lundi 28 novembre 2022


Pleasure
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Rares sont les bons films sur la sexualité, et encore moins sur la pornographie. Depuis Day One, le cinéma exploite le corps nu (des femmes, évidemment !) et rame beaucoup sur le sujet. Il y a bien sûr Boogie Nights, le chef-d’œuvre Altmanien de Paul Thomas Anderson, incroyable chassé-croisé dans le Los Angeles des années 70 : un très grand film assurément.

Mais maintenant, il y a Pleasure de Ninja Thyberg. Un film radicalement différent, qui raconte pourtant la même histoire : une jeune arriviste débarque dans la Cité des Anges et rêve de percer dans le porno. D’abord bercée par la sororité de quelques copines sympas qui y travaillent déjà, elle comprend vite qu’il faudra faire beaucoup plus pour arriver au sommet, ce fameux carré VIP des pool parties qui détermine qui fera fortune dans le business. Pour cela, il faut tout accepter : le sexe et la violence. Et Bella est prête à tout…

Au lieu de travailler le sujet avec délicatesse, Ninja Thyberg l’attaque frontalement, sans chichi. Visuellement, il y a peu de différence entre son film et un véritable porno.

Mais voilà : celui-ci n’a rien d‘érotique, il est glacial et glaçant, notamment grâce à son actrice, Sofia Kappel, formidable monolithe blond de vingt ans qui prête son regard vide (et calculateur) au personnage de Bella.

Mais aussi parce que la réalisatrice maintient de bout en bout la distance exacte qu’il faut pour traiter ce sujet. Zéro préjugés, et zéro complaisance.




jeudi 17 novembre 2022


First Cow
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Pour des raisons totalement inexplicables, nous n’avons jamais parlé de First Cow, le plus grand film de Kelly Reichardt, son cours marxisto-cinématographique sur la création de valeur et la naissance du capitalisme vers 1820, au fin fond de l’Oregon.

Deux femmes se promènent, de nos jours, sur les rives d’un fleuve. Un cargo passe au loin. Elles découvrent deux squelettes. C’est l’introduction sèche de First Cow, qui ne sera qu’un immense flash-back pour raconter comment ces squelettes se sont retrouvés là.

On découvre, deux cent ans plus tôt, ces trappeurs qui font commerce, en plein territoire indien, de la fourrure de raton laveur. Le Far West n’existe pas encore, les Etats-Unis sont une petite nation peuplée essentiellement à l’Est. Otis Figowitz est un jeune juif d’Europe centrale, qui va rencontrer King-Lu, un jeune chinois avec qui il se lie d’amitié. Les deux compères vont s’associer pour survivre dans ce monde brutal. Au-delà du symbole (l’Amérique est la fusion des peuples du monde entier) First Cow raconte rien de moins que la naissance (et la brutalité) du capitalisme.

Les deux jeunes gens, qui obtiennent immédiatement la sympathie du spectateur, vont « voler » le lait de l’unique vache de la colonie pour fabriquer de délicieux gâteaux. D’abord très appréciés, le duo va vite être démasqué.

A partir de ce tout petit argument, d’un décor minimaliste (un coin de forêt, la colonie, son pré, une vache), Kelly Reichardt crée comme d’habitude des personnages attachants, du suspens, et de l’émotion. Le B.A.-BA du cinéma. Mais elle fait aussi de la politique, sans faire du pontifiant.

Du grand art, vous dis-je.

NB : Tous les Kelly Reichardt passent en ce moment sur OCS. Vous n’avez pas d’excuse.




mercredi 16 novembre 2022


L’Innocent
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Miracle ! Est-il possible de voir encore un film comme cela en 2022 ? Une comédie policière, qui ne traite pas un sujet sociétal (transgenre/migrants/inceste/féminicide) ? Qui a un scénario qui se tient, passionnant de bout en bout ? Qui est drôle et profond à la fois ? Musclé, mais qui prend son temps ? Esthétique, sans être esthétisant ? Interprété par des acteurs géniaux qui font juste ce qu’il faut, c’est à dire ni trop, ni trop peu ? Un film qui sort des usines françaises, que l’on croyait délocalisées en Iran dans le garage Fahradi, ou – version écolo-électrique -, Made in Oregon par l’usine Reichardt ?

Ce film c’est L’Innocent, écrit et interprété par Louis Garrel, que l’on imaginait condamné par atavisme familial aux oubliettes de la Politique des Auteurs. Certes, le Professore arguera que c’est son chouchou Desplechin qui a incité Garrel à raconter cette histoire, et qu’il y a aussi la mafia de Roubaix (Roschdy Zem, Grégoire Hetzel, avec même des extraits musicaux de Roubaix, Une Lumière) …

Mais ce serait faire un bien mauvais procès au film, car il n’a besoin d’aucun parrain, avec dans les poches le meilleur acteur français de sa génération (Roschdy Zem), le come-back retentissant d’Anouk Grinberg, et la révélation Noémie Merlant, un peu coinçouille chez Audiard, mais qui révèle ici l’étendue de son talent. Garrel, lui, joue parfaitement ce rôle de fils perdu, à forte composante autobiographique…

Et si c’était cela la recette du succès ? Pas le Biopic, based-on-a-true-story, mais un truc très simple : la sincérité ?




dimanche 13 novembre 2022


The end
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films -Séries TV ]

John Ford disait qu’il mettait tout son budget dans le début et la fin ; le début pour installer les spectateurs dans le film, et la fin pour les faire revenir au cinéma. Si c’est assez évident pour le grand écran– il n’y a pas de grands films sans fin mémorable –, c’est moins vrai pour les séries.

On a pourtant déjà évoqué ici l’idée qu’une grande série, c’était avant tout une grande fin. Si elles offrent souvent plusieurs saisons éclatantes, cela se termine souvent en eau de boudin, pour de basses raisons de business model : les audiences ont baissé, la chaîne s’est désintéressée du show, et les créateurs sont déjà partis faire autre chose. Les acteurs ont la tête ailleurs, et la deuxième équipe tente de finir le travail…  

Les séries chefs-d’œuvre racontent tout le contraire : le showrunner est toujours là, il écrit le dernier épisode, voire le dirige. Il a la volonté de conclure son œuvre en beauté. Les grandes séries ont toujours un dernier épisode (ou simplement une dernière scène) qui résume totalement le show. C’est le cas de Sharp Objects, dans sa dernière phrase, ou de Six Feet Under qui n’a pas toujours été bonne – loin de là -, dans sa dernière scène. Game of Thrones, elle, finit une saison 8 décevante par un dernier épisode méta si décrié, concluant pourtant en beauté tous ses arcs, et donnant une leçon de storytelling au spectateur…

Voici donc pour le Professore Ludovico 17 fins étincelantes, et donc 17 séries chef d’œuvre…

The Wire
The Sopranos

Twin Peaks (saison2, évidemment)
Mad Men
Battlestar Galactica
Seinfeld

Friday Night Lights
The Prisoner
Justified
The West Wing
Six Feet Under
Game Of Thrones
Sharp Objects
Generation Kill
Godless




vendredi 4 novembre 2022


La Conspiration du Caire
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Faire un polar et faire un film d’espionnage, ce n’est pas la même chose. Si Tarik Saleh s’était parfaitement coulé dans les codes du polar pour Le Caire Confidentiel, il n’arrive pas complètement à tenir à distance dans cette Conspiration du Caire. Pour critiquer en trois phrases, le film commence très bien, devient un peu long, et casse un peu sa machinerie vers la fin.

Mais dans le détail, ça commence vraiment très bien. Adam est un jeune pêcheur égyptien qui obtient une bourse de la prestigieuse université islamique du Caire, Al-Azhar. Cette école forme des musulmans venus du monde entier, mais Adam, lui est venu pour étudier la théologie.  

Créée en 988, Al-Azhar jouit d’un tel prestige qu’elle est en Egypte un état dans l’état. Adam est vite identifié comme un agent potentiel par la Sûreté Nationale, qui le charge d’espionner au sein de l’université, et surtout de peser sur l’élection du Grand Mufti, en choisissant un imam favorable au pouvoir.

Dans cette première partie, Tarik Saleh récite son John Le Carré par cœur : pas un coup de feu, pas de violence, mais une énorme pression psychologique qui s’accumule sur le pauvre Adam. Mais quand les fils se dénouent, le cinéaste se sent obligé d’accélérer subitement vers la tragédie.

On ne révèlera rien, mais l’intrigue, jusque-là bien tenue, devient peu à peu irréaliste, avec de brusque changements de direction, alors que le reste du film était très subtil. La fin douce-amère rattrape un peu le film mais n’est pas complètement convaincante.

Dommage. Ces défauts sont légers ; on est d’autant plus déçu de passer si près d’un très bon film…




mercredi 2 novembre 2022


The Batman
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Pour regarder sereinement The Batman, il faut faire fi – comme pour tous les films super-héros d’ailleurs – de l’inanité du propos. A savoir un justicier qui règle seul les problèmes dont la police est censée s’occuper ; les problèmes en question étant en réalité la corruption endémique de ladite police Gotham City ; et que, pour résumer, il s’agit d’un justicier solitaire associé à une police corrompue qui fait taire des gens qui dénoncent cette corruption ; tout cela sans autre forme de procès qu’un bon coup de poing dans la gueule…

Cherchez l’erreur. Si souvent, les méchants de cinéma veulent juste dominer le monde (ou le détruire), les antagonistes de Batman sont souvent des redresseurs de torts : The Riddler veut dénoncer le trafic de drogue, la maltraitance des enfants de l’orphelinat, Harvey Dent, la corruption de la police, Ra’s al Ghul veut sauver la planète et Bane veut s’attaquer au capitalisme boursier…

Ce qui fait des films parfaitement bancals, où l’on soutient les méchants (en désapprouvant un peu leurs méthodes expéditives, tout en ayant peu d’empathie pour le soi-disant héros (qui ne fait pas d’efforts pour être aimable), mais dont on finit par accepter les méthodes extrêmement expéditives pour arrêter les méchants, devenus trop méchants… et finalement soutenir le pouvoir en place.    

Si l’on accepte de faire fi de tout cela, alors oui, The Batman est un très bon film de genre. Matt Reeves, déjà brillant auteur de Cloverfield, de Let Me In et de deux Planètes de Singes, développe ici à la fois une telle esthétique visuelle et une telle maestria qu’il est difficile de ne pas rester en admiration, comme devant une toile de maître. Le film est long et bourré d’idées, mais son cinéma est au service de ces idées, et de ses (bons) acteurs. La narration est fluide, pas encombrée des affèteries nolaniennes… De sorte que ce Batman-là est un pur moment d’entertainment. Que demander de plus ? Le Professorino avait raison : il fallait voir ce Batman-là.