gagner complètement, il voulut montrer, que s’il y avait eu quelque cruauté, elle n’avait pas été causée par lui, mais par la nature violente du ministre. Et prenant aussitôt cette occasion, il le fit un matin, à Cesena, mettre en deux morceaux sur la place, avec un billot de bois et un couteau ensanglanté à côté de lui : la férocité de ce spectacle fit que le peuple resta à la fois satisfait et stupide. »