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Commentaires et/ou Conseils d’achat de DVD – Peut dégénérer en étude de fond d’un auteur



mercredi 27 octobre 2021


Return of the Secaucus 7
posté par Professor Ludovico

Depuis la révélation Passion Fish et Lone Star, on avait noté soigneusement sur notre Palm Pilot les films de John Sayles. Le cinéaste avait ébloui nos années 90, la grande époque du cinéma indépendant façon Hal Hartley, Steven Soderbergh, ou Harmony Korine.

Mais le cinéma de Sayles était invisible : trop américain pour le cinéma « cultivé » français, trop « cultivé » pour les américains. Pas de DVD, pas de diffusion TV, et rien sur les plates-formes de streaming*.

Et patatras, voilà qu’on apprend au détour de Libération que la Cinémathèque Française organise une grande rétrospective. On se jette d’abord sur AlloCiné – le site le plus buggé de France depuis Day One – puis on se replie sur le site de la Cinémathèque : une vraie rétrospective, avec toute notre ToDo list : The Secret of Roan Inish, The Brother from Another Planet, Baby, It’s You, Lianna, et Return of the Secaucus 7

Malheureusement, on travaille, et on ne peut pas tout voir. Donc priorité est donnée au premier film, Return of the Secaucus 7. Nous voilà donc tranquillement installé dans la salle quand un fâcheux s’empare du micro, et l’on se dit qu’on va avoir une demi-heure d’exégèse oiseuse, mais non. « Mesdames et Messieurs, je vous demande d’applaudir… John Sayles ! ». Le Maître était dans la salle ! Prototype du septuagénaire américain, cool et élégant, le Johnny nous narra en dix minutes chrono la genèse de son premier film. Simple romancier, scénariste sur les films série B de Roger Corman, John Sayles avait gagné 40 000 $ pour écrire le Piranha de Joe Dante. Il les investit sur ce premier film. Lui qui n’avait passé qu’une journée sur un plateau, ses camarades acteurs et techniciens guère plus, bouclèrent ce Return en cinq semaines…

C’est évidemment la faiblesse – et tout le charme – du film. Le montage est abrupt, et parfois hasardeux, l’image 16 mm très granuleuse, mais voilà : John Sayles a quelque chose à dire. Un petit sujet qui n’intéresse plus grand monde aujourd’hui : la vie, tout simplement. L’éternelle histoire coming of age d’une bande de trentenaires qui se retrouvent dans une maison de campagne**. L’occasion de comprendre qu’on n’a plus vingt ans, que des choix importants se profilent (le couple, le mariage, les enfants, la carrière, devenir chanteur de country ou renoncer à ses idéaux et faire du fric). Et constater l’écart qui se creuse avec les copains laissés au bled, devenus garagistes, tandis qu’on fait carrière à Washington… Malgré ses acteurs débutants***, Return of the Secaucus 7 finit petit à petit par nous gagner. À la fin, John Sayles a installé la petite musique inimitable qu’il va développer dans une vingtaine de films.

« La plupart des films [de John Sayles] sont à la pointe des grandes préoccupations de reconnaissance sociale, identitairetout en se refusant aux platitudes des discours bornés, péremptoires, du «film à sujet»» , constatait Camille Nevers dans son excellent article consacré au cinéaste dans Libération. « Latinos, Amérindiens, noirs, homosexuels, femmes, pauvres, étrangers, ruraux, les opprimés habitent ce cinéma en refusant de se laisser fixer sur une seule identité ou une fiction bouclée… »

 Rien de plus ? Rien de moins, en tout cas.

* Depuis, certains films sont disponibles sur Amazon et Canal+

** On a souvent prétendu que Lawrence Kasdan s’en était inspiré pour son Big Chill, ce que le cinéaste a toujours nié.

*** L’occasion de découvrir les début de Gordon Clapp (le Medavoy de NYPD Blue) ou David Strathairn (qui va devenir l’acteur fétiche de Sayles, puis faire carrière sur le tard : Good Night, and Good Luck, Lincoln, The Expanse…)




samedi 24 juillet 2021


Jojo Rabbit
posté par Professor Ludovico

C’est le sujet casse-gueule par excellence. Une comédie sur le Troisième Reich. Très peu ont essayé, beaucoup ont échoué, très lourdement comme l’ignoble La Vie Est Belle de Roberto Benigni.

Jojo Rabbit tente l’impossible : une comédie sur un petit garçon des Jeunesses Hitlériennes, et dont l’ami imaginaire n’est autre qu’Adolf Hitler ! Un Adolf Hitler drôle, qui fait des blagues et danse sur les chansons des Beatles.

Si on rit de bon cœur sur ces plaisanteries, c’est d’abord par le style impeccable de la mise en scène (sous influence Wes Anderson) , et une bande de comédiens parfaits (Roman Griffin Davis, Scarlett Johansson, Thomasin McKenzie, Taika Waititi, Sam Rockwell…)

Et on se demande évidemment comment cela va finir, comment conclure, comment résoudre l’équation impossible d’une rédemption du petit nazi qui ne serait ni ridicule, ni à l’opposé de la trajectoire du film depuis le début.

Comme le propose le carton final, pré-générique de fin, il faut « laisser tout vous arriver, beauté et terreur… Continuez à le faire, car aucun sentiment n’est jamais définitif *». Magnifique morale de l’histoire, et merveille de bout en bout.

Oui, on peut être un héros, juste pour une journée.

* Rainer Maria Rilke




jeudi 22 juillet 2021


The Nest
posté par Professor Ludovico

The Nest, en anglais c’est à la fois le doux nid du couple de tourtereaux, et aussi le nid de frelons. C’est de cela dont parle le nouveau film de Sean Durkin, dont on avait adoré le très fin Martha Marcy May Marlene.

De la transplantation d’une famille, de New York à Londres dans les 80s, pilotée par la volonté mythomane du père de famille, trader en pleine ascension, et formidablement interprété par Jude Law.

Durkin montre rapidement les faux-semblants de cette trajectoire, qui n’est pas sans rappeler le Shining de Kubrick, sans l’emphase fantastique, même si, à certains moments, des fantômes semblent frapper à la porte… à moins que ce ne soit un courant d’air, ou une impression de déjà-vu.

Mais si le film est intéressant dans cette ambiguïté, et si les acteurs sont tous excellents (dont notre chouchou Carrie Coon), il n’arrive pas vraiment à décoller, ni à passionner.




mardi 22 juin 2021


Bobby Deerfield
posté par Professor Ludovico

Tout fan d’Al Pacino est completiste, et tout cinéphile se doit de l’être également. Il veut avoir tout vu, même le pire. En particulier les vieux films, qu’on imagine – souvent à tort – bons. L’effet magique de la patine du temps, j’imagine. C’est ainsi que Bobby Deerfield est sur ma liste Pacino depuis longtemps.

Ça aurait dû m’alerter. Un film difficile à voir, il y a toujours une bonne raison pour ça : en général, il est assez mauvais. Même W9 n’en veut pas.

En fait, Bobby Deerfield est une tentative cynique de surfer sur les océans marketing de Love Story, le grand succès mélo de la Paramount des années 70. Pollack part là-dessus, avec un alibi littéraire : l’adaptation du Ciel n’a pas de préférés, d’Erich Maria Remarque. L’argument : une-très-belle-femme-au-caractère-complexe émeut un très beau protagoniste masculin, qui tombe bizarrement amoureux ; mais, pas de bol, ça va mal finir.

Là-dedans, il y a une bonne idée, très mal gérée par le metteur en scène d’Out of Africa : Bobby Deerfield est pilote de Formule 1 ; il voit la mort en face tous les jours (son coéquipier a un accident dans la première scène). La-très-belle-femme-au-caractère-complexe cherche de son côté à s’échapper d’un hôpital pour une maladie inconnue. Indice : elle perd ses cheveux.

On voit l’idée ; qui affronte réellement la mort, qui peut apprendre de l’autre… ?

Le caractère fantasque de Lilian est la bonne nouvelle du film. Heureusement qu’elle est là, Marthe Keller, car c’est elle qui apporte le grain de folie du film, dans tous les sens du terme. Son interprétation est tout simplement époustouflante, apportant complexité, naturel, et sensualité à fleur de peau.

À côté, et c’est une rareté, Al Pacino joue mal, dans un registre de petit gars timide (sa spécialité dans ses premiers films (le Michael de la première partie du Parrain, Panique à Needle Park, Justice pour Tous)) Malheureusement, ça ne colle pas du tout à la personnalité d’un pilote de Formule 1. Validant au passage la théorie du Professore sur les Césars/Oscars, Al Pacino a été nommé au Golden Globes 1978, tandis que Marthe Keller n’a rien eu.

Dernier clou sur le cercueil, Pollack essaye maladroitement de copier Antonioni en insérant dans son film totalement mainstream quelques plans ultra-allégoriques, comme ce passage dans le tunnel, surjoué et surfilmé.

Le problème de la collection du cinéphile, c’est qu’il ne peut jamais s’en débarrasser : les mauvais films prennent autant de place dans son cerveau dérangé que les chefs-d’œuvre.




mardi 23 mars 2021


Wild Wild West
posté par Professor Ludovico

Se serait-on trompés sur Wild Wild West ? Quand le film sort en 1999, c’est la bronca, menée notamment par le Professore, avant même d’avoir vu une seule image… On y décele déjà les prémices de la Cancel Culture : James West, notre vénéré Robert Conrad, un acteur qui à lui seul, dans son petit pantalon de velours violet, avait questionné les tréfonds de notre hétérosexualité, était remplacé par un acteur noir, Will Smith, (que nous aimions tout autant), mais qui n’était pas, au grand jamais, James West !

Le trauma était immense : rappelons que Les Mystères de l’Ouest, c’était la série de notre enfance. Nous avions huit ans, et La Une est à Vous la diffusait en fin d’après-midi, de sorte qu’il fallait courir pour rejoindre sa mère à la messe de 18h. Pendant le sermon, on reproduisait les péripéties d’Artémus Gordon (le grappin qui sortait de la botte se fichait – au moins dans notre imagination – sur le pilier de la nef), jusqu’à ce que la mère se demande ce qu’on fichait à gigoter comme ça ; question à laquelle nous ne pouvions évidemment pas répondre, puisque envoyé d’Ulysse S. Grant en personne !

Puis le film sortit, nous mettant particulièrement en rogne. Nous n’étions pas seuls : Robert Conrad avait refusé de faire un caméo. Nous fûmes récompensés : le film était un terrible échec au box-office. Laissons le mot définitif à maman Smith, quand son fils lui demanda ce qu’elle en pensait : « You’ve done better, my son ! »

Mais depuis, le film passe de temps en temps à la télé, et dégage un charme steampunk bizarre. Et on a subitement envie de le revoir. Et la surprise est là : si le film n’est pas vraiment bon, il a de réelles qualités. Et tout d’abord un véritable sous-texte politique, caché sous les gags, que nous n’avions pas compris il y a vingt ans.

Un James West noir reste évidemment totalement irréaliste après la Guerre de Sécession. Mais c’est totalement assumé par Barry Sonnenfeld et Will Smith ; on pourrait même dire que c’est leur projet. Quand Artemus Gordon (le très bon Kevin Kline) lui propose de jouer le rôle, plus réaliste, de son valet, James West parodie l’accent de l’esclave « Oui Missié, bien Missié ! » Des scènes semblables vont se répéter à plusieurs reprises, où la chute sera évidemment la même : non je ne serai pas ton esclave, non je ne jouerais même pas à l’esclave…

Et puis il y a la scène culte du film, où James West est sur le point d’être lynché par une bande de notables louisianais. L’agent secret prend les devants en se lançant, la corde au cou, dans un discours parodique sur la différence*, qui prend à l’évidence un sens plus vaste : deux siècles après la Guerre de Sécession, un siècle après la fin de la ségrégation, on ne se comprend toujours pas entre blancs et noirs.

Et pour le reste, même si le film est raté, trop long dans sa deuxième partie, parfois moche et lourdingue, il y a beaucoup de choses à sauver. Les répliques fusent, dans une ambiance sexy, entre nos héros, Salma Hayek, Bai Ling (« East meet West »), et les girls de Loveless, qui permettent de retrouver à certains moments l’ambiance de la série originale. Il y a aussi, en mode méta, les imbroglio crypto-gays entre Gordon et West, et bien sûr la prestation réjouissante de Kenneth Branagh en Docteur Loveless. Enfin, Wild Wild West sera un des premiers films à l’ambiance steampunk

Wild Wild West n’est pas Les Mystères de l’Ouest, mais c’est pas mal quand même.  

*Capt. James West: [Whistles] I’d like to have everyone’s attention for a moment. It seems we have had series of major misunderstandings here tonight. First of all, the whole « drummin’ on the boobies » thing. Now in my native land…
Someone in crowd: Georgia?
Capt. James West: Africa. We use drums to communicate between villages. And as you can see by this gal, we could communicate all the way to Baton Rouge. Hell, on a clear night, we might even get Galveston. All I was saying to the gal was, « Hi, how ya doing? My name’s Jim. How’s your momma? » Then there was the whole « Redneck » comment. And I’m sensing that you took that negatively. But let’s break down that word « Redneck ». First word red, color of power, fire, passion. Second word neck… neck… hey I can’t think of nothing for neck right now, but without that you still got red and that’s something to be proud of.




vendredi 26 février 2021


In Fabric
posté par Professor Ludovico

Envoûtant. Sexy. Drôle. Complètement fou. Une fois de plus, Peter Strickland nous envoûte avec son cinéma barré, mélange de Giallo et de cinéma arty des années 70. In Fabric, c’est-à-dire dans le tissu, fait la preuve qu’on peut encore faire du cinéma inventif, sexy et provocateur, tout en se payant le luxe de ne pas se prendre la tête.

Le pitch : une quinquagénaire récemment divorcée achète une robe pour son premier rendez-vous. Mais la vendeuse du magasin (L’excellent Fatma Mohamed, présente dans tous les films de Strickland) est une sorte de harpie victorienne, en robe en dentelle noire, corset serré et lèvres purpurines, chignon imposant. Son patron n’est pas mieux ; regard exorbité et éclairé par en-dessous, tout droit sorti des films de la Hammer

La cliente s’interroge sur la taille de la robe ? « Les dimensions et les proportions transcendent le prisme de nos mensurations ! » Elle hésite devant la couleur, trop voyante ? « L’hésitation dans votre voix ? Bientôt un écho dans un coin des sphères de la vente au détail ! »

Le spectateur est rassuré : il sait qu’il est arrivé dans Stricklandia, monde magique indéterminé, à la fois aujourd’hui et hier, peuplé de papillons et d’ébénistes, d’ingénieurs du son et de femmes de ménage…

Mais la harpie lui vend la robe. Une fois celle-ci enfilée, les ennuis commencent. In Fabric est à mi-chemin entre Suspiria et le Christine de Carpenter ; une sorte de David Lynch drôle qui nous entraîne dans une série de fausses pistes où, à chaque fois, le spectateur jubile. On y verra une critique fellinienne des soldes, une parodie pas si parodique d’Entretien Annuel d’Evaluation, et Brienne de Toth en ado insupportable. Car toi qui entre dans Stricklandia, abandonne tout espoir de réalisme. Pour autant, rien de potache ici, tout est au cordeau, technique, acteurs ou scénario…

Peter Strickland est le génie méconnu de ce début de siècle.

*Dimensions and proportions transcend the prisms of our measurements.
**The hesitation in your voice, soon to be an echo in the recess in the spheres of retail.




mardi 16 février 2021


Katalin Varga
posté par Professor Ludovico

L’abondance des chaînes de streaming, fait que désormais tout le cinéma – ou prou –  est désormais à notre portée. On s’abonne donc, via Prime Video, à MGM, à MUBI, pour voir les chefs-d’œuvres invisibles de Peter Strickland, Monsieur Duke of Burgundy et Berberian Sound Studio.

On parlera bientôt de son dernier film In Fabric, mais voici donc Katalin Varga, le premier film qui a coûté son héritage au petit Peter. Une fois mis sur la table les 30 000 €, Peter Strickland a pu tourner 17 jours avec une équipe réduite, au cœur de la Transylvanie*. Il en a ramené un film, mais surtout les tropes de son cinéma : les « choses cachées depuis la fondation du monde** » et que le spectateur doit découvrir, une ambiance fantastico-vampirique accolée au monde actuel, et une ambiance mi-sexy, mi-macabre, et des punchlines mystérieuses***. Peter Strickland y a aussi découvert son actrice fétiche, Fatma Mohamed, qui irrigue depuis sa filmographie.

Soyons francs, Katalin Varga n’est pas vraiment au niveau de ses futurs films. Il n’en a pas les moyens, mais les racines sont déjà là. Quand la jeune paysanne éponyme est obligée de révéler à son mari que son fils n’est pas son fils, la voilà jetée sur les routes des Carpathes pour « rejoindre la grand-mère malade »… En tout cas, c’est ce qu’elle dit à son fils.

Un antique chariot à cheval, un enfant, des rencontres, et l’intrigue qui, peu à peu, se dévoile. Où va Katalin Varga ? A Jadszereda… Pour y faire quoi ? Retrouver quelqu’un… Le film serait très basique s’il ne se contentait que de cela. Mais par la musique, le cadrage, Strickland transforme cette épopée dans les Carpates en pur cinéma : zooms étranges, barque qui virevolte en travellings circulaires, musique angoissante, bruits amplifiés… Bientôt le spectateur est ailleurs, mais où ?

La réponse n’a que peu d’intérêt, car il ne s’agit en réalité que d’une chose.

De cinéma.

* Il a galéré ensuite pour se payer une postproduction
** Pour citer René Girard ou le Framekeeper
***« Ne remerciez jamais quelqu’un qui vous indique la route de Jadszereda »




mercredi 20 janvier 2021


Subway
posté par Professor Ludovico

On a le longtemps renâclé à l’idée de revoir Subway. Le film de nos vingt ans était trop important, trop viscéral. Et on ne savait que trop bien ce que le cinéma de Besson était devenu. Quelques scènes du Grand Bleu avait suffi à nous convaincre qu’il ne fallait pas retourner sur les chemins de la jeunesse ; ils avaient changé – nous aussi.

Pour autant, il est difficile d’expliquer aujourd’hui ce que Subway représentait pour la jeunesse de 1985. C’était avant tout un film d’action excitant, drôle, émouvant. Mais surtout, il était fait pour nous, par l’un d’entre nous. Besson n’avait pas fait d’école de cinéma, il sortait de nulle part : c’était l’équivalent punk du septième art. Mais il avait à peu près notre âge, savait ce qui nous émouvait, ce qui nous faisait rire… et il était bien le seul dans le cinéma français ! Si un type comme lui pouvait trouver de la pellicule pour tourner Le Dernier Combat, on pouvait le faire aussi…

Subway incarnait cela, mais plus encore : notre état d’esprit, fait de rébellion et d’arrogance, contre ces horribles années 70, giscardiennes, à la fois hippies et compassées. Subway parlait des Halles où nous traînions. Des catacombes, où nous nous aventurions la nuit venue… De musique, où nous nous lancions…

Le casting de Subway était le reflet parfait de cette génération : Adjani, qui était à trente ans la reine incontestée du cinéma français, Christophe Lambert, qui émergeait, mais aussi Richard Bohringer et Jean-Hughes Anglade, qui incarnaient les outsiders de génie, déjà vus dans Diva ou à venir dans 37°2 Le Matin, autres films cultes de cette génération.

Revoir Subway aujourd’hui, c’est donc se confronter à ce cinéma (qui a techniquement peu vieilli) mais aussi aux valeurs un peu surannées qu’il transporte. Certes, la rébellion bourgeoise d’Adjani à la table du Préfet sonne un peu faux aujourd’hui*, alors qu’elle faisait notre joie en 1985.

Mais le reste tient la route. Besson est le premier à montrer l’autre France, ces immigrés qui font le métro (la fête d’anniversaire, l’haltérophile). Cela a l’air évident aujourd’hui, mais Besson fut le premier, au moins dans ce genre grand public.

Il ridiculise la police, en la personne de Batman** (déjà génial Jean-Pierre Bacri !) et du commissaire Gesberg*** (immense Galabru !), mais derrière la comédie, se profile une belle tragédie : l’histoire d’un enfant blessé, autiste, clown triste et punk (Lambert) qui vole les riches (Adjani) pour monter un groupe de rock. Une vraie tragédie, qui finit mal.

La force du film, c’est à la fois les décors d’Alexandre Trauner, les comédiens, servis par les meilleurs dialogues que Besson écrira : une sorte, – osons la comparaison de l’époque – d’Enfants du Paradis des années 80.

Mais le plus étonnant là-dedans, c’est que tout le cinéma de Besson à venir est dans Subway : le cinéaste ne fera que des copies de ce film : des femmes belles et rebelles (Nikita, Jeanne d’Arc, Lucy), des héros au visage d’enfant (Leon, Arthur et les Minimoys), des voitures dans des courses-poursuite incroyables (Taxi, Le Cinquième Elément), des flics idiots (Taxi) et des adultes défaillants (Le Grand Bleu, Arthur). Mais on ne peut pas faire à cinquante ans le film qu’on faisait à vingt.

C’est toute la force de Subway, et toute la faiblesse du cinéma de Besson.

*« Monsieur le préfet, votre dîner est nul, votre baraque est nulle, et je vous emmerde tous ! »
** « Chier, merde ! Chier !! »
*** « C’est terrible, hein? Cette violence qui sommeille en chacun de nous ! »




mardi 5 janvier 2021


Fargo
posté par Professor Ludovico

Alors que la saison 4 de Fargo se termine, et que tout le monde s’accorde sur ses qualités mais en reconnaissant que c’est un objet différent, plus politique, moins fun, plus adulte, on réalise qu’on n’avait parlé que succinctement de la meilleure série de ces finissantes années dix.

A vrai dire, on a mis du temps à tenter le voyage jusqu’au Minnesota*. Parce que déjà, on avait du mal à imaginer qu’on puisse faire une série sur le chef-d’œuvre des frères Coen, LE film qui les a installés, eux, leur style loufoque, baroque, et pourtant tiré au cordeau, sur le panthéon du cinéma mondial. Ensuite on avait un peu été échaudé par Noah Hawley et son Legion, certes brillant et prometteur, mais brouillon et assez incompréhensible.

Mais voilà, après de multiples relances du Snake, on lance Netflix (ou Salto). Premier bon point, le tacle tongue -in-cheek aux biopics : « Ceci est une histoire vraie. Ces événements ont eu lieu dans le Minnesota en 1987. À la demande des survivants, les noms ont été changés. Par respect pour les morts, le reste est décrit exactement comme cela s’est déroulé. »

Et dès le premier épisode, le Professore ne peut que constater le chef-d’œuvre absolu. Mise en scène, narration, dialogues, dramaturgie, mise en scène, cadrage, son, musique, acteurs : Fargo est la perfection même.

Doublement, car Noah Hawley ose marcher dans les pas d’un autre, tout en laissant ses propres traces. Quel pari risqué, en effet, que de s’attaquer à chef d’œuvre reconnu (le film Fargo), en réutiliser la trame, en reprendre le principe même (la tragédie des idiots), et les principaux ingrédients (la bêtise meurtrière, le happy end paradoxal des « gentils »), en copier les canons esthétiques (cadrage, musique…), pour au final, produire sa propre œuvre, ample, majestueuse et originale…

Triplement, car Hawley arrive à étendre le concept sur quatre saisons, avec à chaque fois une histoire différente, mais en gardant le même esprit… tout en les reliant très subtilement les unes aux autres… et créant au final une sorte de Fargo/Frères Coen cinematic universe

Oui, Fargo est le chef-d’œuvre sériel de ces dix dernières années… Bravo l’artiste !

* Pour les pointilleux, Fargo (la ville) se situe dans le Dakota du Nord, mais Fargo (la série) se déroule pour l’essentiel dans le Minnesota.




mercredi 19 février 2020


The Irishman
posté par Professor Ludovico

On n’aime plus trop Martin Scorsese depuis, disons, Le Temps de l’Innocence, et à l’exception notable des Infiltrés et du Loup de Wall Street, les deux derniers films véritablement Scorsesiens du Maître de Little Italy. A nouveau, malheureusement, le pronostic se vérifie : The Irishman est un gros caca marketing.

La recette est simple : prenez des stars* et mélangez-les au bouillon Affranchis, plongez le paleron Jimmy Hoffa et laissez mijoter pendant 3h30. Ne laissez pas reposer ; ça devrait se manger tout seul.

Mais il y a un os – voire plusieurs. Comme son nom l’indique, Frank « The Irishman » Sheeran est irlandais, et la fiche Wikipédia de Robert De Niro indique qu’il a 76 ans. Il est donc difficile, voire impensable, de lui faire jouer le rôle d’un irlandais aux yeux bleus à 20 ans (dans l’armée), à 30 ans (chez les camionneurs), à 40 ans (dans la mafia des Teamsters). Mais ça ne gêne pas Scorsese, qui s’est entiché de Méliès et des trucages depuis qu’il a réalisé la bouse Hugo Cabret. Il passe donc le grand Bob (et les autres) à la moulinette 3D. Ce qui donne un horrible monstre italo-irlandais, mi-Shrek, mi-John Wayne, avec des yeux de Fremen.  

Le résultat est absolument cauchemardesque, alors qu’il eut suffi de prendre trois comédiens pour jouer le rôle. Et Pacino retouché n’est pas époustouflant non plus…

The Irishman est en plus très long, d’autant plus que c’est un copier-coller des films précédents de Scorsese qui étaient, eux, beaucoup plus musclés : voix off qui raconte tout, arrêt sur image avec date et circonstances du décès, musiques fifties, etc. Du pur Scorsese : le public (et Netflix**) en auront pour leur argent…

On sauvera néanmoins deux choses : une très grande performance de Joe Pesci, à qui l’on confie enfin un rôle posé et tragique. Et les vingt dernières minutes, pure tragédie grecque, où De Niro, impassible, est condamné à faire l’impossible.

* C’est la réunion que tout le monde attendait (De Niro/Pacino/Pesci), oublier que depuis Heat, les rencontres Pacino/DeNiro n’ont pas donné grand-chose, sans parler de leurs efforts solos.  

** Le seul intérêt pour Netflix dans ce genre de coup marketing étant de générer des abonnements, peu importe l’accueil, critique ou public, du film.




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