[ A votre VOD ]

Commentaires et/ou Conseils d’achat de DVD – Peut dégénérer en étude de fond d’un auteur



jeudi 9 janvier 2014


Amour
posté par Professor Ludovico

Le festin nu. Quand on lui demandait d’expliciter l’énigmatique titre de son chef d’œuvre, William Burroughs répondait qu’il s’agissait de « cet instant pétrifié et glacé où chacun peut voir ce qui est piqué au bout de chaque fourchette » ; la réalité, dans sa plus cruelle vérité.

Voir les choses telles qu’elles sont, les montrer sans faux semblants, c’est depuis toujours le programme de Michael Haneke. Violence enfantine (Benny’s Video), violence domestique (Code : Inconnu), violence de la fin du monde (Le Temps du Loup), violence du cinéma US (Funny Games) : la cruauté de la réalité, c’est l’œuvre majeure de Haneke. Filmer sans fard le couple, l’enfant, les immigrés et les bourgeois, la bestialité des rapports humains, le fascisme qui monte, c’est le rôle aride que s’est assigné le cinéaste autrichien.

Il revient aujourd’hui avec Amour, après quelques films décevants (La Pianiste, le remake US de Funny Games). Un film qui propose le même regard acéré sur la vieillesse, la maladie et la mort. Ce programme électrisant et fun est confié à Jean-Louis Trintignant (sûrement notre plus grand comédien vivant) et Emmanuelle Riva.

Dans la première moitié du film, l’actrice de Hiroshima Mon Amour n’est pas très bonne. On comprend le choix Hanekien de ces deux professeurs de musique, bourgeois et cultivés, mais Riva a du mal à tenir la rampe en prof de musique octogénaire, sèche comme un coup de trique. Sa diction empruntée, ses « tandis » et autres « parfois » sonnent faux. Mais dans la deuxième partie, l’AVC, la maladie, l’alitement, elle est extraordinaire. Jouer à 86 ans les ravages de l’âge, la diction imprécise, la folie, le refus de se nourrir est tout simplement inouï.

En face de ces deux monstres, même Isabelle Huppert sonne faux ! Car l’actrice fétiche de l’autrichien (avec Binoche) est en dehors du monde Haneke ; elle croit encore en ces choses vaines que sont l’espoir, la rédemption, le progrès. Depuis Le 7ème Continent, son premier film, Haneke ne croit plus à rien. Et il assassine son personnage féminin en une scène cruelle. Huppert discute avec son père (Trintignant) ; elle pense que l’état de sa mère va s’améliorer, qu’il faudrait rencontrer un autre médecin, avoir un deuxième avis. Qu’il faudrait qu’ils aient, enfin tous les deux, une conversation sérieuse. Et Trintignant est évidemment le casting parfait pour lui apporter la réplique. Pour qui se prend-elle, cette quinqua bobo qui explique à son père ce qu’il doit faire ? Il a trente ans de plus, évidemment qu’il a déjà pensé à tout cela ! Il a vu un autre médecin, et l’état de sa femme ne va pas s’améliorer. Et Trintignant place sa banderille finale ; c’est la Grande Scène. « Sérieusement ? Tu veux qu’on parle sérieusement de l’état de ta mère ? Alors parlons sérieusement. Son état va aller de mal en pis. Et puis un jour, elle va mourir. Alors qu’est-ce que tu proposes sérieusement ? Tu veux prendre ta mère chez toi ? Tu veux la mettre à l’hôpital ? Parce que justement, je lui ai promis qu’elle n’irait plus à l’hôpital. Je vais la garder ici et je vais m’en occuper jusqu’au bout, comme promis… »

Amour annonce, et c’est une bonne nouvelle, le grand retour de Haneke. Qui signe aussi son film d’un dernier plan parfait ; Isabelle Huppert, seule, dans l’appartement vide de ses parents. Qui s’assoie dans un fauteuil. A la place du père, parce qu’il n’y a pas d’autre place possible : nous referons le chemin de nos parents.

Le festin, nu.




lundi 6 janvier 2014


White Tiger
posté par Professor Ludovico

Le cinéma russe, c’est quelque chose ! Quelque chose d’indéfinissable, quelque chose d’incompréhensible au CineFaster, habitué à la grammaire du cinéma US.

Ici, dans Belyy Tigr, des plans interminables. Comme dans Stalker. Des regards caméra, comme dans Requiem pour Un Massacre. Des répétitions, comme dans Stalker ou Requiem pour Un Massacre.

Ce Tigre Blanc est un film nationaliste (et même militariste, soutenu par le gouvernement et l’armée de la Fédération Russe), qui glorifie encore et toujours la Grande Guerre Patriotique, c’est-à-dire la lutte contre le nazisme sur le Front de l’Est. Avec un soupçon de fantastique, d’ailleurs : Naïdenov est un tankiste grièvement brûlé dans son char lors d’un combat. Il va mourir. Mais non, il s’en tire. Avec un drôle de don : il parle aux chars. On va le renvoyer sur le front à la chasse au tigre, un Tiger IV* allemand qui détruit tous les chars russes qui ont le malheur de passer dans sa ligne de mire, et disparaît aussi mystérieusement qu’il était venu.

A partir de cet argument mystico-militaire, Karen Shakhnazarov tire malheureusement un film longuet dont émergent quelques moments poétiques, ou terrifiants, comme ce monologue final d’Hitler, supputant que sa mission sur terre était de détruire les juifs et le communisme, le sale boulot dont toute l’Europe rêvait… Ce qui n’est – malheureusement – pas faux historiquement.

Dommage que le film soit si ennuyeux.

* Selon mon expert personnel, Lieutenant Jeg, du 507ème Régiment de Chars de Combat




dimanche 15 décembre 2013


Anvil: The Story of Anvil
posté par Professor Ludovico

C’est peut être, comme la dit le critique du Times, « le plus grand film jamais réalisé sur le Rock’n’Roll » ; une chapelle élevée par un fan (Sacha Gervasi, auteur du bof-bof Hitchcock) pour son groupe fétiche. Un hommage à l’essence même du rock, ce mélange détonnant de célébrités apocalyptiques et de destins brisés. Elvis et Vince Taylor. Chuck Berry et Buddy Holly. Les Rolling Stones et Brian Jones. Metallica et Anvil.

C’est quoi l’histoire éternelle du rock ? Deux mecs qui se rencontrent à 15 ans, pas bien dans leur peau, nuls au foot, pas trop à l’aise avec les filles… et qui par conséquent décident de remédier à cela. Stockent des barils de lessive pour se monter une pseudo batterie. Branchent une vieille guitare sur un téléviseur cassé qui fera office d’ampli. Et qui montent un groupe, comme des milliers d’autres adolescents dans le monde.

Après c’est la règle du TTC : du Talent, du Travail, de la Chance. Du talent, parce que c’est peut-être facile de jouer de la guitare, mais il faut quand même apporter quelque chose de nouveau à son art : demandez aux Sex Pistols. Du travail, parce que malgré l’image de glandeurs au bord de la piscine, il faut des heures de répétition stériles pour sortir un son : demandez à Keith Richards. Des nuits entières passées dans des minibus glacés : demandez à Joy Division. Et de la chance, beaucoup de chance : demandez aux groupes qui ont du talent, ont beaucoup travaillé, et n’ont pas percé. Demandez à Anvil.

Anvil, c’est un groupe qui perce au début des années quatre-vingt en pleine New Wave of British Heavy Metal. Pas vraiment la tasse de thé du Professore (cheveux trop longs, idées trop courtes), mais bon ! Anvil sort un premier album qui déchire, 2 ou 3 bonnes chansons (Metal on Metal) un look bondage bien provoc ; bref tout ce qu’il faut pour réussir en cette période où Saxon, Iron Maiden, Def Leppard règnent sur la planète.

Anvil : The Story of Anvil, le doc de Sacha Gervasi commence comme ça : un concert tonitruant au Japon en 1984, avec Scorpions et Whitesnake. Puis le Gotha du métal défile devant la caméra : Slash (Guns’n Roses), Tom Araya (Slayer), Lemmy (Motörhead), Lars Ulrich (Metallica). Pour débiter les âneries habituelles du docu rock complaisant : superlatifs et compliments laudateurs sortis de la photocopieuse : « les inventeurs du heavy metal », « le meilleur batteur de tous les temps », « amazing live performance »… Mais voilà, Anvil était un grand groupe, qu’est-ce qu’il leur est arrivé ? Le grand Lemmy donne la réponse : « You have to be at the right place at the right time. If you don’t… »

Commence alors une plongée extrême dans les enfers du rock. Le groupe existe toujours à Toronto. Il ne reste que le chanteur et le batteur. Le premier, Lips, livre des repas à la cantine du voisinage ; l’autre (Robb Reiner, rien à voir avec l’auteur de Princess Bride) gagne sa vie en menus travaux de maçonnerie. N’empêche qu’Anvil joue toujours. Les deux amis d’enfance ont trouvé d’autres musiciens, plus jeunes, et consacrent leurs vacances à tourner. Tourner, toujours tourner, à chaque fois que c’est possible dans cette tragi-comédie du rock’n’roll : club minable à Prague, gymnase rempli à 10% en Transylvanie (sic), festival en Suède face à d’autres qui ont réussi… Les clichés du rock ont la vie dure : une manager à la ramasse, des trains ratés qui se transforment en heures de sommeil sur le marbre glacé de gares européennes dont on a oublié le nom. La légende du rock ? Oui, quand on parle de groupes qui débutent ; les Beatles à Hambourg, Nirvana qui fait des ménages pour se payer des guitares, les Rita Mistouko qui dealent et tapinent avant de percer… Mais quand il s’agit d’hommes de cinquante ans que le succès a refusé d’honorer, cela tourne au tragique.

Une scène magnifique vient éclairer le personnage de Lips Kudlow, le chanteur. Ses frères et sœurs viennent témoigner sur leur petit frère. A front renversé des clichés du rock – dont la mythologie exige qu’il soit le passeport du prolétariat pour une vie meilleure – toute la famille Kudlow a réussi : comptable, femme d’affaires, endocrinologue ; seul le petit frère s’est gaufré. Une forme d’embarras se dessine alors, teinté d’affection. Dans le même genre, le témoignage des épouses Kudlow et Reiner, coiffées comme en 1984, il ne leur manque que le pantalon rayé rouge et blanc. Trente ans qu’elles se coltinent les traites du pavillon de banlieue, alors qu’elles ont frôlé la vie de Sharon Osbourne ou de Linda McCartney.

Anvil : The Story of Anvil met le doigt sur la réalité de l’art ; les milliers qui échouent pour que quelques-uns réussissent. Bien sûr, nous sommes nombreux à avoir voulu percer un jour dans le showbiz, être acteur de cinéma, chanteur d’un groupe punk, animateur de télé. Ce rêve existe encore, c’est ce que vend tous les jours la téléréalité… Mais un jour, on comprend que ce rêve ne sera pas accessible, et que le confort d’un boulot nine to five n’est pas l’enfer qu’on s’était imaginé. La tragédie d’Anvil est toute autre ; ils ont tutoyé les sommets et en sont redescendus. Ce drame-là est intense.

Le film a été nominé dans la catégorie « Truer Than Fiction » d’un festival de films indépendants.

Truer than fiction. On ne saurait mieux dire.




jeudi 21 novembre 2013


Dredd
posté par Professor Ludovico

Et de deux.

Deuxième film raté sur les aventures du Judge. Deuxième film, après celui de Stallone en 1995, qui passe à côté de la BD de John Wagner et Carlos Ezquerra*. Judge Dredd est une satire, amis cinéastes ! Pas un film d’aventures. Pas un film d’action hard-boiled. C’est tout le contraire, même, c’est leur parodie ! Un metteur en scène a compris Judge Dredd, c’est Paul Verhoeven, et son Robocop n’est qu’une adaptation déguisée.

Un peu d’histoire. En 1977, 2000 A.D. publie les premières aventures de Judge Dredd. Philippe Manœuvre – à l’époque brillant rédac chef de Métal Hurlant (il a 23 ans !) – les achète pour les publier dans le mensuel. Il réalise même une adaptation radiophonique pour sa délirante émission de France Inter, Intersideral**.

C’est ainsi que nous découvrons les aventures du Judge. Et feuilletons Métal chez le libraire(c’est moins cher), pas loin du lycée de Rambouillet. Puis mettons nos économies de côté pour l’acheter plutôt que se procurer le dernier album des Dogs***. Et dévorons les aventures du Judge.

Le pitch ? Le même que celui du film. En 2099, la terre a été ravagée par une guerre nucléaire. C’est la Terre Maudite (Cursed Earth). La population s’est réfugiée dans une gigantesque mégapole, Mega City One, qui va de New York à Boston. La criminalité y est endémique. Pour y répondre, on a créé les Judges, au programme Sarkozyste avant l’heure : Flic, Juge, et Bourreau dans un seul homme. La justice est rendue en deux minutes, c’est quand même plus efficace, et ça coûte moins cher au contribuable. Les Judges ses déplacent sur de gros choppers un peu ridicules, et ils sont casqués : on ne verra jamais le visage du Judge Dredd. Au fil de ses aventures, Dredd poursuit les crimes, tous les crimes, meurtre en série ou franchissement au feu rouge. Combat les punks, les mutants, les excès de vitesse et les Cocos. Et applique la sentence. Car, comme il le répète au fil des pages : « I’m the Law ». Ou comme l’admettent volontiers les contrevenants « Il est dur, mais il est juste ! »

On l’a compris, Judge Dredd est une parodie de l’implacabilité, une claque à Dirty Harry et autres Justicier dans la Ville. Une parodie qui propose des méchants délirants (mention spéciale au Judge Death, un ancien juge devenu zombie, ou le Tyran Cal, un autre Juge façon Caligula qui s’entoure d’hommes-crocodiles pour sa garde rapprochée). Dredd, c’est aussi des dialogues décalés (« There is no justice, there is just us », et des aventures ubuesques (les Jeux Olympiques sur la Lune). L’unique objectif semble être de se payer une certaine morale conservatrice, à base d’œil pour œil et de dent pour dent.

Dredd, la nouvelle tentative d’adaptation de Pete Travis ne comprend pas mieux que la version Stallone ce qu’est Judge Dredd. Graphiquement, cette nouvelle tentative est magnifique, notamment les scènes avec la drogue slo-mo. Mais Travis n’a rien compris au Judge Dredd. Son scénario prend au sérieux Mega City One et ses habitants (dans la BD, le populace qui accepte cette justice expéditive est autant vilipendée que les Judges).

Dredd nous propose donc le spectacle très sérieux de narcotrafiquant ayant pris une cité en otage. Malgré le casting de luxe, ces narcos ne dépareraient pas dans un nanar des années 80, au hasard, Commando. Lena Headey (ma chérie de Game of Thrones), Wood Harris (Avon Barksdale, qu’est tu venu faire dans ce bousier, on était si bien à Baltimore !) surjouent la méchanceté comme il y a trente ans: « TUEEEEZ-LE !!! » avec des capitales et des points d’exclamations à chaque phrase. Les scènes de combat sont pas mal, mais comme dans Commando, assez répétitives, vous voyez le genre : deux trafiquants font les malins, ils répètent à qui veut l’entendre qu’ils vont buter le Judge, mais Dredd les bute. Puis on passe à deux autres trafiquants, qui répètent qu’ils vont buter le Judge, mais Dredd les bute. Etc., etc.

Ces épisodes étant irrémédiablement conclus par une phrase définitive du Judge, en ligne droite de la BD : « Negotiation’s over. Sentence is death ».

Mais comme toute intention comique a disparu, elles provoquent plutôt le malaise.

Car ce peut être un choix d’adapter la BD sérieusement ; c’est la liberté de tout artiste. Mais dans ce cas, la thématique devient plutôt rance, et moi, spectateur, je n’ai pas envie de voir ce film-là. C’est d’ailleurs exactement ce qui se produit : Dredd le film finit par développer des thématiques malsaines typiquement américaines (alors que le film est anglo-sudafricain) : viol fantasmé d’une petite blonde par un grand black, puis vengeance féminine ad hoc : un coup de dents mal placé, là où justement le fantasme était placé (cf. affaire Bobbitt.)

Vous vous en doutez : à la fin, le Judge gagne. Comme dans les BD. Mais sans nous avoir fait rire. Peter Travis n’a pas compris qu’ils filmait une comédie.

*Personnellement je préfère la partie dessiné par Brian Bolland
** Peut-être la seule émission de radio au monde à avoir proposé des parties de jeux de rôles en direct avec ses auditeurs !
*** Too Much Class For The Neighborhood




mardi 12 novembre 2013


Magic Mike
posté par Professor Ludovico

Steven Soderbergh est parfois traité de faiseur ; un cinéaste qui ferait des films sans chercher l’homogénéité d’une œuvre.

C’est tout le contraire : Soderbergh est quelqu’un qui tente, un expérimentateur : capable du classicisme télé le plus ennuyeux dans Ma Vie avec Liberace, grand expérimentateur dans Solaris ou Girlfriend Experience.

Ici, pas d’innovation extraordinaire, juste quelques bonnes idées de cadrage, et un joli travail sur les couleurs : jaune-rouge-bleu. On est à Tampa, en Floride, et il fait chaud : ceci expliquant cela. Mais plutôt une originalité globale qui donne un coup de frais dans le cinéma US actuel.

Depuis toujours, Soderbergh est un cinéaste engagé, du style qu’apprécie le plus le Professore : discret. La lutte contre la drogue (Traffic), la montée du Terrorisme (Syriana, qu’il a seulement produit mais dont la patte est toute soderberghienne), le capitalisme pollueur (Erin Brockovich) : chacun de ces thèmes a toujours été traité avec beaucoup de finesse et de distance.

Ici, l’auteur de Sexe Mensonges et Vidéo ne s’attaque à rien de moins que la crise de l’Amérique, habilement camouflée, mesdames, sous un film de chippendale. Oui, vous avez bien lu. Karl Marx meets The Full Monty. Habituellement, on reproche au cinéma d’action, au jeu vidéo, aux clips, une utilisation dégradante du corps de la femme. Magic Mike propose un pendant féminin : des corps de beaux mecs musclés, et c’est tout aussi dégradant, tout aussi putassier, et ça marche évidemment. Qui n’a pas envie de voir Channing Tatum à poil ? tapez dans Google, vous comprendrez pourquoi. Ou même Alex Pettyfer, l’acteur qui joue le Kid, un gamin qui cherche du travail, et qui en trouve, au black, dans le bâtiment. Première indication : on n’avait pas filmé des ouvriers exploités et des patrons tricheurs comme ça depuis les années 70, Cinq Pièces Faciles par exemple, de Bob Rafelson. Dans cette Amérique qui se délite, on triche sur les impôts, on paie les gens au noir, et on menace de les virer à la moindre incartade. Et pour grimper dans l’échelle sociale, on fait trois boulots à la fois : couvreur, décorateur d’intérieur et… Chippendale. C’est là que le Kid rencontre un autre ouvrier, beau, fort, musclé et sûr de lui : Magic Mike (Channing Tatum). Mike est chippendale la nuit dans le club de Dallas (extraordinaire performance de Matthew McConaughey) et lui propose d’arrondir ses fins de mois en participant au spectacle.

L’originalité de Magic Mike, le film, c’est de magnifier ces danses érotiques tout en suscitant un léger dégoût : au début c’est sympathique, mais paradoxalement, c’est à l’arrivée, après la première demi-heure du film, du personnage féminin (Brooke, la sœur du Kid) que le film bascule. Brooke est inquiète pour son frère, elle ne veut pas qu’il fasse ce job, il a déjà lâché un boulot prometteur. Magic Mike promet de le protéger, mais…

La moue boudeuse de Brooke (Cody Horn, à qui le Professore promet une belle carrière dans le cinéma) nous fait brusquement changer d’avis : ces danses, même dans le regard d’une femme ne sont que l’exploitation des corps, et ces chippendales ne valent pas mieux que des stripteaseuses. Ce n’est pas moins glauque qu’un peep show, et c’est la performance du film, de les présenter comme on présente habituellement le striptease féminin. Face à l’attendrissement ou l’amusement Full Monty, nous ressentons de la pitié, du rejet, du dégoût, comme pour les filles du Bada Bing, le strip club de Tony Soprano.

Dans le même souci d’inversion, Soderbergh filme l’histoire d’amour qui nait entre Brooke, cette fille toute simple, jolie, sans plus, et Magic Mike, bombasse mâle apparemment inaccessible, objet sexuel à qui pas grand monde ne résiste. C’est pourtant Mike qui va ramer, avec un réalisme et une légèreté qui fait beaucoup de bien dans le cinéma américain.

Du cinéma de faiseur comme celui-là, Ludovico veut bien en manger tous les jours…




samedi 2 novembre 2013


Gatsby le Magnifique
posté par Professor Ludovico

Baz Luhrman a toutes les cartes en main pour tenter, après 4 tentatives (dont une avec Robert Redford dans le rôle-titre), d’adapter l’inadaptable, à savoir le chef d’œuvre maudit de Scott Fitzgerald : The Great Gatsby. 100M$ de budget, 3 super-acteurs (Di Caprio, Maguire, Mulligan), une chef déco qui a dû vivre dans les années 20 (Catherine Martin, aka Mme Baz Luhrman), un producteur plein aux as et teen credible (JayZ), et Sim City 1925 pour récréer le Long Island des Années Folles.

Dès le départ, Baz Luhrman marque déjà un point : son Gatsby est compréhensible. Après avoir lu le livre, et vu le film de Redford, il m’a fallu enfin celui-là pour comprendre l’intrigue de Gatsby le Magnifique. Certes, celle-ci est écrite au crayon gras et surligné au stabilo rose par le cinéaste australien ; c’est lourdement pédagogique, signifiant et sursignifiant. Au cas où vous n’auriez pas tout assimilé, Carraway (Tobey Maguire) vous explique en voix off ce qu’il y a à comprendre : « Là, Gatsby est triste, et là, ma cousine est triste aussi. » Mais comme chacun sait, Baz est un athée du cinéma ; il ne croit pas que le cinéma ou les comédiens peuvent dire des choses en silence dans un plan fixe de plusieurs secondes, et il cache donc son manque de foi derrière un montage saccadé estampillé djeune.

Certes, Luhrman s’est assagi par rapport au roller coaster Moulin Rouge, et il faut avouer que cette énergie convient ici parfaitement au propos swing du film et à ses héros surexcités de ces roaring twenties. Sex, whisky and jazz. Car c’est bien de cela dont parle Fitzgerald, cette jet set qui se défoule d’une Première Guerre Mondiale à laquelle – dans sa grande majorité – elle n’a pas participé. Sauf Gatsby, justement.

Luhrman aime filmer des fêtes orgiaques, et ça, il sait faire (Moulin Rouge). Il sait aussi coller de la musique actuelle (rap, funk, techno) sur ces fêtes jazz, et ça ne passe pas mal du tout.

Le design est parfait – comme d’habitude – mais oblige Luhrman à filmer chaque cafetière en gros plan, ce qui lui fait évidemment qu’il y a des personnages derrière ces tasses de café. Comme chez Ridley Scott deuxième période, ou chez Jean-Pierre Jeunet, autre accessoiriste maniaque, on est dans du cinéma de décorateur.

Que reprocher alors ? Le simple sentiment que le film ne m’est pas adressé. Une sorte de film pédagogique pour ado, Gatsby le Magnifique expliqué aux teenagers. Un film pour les écoles.




dimanche 20 octobre 2013


Cogan, deuxième
posté par Professor Ludovico

Cogan, Killing Them Softly passe en ce moment sur Canal+. Ce qui veut dire, en clair, que quand vous aurez fini d’admirer le PSG ridiculiser ses adversaires de Ligue2 à coup de d’ailes de pigeon Ibrahimoviciennes, vous avez pour mission de regarder le chef d’œuvre d’Andrew Dominik.

104 minutes de polar old school avec peu de coups de feu, mais ceux-ci, le Professore vous le garantit, seront intenses. 104 minutes de performance d’acteurs tous plus extraordinaires les uns que les autres, dont, tout particulièrement, celle de notre regretté James « Tony Soprano » Gandolfini. 104 minutes d’une mise en scène parfaite, esthétisante mais d’un classicisme extrême. 104 minutes sur fond d’élection d’Obama, pour comprendre ce qu’est l’Amérique, et ce qu’elle devient, pour le meilleur et pour le pire.




lundi 14 octobre 2013


Le Faucon Maltais
posté par Professor Ludovico

Jouer à LA Noir, le GTA raté à la sauce Ellroy, c’est l’occasion de faire découvrir aux jeunes les fabuleux films noirs qui en sont l’inspiration principale. À tout seigneur, tout honneur : Le Faucon Maltais, le chef d’œuvre du jeune John Huston.

Si ce Faucon est le parangon du polar, c’est que les qualités du livre de Dashiel Hammett se retrouvent projetées dans le film. Cette poursuite rocambolesque d’un faucon en or massif ayant appartenu aux templiers, et excitant les convoitises d’une femme et de trois hommes, n’est que le prétexte d’une étude de caractère. La menteuse égoïste (Mary Astor en Brigid O’Shaughnessy), le levantin oblique (inoubliable Peter Lorre), le bouffi dégénéré (Sydney Greenstreet) et évidemment, le privé hard boiled : Humphrey Bogart.

On se désintéresse vite de comprendre quoique ce soit à l’intrigue (dans Le Grand Sommeil, personne, de l’écrivain au scénariste, ne fut capable d’expliquer l’intrigue) ; mais on se passionne pour ces êtres vils, poussé par l’avidité et la violence, qu’aucune justification psychologique ne vient légitimer. Il n’y a pas de héros dans les bas-fonds, seulement des bêtes qui veulent sauver leur peau dans la jungle, à l’image du retournement final.

Entre temps, on se sera préoccupé de la température d’un slip féminin, on n’aura pas pleuré la mort d’un associé – mais on cherchera à le venger par principe (et par principe seulement) – et on balancera le maillon faible aux flics, le pédé, comme l’appelle Sam Spade, pour sauver la peau des autres voyous.

A la fin, le spectateur contemple ce champ de ruines, où – selon la célèbre dernière réplique qui plagie Shakespeare – il ne reste que l’étoffe dont on fait les rêves.




vendredi 11 octobre 2013


Chroniques de Tchernobyl
posté par Professor Ludovico

Petit film de survival horror mal fait mais distrayant, Chroniques de Tchernobyl est surtout regardable pour son formidable décor, Prypiat, la ville fantôme évacuée en 24 heures après la fameuse nuit du 26 avril 1986.

Selon mes informations (tenues directement d’un premier assistant qui a travaillé sur un autre film – plus sérieux – tourné là-bas (La Terre Outragée)), on peut se promener sur place et même y tourner des films ; il faut juste ne pas traîner à l’intérieur des bâtiments (à cause de la poussière) ou s’adosser aux murs, toujours contaminés.

C’est exactement ce que font ces pauvres américains en goguette, se payant un petit frisson d’occidentaux biens nourris en louant les services de Yuri, un Ukrainien qui propose des virées extreme tourism. Ça devient bien extrême, effectivement, quand le combi tombe en panne (ah ces russkofs, s’ils avaient des pick up Chevrolet !), que la nuit tombe et que l’on entend de drôles de bruits dehors. Evidemment, on se sépare en deux groupes (il ne faut JAMAIS se séparer en deux groupe !) et tout ce petit monde finira par se faire boulotter, un par un comme il se doit, jusqu’à la scène finale. Une scène finale, elle, plutôt réussie.

L’histoire n’est pas idiote, mais côté slasher movie on a vu mieux fait (La Colline A Des Yeux version Aja), plus drôle (Meurtres à la Saint Valentin), avec des personnages mieux écrits (Scream). Non, le principal intérêt de Chroniques de Tchernobyl tient dans ces vrais décors abandonnés (dont un manège d’enfant qui hantera longtemps nos souvenirs de cinéphiles), ces vieilles salles des fêtes soviétiques, et ces bunkers souterrains désaffectés.

C’est ce réalisme qui sauve Chroniques de Tchernobyl de sa médiocrité et qui vous autorise à y jeter un coup d’œil, si vraiment, vous n’avez pas mieux à faire.




mardi 8 octobre 2013


Les Femmes du Bus 678
posté par Professor Ludovico

Une fois qu’on a dit le superficiel, c’est à dire que le film de Mohamed Diab, n’est pas très bien joué, cadré à l’arrache et volontiers outrancier, on a les yeux ouverts pour voir ses qualités. Un BOATS émouvant, décillant façon Farhadi, et d’une certaine manière prémonitoire sur les événements égyptiens.

Le pitch : trois destins qui se croisent, façon Amours Chiennes, autour d’une place, au Caire : une petite fonctionnaire pauvre sort du bus où elle s’est faite peloter comme d’habitude ; elle manque de se faire écraser par un riche chirurgien dont la femme a été agressée par des hooligans lors d’un match de foot. La scène est observée du balcon par une troisième jeune femme, et son fiancé, tous deux artistes de stand-up et couple au bord de la crise de nerfs.

Au-delà de la coïncidence, le destin va réunir ces trois femmes, harcelées différemment par les hommes, mais un harcèlement qui participe du même machisme égyptien, mélange de terrible frustration sexuello-economique et d’interdits religieux. Le grand mérite de ces Femmes du Bus 678 est bien de démontrer le piège dans lequel l’Egypte (et monde arabe) s’est empêtré : après la modernisation des années 60, l’Egypte, l’Iran, la Tunisie, étaient devenus des parangons de modernisme. Jusque dans les années 80, on croisait beaucoup de femmes à l’occidentale, maquillé et en tailleur. Mais l’évolution des mentalités ne s’est pas accompagnée par une démocratisation du régime ; c’était des dictatures pro-féministe, si l’on peut dire : Nasser, Sadate, le Shah d’Iran, Ben Ali, vendait cette image à l’Occident en échange d’une tyrannie intérieure sans limite. Une autocratie corrompue, qui n’aboutissait qu’à renforcer les inégalités et creuser le gouffre entre les pauvres et les puissants. Ce qui est parfaitement analysé chez Farhadi : la révolution iranienne, si décriée en Occident, a aussi mis en place un système républicain, avec des partis, des élections, et la création d’une véritable classe moyenne, qui est la protagoniste principale de l’œuvre farhadienne. Ce que montre Farhadi, c’est que la révolution iranienne n’a pas tout réglé ; qu’il y a encore beaucoup d’injustice et de corruption, et des grands malaises économiques…

Dans Les Femmes du Bus 678, on insiste aussi sur les difficultés financières : à plusieurs reprises, Mohamed Diab montre que les frustrations sexuelles ne sont pas que le seul produit d’une « culture islamique » mais aussi du fait qu’il est très coûteux de se marier et donc d’avoir des relations sexuelles. Et comme l’interdit religieux pèse très fort sur l’adultère ou les relations hors mariage, le cercle vicieux est en place : il ne reste que le viol, ou les « filles faciles » – donnée très vaste si l’on en croit les mâles cairotes de bus 678 – pour assouvir sa sexualité.

C’est ce qui intéresse ici Diab : les trois classes qui sont représentées subissent chacune à leur manière la frustration économique ou sexuelle ; la pauvre fonctionnaire ne s’en sort pas et donc se ruine en taxi pour ne pas se faire harceler dans les bus bondés, la jeune stand-upeuse sexy et moderne qui rêve d’un meilleur destin que téléopératrice ou employé de banque, mais qui doit se plier au diktats familiaux si elle veut se marier, et la bourgeoise désœuvrée qui n’échappe pas à la violence du peuple, et aux interdits moraux de son chirurgien de mari, un intellectuel englué dans cette culture machiste.

Celle qui lancera la révolution, comme d’habitude, c’est évidemment la prolétaire, les autres recherchant les voix plus tranquilles de la Justice ou de l’émission de télé.

On fera donc grâce du manque de subtilité de ces Femmes du Bus 678, et on acceptera le film pour ce qu’il est : une belle parabole. A la fin, les femmes gagnent, et le harcèlement devient un délit en Egypte. Mais, comme conclut le film, peu de plaintes sont enregistrées…




décembre 2025
L M M J V S D
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
293031