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Commentaires et/ou Conseils d’achat de DVD – Peut dégénérer en étude de fond d’un auteur



lundi 30 novembre 2009


Some Kind of Monster
posté par Professor Ludovico

Si vous aimez Metallica, il faut voir Some Kind of Monster. Si vous ne connaissez pas Metallica (c’est mon cas), ou si vous n’aimez pas Metallica, il faut aussi voir Some Kind of Monster.

Il faut l’avouer, j’aime les documentaires sur les musiciens au travail : Don’t Look Back, sur Dylan, de D. A. Pennebaker, 101, du même sur Depeche Mode, Gimme Shelter ou One+One sur les Stones, mais aussi le film de Clouzot sur Karajan… Je me rappelle même avoir réévalué Mlle Dion à la hausse après l’avoir vu au travail avec J.J. Goldman…

Aussi, quand l’ami Fulci m’a proposé Some Kind of Monster, j’ai cru qu’il me ressortait un classique du ciné italien d’horreur des années soixante dix.

Non. Some Kind of Monster, c’est un documentaire de 2004 sur Metallica, le supergroupe de Heavy Metal des années 80.

Le pitch : en 2001, le groupe est au bord de la crise de nerfs, et dans les conflits d’ego. Leur bassiste vient de les quitter et le groupe peine à enregistrer son nouvel album, sur fond de désintox’ et de rivalités entre les deux têtes pensantes du groupe (James Hetfield, chanteur, et Lars Ulrich, le batteur)

Au lieu de régler ça à la régulière, split (Lennon/Mc Cartney), cadavre dans la piscine (Jagger/Richards et l’encombrant Mr Jones), revolver (Jerry Lee Lewis, Phil Spector), Metallica choisit la manière moderne : un coach. Un gars, Phil, la cinquantaine, qui ne connaît rien au hard rock mais qui se coltine les équipes de foot américain, qui ont leurs problèmes d’ego, elles aussi…

Et cherry on the cake : on filme tout ça, ce qui donne Some Kind of Monster, deux heures de déballage ahurissantes, émouvantes, sincères, caractérielles, frimeuses, manipulatrices, beaufs, modernes, psys, comme on voudra.

Qui a joué cinq minutes de la guitare dans un groupe comprendra ce que je veux dire : ce n’est pas facile tous les jours. Voir ces types, avec leurs cent millions d’albums vendus, qui ont les problèmes de monsieur tout le monde, c’est rassurant. Voir Dave Mustaine, leur premier guitariste, viré pour alcoolisme, se considérer comme un raté alors qu’il a fondé Megadeth et vendu à lui seul vingt-cinq millions d’album, en fera réfléchir plus d’un sur l’incroyable abîme de la psyché artistique.

Après sept cents jours d’engueulade et de thérapie de groupe, le film est terminé : en 2003, Metallica sort St Anger, un album vite classé numéro un et entame une tournée triomphale.

Sous le charme, mais sans être dupe, il reste à démêler dans tout cela l’exercice d’autopromotion. Si c’était l’intention, c’est raté : les héros sont des beaufs, fans de Harley. Ils mangent des fruits frais et vont au cours de danse classique kitsch de leur gamine. Rien de très bon pour l’imagerie rock…

Non, Some Kind of Monster ressemble plutôt à un journal intime, avec ce qu’il peut y avoir de pathétique et de sublime dans l’exercice…

Comme dans In Bed with Madonna, l’exercice de com’ finit par dépasser son commanditaire en accouchant d’une créature indéterminée, à mi-chemin entre l’hagiographie et le reportage : some kind of monster, but a beautiful one.




samedi 7 novembre 2009


La Guerre des Mondes
posté par Professor Ludovico

Les cinq dernières minutes de La Guerre des Mondes qui passait lundi sur TMC, même en VF, même en basse définition, m’ont confirmé dans l’idée que l’adaptation de HG Wells est un chef d’œuvre méconnu de Steven Spielberg. Pourtant, ces cinq dernières minutes, c’est bien ce qu’on lui reproche : la happy end, la réconciliation familiale, Tom Cruise et tout le reste.

Pourtant le regard halluciné de Cruise, sur l’avant-dernier plan de film, son hallucination d’être vivant au milieu de cet holocauste, valent mieux que les jugements entendus à sa sortie.

On rendra grâce un jour au talent de Spielberg dans cette Guerre des Mondes-là : un grand film sur l’extermination, sur la fin de l’héroïsme US, sur la sauvagerie qui guette même les grandes nations démocratiques comme l’Amérique*. Il faut revoir d’urgence La Guerre des Mondes

*en attendant l’adaptation prochaine du chef d’œuvre de Cormac McCarthy, La Route.




lundi 26 octobre 2009


I Love Huckabees
posté par Professor Ludovico

Quoi de plus consternant que le cinéma américain qui se la joue « arty »?

Après avoir lu le chapitre sur David O. Russell dans Les Six Samouraïs, j’ai eu envie de voir ce film, réalisé en 2004, juste après le semi-échec Les Rois du Désert.

Pire, il y avait A.G. de CineFast mardi chez le FrameKeeper, et il y a eut consensus sur ce film. Cela aurait du nous mettre la puce à l’oreille, car CineFast est un champ de bataille, et pas un Woodstock de la cinéphilie. De même, Sharon Waxman décrit I Love Huckabees comme un film d’une grande profondeur… Suspect, non ?

Bref, après dix minutes (six cent secondes) de projection, Michel Vaillant et moi-même étions prêts à jeter Bob l’éponge, mais le Snake et Framekeeper, hardcore comme toujours, ne pipaient mot. Nous avons pris ce stoïcisme pour une incitation zen à aller jusqu’au bout de la douleur, et de toutes façons, il était déjà 23h, donc impossible de mettre l’intégrale Dogma dans le lecteur…

C’est bien beau tout ça, mais le CineFaster qui est resté jusqu’à cet instant de la chronique se demande encore ce qu’on peut bien reprocher à I Love Huckabees

En fait, tout. Derrière les bonnes intentions (faire un film existentiel « guilleret »), O. Russel produit un pensum pas drôle.

S’agiter, ce n’est JAMAIS faire du cinéma… I Love Huckabees fait partie de ces films hystériques et causeurs dont Keneth Branagh s’est fait la spécialité, avec, la plupart du temps, beaucoup plus de brio. Ici les personnages cabotinent, et ils sont bons à cela : jason Schwartzman, Lili Tomlin, Dustin Hoffman, Mark Wahlberg, Isabelle Huppert. Mais réunir un casting de stars, réunir un casting de pros, ne suffit pas non plus. Les dialogues, assénés pendant l’intégralité du film (pas un silence, pas un temps mort), sont creux, alors qu’ils croient justement profonds et intelligents. O. Russell voudrait être Wes Anderson, mais il ne l’est pas. Loin de là… A mi-parcours, je me suis endormi, tellement c’était vif et audacieux.

Non, ce genre de film mérite des spécialistes, le plus souvent européens, ou qui s’en approchent (Hal Hartley)…

Ce n’est pas donné à tout le monde…




lundi 12 octobre 2009


Love Actually/Good Morning England/Burn After Reading
posté par Professor Ludovico

Le marketing, c’est rigolo. La campagne de Noël commence, et, à la Fnac, on trouve déjà des coffrets DVD. Le principe est simple : packager deux bons produits avec une bouse, Les Parrains I & II avec le III, au hasard.

Mais ici, associer deux bouses avec la dernière perle des frères Coen, fallait oser. Non pas que Love Actually et Good Morning England n’aillent pas ensemble, bien au contraire ; ces deux feelgood comedies sont parfaitement calibrées pour un public consensuel, mais Burn After Reading, et une scène en particulier ( !), risque de jouer les moutons noirs au milieu de tout ça.

Mais arrêtons de persifler ; comme dirait l’ex-Troskiste Lionel Jospin, c’est de l’intérieur qu’on dynamite le système…




dimanche 11 octobre 2009


The Faculty
posté par Professor Ludovico

Je suis tombé hier soir sur le chef d’œuvre de Robert Rodriguez, The Faculty. De sympathique petit film de genre à sa sortie, le film est devenu un classique, certes toujours méconnu. Rappelons le pitch : il s’agit d’un remake-hommage à L’Invasion des Profanateurs de Sépultures, titre ringard de série Z qui cache pourtant deux chefs d’œuvre, le film originel (Invasion of the Body Snatchers, de Don Siegel, 1956), et le merveilleux remake d’Abel Ferrara, Body Snatchers (1993)*.

Ici, l’action se passe dans un lycée, peu à peu envahi par des E.T. malveillants pénétrant dans le corps des profs, des parents, des élèves, et les transformant en êtres cruels et sans âme. Seuls quelques élèves comprennent la situation, et essaient de résister : le geek (Elijah Wood, période pre-Frodon), la bombasse intello (Jordana Brewster), la punkette (Clea Du Vall), le dealer, beau gosse mais bad boy (Josh Hartnett), la petite nouvelle timide, le capitaine de l’équipe de foot.

On serait dans du classique si Robert Rodriguez n’était pas aux commandes. Non seulement l’action est trépidante, mais c’est drôle et totalement politiquement incorrect : sexe, drogue et rock’n’roll. Une réplique-culte résume le film : « Prends de la coke. Ça te sauvera la vie ! » (la cocaïne permet de distinguer les humains des aliens)…

Mais en plus d’être horrifique, drôle, sexy (Salma Hayek, Famke Janssen), bourré d’action, le film est aussi fin et profond avec un sous-texte intéressant sur l’adolescence, période de la vie où l’on se sent totalement « alien » et où les parents et les profs passent souvent pour des « zombies ».

Si vous n’avez jamais vu The Faculty, c’est le moment de retourner à l’ecole.

* et un troisième film dispensable de Philip Kaufman, en 1978




vendredi 25 septembre 2009


Rencontres du Troisième Type
posté par Professor Ludovico

Un vaste programme d’éducation du Professorino et de la Professorinette ayant été lancé cet été (cycle John Hughes, suivi d’une interro écrite), hier soir c’était Rencontres du Troisième Type.

En 1978, j’avais treize ans, et tout le monde parlait de Star Wars, et de ce film incroyable qui venait de sortir, par le type qui avait frissonner tout le monde avec Jaws. Moi, j’adorais la SF, je ne lisais que ça, mais j’étais terrorisé à l’idée d’en voir au cinéma. J’avais eu très peur en regardant au Ciné-Club du dimanche soir La Chose Venue d’un Autre Monde, ou Les Araignées Géantes Attaquent, tandis que ma petite sœur, 7 ans, se marrait comme une baleine. J’ai donc lu Rencontres du Troisième Type, Star Trek, Alien (les novellisations d’Alan Dean Foster chez J’ai Lu), avant de voir les films. Et puis un jour neigeux de 1980, j’ai vu Shining, et je n’ai plus jamais eu peur au cinéma.

J’ai pu voir alors Rencontres du Troisième Type, dans une convention de SF à Rambouillet. C’était en vidéo, sur une toute petite télé, nous étions assis sur des chaises d’école, c’était les débuts de la vidéo.

Le film était impressionnant, mais un peu long vers la fin. Et surtout, je detestais Spielberg, figure de proue des cinéastes « gentils ». E.T. triomphait, avec sa vision consensuelle à la Frank Capra.

Trente ans ont passé. Spielberg a mûri, a fait La Couleur Pourpre et La Liste Schindler, et j’ai révisé mon jugement. Reste que les qualités (et les défauts) de Rencontres du Troisième Type sont toujours là.

Le début du film est exceptionnel, mélange de Hitchcock et du Nouvel Hollywood. Spielberg installe une ambiance incroyable, faite de nuit étoilée du Midwest. Avec un parfait sens du rythme, Spielberg joue sur tous les tableaux : le mystère (les avions dans le désert), l’angoisse (la voie de chemin de fer), la comédie (les scènes familiales), le merveilleux (les premières arrivées de vaisseaux). Mais après cette première heure, ça se gâte. Francois Truffaut joue comme un pied, John Williams se prend pour Ligeti, et Spielberg essaie de faire un 2001 gentillet. Moralité, la fin est interminable.

Rencontres du Troisième Type reste néanmoins un jalon dans l’histoire du cinéma populaire : d’un côté, les derniers sursauts des seventies (la peinture grinçante de la famille dysfonctionnelle du héros, très inspiré par le père de Spielberg, et la passion du petit Steven pour faire dérailler des trains électriques), de l’autre, la consécration des films chers pour des résultats tout aussi pharaoniques…




lundi 21 septembre 2009


Mort à Pixar !
posté par Professor Ludovico

Cette critique aurait bien pu ne jamais être écrite, si je m’étais arrêté à la première demi-heure de Wall-E, sûrement la meilleure que la compagnie de Monsieur Jobs ait jamais produite.

Mais il faut en finir avec le mythe Pixar, sa prétendue infaillibilité (Pixar never fails, avait titré Newsweek), ses films toujours meilleurs, sa technologie photoréaliste toujours plus pointue.

La réalité est que Pixar voulait détruire Disney, et elle y est arrivé : Pixar a tué… le dessin animé 2D. Mais en fait, Pixar est devenu Disney. Sa production annuelle, ses thèmes ultra consensuels et conservateurs, ses scenarios photocopiés : Disney avait trouvé son élève, et il avait dépassé le Maitre.

Car c’est quoi un film Pixar : c’est l’histoire d’un garçon un peu star (Jouet star, Voiture star, Robot star) qui rencontre une fille et, confrontés à l’amour, et aux valeurs revigorantes de la campagne (pure, comme chacun sait, face à la ville corrompue), trouve la rédemption tant attendue.

Ce qui était magique dans Toy Story et dans Mille et Une Pattes, cette inventivité de scénario, ces préoccupations à deux niveaux (parents/enfants), tout cela est devenu un moule dans lequel les businessmen de Pixar injectent un peu de plastique neuf pour vendre un nouveau film, de nouveaux jouets, de nouveaux Happy Meal chez McDo.

Apres le gerbant Cars, j’ai boycotté. Mais l’opportunité a fait que j’ai pu regarder Wall-E, le fameux « dernier chef d’œuvre de Pixar » Évidemment, il y a cette première demi-heure, apocalyptique, géniale, dans un New-York rouillé (la méchante ville, encore), envahie sous les déchets. Et une merveille de petit personnage, Wall-E, le petit robot compacteur. Une demi-heure qui réinvente le cinéma puisque entièrement muette : champ. Contre champ. Effets de profondeur. Pause. Accélération. On peut raconter beaucoup de choses sans dire un mot.

Mais voila, au bout de 30 minutes, ca recommence : Wall-E rencontre une fille, EVE, cette fois-ci plutôt dominatrice, et le film part en couilles : courses poursuites effrénés, allusions foireuses à 2001 (désolé, ca ne suffit pas) et bagarres diverses et variées… Un rythme d’enfer pour une histoire zéro. Wall-E, censément héros du film, disparaît au profit des 700 autres protagonistes, et revient faire cinq minutes de figuration à la fin (et, incroyable mais vrai, il est pas mort, il est blessé seulement)…

Il restera le message écologique étonnant, incroyablement anti-américain (ou le début d’une prise de conscience, enfin ?) : nous sommes trop gros, nous consommons trop, nous gâchons l’eau dans des piscines que nous n’utilisons pas, nous ne faisons plus rien de nos dix doigts et nous gâchons notre intelligence devant la télé et les jeux vidéos.

Ça pique les yeux… mais ça justifie de regarder ces trente premières minutes…




samedi 12 septembre 2009


Battlestar Galactica
posté par Professor Ludovico

Il y a trois ans de cela, je zapouillais tranquillement sur le câble, aux petites heures de la nuit, quand je fus tiré d’un début de somnolence par des images hallucinantes : un vaisseau spatial baptisé Battlestar Galactica, Starbuck et Apollo, le commandant Adama… Je fus pris d’un fou rire : les américains avaient osé faire un remake de la pire série de SF de tous les temps : Battlestar Galactica. Les cons, ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnaît…

Un peu d’histoire : fin des années 70, début des années 80 : les amateurs de la littérature SF n’ont pas grand’ chose à se mettre sous la dent à la télé : L’Age de Cristal, La Quatrième Dimension, La Planète des Singes. Et une série mythique, invisible en France : Star Trek. En 1981, les frères Bogdanoff, qui animent Temps X, apportent la bonne nouvelle : cet été, La Une diffusera les aventures de Spock et Kirk. Juillet arrive. Douche froide : Star Trek « n’est plus disponible, mais à la place, vous allez voir, La Une a beaucoup mieux : Battlestar Galactica ! »

On a vite vu. Malgré quelques aspérités rigolotes (Starbuck et son cigare, les combats spatiaux), Battlestar Galactica était un sous-Star Trek, ce que tout le monde pu vérifier, un an plus tard, quand la série de Gene Roddenberry fut diffusée.

En 2004, quelle mouche avait donc piqué Ronald D. Moore, scénariste sur la franchise Star Trek, pour remettre en piste Battlestar Galactica, qui, par ailleurs, n’avait vécu que le temps d’une saison ?

Une drôle d’idée, en fait. Refaire Battlestar Galactica en gardant les bonnes idées, en enlevant ce qui était ridicule, mais surtout en décidant de prendre la série au sérieux. Au sérieux ? Battlestar Galactica !???

C’est là le tour de force. Battlestar Galactica est une série sérieuse de SF, une sorte de 24 dans l’espace. Le pilote remplit sa mission en donnant le ton : si les Cylons détruisent des planètes humaines à tour de bras, qu’est-ce que ça veut dire, concrètement ? Dans une série normale, on passerait cinq minutes dessus, avec des jolies explosions. Ici, on filme les conséquences pendant une heure : les évacuations et les choix terribles que cela suppose, les tragédies que cela entraîne (jusqu’à filmer la mort d’une petite fille, du jamais vu), les débats que cela engendre (peut-on faire la guerre efficacement et rester une démocratie ?)

A cela, Battlestar Galactica rajoute les ingrédients habituels d’une bonne série : love story, conflits père-fils, cliffhanger… Et une idée de génie, dans ce contexte : 12 cylons ressemblent à des humains : l’ennemi est à l’intérieur même du Galactica…

À suivre, donc…




jeudi 10 septembre 2009


Eyes Wide Shut
posté par Professor Ludovico

J’avais pris des engagements Kubrickiens au début de l’année, et puis vous savez ce que c’est, le boulot s’accumule (The Wire-Lost-les Tudors), et on a le temps de rien. Et puis tout à coup hier soir, l’insomnie pointe : il est temps de regarder Eyes Wide Shut.

Ce qui est important de noter, tout d’abord, c’est que c’est le dernier film de Kubrick. On dit que les chats sentent leur mort venir, eh bien les grands cinéastes, aussi. Le grand Stanley se lâche dans Eyes Wide Shut comme jamais. On retiendra par exemple que le dernier mot proféré à jamais par le Maître (du moins, dans ses films, mais s’est-il jamais exprimé ailleurs ?), ce dernier mot, c’est « Fuck ».

Ça ouvre à toutes les interprétations possibles (fuck the studio, fuck la censure), mais pas besoin d’aller bien loin : Eyes Wide Shut est le 2001 du sexe. Du fessier de Nicole Kidman (plan 1), à cette dernière réplique, rien n’aura changé sous le soleil : on déclinera le fuck à toutes les sauces.

Alors Kubrick, pervers pépère sur le retour ? Sûrement pas, tant son œuvre est irriguée par le sexe : des sous-entendus graveleux de Spartacus, des orgies de Barry Lyndon à Orange Mécanique, des viols de Full Metal Jacket aux problèmes de fluides corporels de Dr Folamour, le sexe n’est pas ce qui manque aux films du sexologue SK. Avec en ligne de mire, l’irrationalité de nos pulsions, la sauvagerie bestiale du désir.

Mais là, dans EWS, il y a une ambition particulière : faire un film entier là-dessus, sur le désir et la jalousie, sur l’incompréhension entre les sexes. Et une autre ambition, plus perverse : faire tourner ensemble le couple le plus hot du moment, Cruise-Kidman. Un viol des conventions, deux giga-stars vont tourner ensemble, faire l’amour ensemble, puis avec d’autres, se déchirer, une prise de risque énorme pour des acteurs de ce niveau. Mais bon, qui refuse quelque chose à Kubrick ?

Ça commence donc très fort, comme un disclaimer de jeu vidéo : interdit au moins de 18 ans, on n’est pas là pour rigoler. Premier plan : les fesses de Mrs Kidman. Deuxième plan : Nicole s’essuie après avoir fait pipi. Troisième plan, elle remet sa culotte. En 1999, le choc est énorme : on entre dans les cuisines des Cruise. Imaginez aujourd’hui la même chose avec Angelina Jolie et Brad Pitt…

Mais cet effet de banalité, appliqué sur des stars habituées au Walhalla Hollywoodien, c’est à la fois une méthode de domination de Stanley (« Vous ferez tout ce que je vous demanderais »), mais aussi un introduction au propos d’Eyes Wide Shut : Qui suis-je ? Qui est réellement ma femme ? Où suis-je dans l’échelle sociale ?

Car Bill Harford a toutes les raisons d’être satisfait de lui-même : médecin new-yorkais réputé, femme superbe, petite fille gentille, appartement somptueux orné de toiles de maître*, et des amis hauts placés. Pourquoi semble-t-il aussi coincé, pendant cette première demi-heure du film ? Pourquoi sa femme semble-t-elle excédée, dès qu’elle n’est plus dans le champ de vision de son mari ?

Bill Harford va bientôt découvrir qu’il vit dans une illusion, et que, si haut que l’on soit dans l’échelle sociale, on est toujours le laquais de quelqu’un. Bill Harford, grand médecin, n’est que l’éboueur de gens beaucoup plus puissants que lui.

Comme l’a formidablement raconté Frederic Raphael dans son livre Deux ans avec Kubrick, le réalisateur n’a jamais vraiment expliqué le changement radical appliqué à la nouvelle de Schnitzler, Rien qu’un Rêve. Dans cette nouvelle, qui se déroule dans le Vienne du début du siècle, c’est d’antisémitisme dont il s’agit. Le bon docteur croit être introduit dans la bonne société viennoise, mais juif il est, juif il restera. Fasciné par cette nouvelle, Kubrick a rêvé toute sa vie de l’adapter, et a fini par le faire. Mais il a demandé à son co-scénariste de la goyiser au maximum, en insistant notamment sur le fait que le héros devait avait un nom WASP, et passe-partout. Bill Harford était né.

Cette volonté simplificatrice, outre l’espoir de gommer peut-être certains aspects autobiographiques douloureux pour Kubrick, a sûrement aussi pour but de renforcer l’aspect conte de fées d’Eyes Wide Shut. Car c’est bien d’un conte de fées dont il s’agit. Un conte pour adultes, pour adultes consentants, mais quand même un conte de fées.

Le héros, gentil prince, subira mille épreuves pour revenir à la maison, transformé mais heureux. On ajouterait bien « pour toujours », mais Nicole Kidman nous l’interdit : « Forever ? Je n’aime pas ce mot ».

Avant, notre petit poucet aura traversé toutes les tentations du sexe, sans y succomber. Toutes les perversions, même : triolisme (les deux filles à la fête), prostituées, pédophilie (la très jeune fille du loueur de costume), homosexualité (le gardien d’hôtel), nécrophilie (Amanda à la morgue), et bien sûr, la fameuse orgie.

Pourquoi Bill en est arrivé là ? Tout simplement parce qu’à la 33ème minute, Mme Kidman lance le film. Un peu shootée, un peu pompette, elle démolit soudain son benêt de mari, qui croit tout savoir sur les femmes, le désir, les aspirations humaines. Et qui – très mâle américain -, aime sa femme, ne peut envisager l’adultère, et ne peut envisager que sa femme l’envisage « I love you. You’re my wife. I know you. I trust you. I won’t do it because you’re my wife… »

Mais mon pauvre, lui répond-elle, tu connais que dalle ! Non seulement tu ne comprends rien à mes désirs, mais rien non plus aux tiens !

Cette révélation déstabilise le pauvre Bill, qui entame alors son odyssée nocturne. Auparavant, Kubrick nous a infligée trente minutes pénibles, à contre-temps du reste du film : la soirée chez les Ziegler. Les dialogues y sont longs, très volontairement étirés, Cruise et Kidman jouent faux. On se demande dans quelle galère on est tombé. Pourtant, les indices kubrickiens sont là : nous sommes dans une phase préparatoire : observe bien l’insecte Bill, ami spectateur, car c’est de lui le héros de cette histoire. Ce garçon est faux, mais pas mauvais au fond. Sa femme va lui donner la bonne leçon dont il a besoin.

Cette leçon, c’est Manhattan, l’île de la Tentation : abasourdi par les révélations, ivre de vengeance, ressassant inutilement les images fantasmatiques de quelque chose qui n’a pas eu lieu (sa femme et l’officier de Marine), Bill Harford dans ses pérégrinations nocturnes va avoir maintes occasions de se venger de sa femme. Il ne cherche rien ; les femmes viennent à lui… Bizarrement, il ne cède à aucune. Un coup de fil de sa femme ? Il lui ment, mais renonce à coucher avec la jolie prostituée. La vieille fille est prête à l’emballer dans la chambre même où son père vient de mourir ? Le professionnalisme du Dr Harford reprend le dessus. On lui propose une mineure pas farouche, il refuse. Il retrouve la pute toxico de chez Ziegler à la Morgue ; plus trop professionnel, il se penche pour embrasser le cadavre, mais renonce, à dix centimètres du visage. Quand on est en conflit avec son désir, dirait le psy, c’est qu’on ne se connaît pas bien. Le Professore confirme : Bill Harford ne sait plus qui il est. Il passe son temps, d’ailleurs, à justifier son identité : « Je suis le Dr Harford » en montrant frénétiquement sa carte de médecin.

Mais le vrai test, c’est évidemment l’Orgie, scène centrale du film, étendard de Eyes Wide Shut. Bill Harford croit être quelqu’un ? Comment mieux le prouver qu’en entrant dans le Saint des Saints, réservé aux initiés qui connaissent le mot de passe magique ? Malgré la gentille fée (à poil) qui tente de le dissuader, il persévéra au risque de perdre la vie. La fée devra se sacrifier pour le sauver. Mais, humiliation suprême, l’épreuve n’en était pas une, cette cérémonie terrifiante n’était qu’un jeu de rôles pour capitaines d’industries partouzeurs. Un, mon petit Bill, tu ne fais pas partie de ce milieu, et deux, tu es un sacré parano ! Si au lieu de fantasmer, tu allais baiser ta femme, pour commencer ?

Cette chronique ne serait pas complète sans un passage en revue des thèmes d’Eyes Wide Shut. Marchons en cela dans les traces du livre séminal de Michel Ciment, Kubrick – que toute personne considérant le cinéma comme un art – devrait lire une fois dans sa vie.

Le Diable

Pour un film sur la tentation, qui emprunte parfois ses codes au film d’horreur (musique, éclairage), la présence du Grand Fourchu dans Eyes Wide Shut n’était pas une surprise. Il apparaît par deux fois, en séducteur hongrois chez les Ziegler, puis sous la forme du pianiste (petite barbiche, sourire machiavélique, et éclairage en contre plongée…) Le satanisme n’est pas loin, dans la cérémonie initiatique de l’orgie, mais aussi dans ces étranges éclairage de Noël chez les Ziegler, qui font penser à des pentacles maléfiques. Mais après, tout, Victor Ziegler n’est-il pas le vrai diable dans cette affaire ?

Eros et Thanatos

On dit que la présence de la mort est indispensable à la mécanique du désir : Kubrick reprend en tout cas cette thèse à son compte. Avant d’être érotique, Eyes Wide Shut fait surtout peur. Musique glaciale de l’orgie (opposée à la soupe jazzy de la fête new-yorkaise), masques terrifiants, déclaration d’amour dans la chambre d’un mort, embrassade de cadavres, sans parler du sida qui traîne : Kubrick joue sur les contrastes. L’éclairage du film est à l’avenant, opposant le violent au pastel, et les beiges/orangées, couleurs chaudes de la vie, au bleus glacials de la nuit et de la mort.

L’odyssée

On pense évidemment à Homère, et son héros voguant sur des océans dangereux, tandis que son épouse est restée à la maison. Bill rencontre des sirènes et des monstres, et rentrera aussi à la maison, heureux après un beau voyage. Mais on pense aussi à Joyce, à l’errance de Daedalus, le cocu de Dublin, et au monologue de Molly.

Venise/Shakespeare

Pas à proprement parler un thème, mais plutôt un motif : Venise, ou plutôt une Venise de pacotille, une Venise shakespearienne, parcourt le film. Les masques bien sûr, Dom Juan et le Commandeur, mais aussi Fidelio, et la pizzeria Vérone, ostensible dans les rues de New York.

Le conte de fées

Sa femme s’appelle Alice, et elle l’entraîne dans un wonderland pour adultes. Mais d’autres emprunts signe l’aspect fabuleux d’Eyes Wide Shut : les deux filles proposent d’emmener Bill « under the rainbow », allusion au Magicien d’Oz. Il finit par y aller, seul : le magasin de costumes s’appelle Rainbow. On y trouve des japonais bizarres, dont l’un d’entre eux est même habillé en lapin ! Et là, la fille du costumier murmure, presque de manière inaudible (comme un sort, ou un code secret) : « Vous devriez prendre un col d’Hermine ». Mystère et boule de gomme…

L’orgie est aussi une cérémonie initiatique : mot de passe, déguisement, masque pour entrer au château. Une gentille fée essaie de le prévenir, comme dans un rêve. Mais il sera démasqué et humilié, par son talon d’Achille : il ne connaissait pas un mot de passe… qui en fait n’existe pas, comme le révélera le Magicien (Ziegler). Au final, nous réalisons de plus que tout cela n’est rien qu’un rêve…

Les masques

C’est le gimmick du film, sa signature, mais c’est surtout qu’Eyes Wide Shut est un film sur les apparences. Bas les Masques ! Derrière le gentil bourgeois, père aimant, mari attentionné se cache quelqu’un d’autre. Bill ne cesse de se cacher, derrière une multitude masques : son nom, sa profession, son professionnalisme froid et mesuré (porte d’entrée dans la haute bourgeoisie, ou porte de sortie chez la vieille fille). Il croit pouvoir se cacher en empruntant des codes (mot de passe, déguisement), mais est trahi par son ignorance (il n’existe pas de mot de passe), sa bêtise (le contrat de location), et sa basse extraction (il est venu en taxi).

Noël

C’est le positionnement dans le temps de cette histoire (la fin de l’année), mais c’est sûrement plus que ça. Dans presque tous les décors, il y a des sapins de Noël. Au début assez évidents, ils deviennent un sujet d’interrogations a posteriori, d’autant que le film se termine dans un magasin de jouets. Car en rentrant chez lui après son ultime épreuve, Tom Cruise éteint le Sapin. Il ne croit plus au Père Noël ? Sa femme va le ramener au magasin, et – gentille Mère Noël -, le rassurer et lui confier le fin mot de l’histoire : « Il ne reste qu’une chose à faire, (maintenant que nous ne sommes plus des enfants ?) : baiser ! »

Eyes Wide Shut, comme tous les Kubrick, fut une déception à sa sortie, pour les Kubrickiens en premier, tétanisés par la rumeur que le Maître, mort avant la sortie, n’aurait pas fini le film. Il déçut aussi la Warner, qui avait parié beaucoup sur le caractère porno de l’affaire et sur le scandale afférent : on masqua les corps aux USA, mais le film ne fut pas remonté. Au final, Eyes Wide Shut ramena de l’argent, comme tous les Kubrick : 55 millions de dollars (pour un budget de 65M$, et fini par gagner de l’argent à l’international). Comme tous les Kubrick, il est régulièrement diffusé à la télé, signe évident de la postérité qui s’annonce… Annonciateur de la vague porno-chic, le film a fait école. Mais surtout, il reste le dernier témoignage d’un auteur réputé misanthrope, et qui laisse pourtant un film plein d’humanité.

* signé par Mme Kubrick, comme dans Orange Mécanique




mardi 8 septembre 2009


Deux Sœurs pour un Roi
posté par Professor Ludovico


Refusant d’aller le voir, pour cause de spoiler, pendant la diffusion des Tudors, j’ai enfin regardé
Deux Soeurs pour un Roi, la version Hollywoodienne de la tragédie de la petite Boleyn.

Malheureusement, malgré le casting Ferrari (Portman-Johansson-Bana, que demander de mieux ?), malgré une version alternative de l’histoire (pas le père, mais l’oncle), Deux Sœurs pour un Roi ne vaut pas tripette.

C’est beau, comme les Tudors, mais dans un autre genre : plus sombre, plus sale. Plus ramassé aussi, pas besoin d’allonger la sauce sur 13 épisodes : les personnages secondaires (Kristin Scott Thomas, très bien) sont moins nombreux. Mais surtout, comme tout BOATS qui se respecte, Deux Sœurs pour un Roi se contente d’enchaîner les événements connus (la rencontre, les accouchements, la décapitation), tout en évitant soigneusement ce qui intéresse les spectateurs (suspense, enjeux, personnages).

Un écueil qu’évitait en grande partie les Tudors…




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