Il faut être un génie.
Oui, un génie absolu pour avoir réussi à transformer une saga ridicule en chef-d’œuvre sériel. Que pouvait-on espérer tirer du space opera, ce genre oublié sorti des poubelles de la SF par George Lucas ? Conçu à l’époque comme un hommage aux serials de son enfance (John Carter from Mars, Flash Gordon, ces courts-métrages d’une demie-heure que l’on passait avant les films dans les salles de cinéma), Star Wars a dépassé l’intention initiale de son créateur, et est devenu, bien malgré lui, LA Science-Fiction…
Il fallait un gars musclé, Tony Gilroy, scénariste sexagénaire d’Armageddon, et des Jason Bourne, et fin réalisateur de Michael Clayton, mais aussi une productrice inflexible, Kathleen Kennedy, l’amie des Lucas/Spielberg, la productrice de leurs plus grands succès (E.T., Indiana Jones, Star Wars, Jurassic Park) mais aussi de grands films (Retour vers le Futur, Munich, Sur la Route de Madison, Sixième Sens, La Liste Schindler).
Aujourd’hui, Kathleen Kennedy est présidente de LucasFilm, et donc Madame Star Wars chez Disney, avec les pleins pouvoirs. On peut donc lui reprocher les épisodes 7, 8 9 mais elle est aussi derrière Rogue One (Tony Gilroy , Gareth Edwards) et Solo.
C’est donc elle qui a signé le projet Rogue One / Andor, en partant d’une toute petite idée : expliquer qui a dérobé les plans de l’Etoile Noire, c’est à dire les premières secondes de La Guerre des Etoiles, premier du nom. Gilroy, lui, a posé ses exigences. Ce sera un Star Wars adulte, avec de la boue sur les stormtroopers, et des protagonistes équivoques, qui tombent en résistance, plutôt que des personnages de BD tirés du Parcours du Héros.
Banco, répliqua Kathleen Kennedy.
Mais il fallait néanmoins une sacrée paire de couilles pour s’attaquer aussi frontalement à Star Wars, une saga qui travaille, elle, un certain merveilleux enfantin, Magicien d’Oz de l’espace, avec robot doré à la place de l’Epouvantail, et Chewbacca en Lion Peureux. Not in Aldebaran anymore…
En 2016, Rogue One resterait un film d’aventures, plutôt simpliste sur la caractérisation des personnages. Mais c’est Andor, six ans plus tard, qui fit vraiment le travail. Motivations creusées (et ambiguës) des personnages, du sexe et de la drogue, et des trahisons à tous les étages. Pas vraiment l’univers propret de G. Lucas, ses vaisseaux Ikea, ses princesses en bikini, ses héros costumés en judoka, et ses extraterrestres en plastique…
Tout cela ne serait rien si ce n’était au service d’un propos fort, qu’on colle trop rapidement à la situation americano-trumpiste. Conçu depuis les années 2010, Rogue One/Andor est traversé par un sujet bien plus universel, celui de la révolte, ou de l’acceptation de la domination.
Montrer qu’entrer en résistance est souvent le fruit du hasard, parce qu’on est touché personnellement, ou que l’on a plus le choix. Ou qu’au contraire, on se met du côté des vainqueurs pour protéger sa famille, sa carrière : par opportunisme, ou par conviction idéologique …
Tout cela serait bien joli, mais ne mènerait nulle part si on n’arrivait pas à incarner ces idées. Pour cela Tony Gilroy a réuni (et réussi) une galerie de personnages absolument parfaite, tout autant du côté de l’Empire que de la Rébellion. Pas des personnages unidimensionnels, mais des vrais gens qui hésitent, qui doutent, et peuvent être attachants ou horripilants, peu importe le camp qu’ils servent. Signe qui ne trompe pas, on s’attache aussi bien aux rebelles qu’aux factotums impériaux.
Paradoxalement, Andor, le personnage principal (Diego Luna) est peut-être le plus falot. Un Han Solo au rabais, sans charisme, parfois détestable, mais qui sert de mètre-étalon aux autres. Car le monde tourne autour de lui, proposant un échantillon de trajectoires : Luthen Rael, leader implacable, cynique et désespéré (Stellan Skarsgård), Mon Mothma, la Sénatrice perdant ses illusions les unes après les autres (Genevieve O’Reilly), le Lieutenant de l’Empire Dedra Meero, SS blonde, entièrement consacrée à sa mission, rouage implacable du totalitarisme (Denise Gough)… On pourrait multiplier ces exemples à l’envi, tant chaque personnage, impeccablement écrit, impeccablement joué, vient nourrir cette immense saga… contenue en seulement une vingtaine d’heures.
Car c’est aussi la force d’Andor. Singulièrement boudée par la geekosphère, Andor s’est vue obligée de conclure sur sa deuxième saison. Tout bénéfice en réalité : c’est ramassé, musclé et cela finit au bon moment.
Aucun jedi d’ailleurs ne traine dans ces vingt-quatre épisodes.
C’était inutile : la Force était avec eux.
