Et de deux.
Deuxième film raté sur les aventures du Judge. Deuxième film, après celui de Stallone en 1995, qui passe à côté de la BD de John Wagner et Carlos Ezquerra*. Judge Dredd est une satire, amis cinéastes ! Pas un film d’aventures. Pas un film d’action hard-boiled. C’est tout le contraire, même, c’est leur parodie ! Un metteur en scène a compris Judge Dredd, c’est Paul Verhoeven, et son Robocop n’est qu’une adaptation déguisée.
Un peu d’histoire. En 1977, 2000 A.D. publie les premières aventures de Judge Dredd. Philippe Manœuvre – à l’époque brillant rédac chef de Métal Hurlant (il a 23 ans !) – les achète pour les publier dans le mensuel. Il réalise même une adaptation radiophonique pour sa délirante émission de France Inter, Intersideral**.
C’est ainsi que nous découvrons les aventures du Judge. Et feuilletons Métal chez le libraire(c’est moins cher), pas loin du lycée de Rambouillet. Puis mettons nos économies de côté pour l’acheter plutôt que se procurer le dernier album des Dogs***. Et dévorons les aventures du Judge.
Le pitch ? Le même que celui du film. En 2099, la terre a été ravagée par une guerre nucléaire. C’est la Terre Maudite (Cursed Earth). La population s’est réfugiée dans une gigantesque mégapole, Mega City One, qui va de New York à Boston. La criminalité y est endémique. Pour y répondre, on a créé les Judges, au programme Sarkozyste avant l’heure : Flic, Juge, et Bourreau dans un seul homme. La justice est rendue en deux minutes, c’est quand même plus efficace, et ça coûte moins cher au contribuable. Les Judges ses déplacent sur de gros choppers un peu ridicules, et ils sont casqués : on ne verra jamais le visage du Judge Dredd. Au fil de ses aventures, Dredd poursuit les crimes, tous les crimes, meurtre en série ou franchissement au feu rouge. Combat les punks, les mutants, les excès de vitesse et les Cocos. Et applique la sentence. Car, comme il le répète au fil des pages : « I’m the Law ». Ou comme l’admettent volontiers les contrevenants « Il est dur, mais il est juste ! »
On l’a compris, Judge Dredd est une parodie de l’implacabilité, une claque à Dirty Harry et autres Justicier dans la Ville. Une parodie qui propose des méchants délirants (mention spéciale au Judge Death, un ancien juge devenu zombie, ou le Tyran Cal, un autre Juge façon Caligula qui s’entoure d’hommes-crocodiles pour sa garde rapprochée). Dredd, c’est aussi des dialogues décalés (« There is no justice, there is just us », et des aventures ubuesques (les Jeux Olympiques sur la Lune). L’unique objectif semble être de se payer une certaine morale conservatrice, à base d’œil pour œil et de dent pour dent.
Dredd, la nouvelle tentative d’adaptation de Pete Travis ne comprend pas mieux que la version Stallone ce qu’est Judge Dredd. Graphiquement, cette nouvelle tentative est magnifique, notamment les scènes avec la drogue slo-mo. Mais Travis n’a rien compris au Judge Dredd. Son scénario prend au sérieux Mega City One et ses habitants (dans la BD, le populace qui accepte cette justice expéditive est autant vilipendée que les Judges).
Dredd nous propose donc le spectacle très sérieux de narcotrafiquant ayant pris une cité en otage. Malgré le casting de luxe, ces narcos ne dépareraient pas dans un nanar des années 80, au hasard, Commando. Lena Headey (ma chérie de Game of Thrones), Wood Harris (Avon Barksdale, qu’est tu venu faire dans ce bousier, on était si bien à Baltimore !) surjouent la méchanceté comme il y a trente ans: « TUEEEEZ-LE !!! » avec des capitales et des points d’exclamations à chaque phrase. Les scènes de combat sont pas mal, mais comme dans Commando, assez répétitives, vous voyez le genre : deux trafiquants font les malins, ils répètent à qui veut l’entendre qu’ils vont buter le Judge, mais Dredd les bute. Puis on passe à deux autres trafiquants, qui répètent qu’ils vont buter le Judge, mais Dredd les bute. Etc., etc.
Ces épisodes étant irrémédiablement conclus par une phrase définitive du Judge, en ligne droite de la BD : « Negotiation’s over. Sentence is death ».
Mais comme toute intention comique a disparu, elles provoquent plutôt le malaise.
Car ce peut être un choix d’adapter la BD sérieusement ; c’est la liberté de tout artiste. Mais dans ce cas, la thématique devient plutôt rance, et moi, spectateur, je n’ai pas envie de voir ce film-là. C’est d’ailleurs exactement ce qui se produit : Dredd le film finit par développer des thématiques malsaines typiquement américaines (alors que le film est anglo-sudafricain) : viol fantasmé d’une petite blonde par un grand black, puis vengeance féminine ad hoc : un coup de dents mal placé, là où justement le fantasme était placé (cf. affaire Bobbitt.)
Vous vous en doutez : à la fin, le Judge gagne. Comme dans les BD. Mais sans nous avoir fait rire. Peter Travis n’a pas compris qu’ils filmait une comédie.
*Personnellement je préfère la partie dessiné par Brian Bolland
** Peut-être la seule émission de radio au monde à avoir proposé des parties de jeux de rôles en direct avec ses auditeurs !
*** Too Much Class For The Neighborhood
posté par Professor Ludovico
Steven Soderbergh est parfois traité de faiseur ; un cinéaste qui ferait des films sans chercher l’homogénéité d’une œuvre.
C’est tout le contraire : Soderbergh est quelqu’un qui tente, un expérimentateur : capable du classicisme télé le plus ennuyeux dans Ma Vie avec Liberace, grand expérimentateur dans Solaris ou Girlfriend Experience.
Ici, pas d’innovation extraordinaire, juste quelques bonnes idées de cadrage, et un joli travail sur les couleurs : jaune-rouge-bleu. On est à Tampa, en Floride, et il fait chaud : ceci expliquant cela. Mais plutôt une originalité globale qui donne un coup de frais dans le cinéma US actuel.
Depuis toujours, Soderbergh est un cinéaste engagé, du style qu’apprécie le plus le Professore : discret. La lutte contre la drogue (Traffic), la montée du Terrorisme (Syriana, qu’il a seulement produit mais dont la patte est toute soderberghienne), le capitalisme pollueur (Erin Brockovich) : chacun de ces thèmes a toujours été traité avec beaucoup de finesse et de distance.
Ici, l’auteur de Sexe Mensonges et Vidéo ne s’attaque à rien de moins que la crise de l’Amérique, habilement camouflée, mesdames, sous un film de chippendale. Oui, vous avez bien lu. Karl Marx meets The Full Monty. Habituellement, on reproche au cinéma d’action, au jeu vidéo, aux clips, une utilisation dégradante du corps de la femme. Magic Mike propose un pendant féminin : des corps de beaux mecs musclés, et c’est tout aussi dégradant, tout aussi putassier, et ça marche évidemment. Qui n’a pas envie de voir Channing Tatum à poil ? tapez dans Google, vous comprendrez pourquoi. Ou même Alex Pettyfer, l’acteur qui joue le Kid, un gamin qui cherche du travail, et qui en trouve, au black, dans le bâtiment. Première indication : on n’avait pas filmé des ouvriers exploités et des patrons tricheurs comme ça depuis les années 70, Cinq Pièces Faciles par exemple, de Bob Rafelson. Dans cette Amérique qui se délite, on triche sur les impôts, on paie les gens au noir, et on menace de les virer à la moindre incartade. Et pour grimper dans l’échelle sociale, on fait trois boulots à la fois : couvreur, décorateur d’intérieur et… Chippendale. C’est là que le Kid rencontre un autre ouvrier, beau, fort, musclé et sûr de lui : Magic Mike (Channing Tatum). Mike est chippendale la nuit dans le club de Dallas (extraordinaire performance de Matthew McConaughey) et lui propose d’arrondir ses fins de mois en participant au spectacle.
L’originalité de Magic Mike, le film, c’est de magnifier ces danses érotiques tout en suscitant un léger dégoût : au début c’est sympathique, mais paradoxalement, c’est à l’arrivée, après la première demi-heure du film, du personnage féminin (Brooke, la sœur du Kid) que le film bascule. Brooke est inquiète pour son frère, elle ne veut pas qu’il fasse ce job, il a déjà lâché un boulot prometteur. Magic Mike promet de le protéger, mais…
La moue boudeuse de Brooke (Cody Horn, à qui le Professore promet une belle carrière dans le cinéma) nous fait brusquement changer d’avis : ces danses, même dans le regard d’une femme ne sont que l’exploitation des corps, et ces chippendales ne valent pas mieux que des stripteaseuses. Ce n’est pas moins glauque qu’un peep show, et c’est la performance du film, de les présenter comme on présente habituellement le striptease féminin. Face à l’attendrissement ou l’amusement Full Monty, nous ressentons de la pitié, du rejet, du dégoût, comme pour les filles du Bada Bing, le strip club de Tony Soprano.
Dans le même souci d’inversion, Soderbergh filme l’histoire d’amour qui nait entre Brooke, cette fille toute simple, jolie, sans plus, et Magic Mike, bombasse mâle apparemment inaccessible, objet sexuel à qui pas grand monde ne résiste. C’est pourtant Mike qui va ramer, avec un réalisme et une légèreté qui fait beaucoup de bien dans le cinéma américain.
Du cinéma de faiseur comme celui-là, Ludovico veut bien en manger tous les jours…
samedi 2 novembre 2013
Gatsby le Magnifique
posté par Professor Ludovico
Baz Luhrman a toutes les cartes en main pour tenter, après 4 tentatives (dont une avec Robert Redford dans le rôle-titre), d’adapter l’inadaptable, à savoir le chef d’œuvre maudit de Scott Fitzgerald : The Great Gatsby. 100M$ de budget, 3 super-acteurs (Di Caprio, Maguire, Mulligan), une chef déco qui a dû vivre dans les années 20 (Catherine Martin, aka Mme Baz Luhrman), un producteur plein aux as et teen credible (JayZ), et Sim City 1925 pour récréer le Long Island des Années Folles.
Dès le départ, Baz Luhrman marque déjà un point : son Gatsby est compréhensible. Après avoir lu le livre, et vu le film de Redford, il m’a fallu enfin celui-là pour comprendre l’intrigue de Gatsby le Magnifique. Certes, celle-ci est écrite au crayon gras et surligné au stabilo rose par le cinéaste australien ; c’est lourdement pédagogique, signifiant et sursignifiant. Au cas où vous n’auriez pas tout assimilé, Carraway (Tobey Maguire) vous explique en voix off ce qu’il y a à comprendre : « Là, Gatsby est triste, et là, ma cousine est triste aussi. » Mais comme chacun sait, Baz est un athée du cinéma ; il ne croit pas que le cinéma ou les comédiens peuvent dire des choses en silence dans un plan fixe de plusieurs secondes, et il cache donc son manque de foi derrière un montage saccadé estampillé djeune.
Certes, Luhrman s’est assagi par rapport au roller coaster Moulin Rouge, et il faut avouer que cette énergie convient ici parfaitement au propos swing du film et à ses héros surexcités de ces roaring twenties. Sex, whisky and jazz. Car c’est bien de cela dont parle Fitzgerald, cette jet set qui se défoule d’une Première Guerre Mondiale à laquelle – dans sa grande majorité – elle n’a pas participé. Sauf Gatsby, justement.
Luhrman aime filmer des fêtes orgiaques, et ça, il sait faire (Moulin Rouge). Il sait aussi coller de la musique actuelle (rap, funk, techno) sur ces fêtes jazz, et ça ne passe pas mal du tout.
Le design est parfait – comme d’habitude – mais oblige Luhrman à filmer chaque cafetière en gros plan, ce qui lui fait évidemment qu’il y a des personnages derrière ces tasses de café. Comme chez Ridley Scott deuxième période, ou chez Jean-Pierre Jeunet, autre accessoiriste maniaque, on est dans du cinéma de décorateur.
Que reprocher alors ? Le simple sentiment que le film ne m’est pas adressé. Une sorte de film pédagogique pour ado, Gatsby le Magnifique expliqué aux teenagers. Un film pour les écoles.
dimanche 20 octobre 2013
Cogan, deuxième
posté par Professor Ludovico
Cogan, Killing Them Softly passe en ce moment sur Canal+. Ce qui veut dire, en clair, que quand vous aurez fini d’admirer le PSG ridiculiser ses adversaires de Ligue2 à coup de d’ailes de pigeon Ibrahimoviciennes, vous avez pour mission de regarder le chef d’œuvre d’Andrew Dominik.
104 minutes de polar old school avec peu de coups de feu, mais ceux-ci, le Professore vous le garantit, seront intenses. 104 minutes de performance d’acteurs tous plus extraordinaires les uns que les autres, dont, tout particulièrement, celle de notre regretté James « Tony Soprano » Gandolfini. 104 minutes d’une mise en scène parfaite, esthétisante mais d’un classicisme extrême. 104 minutes sur fond d’élection d’Obama, pour comprendre ce qu’est l’Amérique, et ce qu’elle devient, pour le meilleur et pour le pire.
lundi 14 octobre 2013
Le Faucon Maltais
posté par Professor Ludovico
Jouer à LA Noir, le GTA raté à la sauce Ellroy, c’est l’occasion de faire découvrir aux jeunes les fabuleux films noirs qui en sont l’inspiration principale. À tout seigneur, tout honneur : Le Faucon Maltais, le chef d’œuvre du jeune John Huston.
Si ce Faucon est le parangon du polar, c’est que les qualités du livre de Dashiel Hammett se retrouvent projetées dans le film. Cette poursuite rocambolesque d’un faucon en or massif ayant appartenu aux templiers, et excitant les convoitises d’une femme et de trois hommes, n’est que le prétexte d’une étude de caractère. La menteuse égoïste (Mary Astor en Brigid O’Shaughnessy), le levantin oblique (inoubliable Peter Lorre), le bouffi dégénéré (Sydney Greenstreet) et évidemment, le privé hard boiled : Humphrey Bogart.
On se désintéresse vite de comprendre quoique ce soit à l’intrigue (dans Le Grand Sommeil, personne, de l’écrivain au scénariste, ne fut capable d’expliquer l’intrigue) ; mais on se passionne pour ces êtres vils, poussé par l’avidité et la violence, qu’aucune justification psychologique ne vient légitimer. Il n’y a pas de héros dans les bas-fonds, seulement des bêtes qui veulent sauver leur peau dans la jungle, à l’image du retournement final.
Entre temps, on se sera préoccupé de la température d’un slip féminin, on n’aura pas pleuré la mort d’un associé – mais on cherchera à le venger par principe (et par principe seulement) – et on balancera le maillon faible aux flics, le pédé, comme l’appelle Sam Spade, pour sauver la peau des autres voyous.
A la fin, le spectateur contemple ce champ de ruines, où – selon la célèbre dernière réplique qui plagie Shakespeare – il ne reste que l’étoffe dont on fait les rêves.
vendredi 11 octobre 2013
Chroniques de Tchernobyl
posté par Professor Ludovico
Petit film de survival horror mal fait mais distrayant, Chroniques de Tchernobyl est surtout regardable pour son formidable décor, Prypiat, la ville fantôme évacuée en 24 heures après la fameuse nuit du 26 avril 1986.
Selon mes informations (tenues directement d’un premier assistant qui a travaillé sur un autre film – plus sérieux – tourné là-bas (La Terre Outragée)), on peut se promener sur place et même y tourner des films ; il faut juste ne pas traîner à l’intérieur des bâtiments (à cause de la poussière) ou s’adosser aux murs, toujours contaminés.
C’est exactement ce que font ces pauvres américains en goguette, se payant un petit frisson d’occidentaux biens nourris en louant les services de Yuri, un Ukrainien qui propose des virées extreme tourism. Ça devient bien extrême, effectivement, quand le combi tombe en panne (ah ces russkofs, s’ils avaient des pick up Chevrolet !), que la nuit tombe et que l’on entend de drôles de bruits dehors. Evidemment, on se sépare en deux groupes (il ne faut JAMAIS se séparer en deux groupe !) et tout ce petit monde finira par se faire boulotter, un par un comme il se doit, jusqu’à la scène finale. Une scène finale, elle, plutôt réussie.
L’histoire n’est pas idiote, mais côté slasher movie on a vu mieux fait (La Colline A Des Yeux version Aja), plus drôle (Meurtres à la Saint Valentin), avec des personnages mieux écrits (Scream). Non, le principal intérêt de Chroniques de Tchernobyl tient dans ces vrais décors abandonnés (dont un manège d’enfant qui hantera longtemps nos souvenirs de cinéphiles), ces vieilles salles des fêtes soviétiques, et ces bunkers souterrains désaffectés.
C’est ce réalisme qui sauve Chroniques de Tchernobyl de sa médiocrité et qui vous autorise à y jeter un coup d’œil, si vraiment, vous n’avez pas mieux à faire.
mardi 8 octobre 2013
Les Femmes du Bus 678
posté par Professor Ludovico
Une fois qu’on a dit le superficiel, c’est à dire que le film de Mohamed Diab, n’est pas très bien joué, cadré à l’arrache et volontiers outrancier, on a les yeux ouverts pour voir ses qualités. Un BOATS émouvant, décillant façon Farhadi, et d’une certaine manière prémonitoire sur les événements égyptiens.
Le pitch : trois destins qui se croisent, façon Amours Chiennes, autour d’une place, au Caire : une petite fonctionnaire pauvre sort du bus où elle s’est faite peloter comme d’habitude ; elle manque de se faire écraser par un riche chirurgien dont la femme a été agressée par des hooligans lors d’un match de foot. La scène est observée du balcon par une troisième jeune femme, et son fiancé, tous deux artistes de stand-up et couple au bord de la crise de nerfs.
Au-delà de la coïncidence, le destin va réunir ces trois femmes, harcelées différemment par les hommes, mais un harcèlement qui participe du même machisme égyptien, mélange de terrible frustration sexuello-economique et d’interdits religieux. Le grand mérite de ces Femmes du Bus 678 est bien de démontrer le piège dans lequel l’Egypte (et monde arabe) s’est empêtré : après la modernisation des années 60, l’Egypte, l’Iran, la Tunisie, étaient devenus des parangons de modernisme. Jusque dans les années 80, on croisait beaucoup de femmes à l’occidentale, maquillé et en tailleur. Mais l’évolution des mentalités ne s’est pas accompagnée par une démocratisation du régime ; c’était des dictatures pro-féministe, si l’on peut dire : Nasser, Sadate, le Shah d’Iran, Ben Ali, vendait cette image à l’Occident en échange d’une tyrannie intérieure sans limite. Une autocratie corrompue, qui n’aboutissait qu’à renforcer les inégalités et creuser le gouffre entre les pauvres et les puissants. Ce qui est parfaitement analysé chez Farhadi : la révolution iranienne, si décriée en Occident, a aussi mis en place un système républicain, avec des partis, des élections, et la création d’une véritable classe moyenne, qui est la protagoniste principale de l’œuvre farhadienne. Ce que montre Farhadi, c’est que la révolution iranienne n’a pas tout réglé ; qu’il y a encore beaucoup d’injustice et de corruption, et des grands malaises économiques…
Dans Les Femmes du Bus 678, on insiste aussi sur les difficultés financières : à plusieurs reprises, Mohamed Diab montre que les frustrations sexuelles ne sont pas que le seul produit d’une « culture islamique » mais aussi du fait qu’il est très coûteux de se marier et donc d’avoir des relations sexuelles. Et comme l’interdit religieux pèse très fort sur l’adultère ou les relations hors mariage, le cercle vicieux est en place : il ne reste que le viol, ou les « filles faciles » – donnée très vaste si l’on en croit les mâles cairotes de bus 678 – pour assouvir sa sexualité.
C’est ce qui intéresse ici Diab : les trois classes qui sont représentées subissent chacune à leur manière la frustration économique ou sexuelle ; la pauvre fonctionnaire ne s’en sort pas et donc se ruine en taxi pour ne pas se faire harceler dans les bus bondés, la jeune stand-upeuse sexy et moderne qui rêve d’un meilleur destin que téléopératrice ou employé de banque, mais qui doit se plier au diktats familiaux si elle veut se marier, et la bourgeoise désœuvrée qui n’échappe pas à la violence du peuple, et aux interdits moraux de son chirurgien de mari, un intellectuel englué dans cette culture machiste.
Celle qui lancera la révolution, comme d’habitude, c’est évidemment la prolétaire, les autres recherchant les voix plus tranquilles de la Justice ou de l’émission de télé.
On fera donc grâce du manque de subtilité de ces Femmes du Bus 678, et on acceptera le film pour ce qu’il est : une belle parabole. A la fin, les femmes gagnent, et le harcèlement devient un délit en Egypte. Mais, comme conclut le film, peu de plaintes sont enregistrées…