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Commentaires et/ou Conseils d’achat de DVD – Peut dégénérer en étude de fond d’un auteur



dimanche 8 mai 2011


Zack et Miri Tournent un Porno
posté par Professor Ludovico

Avec Zack et Miri Tournent un Porno, c’est encore l’occasion pour le CineFaster de s’interroger sur les mystères de la psyché américaine. Encore plus ici, apparaît le paradoxe entre hypersexualité et puritanisme, le duo infernal qui semble irriguer le cinéma américain et, partant, la société US. Ce n’est pas un scoop de dire que si la violence est omniprésente dans le cinéma US, à un niveau quasi pornographique, le sexe y est cruellement absent. (Voir ci-dessus, chronique à venir)

Pitchons Zack et Miri Tournent un Porno : deux colocs : un canon laser, Miri (Elisabeth Banks), et un gros nounours, Zack (Seth Rotgen) se partagent un misérable appartement près de Pittsburgh, et tentent, en vain, de joindre les deux bouts, dans toutes les acceptations possibles. Mais évidemment, ils sont amis, et même si Zack entreprendrait bien Miri, elle ne rêve que de retrouver son amour de collège.

Deux événements vont résoudre tous leurs problèmes : 1/ lors de la Fête des Anciens, ils retrouvent l’ex amour de Miri… Qui est gay ! Pire, star du porno gay. 2/ Miri se fait filmer en petite culotte, à son insu, par deux ados. La vidéo fait évidemment le tour du Net. Aussitôt dit, aussitôt fait, profitons de cette nouvelle et involontaire célébrité, tournons nous aussi un film de fesses pour payer les factures ! Mais est-ce si facile de s’exposer, surtout qu’évidemment, ces deux-la s’aiment, et vont le découvrir ?

Jusque là, le film est une friandise : Kevin Smith est à son meilleur, dans la description chaleureuse de ses losers de la cote Est, une misère américaine qu’il connaît et décrit si bien, à la Springsteen. Smith sait écrire des dialogues réalistes et saignants, graveleux et drôles, il dépasse tout le monde dans ces cas-là. Il sait aussi être subtil quand il le faut. Une sorte de John Hughes pour adulte.

Mais les valeurs américaines, telles la gravitation universelle, le rattrape pile à ce rte apogée, et le film ne fera plus que descendre la pente. Effaré devant tant d’audace, (frontal nudity et F Word), Smith recule. Zack et Miri Tournent un Porno devient alors gnangnan. Si on s’aime, on fait l’amour : rien à voir avec le sexe, donc. Le film devient sage comme ses héros et donc très ennuyeux. Il reste quand même de beaux moments et de belles performances d’acteurs, et Banks comme Rotgen ont de beaux jours devant eux.

Kevin Smith, quant à lui, reste un talent incroyablement gâché : depuis le formidable Clerks, découvert grâce aux Weinstein Brothers (producteurs fidèles, jusqu’à ce Zack et Miri Tournent un Porno), le Jersey Boy n’a fait que gâcher son talent : Mallrats, Silent Bob Strike Back, Jersey Girl, ahurissant mélo avec Jennifer Lopez et Ben Affleck. Seules subsistent quelques scènes de Dogma et un diamant noir : Méprise Multiple, sur les amours contrarié d’un dessinateur de comics (Ben Affleck) et son équivalent lesbien (la merveilleuse Joey Lauren Adams). Chasing Amy, en toute logique, n’est disponible qu’en téléchargement illégal.




mercredi 4 mai 2011


Grease
posté par Professor Ludovico

Le croirez-vous ? Je n’ai pas vu Grease à sa sortie ! Trop occupé à découvrir le jeu de rôle, Star Trek et Stanley Kubrick, je n’avais pas une minute à moi en 1978. Et j’ai comblé cette terrible lacune hier soir. Sentence du Professorino : « Ça a pas l’air de te plaire, Papa ! »

Tu m’étonne John ! Voir des acteurs vulgaires chanter du pseudo rock fifties alors que sur mon disque dur m’attend Zack et Miri tournent un Porno, il y a de quoi rager.

Rien à garder dans ce navet dont on a du mal à imaginer qu’il fut un véritable phénomène générationnel, le disque tournant en boucle dans les boums.

Ce qui devrait mettre un peu d’humilité à ceux qui croient dur comme fer qu’Avatar sera toujours aussi génial dans vingt ans.

Patience.




lundi 11 avril 2011


La Vida Loca
posté par Professor Ludovico

Intéressant documentaire, devenu célèbre par la mort de son réalisateur, Christian Poveda, pour s’être trop approché de ce qu’il filmait… La Vida Loca montre le quotidien de membres de la Mara 18, un gang salvadorien des favelas de San Salavador.

Sans commentaire, au propre comme au figuré, La Vida Loca nous colle simplement sous les yeux la vie terrifiante de ces hommes et de ces femmes, entrant dans le gang à 10 ans, parents à 16, et tués à 18, pour simplement sauver l’honneur du clan.

A voir, sans pouvoir comprendre. Si ce n’est ce terrifiant besoin de l’humanité d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi…




jeudi 7 avril 2011


Le Parrain, I et II
posté par Professor Ludovico

On poursuit l’éducation de la Professorinette, avec le visionnage obligatoire des Parrains, les seuls vrais chefs d’œuvres de Coppola (la Professorinette n’est pas prête pour les hélicos, Wagner et les Rolling Stones, bref pour Apocalypse Now!)

Le Parrain, donc.

La première info, c’est que contrairement à Apocalypse Now, Le Parrain I et II ne sont pas des films parfaits. Certaines scènes sont ridicules (le logeur trouillard dans le segment de Niro du Parrain II), d’autres incompréhensibles (le complot d’Hyman Roth), certains acteurs sont même carrément mauvais (James Caan surjouant Sonny).

Ceci dit, Les Parrains restent des chefs d’œuvres minéraux, des blocs, mais aussi des bornes de l’histoire du cinéma.

Le Parrain, c’est le parangon du succès Nouvel Hollywood : des films intelligents, mais à grand spectacle et ayant rapporté de l’argent. C’est aussi les premiers films de ce calibre avec des italo-americains dans des premiers rôles : une première qu’il a fallu – bizarrement – imposer ! Des films aussi d’une beauté formelle ahurissante, dans la déco, la prise de vue, les jeux d’ombres et de lumières.

Après, on glosera à l’envi sur l’enflure opératique des films, magnifiant ces empereurs du crime, transformés sous la plume Mario Puzo, et sous l’œil de Francis Ford Coppola, en Richard III modernes. Mais c’est oublier que si l’on peut regarder les Parrains avec distance, c’est que depuis, un travail de déconstruction a eu lieu : d’autres italo-américains, Scorcese (Mean Streets, Les Affranchis, Casino) ou David Chase (Les Sopranos) ont défait ce mythe de la Mafia, en montrant l’envers du décor, et en s’attachant à mettre en scène la vilenie des ouvriers du crime, plutôt que d’en glorifier les grands barons.

Dans le Parrain, on s’attarde finalement plus à une version alternative de l’histoire de des Etats Unis, bâtis sur le crime et la corruption (pour reprendre la fameuse chanson de U2, The Hands That Built America, en conclusion de Gangs of New York).
De l’arrivée des immigrants italiens à la Loge PII, en passant par la fondation de Las Vegas, les Parrains I, II et III nous racontent cette autre histoire de l’Amérique. Comme il est dit d’entrée de jeu : « I believe in America »… C’est ce que montre Coppola, et on ne se lasse pas de contempler ce spectacle.




mercredi 6 avril 2011


Les Diables de Guadalcanal
posté par Professor Ludovico

La CineFasterie, et la passion de la seconde guerre mondiale, n’apportent pas que des satisfactions : ainsi, ces Diables de Guadalcanal, réalisé par Nicholas Ray, produit par Howard Hughes (qui s’y connaissait pourtant en cinéma et en avions !), est une belle daube, une sorte de Battle LA fifties. L’argument : une bande d’aviateurs leathernecks (titre VO et argot désignant les Marines), sous la coupe de John Wayne, dur mais juste, bombardent Guadalcanal et se font abattre par les Faces de Citron. Un gentil adjoint (Robert Ryan) voudrait les ménager. Il s’opposera à John Wayne, mais à la fin, il deviendra dur mais juste aussi. Je vous passe l’intermède où John Wayne rentre trombiner madame à la maison et offrir un vrai sabre de samouraï à son fils. (ou l’inverse).

Pire, les séquences d’aviation, tournées au rabais, en studio, façon Têtes Brûlées, sont mélangées à des images super 8 d’époque.

A fuir.

Rendez-nous Papy Boyington, Teedjee et Gutterman !




mardi 29 mars 2011


Shoah
posté par Professor Ludovico

Shoah n’est pas seulement un fantastique document pour l’histoire, c’est aussi un très grand film. Deux exemples dimanche soir, dans le segment consacré à Treblinka.

Le premier, c’est une caméra cachée avec Franz Suchomel, un ancien SS du camp. Claude Lanzmann n’a rien dit de ses intentions, il est très amical, et le SS sexagénaire s’est peu à peu détendu : il raconte en détail les deniers moments des juifs de Treblinka : « les hommes, on les battait pour qu’ils entrent vite dans les chambres à gaz. Mais pas les femmes… »

Et là, Lanzmann craque. Légèrement, mais il craque. Il se départi de son intérêt poli pour se moquer, plein de sarcasme, de cette dernière phrase : « Pas les femmes ? Pourquoi tant d’humanité ? » Comme si la Grande Armée Allemande était restée galante dans l’horreur. Impavide, le SS ne se démonte pas : « Ecoutez, moi, je n’ai pas vu de femmes battues. » Avec cette simple phrase, le SS crédibilise l’intégralité de Shoah. Il ne cherche pas à se donner le beau rôle, mais raconte ce qu’il a vu. On exterminait les femmes à Treblinka, mais, inexplicablement, on ne les battait pas. C’est ce qu’il a vu, de ses propres yeux.

Ainsi, Shoah atteint son but, et bouscule toute tentative négationniste comme toute récupération romantique : le film de Lanzmann est un document brut, à prendre tel quel avec ses absurdités, comme ce « traitement de faveur » des femmes de Treblinka.

Autre moment célèbre de Shoah, quelques minutes plus tard : l’interview de Abraham Bomba, le coiffeur de Treblinka. Abe raconte, tout en coiffant un client à Tel Aviv, comment étaient organisée les chambres à gaz (corroborant au passage, mot pour mot, les déclarations précédentes du SS).

Et en particulier, il explique en détail son rôle de coiffeur, chargé de couper les cheveux des femmes envoyés ensuite en Allemagne. Dans un anglais factuel, précis et cassant, Abe s’explique : les bancs, les femmes, le timing. Lanzmann le pousse dans ses retranchements : « Et vous, vous ne m’avez pas répondu, que ressentiez-vous ? »

Devant l’obscénité de la question, Abe botte en touche, un peu méprisant : là bas, monsieur, il n’y avait plus de sentiment depuis longtemps. Et commence à raconter l’histoire, pour illustrer cette idée, d’un coiffeur qui avait reconnu sa femme et sa sœur dans la file d’attente…

Au milieu de la phrase, Abe s’arrête. Il essuie une larme qui pointe au coin de l’œil. Les minutes de silence s’enchaînent, terrifiantes.

« Arrêtez, monsieur… »

Mais au contraire, Lanzmann zoome et continue de tourner. Il reprend la parole, supplie, s’excuse. N’importe qui aurait coupé, éteint l’éclairage, négocié pour revenir le lendemain. Mais Lanzmann est un grand cinéaste : il sait que c’est maintenant ou jamais, que c’est le moment de vérité. Il s’accroche de manière indécente… et Abe repart, pour une des plus grands moments de Shoah : le coiffeur n’a rien dit à sa femme ou à sa sœur, il a tout fait, au contraire, pour qu’elles ne se doutent de rien…




lundi 28 mars 2011


Lola Montès
posté par Professor Ludovico

Lola Montès est un film maudit : encensé à sa sortie, mais bide complet en salles. Remonté, charcuté à la demande du producteur, il fut restauré en 2008 dans son montage, ses couleurs, et sa bande-son d’origine.

C’est la version diffusée récemment sur Arte qui amène la chronique ci-jointe.

Lola Montès est un régal pour les yeux, et un étonnement pour l’esprit. Prétendant raconter l’histoire de la plus célèbre courtisane du XIXème siècle, Max Ophuls explose les conventions du biopic. Caricaturant la fin de la vie de Lola, il l’imagine dans un cirque, cornaquée comme un singe de foire par un M. Loyal pragmatique (Peter Ustinov).

Les saynètes de la « vraie vie de Lola Montès, mesdames et messieurs » s’enchainent, avec force clowns et acrobates, et basculent sous la main de Max Ophüls vers les souvenirs réels de Lola : son enfance, son amour avec Franz Liszt, sa rencontre avec Louis Ier de Bavière…

Ophuls ne cherche pas la facilité : il entremêle plusieurs niveaux d’histoires, de dialogues, les plans eux-mêmes sont surchargés de détail du premier à l’arrière-plan. Une partie du dialogue est volontairement mezza voce, à la limite de l’inaudible. Mais ça marche, et on renonce vite à tout comprendre, estomaqué par une telle profusion de sons, de couleurs, de costumes, de décors, et abasourdi par un tel génie de la mise en scène, et par cet enchaînement élégiaque de plan-séquences périlleux.

*Wikipedia, c’est trop génial : j’apprends que Lola Montès est l’inventrice de la formule « Whatever Lola wants, Lola gets », titre aussi d’un film réalisé par Nabil Ayouch en 2008.




mardi 15 mars 2011


Les Tudors en finale
posté par Professor Ludovico

Malgré des critiques plutôt acerbes, la saison 4 du docudrama softporn de la famille royale britannique tient plutôt la route. Bien sûr, c’est « dukudukudku » comme disait le Alain de Greef des Guignols, mais c’est aussi cette – toujours impeccable – trajectoire historique. Façon Rois-Maudits, les personnages des Tudors sont poussés par des motivations qu’il nous est difficile de comprendre (héritier mâle, épouse vierge, etc.) mais qui prennent tout leur sens dans le contexte, très pédago, que nous propose la série. Leur créateur, Michael Hirst, est un passionné d’histoire élisabéthaine (il est aussi le réalisateur de Élisabeth, l’Age d’Or) ; il ne nous fait pas l’injure de les affubler de passions modernes, il n’essaie pas de nous les rendre sympathiques en les rapprochant de nous. Les motivations de ces personnages nous restent étrangères, et pourtant, on les aime.

Peut-être parce que les anciens sont toujours aussi bon (Jonathan Rhys Meyers, of course, et Henry Cavill, futur Superman), et les nouveaux pas mal du tout (Torrance Coombs, impressionnant proto-Brad Pitt, David O’Hara, déjà vu en irlandais dans Les Infiltrés)…

Non, Les Tudors ça se finit et c’est bien que ça finisse : on sent les auteurs concentrés, allant à l’essentiel. La dernière saison, mélancolique, politique, termine en beauté sur l’impression subtile qu’on ne peut qu’être terrifié par ce roi, impressionné par ce qu’il a achevé, mais aussi ému par cette trajectoire dramatique.

On ne regrettera pas notre voyage au XVIème siècle, et on attend avec impatience le nouveau projet Showtime, « Tudors-like » : The Borgias, qui affrontera Les Borgias, sur Canal+, réalisé par Tom « Oz » Fontana.




samedi 5 février 2011


Shining
posté par Professor Ludovico

Parmi les promesses non tenues du Professor, il y avait celle de chroniquer – en un an – tout Kubrick.

Essayons d’avancer dans cette vaste tâche en visant l’Hôtel Overlook, ses charmants concierges (Nicholson, Duvall) et le petit Danny (Danny Lloyd), qui voit des choses qu’il ne devrait pas voir à son âge : en un mot, Shining !

L’occasion nous en est donnée par la diffusion de la version longue, inédite en France, par les merveilleux petits gars de TCM. Cessons d’ailleurs la polémique tout de suite : la version longue n’apporte rien à Shining, si ce n’est de l’eau à notre moulin anti-director’s cut... Les segments ajoutés (essentiellement des scènes d’exposition) desservent plutôt la magie du film, explicitant des choses qui sont plus excitantes si elles restent dans l’ombre. Autrement dit : dis-moi ce que tu as coupé, je te dirais si tu es un grand cinéaste…

Shining, version courte donc.

Après le flop public et critique de Barry Lyndon, Kubrick a certainement besoin de remonter sa cote, en adaptant cet auteur de best-sellers qui monte, Stephen King. Seul Carrie a été adapté à cette époque-là, et les films d’horreur commencent à faire florès. Mais c’est aussi un principe chez Kubrick : « Je préfère adapter des romans de gare, que les chef-d’œuvres de la littérature : il y a moins de respect pour le livre, on peut faire ce qu’on veut ». Stephen King appréciera*

Mais, surtout, Kubrick est bien décidé, comme ailleurs, à édifier l’œuvre maîtresse du genre en apportant sa vision du film d’horreur. Pour cela, comme d’habitude, il travaille dur. Embauche Diane Johnson, une spécialiste de la littérature gothique, pour écrire le scénario. Se renseigne sur les phénomènes para-normaux, fantômes, poltergeist, etc. Et en tire une conclusion toute simple, et pourtant inédite : les gens qui disent avoir vu des fantômes ne décrivent jamais des figures éthérées, avec un grand drap blanc, qui crient houhou ! Shining proposera donc des fantômes « normaux », qui ressemblent à vous et moi.

Et ce n’est pas parce qu’on est dans un « roman de gare » – excellent au demeurant – que Kubrick va renoncer à ses obsessions : au contraire, comme Shining est une œuvre simple, elle sera un véhicule encore plus idéal de la pédagogie Kubrickienne.

Le Masque
Chez Kubrick, tout fait masque. Le visage, grimaçant, ironique, rieur, ou chargé de conventions sociales, est présent dans tous les films du maître : le singe grimaçant de 2001, le sourire sardonique d’Alex ou de ses ennemis, la morgue de Lord Bullingdon, les 3 rôles de Peter Sellers dans Dr Folamour, la War Face du Soldat Baleine ou du Joker de Full Metal Jacket, tout est dit. Sans compter le nombre incroyable de vrais masques emplissant l’œuvre kubrickienne : les masques-pénis d’Orange Mécanique, les masques vénitiens d’Eyes Wide Shut, les masques des gangsters de L’Ultime Razzia

Shining, le livre, est très inspiré par Le Masque de la Mort Rouge, de Poe ; on trouve d’ailleurs ce masque, à un moment, dans un ascenseur de l’Overlook… Bizarrement, Kubrick s’est délesté de cette intrigue dans sa version de Shining. Peut-être parce que avec des acteurs comme Jack Nicholson, Shelley Duvall, ou même le jeune Danny Lloyd, on n’a pas besoin de masques ; ils sont des masques eux-mêmes. Danny, dans ses silencieux cris de terreur, face aux visons des sœurs Grady ou de l’ascenseur déversant des hectolitres de sang, Wendy dans son visage de Bugs Bunny desperate housewive, puis ensuite, de Bambi aux abois, et enfin, Nicholson, qui trouve certainement son apogée dans ce rôle, où il enchaîne les masques du début à la fin. Le masque de la conformité sociale (son entretien d’embauche), ses premiers sourires sataniques, sourcils en accent circonflexes (quand il raconte, avec une jouissance évidente, une histoires de cannibalisme à son fils), au masque du possédé (hurlant dans les couloirs déserts), au loup (dans ce rêve atroce où il prévoit le massacre de sa famille, son seul moment touchant du film), et enfin, évidemment, en masque de la mort blanche, zombie ridicule, car ridiculisé par sa propre descendance…

Le conte de fées
Thème spécifique à Shining, mais qu’on retrouvera aussi dans Eyes Wide Shut, le conte de fées est la préoccupation centrale du film. Durant sa préparation, Kubrick s’est beaucoup intéressé à Freud, et à La Psychanalyse des Contes de Fées de Bruno Bettelheim. Très classiquement chez Kubrick, le film aborde les thèmes habituels de la psychanalyse, mais ne propose aucune explication psychologisante quant aux agissements de ses personnages…

Mais ici, c’est le conte est omniprésent : Shelley Duvall en Petit Chaperon Rouge dans le labyrinthe, Danny en Petit Poucet camouflant ses traces dans celles de son père (je marche dans les pas de mon père ?), Jack jouant au Grand Méchant Loup (« Little pigs, little pigs, let me come in. I’ll huff and I’ll puff, and I’ll blow your house in ! ») Le film d’horreur, qu’est-ce d’autre qu’un conte de fées des adultes ? Kubrick comprend que cette histoire est universelle, comme les contes de fées : le père veut tuer le fils, de peur de perdre sa place auprès de sa femme, le fils doit le tuer le père pour survivre…

Les mythes grecs
Autant que de contes, Shining est nourri de mythes grecs, à commencer par Œdipe, évidemment, le fils qui tue le père… Comme dans Lolita, comme dans Barry Lyndon, l’enfant est l’obstacle de la vie de couple. Ici, on voit comment l’enfant-Shining, l’enfant qui brille, efface le père et accapare l’attention de la mère. Dans ce cas, il ne reste au père castré que désoeuvrement, boisson, et rêveries… Ce qui ramène vite vers les mythes ancestraux, Thésée-Danny et Ariane-Wendy luttant contre le minotaure dans le(s) labyrinthe(s) : « Cette cuisine est un vrai labyrinthe », dit Wendy à Halloran, le cuistot noir. « Vous n’aurez pas à vous en servir, Mrs Torrance ». En fait si, pour s’emparer de l’épée magique-couteau de cuisine… Mais il y a aussi Eros et Thanatos….

Le sexe
Thème Kubrickien par excellence, la sexualité est ici dans son rôle classique d’Eros : l’opposant, le complément à Thanatos : avoir peur pour être excité, ou avoir peur d’être excité ?

Au début de Shining, on ne pense pas que le sexe va être très important, vu le casting mis en place : Shelley Duvall n’est pas Debra Winger, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est même l’antithèse des grandes prêtresses Kubrickiennes : Lolita, les putes vietnamiennes de Full Metal Jacket ou Madame Cruise
dans Eyes Wide Shut… Non Shelley Duvall, c’est l’anti-femme : une petite fille, habillée n’importe comment, ou une mère un peu trop protectrice de son fils ; dans tous les cas, une hystérique… On comprend que son mari se réfugie dans l’alcool, ou, discrètement, mate les serveuses de l’Overlook dans le dos de sa femme.

Mais le problème est-il là ? Car on apprend plus tard, lors d’une conversation à bâtons rompus avec Satan lui-même (ou, Lloyd le barman, son avatar dans les Rocheuses), que Jack a des petits problèmes avec sa « banque du sperme »… Jack n’a donc pas que des problèmes de créativité… Et voilà l’homme impuissant, supplanté par son fils dans le cœur de sa femme, bientôt boiteux, qui cherche l’excitation là où il le peut… Dans le sport, en lançant bruyamment sa balle de baseball contre le mur (un appel à madame ?), ou dans ses fantasmes, qui se superposent bientôt aux fantômes de l’hôtel : la femme de la baignoire, l’ours câlin, etc.

Et il y aussi, de manière très appuyée, deux plans sur les pinups blacks de la chambre d’Halloran à Miami. Quel sens donner à ses plans, très insistants (deux fois le même mouvement de caméra, en champ contre champ, sur le cuistot couché sur son lit ? Quel sens, sinon, celui d’un homme sûr de sa sexualité ; Halloran est en effet l’homme fort de Shining, le vrai père, le vrai mari. Celui qui traverse les États-Unis, brave la tempête, et sera tué pour sauver Danny et Wendy. C’est l’ennemi à abattre pour Jack Torrance, le « nigger » dont parle Grady, le type qui peut te piquer ta femme et ton gosse… Grady, le type, qui lui aussi n’a pu contrôler sa femme et ses filles…

Le Mal

« Satan, prends pitié de ma longue misère… » Quand on veut réellement quelque chose, cela arrive. Envie de boire un coup dans un hôtel vide ? Pensez-y très fort, et le bar s’illumine, empli de bouteilles « pourtant enlevées pour des problèmes d’assurance »… Un bar étrangement éclairé comme l’enfer, par en bas, et tenu par un étrange mais aimable Bartender, Lloyd, ou Satan lui-même… Du whisky ? Pas de problème ! On the rocks ? Ça roule ! Combien je vous dois ? Mais rien monsieur, votre argent n’a pas cours ici… Dans le pacte faustien, on veut plus que quelques dollars : votre âme, tout simplement ! Et quelques missions à accomplir : « corriger votre femme et votre fils, Mr Torrance » comme l’explique Grady, lui qui a déjà signé, il y a dix ans, le pacte avec l’Overlook.**

Le miroir
Le miroir est une figure très présente dans Shining. Symbole de la Porte vers l’Autre Côté, il permet d’accéder à d’autres réalités. Danny parle à Tony, son alter ego imaginaire, via le miroir de la salle de bains de Boulder. Le miroir ouvre aussi les portes de la conscience : REDRUM ne prend du sens (« Murder ») qu’une fois vu à l’envers, c’est à dire de l’autre côté du miroir, là où précisément se trouve Tony, et d’où il envoie ses prédictions à Danny. C’est aussi dans un miroir que Jack comprend qu’il n’embrasse pas une très belle femme, mais bien le cadavre putréfié de la chambre 237. Et on peut y ajouter le troublant effet de miroir Torrance/Grady dans les toilettes, où les rôles de chacun s’inversent à ce moment là : Torrance peut maintenant « remplacer » Grady…

Les problèmes de communication
Antienne Kubrickienne : malgré tous nos moyens de communication, nous restons des animaux, soumis aux aléas et aux caprices de la nature. Wendy – qui ne communique plus avec son mari – cherche un peu de contact humain grâce à la radio de l’hôtel. Malgré l’attitude amicale des Park Rangers, ces échanges resteront vains, extrêmement codifiés (la répétition mécanique du mot « over »…)

Car malgré la technologie, tout cela ne sert plus à rien quand la mécanique se détraque : on pense alors aux messages glaçants, décalés dans le temps à cause de la distance, des astronautes-robots de 2001. Comme Wendy, ils essaient de rester humains en partageant un gâteau d’anniversaire virtuel à des millions de kilomètres de là… Ou à Dr Folamour, quand un misérable incident Kafkaïen ruine le tout-puissant système de télécommunications de l’US Air Force et détruit l’humanité toute entière…

A un moment ou à un autre, la technique vous lâche (HAL 9000, une machine à crypter sur un B-52, un ou deux transistors dans un poste radio à l’Overlook Hotel). L’homme retombe alors à l’état de nature, perdu dans les solitudes glacées de l’espace, des Iles Aléoutiennes, ou des Montagnes Rocheuses…

Les relations sociales
C’est une figure de style, un passage obligé de l’œuvre kubrickienne… La complexité, la rigidité, l’extrême codification des relations sociales… Une préoccupation constante, étonnante chez ce fils de bourgeois, probablement pas si intégré que ça dans le New York des années 40… Barry Lyndon, Eyes Wide Shut sont centrés sur ce thème (comment accéder aux strates supérieures de la société ? quels usages respecter ? quels sésames, quels mots de passe pour appartenir cette noblesse supérieure ?) D’autres films comme Shining, se contentent de l’évoquer. Ici, tout commence dans l’entretien de recrutement ; Jack Torrance joue le jeu de la convivialité, s’efforce de ne donner que les réponses attendues, bref il se « conforme ». En face, pourtant, on lui tient un discours de franchise : « quelqu’un s’est déjà suicidé dans cet hôtel, vous êtes sur que vous tiendrez le choc ? » Mais non, passage obligé du film d’horreur, Torrance élude le problème « Ma femme adore les films d’horreur… » On notera dans cette scène le dispositif en triangle, un classique chez Kubrick : le manager, Ullman, parle à Nicholson. Dans un coin, un personnage subalterne se tait, et observe Torrance comme un insecte. Cette scène existe plan pour plan dans Orange Mécanique : l’écrivain parle à Alex (dont la nourriture est droguée) ; une femme, dans un coin, l’observe. Quel est leur rôle, si ce n’est souligner les ambiguïtés des liens sociaux ? Qui fait quoi ? Malgré la franchise, les sourires en coin, l’apparente décontraction, qui va manger qui ? Retour à la nature, au territoire, à la bestialité ? Shining est l’écrin parfait pour cette thématique-là…

L’auteur
Terminons par la thématique la plus importante, et la plus troublante sûrement, de Shining, celle de l’auteur, et de la créativité. Troublante, car on ne peut s’empêcher d’y voir la projection de l’ego angoissé de Kubrick lui-même, d’autant que cette thématique est unique dans l’oeuvre de Kubrick. Aucun autre film ne s’est penché sur les mystères de la création artistique, et il n’existe aucun personnage, dans toute l’oeuvre SK, si ce n’est le terrifiant Jack Torrance, pour représenter l’Artiste…

Alors pourquoi ? Stanley Kubrick vit-il un passage difficile à ce moment-là, comme nous le supposions dans l’introduction ? Est-il lui aussi emmuré dans son manoir, cherchant une inspiration qui ne vient pas, après l’échec de Barry Lyndon ? Se trouve-t-il un frère dans ce « petit roman de gare » ? est-il lui aussi, entrain de jeter une balle de toutes ses forces, de tout son désespoir contre les murs de son Overlook personnel ? Rappelons une anecdote connue : entre deux films, Kubrick travaillait seul dans son bureau, et lisait des pléthores de livre en vue d’une prochaine adaptation… Il ne lisait en fait que les premières pages, convaincu qu’il pouvait se faire une idée très rapidement de l’intérêt du livre. Si celui-ci ne lui plaisait pas, il le jetait bruyamment contre le mur. « Quand je n’entendais plus de « bong » caractéristique pendant vingt minutes, je savais que le prochain film de Stanley Kubrick était en route » raconte sa femme…

Difficile de ne pas faire le rapprochement entre Jack Torrance, sa femme et son fils, enfermé dans un gigantesque hôtel désert, visité par les fantômes, et Kubrick le « reclus » volontaire de Childwickbury, son manoir anglais, entouré de sa femme et de ses filles. Lui aussi essaie d’écrire (rappelons également qu’il n’y a AUCUN scénario écrit par Kubrick, que des adaptations, souvent écrites à quatre mains). Lui aussi est sûrement ennuyé par les interruptions de sa femme, de ses filles, lui aussi a peut être envie de les « corriger », lui aussi est visité par tous les fantômes qu’il a lui-même créé, Alex, Dr Folamour, Lord Bullingdon, Hal 9000, …

Cette vision terrifiante de la création ne laisse d’interroger. Torrance s’ennuie, Torrance meugle comme un loup, bave, retape sans arrêt « All work and no play makes Jack a dull boy** », mais n’arrive a rien sur son roman, si ce n’est à susciter les commentaires incompétents de sa femme « ce qu’il faut c’est travailler un peu tous les jours ! »… A la fin, Jack va fournir sa plus belle création : une galerie de personnages terrifiants, un hôtel hanté, des fêtes, une femme en petite tenue, tout est là, dans sa tête, et ne demande qu’à éclore du labyrinthique cerveau du créateur…

Une image splendide est là pour le rappeler ; tandis que Wendy et son fils explore pour la première fois le labyrinthe végétal de l’hôtel, jack contemple la maquette de celui-ci dans le hall de l’hôtel. En une coupe, Kubrick passe de la maquette à un plan vertical, irréel, vu d’oiseau, du vrai labyrinthe ; en tout petit, deux silhouettes s’animent, Wendy et Danny : « Nous sommes arrivés ! »

Car toute cette histoire ne se passe-t-elle pas seulement à l’intérieur du cerveau torturé de l’écrivain ? Ce qui fit notamment le succès du film à sa sortie, ce sont les ambiguïtés du film : Torrance devient-il fou d’isolement, ou l’hôtel est-il hanté ? Brutalise-t-il son fils, ou est-ce l’œuvre de la femme de la chambre 237 ? Grady existe-t-il, ou Jack n’est-il qu’une énième incarnation, comme semblerait le prouver l’énigmatique photo finale, montrant Torrance présent au bal du 4 juillet … 1921 ?

Ou Jack a-t-il simplement, en mourant, rejoint la fête éternelle de l’hôtel Overlook ?

A-t-il rejoint son « Home », comme le chante Henry Hall et son Gleneagles Hotel Band, en lointaine musique de fond, comme perdu dans l’espace, en contrepoint de la fameuse scène des toilettes ?

*Stephen King se vengera en se démolissant Shining, le film, dans la presse américaine, avant de se raviser, vu le carton au box office. Des années plus tard, toujours plein de bile, il dirigera « son » Shining, une tentative pathétique d’adaptation ultra-fidèle et donc, parfaitement ratée !

**Pour le fun, on notera aussi que cette scène se déroule dans une pissotière incroyablement reconstituée aux Studios Shepperton. Pourquoi des toilettes ? Pourquoi celles-là ? Autre coïncidence troublante, Grady qui apparaît dans ces toilettes, s’est suicidé en se mettant un fusil dans la bouche. 7 ans plus tard, dans Full Metal Jacket, le Soldat Baleine fait la même chose… Dans les toilettes de la caserne des Marines… Fantasme morbide de Stanley !?

*** autre mystère : qui a tapé ces milliers de ligne à la machine ? Stanley lui-même, ou un obscur assistant ? on peut se poser la question, quand on voit que ces dizaines de pages sont adaptées dans la version française « Un Tien vaut mieux que deux tu l’auras »…




dimanche 30 janvier 2011


Antichrist
posté par Professor Ludovico

J’ai toujours été fan de Lars von Trier, mais depuis quelques années, je ne vais plus voir ses films. Depuis Dogville, très exactement, formidable exercice graphique (pas de décor, juste les murs dessinés au sol), mais message trouble, pour ne pas dire malsain (« réglons nos problèmes en tuant tout le monde », je vous la fait courte…)

Mais sinon, Lars von Trier est un grand formaliste (le coup d’éclat Element of Crime, la confirmation Epidemic, puis Europa), un grand dramaturge (Breaking the Waves, Les Idiots), un auteur comique (Les Idiots, L’Hopital et ses Fantômes), et aussi un spécialiste du film d’horreur : L’Hopital, et ici, Antichrist)…

C’est aussi un artiste conceptuel : la ville-plan de Dogville, les 120 caméras numériques de Dancer in the Dark, le « Dogme »… Il réitère ici avec Antichrist, qui laisse pantois.

Est-on, en effet, face à un drame psychologique (un couple essaie de se reconstruire suite à la mort de leur enfant), à une fable sataniste (Charlotte Gainsbourg en sorcière hystérique, face à William « Jesus Christ » Dafoe, ou à un récit biblique : Adam et Eve face au péché originel ? Selon les uns ou les autres, on jugera Lars von Trier confus, ou malin. Car évidemment, il n’apporte aucune réponse à ce genre de questions. Il en ressort néanmoins, que le film est plutôt ennuyeux, rappelant le pire des films des années 70 : couple hystérique, séquence cul ou gore (ou les deux) au bord du grand guignol…

Il restera quand même des images d’une incroyable beauté (le prologue au ralenti extrême, combinant la mort du fils et le couple faisant l’amour, les scènes magiques dans la forêt, le tout alternant la vidéo HD avec des images cinémascope d’une pureté absolue…)

A voir comme un tableau…




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