lundi 30 novembre 2015


Le Juge
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Cabotinage. Cabotinage au carré, même. C’est ce qu’on peut retenir de ce Juge qui, s’il est par ailleurs est un film regardable, ne mérite pas que l’on se déplace dans une salle de cinéma pour lui.

On aime beaucoup , et depuis longtemps, Robert Duvall (Le Parrain, Apocalypse Now, Colors), Robert Downey Jr. (Une Créature de Rêve, Zodiac, Sherlock Holmes, Iron Man) et aussi Vera Farmiga (Les Infiltrés, Esther, In the Air)

Mais même si le film est sympathique, les ficelles sont trop grosses pour qu’on puisse accrocher. Le fils, en conflit avec le père. Le père, bougon, incapable de communiquer avec le fils. Le fils qui fait du pognon dans le privé, le père droit comme la justice publique qu’il incarne. L’ex copine qui préfère son trou dans l’Indiana à la vie à Chicago. Le fils qui a réussi sa carrière mais pas sa vie. La rédemption de l’avocat connard. Pitié ! N’en jetez plus ! On a déjà vu ça cent fois.

Il ne suffit pas de laisser des comédiens excellents en roue libre pour faire un film. Il faut un vrai scénario comme dans Orange County, pour ne pas le nommer. Et pas juste terminer par un procès et une petite ode à la campagne américaine, seul repaire des vraies valeurs face à la corruption de la cité.




samedi 28 novembre 2015


Gangster Squad
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

1949. Los Angeles. Mickey Cohen.

Qui a lu James Ellroy ou John Fante, ou visité une fois la Cité des Anges ne peut pas résister à l’appel californien de Gangster Squad. C’est l’application pure et dure du Théorème de Rabillon.

Mais pire, on jette un coup d’œil à IMDb (premier indice de l’ennui qui point) et on apprend que Gangster Squad est réalisé par Ruben Fleischer, le mec qui a fait Bienvenue à Zombieland, et qu’on avait promis de suivre comme le lait sur le feu. Donc on continue de regarder, sous le haut patronage de Karl Ferenc Scorpio, qui nous a mis sur écoute depuis longtemps.

Le pitch (en deux mots parce qu’on n’a pas que ça à faire) : face à la corruption généralisée des forces de police à la fin des années 40, le Chef Bill Parker (Nick Nolte) crée le Gangster Squad, une équipe de police undercover prête à utiliser tous les moyens pour faire tomber Mickey Cohen, le baron de la pègre locale, un psychopathe sans foi ni loi (Sean Penn).

Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur de ces promesses. Certes les années 40 de notre Los Angeles de rêve (bagnoles, clubs, et petites pépées) est parfaitement reconstitué. Mais le scénario enfile les perles. Un petit garçon très mignon ? Son père va mourir. Mickey Cohen a l’air magnanime ? Le sous-fifre gaffeur va mourir dans d’atroces souffrances. La femme du héros se plaint, elle-ne-veut-pas-élever-un-enfant-dans-une-ville-corrompue-comme-Los-Angeles (on a déjà entendu ça quelque part, non ??) ; elle va regretter amèrement d’avoir dit ça. Et cætera, et cætera…

De plus, le scénariste Will Beall (qui officiait avant sur Castle, ça vous muscle tout de suite un CV), fait la grossière erreur de s’attaquer à Mickey Cohen et de raconter la fin du grand bandit de manière à la fois ultra classique (duel final au coup de poing, décadence dans la pauvreté d’une prison californienne…) et totalement ridicule. Car un simple clic sur Wikipédia, bien assis au fond du canapé, permet de vérifier que Cohen est tombé pour fraude fiscale et qu’il est mort en liberté.

Mais qui connaît Mickey Cohen aujourd’hui ? Personne. Il aurait suffit de raconter la vie d’un gangster mythique sans nom, et ça faisait le plat pour saucer.

Et sinon, d’où vient cette idée stupide de voir chercher un mec comme Sean Penn, une bonne gueule d’irlandais taillée à coup de serpes, pour incarner le rondouillard Cohen ? En réussissant au passage l’exploit de rater son maquillage ?

À vrai dire, L.A., James Ellroy, Sean Penn, Ryan Gosling, Nick Nolte, et même Mickey Cohen méritaient mieux que ça.




mercredi 25 novembre 2015


Un Village Français, la Der des Der
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Il va falloir être résistant. C’est le slogan, très bien trouvé, de la fin annoncée de notre saga Plus Belle la Vie chez les Nazis. Nous sommes en septembre 44, et c’est la Libération, et bientôt l’Epuration. Une période passionnante à traiter, et en fait, on rêverait qu’Un Village Français ne s’arrête jamais, qu’il garde les personnages pour les faire évoluer sous René Coty puis De Gaulle, tant la France d’aujourd’hui est le produit de ces années-là. Mais ce n’est pas le projet de Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé, qui comptent bien arrêter au bout de ces six derniers épisodes.

Il est temps, peut-être, de s’arrêter, car les défauts de la première moitié de la saison six sont encore très présents dans ces deux premiers épisodes. A force d’avoir reproché aux auteurs leur manque de technique dramaturgique, ils se sont acheté un manuel de scénario*, et font depuis à peu près n’importe quoi.

On les a encore pris le doigt dans le pot de dramaturgie hier, où les rebondissements s’enchaînaient sans queue ni tête, par exemple, autour du sort des miliciens coincés dans Villeneuve. Avec toutes les astuces possibles (la bombe qui peut se déclencher, les conflits sur la conduite à tenir, l’arrivée mystère d’un personnage disparu depuis des mois, le cliffhanger final, etc.) mais tout ça était si convenu, si annoncé, si mal fait, qu’on avait du mal à reconnaître notre série fétiche. Par ailleurs, on enchaînait les tunnels de dialogue, censé rattraper le temps perdu : trois personnages expliquant dans un long monologue ce qu’ils avaient fait depuis qu’ils avaient disparu de la série, faute de l’avoir montré dans les saisons précédentes.

Pourtant, le propos était là ; raconter les affres de la reconstruction, la France au bord du chaos, sans ravitaillement, sans police, sans état. L’affrontement entre gaullistes et communistes. Tout cela reste comme d’habitude passionnant, et raconté avec subtilité. Dommage que ça ne soit pas le cas de l’intrigue.

A Villeneuve, on le voit, tout a changé, mais rien n’a changé.

* qu’ils exhibent à longueur de générique (Ateliers d’écriture, coordination du scénario, responsable des dialogues…)




dimanche 22 novembre 2015


Macbeth
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Comment a-t-on découvert Shakespeare ? La plupart du temps, par Orson Welles.

Au-delà de Citizen Kane, LE chef d’œuvre réputé du cinéma, Welles a été le grand pédagogue du barde éternel. L’homme de Falstaff, Macbeth et Othello a su mettre en images, avec une créativité inouïe, (et souvent en les raccourcissant de moitié) les grandes œuvres shakespeariennes.

Macbeth, nous l’avons découvert au Cinéma de Minuit. Il y en avait deux à l’époque, et on ne se rappelle plus bien s’il s’agit du Ciné-Club de Claude-Jean Philippe, du Cinéma de Minuit, encore animé aujourdhui par Patrick Brion sur France 3. Peu importe, car on se rappelle du choc visuel, en plein milieu de la nuit, de l’intro hallucinée de ce Macbeth de monsieur Welles. Qu’on en juge : trois sorcières psalmodient une étrange prédiction autour d’un chaudron puant ; When shall we three meet again? In thunder, lightning, or in rain?

Et puis vient l’étrange prédiction ; aucun homme né d’une femme ne blessera Macbeth, personne, en fait, tant que la forêt de Birnam ne bougera pas.

Comme chacun sait, ces deux prédictions se réaliseront pourtant à la fin.

Aujourd’hui quand on revoit le film, soixante-dix ans après, on reste toujours stupéfait par le génie bricoleur de Welles. Avec seulement 75 000 dollars, Welles bâti son décor, filme des contre-jours époustouflants (les meurtrières, les crucifix, les arbres), puis enchaîne plan séquence sur plan séquence avec une facilité déconcertante. En utilisant le grand angle, qui est sa marque de fabrique, Welles crée de la netteté partout en produisant d’étonnantes perspectives : le très gros visage de Macbeth au premier plan semble être un ogre dément prêt à dévorer un petit soldat minuscule perdu en contrebas.

Reste le miracle shakespearien, une langue ourlée, à la limite de l’incompréhensible, mais qui cinq cent ans après touche toujours l’âme humaine, à l’image du désespoir existentiel qui possède son héros :

– « Eteins-toi, brève chandelle !
La vie n’est qu’une ombre qui passe,
Un pauvre acteur qui s’agite et parade une heure sur la scène,
Puis on ne l’entend plus.
C’est un récit plein de bruit, de fureur,
raconté par un idiot et qui n’a pas de sens. »*

Shakespeare est éternel, Orson Welles aussi.

*Out, out, brief candle!
Life’s but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more.
It is a tale told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing.




vendredi 20 novembre 2015


Lomu
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Vient de décéder à quarante ans l’un des plus grands sportifs de la planète, et sûrement le plus grand joueur de rugby de l’ère moderne : Jonah Lomu. Petit voyou potentiel des banlieues d’Auckland, Jonah préféra, après avoir vu ses amis fracassés par les règlements de compte incessants, devenir champion de rugby à 7, à 13, et à 15.

A 19 ans, Lomu était déjà le plus jeune All Black de toute l’histoire, et à 20 ans il ne l’était déjà plus. Reparti au Rugby à 7 (où il devient champion du monde), humilié, il revient l’année suivante (1995) dans une Coupe du Monde d’anthologie en Afrique du Sud, et notamment ce match incroyable contre les anglais où il fracassa les Will Carling, les Matt Catt, et inscrivit 4 essais.

Après, le rugby ne serait plus jamais comme avant. Première star planétaire du jeu, Jonah Lomu est demandé partout, même en NFL. Il va précipiter la professionnalisation de ce sport.

C’est cette histoire que raconte Jonah, le Souffle de la Colère, le documentaire rediffusé très opportunément sur Canal+ Sport, à ne pas rater, même si on ne connait rien au rugby. La tragédie d’un homme très fort terrassé très jeune par la maladie, et qui ne renonça pourtant jamais à son sport.

Et revoir les courses d’artistes de Lomu au milieu des défenses adverses, c’est un spectacle en soi. Le spectacle éternel des jeux olympiques grecs, du cirque romain, de la force et de la rapidité ; la perfection humaine.




dimanche 15 novembre 2015


Terreur
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Il est difficile d’écrire quelque chose en ce moment, mais pourtant, comme nous le théorisons ici à longueur de web, le cinéma est partout, à commencer dans nos têtes.

Et il fausse notre jugement.

Chacun réagit comme il le peut aux « événements », comme on disait de la Guerre d’Algérie. Certains ont peur, ce n’est pas mon cas, aucune forfanterie là-dedans. J’ai peur sur une échelle, mais pas à la terrasse d’un café. Je ferais sûrement plus attention la prochaine fois au concert, en vérifiant qui est derrière moi, et où sont les portes de sortie. Mais sinon, on ne peut pas s’arrêter de vivre, ou vivre dans la peur.

Non, mon sentiment, c’est la tristesse, et la frustration. Une immense tristesse, et une immense frustration. Car face aux événements du Bataclan, c’est évidemment Die Hard qui tourne dans ma tête, et j’en suis convaincu, dans toutes les têtes.

« Comment la France va riposter« , titre ainsi, aujourd’hui, le Parisien.

Mais elle ne peut pas riposter, la France. Dans une guerre asymétrique, c’est toujours le faible qui gagne, symboliquement. Il nous fait du mal, et nous, on ne peut rien faire de plus que ce qu’on fait déjà : bombarder les camps jihadistes, surveiller, infiltrer et punir – bien au delà de la loi. Car on a dépassé, quoiqu’on en pense, les bienséances de la justice (interpellation, instruction, procès) depuis longtemps. Le RAID attaque et tue, et il a raison de le faire, parce qu’il n’y a plus de négociation.

Cette frustration, elle est naturelle, mais elle est aussi le fruit des images que nous infuse depuis des années le cinéma américain. Dans Die Hard, le Bataclan est pris en otage par des terroristes, mais John McLane est là. Oui, il a pris une balle, mais il se tient le ventre, saute sur un jihadiste, retourne l’arme contre lui, etc.

Cette frustration, que tout le monde ressent, c’est l’impossibilité de retourner cette situation à notre avantage dans la réalité. Cette horrible défaite, cette chimérique revanche. En un mot, comment infliger une douleur infinie à ces gens qui nous ont fait tant de mal, parce qu’à la fin, il n’est pas acceptable que ce soit Jeremy Irons qui gagne.

On voudrait tous avoir l’arme de John McLane, sa force physique, son courage, pour aller régler le problème nous même. Les frapper nous même, voir leurs voitures exploser sous nos grenades, les arrêter de nos propres poings, et jubiler de leur humiliation, comme à la fin de tout bon blockbuster.

Comme nous n’avons rien de tout cela, nous nous tournons vers le gouvernement pour qu’il nous apporte le réconfort de cette revanche. Et, évidemment, il nous l’offre, avec la bénédiction des médias. Il bombardera un camp, il arrêtera/tuera quelques terroristes, et notre fantasme de rétorsion sera assouvi. Mais notre fantasme seulement.

Car le fantasme est américain, mais la réalité est française. Nous ne vivons pas, malheureusement, dans Die Hard, mais dans Un Village Français.




vendredi 13 novembre 2015


The Affair, S02e03
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Séries TV ]

On n’osait pas reprendre la saison 2 de The Affair. On avait tellement aimé la saison 1, qu’on se demandait comment Sarah Treem et Hagai Levi allait pouvoir à la fois surpasser cette saison-là, et lui trouver une suite correcte, tout en résolvant les mystères savamment entretenus de l’intrigue policière. Pour cela, nous renâclions tel un vulgaire jockey tombé à l’orée du rail ditch and fence du Grand Steeple Chase de Paris.

Mais Notre Agent au Kremlin nous ramena aux dures réalités cinefasteuses ; le premier épisode était très bien, et nous devions remonter sur notre monture. Une fois lancé, en effet, nous voilà incapable de nous arrêter de dévorer cette deuxième saison.

Car cette Affair est le parfaite antidote à la morosité cinématographique. Après avoir enfilé la même semaine Sicario, Everest, Seul sur Mars, tous mauvais pour des raisons différentes, un peu de cinéma – même sur un écran d’un seul mètre de large – satisfaisait nos besoins essentiels. Une histoire, des personnages, des enjeux. Nous n’en demandons pas plus, en vérité. Pas besoin de montagne à vaincre, de narcotrafiquant ou de martiens, le désastre d’un couple, la construction compliquée d’un autre, fournit plus de cinéma que les trois autres réunis…

Et c’est surtout dans cet épisode 3 que le génie de The Affair éclate de sa noire luminescence.

Si le procédé est désormais classique (la perception de l’homme (30mn), puis celui de la femme (30mn)). C’est la matrice de The Affair ; cela pourrait devenir artificiel, un peu répétitif. Non seulement les auteurs jouent avec cette contrainte, mais ils offrent au passage le plus beau cadeau que l’on puisse faire un acteur. D’abord lui donner des scènes longues, sans coupes, concentré sur le visage, pour exprimer l’étendue de son talent*. Et ensuite lui redonner l’opportunité de rejouer cette même scène, en proposant une deuxième version de soi-même : le fantasme absolu de l’acteur ! On verra ainsi un Noah tendre et généreux et un connard imbu de lui-même, une Helen sûre d’elle-même ou complètement à la ramasse, et une Alison (Ruth Wilson) psychotique ou amoureuse.

Les acteurs se régalent. Le spectateur aussi.

* Qui est immense : le mari, c’est Dominic West, notre tête brulée de de Mc Nulty de The Wire. Son épouse, c’est Maura Tierney qui brillait il y a vingt ans dans Urgences et qui ose ici exposer sa détresse (et son corps) de quinqua comme peu d’actrices en sont capables…




mercredi 11 novembre 2015


Hippocrate
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

La vie est courte, l’art est long.
L’occasion fugitive, l’expérience trompeuse.
Le jugement, difficile…
*

« Médecin, ce n’est pas un métier, dit Abdel, le personnage de Reda Kateb (excellent comme d’habitude), c’est une malédiction » ; nous voilà donc maudits dès les premières minutes d’Hippocrate, dès que l’on a accepté de suivre Benjamin (Vincent Lacoste), l’interne-point de vue d’Hippocrate dans les Sept Cercles de L’Enfer hospitalier. Benjamin n’est pas un idéaliste, c’est le fils du patron. En tant que tel, il se demande s’il va bénéficier d’un traitement de faveur du paternel, ou au contraire d’un bizutage en règle. Il aura l’un et l’autre, souvent dans le mauvais timing. Il va apprendre le métier à la dure ; et la vie, tout simplement.

Le film de Thomas Lilti est doté de nombreux atouts : un excellent casting d’acteurs pros (Vincent Lacoste, Jacques Gamblin, Reda Kateb, Marianne Denicourt) et des acteurs inconnus qui jouent des malades tout aussi bons. Filmé dans un vrai hôpital, presque dans les conditions du réel, il offre aussi un réalisme qui plombe souvent le cinéma français.

Tragi comédie, Hippocrate est d’une finesse comique et tragique qui devrait inspirer certains. Naturaliste, il cerne parfaitement son sujet et relègue à des années-lumière le cinéma prétentieux des frères Dardenne. Hippocrate a des messages à faire passer, et notamment un : le médecin ne peut pas tout, même s’il le croit. C’est pourtant le plus beau métier du monde.

Hippocrate, c’est un petit film qui cache un grand film à l’intérieur.

*citation d’Hippocrate, dénichée dans Les Mille automnes de Jacob de Zoet, de David Mitchell




vendredi 6 novembre 2015


Seul sur Mars
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Et si le documentaire était la véritable ambition artistique de Ridley Scott ? Et si depuis quarante ans, le réalisateur anglais n’avait rêvé que de transmettre ses connaissances sous forme de docudramas habilement déguisés en fictions de luxe payées par Hollywood ? Et si Seul sur Mars était la révélation ultime de ce procédé ?

Qu’on y pense ? De la Retraite de Russie, la Vie au XXI° siècle, la Mafia Japonaise, la Condition Féminine dans le Southwest, les Croisés de Jérusalem, la Conquête de l’Amérique, les Combats de Gladiateurs, la Bataille de Mogadiscio, la Vie en Provence, le Marketing de la Drogue, l’Exode Biblique et maintenant… la Vie sur Mars, Ridley Scott, enlumineur de génie, n’a fait que poursuivre le travail d’encyclopédie populaire, à l’instar des Tout l’Univers et autre Dis Pourquoi ? de notre enfance.

Seul sur Mars, son dernier projet, coûte la bagatelle de 108M$. C’est cher pour un film dont l’unique vocation semble être de passer sur National Geographic Channel avec voix off ad hoc : « Si l’homme devait un jour s’installer sur mars, comment s’y prendrait-il pour survivre ? ». Avec une réponse de 144mn sous forme de cours de botanique (comment faire pousser des pommes de terre avec son caca), de cuisine (les 1001 façons d’accommoder les dites pommes de terre), de bricolage (sachez fabriquer une serre (ou une coque de vaisseau spatial), avec seulement de la toile plastique et du chatterton), ou de maths : sachant que je produis 30 kg de patates par récolte, combien me faudra-t-il de récoltes pour tenir jusqu’à l’arrivée des secours ?

Le tout emballé, comme tout Danger dans le Ciel qui se respecte, d’une alternance de documentaire et de drame reconstitué. Ici, on n’a pas fait les choses à moitié : plutôt que le sosie de Matt Damon, on a pris Matt Damon lui-même. Avec le gratin de l’Hollywood actuel (Jessica Chastain, Jeff Daniels, Sean Bean), ou à venir (Kate Mara (House of Cards), Chiwetel Ejiofor (12 years a Slave), Mackenzie Davis (Halt and Catch Fire))…

Heureusement qu’ils sont là, les comédiens : les pauvres mettent tout leur talent au service de personnages même pas esquissés (pas d’enjeu personnel, pas de famille, pas de motivations). Ca a un gros avantage : ça permet de voir exactement ce qu’apporte de grands comédiens ; tout ce qu’il y a dans le film, c’est eux qui l’ont apporté.

Pas non plus de trace de dramaturgie à la surface martienne, (faute aux radiations, probablement), sauf l’unique et inquiétante question façon Man vs Wild: comment va-t-on faire pour survivre ?

Une ambiance incroyablement feelgood évite toute inquiétude inconsidérée de la part du spectateur : grâce au courage, au travail, à l’amitié et à la solidarité, et bien sûr à l’ingéniosité américaine, Matt va bien trouver un moyen, putain de dieu, pour faire les 225 000 000 km qui lui reste à parcourir jusqu’à Pasadena.

À côté, Apollo 13, c’est Desplechin, Seul au Monde, c’est Robert Bresson, et Armageddon, c’est Tarkovski. Le parallèle avec le brûlot politico-philosophique des Simpson/Bruckheimer ne s’arrête pas là : pour sauver un homme dans l’espace, la NASA ne suffit toujours pas. La différence, c’est qu’on ne fait plus alliance avec les Russes, mais avec les Chinois (Wladimir Poutine ne va pas être content).

Malgré cela – et tout à fait inexplicablement – on finit par être emporté à la fin et on est bien content que Matt Damon réussisse à rentrer chez lui.

Zut, je crois que j’ai raconté la fin.




mardi 3 novembre 2015


Sicario
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Aïe aïe aïe ! Il y a deux Sicario : un film politique et un thriller, un film politique choc et un banal film de genre, un film adulte et un film adolescent, un chef-d’œuvre et un film bof. Et, en fait, c’est à vous de choisir. Car les deux ne sont pas démêlables aisément.

Un film ado, on l’a déjà dit, c’est un film dont le scénario pourrait avoir été écrit par un adolescent pas très au courant des choses de la vie. A qui il manquerait la maturité pour s’embarrasser de réalisme, parce que les ados se foutent des contraintes de la vraie vie.

C’est-à-dire, dans ce cas précis, un film où il paraît logique d’aller à El Paso en jet de luxe, mais pas d’aller à Ciudad Juarez chercher un bandit ultra dangereux avec le même jet. Rappelons que Juarez est séparé par le seul Rio Bravo (et il y a un aéroport, j’ai vérifié). Ou il semble, au contraire, impossible de prendre les innombrables hélicos filmés avec complaisance par Denis Villeneuve. Non c’est plus simple, plus discret, moins cher d’affréter un convoi de 4×4 noires et de blindés mexicains avec mitrailleuses.

Ou encore, un film où pour filer le véhicule d’un narco trafiquant – déjà suivi par satellite – on a absolument besoin de monter une opération secrète dans un tunnel qui permet de passer sous la frontière afin d’intercepter ensuite le véhicule grâce à un flic mexicain qui fera semblant de l’arrêter afin de pouvoir le prendre en otage (le narco) qui lui-même nous mènera sans coup férir directement au repaire du grand méchant.*

C’est là que le génie de Denis Villeneuve entre en scène. Car tout cela ne tient pas debout, mais est incroyablement cinématographique. Les hélicos, les blindés, les tunnels, sont sublimés par le talent de son chef opérateur Roger Deakins qui avait déjà signé Prisoners et à peu près toute la filmothèque de cœur du Professor**. Et c’est sans parler de l’incroyable musique de Jóhann Jóhannsson, déjà sur Prisoners également.

Le film de Denis Villeneuve grave ainsi, seconde après seconde, dans nos cerveaux affamés de tant de beauté, des images inoubliables qui vont revenir nous hanter très longtemps. Les mesas désertiques et mortifères de l’Arizona, le Mur de la frontière, les rues de Ciudad Juarez, tout cela est très fort, inédit, inouï, inoubliable.

Le cerveau du cinéphile, schizophrène, oscille donc entre ses deux hémisphères : dois-je me laisser porter par la poésie du spectacle pour le cerveau gauche, ou analyser une par une les énormes failles du scénario avec mon cerveau droit ?

Une fois de plus, il ne suffit pas de sortir le joker « film de genre » pour sauver le film de cette critique. Villeneuve fait un film ambitieux, il a au moins pour ambition d’élever le genre à des hauteurs insoupçonnées. Il ne fait pas Bad Boys, il veut faire Traffic. C’est à cette hauteur qu’il sera donc jugé. Au niveau Soderbergh, en ligue 1. Si c’était Tony Scott, on ne serait pas en train d’ergoter : on mangerait du cinéma pop-corn et ça serait assumé dès le départ.

Mais ce n’est pas le cas, Sicario se prend au sérieux. Il se doit donc de l’être. A tous points de vue.

* relisez lentement et envoyez le aux scénaristes du prochain James Bond, ça peut servir !

** quasiment tous les Coen, The Big Lebowski, O’ Brother, Fargo, mais aussi La Dernière Marche, Les Evadés, Passion Fish, Cœur de tonnerre, Sid & Nancy, 1984 ou … Skyfall