[ Le Professor a toujours quelque chose à dire… ]

Le Professor vous apprend des choses utiles que vous ne connaissez pas sur le cinéma



lundi 3 octobre 2011


11 septembre : et si Ben Laden avait gagné ?
posté par Professor Ludovico

Une fois retombées les commémorations et analyses du 9/11, on peut légitimement se poser la question. L’islam n’est il pas, objectivement, plus présent dans nos vies que dans les années 90 ? Malgré les circonstances déchirantes (11 septembre, guerres d’Afghanistan et d’Irak), malgré les clivages « français contre musulman », (comme si on ne pouvait être les deux !), l’islam modéré s’est imposé dans nos vies.

Émissions sur le ramadan à la télé, intellectuel musulmans dans les débats, organisme de représentation de la communauté (Conseil Français du Culte Musulman, par exemple), toutes ces manifestations sont imparfaites, mais elles n’existaient pas dans les années 90. On pourrait même dire que les musulmans n’existaient pas. Aujourd’hui, comme dans Une Séparation, et malgré les reportages racoleurs façons TF1, France 2 ou M6, on préfèrera une femme voilée modérée à une femme voilée ultra. Même si il n’est pas inconvenant de dire qu’on pourrait préférer pas de femmes voilées du tout.

C’est la victoire – paradoxale – d’Ousama Ben Laden. Il promettait un Islam de mort, il fait éclore un Islam modéré. Il voulait la destruction de l’Amérique, les américains préfèrent changer. Car c’est là l’objet de cette chronique. Si on accepte (et c’est un une obligation si on suit ce blog), si on accepte l’idée que le cinéma est l’âme d’une nation, alors, oui il est évident que les USA ont changé. Leur cinéma n’est plus le même, et ne le sera jamais plus. La GCA, à base de Capitole en flammes, de terroristes faisant sauter le World Trade Center, et de Président US se bastonnant à bord de Air Force One, ce cinéma a disparu. Fini Armageddon, Independance Day, Air Force One, Le Pacificateur, et autres productions Simpson Bruckheimer.

Depuis le 11/9, ce type de film n’est tout simplement plus possible.

On notera que les buildings ont mis du temps à réexploser (Transformers, 2012, …) et que leur explosion laisse un gout amer dans la bouche. L’étonnant Déjà Vu, ou Source Code n’ont plus ce ton triomphaliste… A l’instar de ces deux tours qu’elle a mis 10 ans à reconstruire, le cinéma américain est-il en pleine reconstruction, ou se cherche-t-il encore dans les décombres. Depuis 2001, de grands films ont traité le sujet : Syriana, Jarhead, W, WTC, Brothers, et bientôt l’adaptation de Extremely Loud And Incredibly Close, de l’excellent Jonathan Safran Foer.

L’Amérique est entrée dans l’ère post-11 septembre : pour le meilleur, ou pour le pire ?




dimanche 11 septembre 2011


Jayne Mansfield 1967
posté par Professor Ludovico

C’est d’un livre dont il s’agit aujourd’hui, qui m’a fait de l’œil dans ma librairie favorite, et que j’ai dévoré : Jayne Mansfield 1967, de Simon Liberati. Sarcastiquement sous titré Roman, il s’inscrit dans la lignée des François Bon (Rolling Stones, une biographie, Dylan, une biographie et Rock’n roll, un portrait de Led Zeppelin), c’est-à-dire une biographie de fan, ultra-documentée, mais qui en même temps, ne prétend pas à la rigueur et à l’exhaustivité historique d’un travail universitaire ou journalistique. Au contraire, c’est un portrait, un triptyque médiéval, centré autour de 1967 : l’accident fatal à Biloxi, l’incident six mois plus tôt à San Francisco, qui éjecta Jayne du star system, en passant par un petit détour satanique, et la dernière soirée en Louisiane, les dernières heures de la star.

Jayne Mansfield 1967 est court (200 pages), mais puissant et détaillé. Il n’est pas exhaustif, mais il sonne juste (la description de l’accident, au milieu du bayou louisianais est un petit chef d’œuvre). Une lecture qui s’impose, même si on n’est pas cinéphile, tendance Kenneth Anger.

Car Simon Liberati s’inscrit dans la veine Hollywood Babylon, il s’en vante, même. Cette cinéphile toute particulière, collectionneuse de ragot, qui aime se rouler dans la fange de l’envers glauque de l’industrie du rêve : meurtres, suicides, violences familiales, satanisme, tout est bon dans le chaudron Angerien.

Jayne Mansfield est un morceau de choix dans cette veine. Sa carrière cinématographique est minuscule (à part l’excellent La Blonde et Moi, qui doit plus à Gene Vincent et à Little Richard), qui pourrait citer une autre œuvre Mansfieldienne, si ce n’est sa mort ?
Son accident de voiture, sa quasi décapitation, voilà la grande œuvre, la porte de sortie grandiose vers le firmament Hollywoodien. Quand on n’a pas de carrière, il faut une vie tragique (Paris Hilton, Britney Spears, Diana).

Sous-Marilyn, malgré son QI de 163, Jayne n’a fait que poursuivre le rêve Hollywoodien. Et inspirer, comme l’a si bien fait remarquer JG Ballard dans Crash**, notre passion quasi-érotique pour les stars, les accidents de voitures, et les accidents de voiture de stars.


*La Blonde et Moi (The Girl Can’t Help It) fait partie de ces projets foireux dont Hollywood a le secret. Le film de Frank Tashlin avait pour but de ridiculiser la scène rock’n’roll naissante (le film date de 1956), et la bêtise de ces nouvelles stars que leurs enfants s’étaient mis à aduler. Jayne Mansfield y incarnait Jerri Jordan, une bombe blonde, qui à la place de chanter, se contentait de pousser un cri à la fin de chaque refrain. Les chanteurs du moment (Eddy Cochran, Little Richard, Gene Vincent), vinrent se déhancher devant un public de jeunes écervelés. Pas de chance : le film fut un énorme succès auprès des teenagers, et permis, ô douce ironie du sort, de populariser encore plus ces musiciens.
**et le film éponyme de Cronenberg…




mardi 6 septembre 2011


Magie… du réel
posté par Professor Ludovico

Coïncidence : hier je passe au métro Jourdain, quartier que je fréquente rarement, et je me dis « Tiens cette placette me dit quelque chose ! » Deux coups de pédale plus loin (Oui, Le Professore ne se déplace qu’en Velib’), la réponse est là : c’est l’adresse de Karin Viard et Danny Boon dans Le Code a Changé, que TF1 avait eu la bonne idée de diffuser la veille…

C’est la magie du réel, quand l’univers projeté dans les salles obscures se révèle exister dans la réalité. Le voyage aux Etats Unis est une obligation pour le cinéphile ; on y découvre qu’aucun film, même La Chevauchée Fantastique, n’arrivent à rendre grâce à Monument Valley, ou Grand Canyon… au Grand Canyon.

De même, la visite à Los Angeles est indispensable : l’incroyable métropole bat non seulement au rythme du cinéma, elle en est l’écrin. Ainsi, c’est avec stupéfaction que le Professore découvrit en 1990 (son premier voyages d’études) que LA et ses environs servaient de décor à 90% de ce qu’il avait vu depuis 25 ans. Horrible révélation : Starsky et Hutch se passait à LA, et pas à NY. Mais aussi les Têtes Brûlées, probablement tournée dans les collines de Mulholland.

Aller là bas, c’est se retrouver dans les films, le monde des rêves.

Le plus maniaque ira plus loin, à Snoqualmie Falls par exemple, se prosterner sur les lieux du culte Twin Peaks. Et constatera, les yeux emplis de larme, que les Twin Peaks n’ont qu’un sommet (l’autre fut ajouté par trucage), que le Twede’s Café est bien petit (et son fameux café, franchement dégueulasse), que le commissariat est le bureau de la scierie, que le wagon de Ronette Pulaski est en plein centre ville, etc.

Évidemment, Lourdes ne déçoit jamais le croyant…

Reste le trip ultime, aller spécifiquement en voyage sur les traces de l’oeuvre ; Portmeiron, par exemple, sur la côte du Pays de Galles, dans l’espoir (un de ces jours, Eric ?) d’y croiser le fantôme du N°6…




mardi 30 août 2011


A la Maison Blanche / La Conquête
posté par Professor Ludovico

Me voilà regardant les vingt dernières minutes de A la Maison Blanche, au fallacieux prétexte de vérifier une info Wikipedia (Aaron Sorkin serait présent en cameo-hommage dans le dernier épisode), et la comparaison s’impose évidemment avec La Conquête.

A la Maison Blanche, pourtant bavarde, sait faire confiance au cinéma ; deux exemples en guise de démonstration.

Pour illustrer la fin d’une époque, et le début d’une autre, et la cruauté afférente à l’exercice, John Wells multiplie les symboles.

Scène 1 : pendant la cérémonie d’investiture au Capitole, on s’affaire à la Maison Blanche. Pour quoi faire ? Déménager pardi ! En une heure, on doit faire disparaître les derniers vestiges de la présidence Bartlet. Wells filme ainsi le dévissage du portrait présidentiel, vite remplacé par celui de son successeur. Simple, certes, mais efficace : dans une ambiance crépusculaire, gros plan sur la dévisseuse électrique. Pas de cérémonial, mais une bête séance de bricolage. Après huit ans au service de la plus grande puissance du monde, on est peu de choses.

Idem en bas de l’échelle, scène 2 : Charlie, ancien assistant du président, voit la nouvelle équipe arriver dans les bureaux. Il essaie d’être sympa, donne un conseil sur le réglage de la clim’. L’autre plonge dans ses cartons, et ne répond pas. Contre champ sur le petit sourire désabusé de Charlie. Pas de dialogue, tout est dit. On a beau être des good guys (démocrates, of course), il y a ceux qui partent et ceux qui arrivent aux affaires.

Ces deux exemples sont à la portée de n’importe quel scénariste, de n’importe quel acteur. Il faut juste refuser les facilités de la toute puissante réalité (les Dardenne, La Conquête, les BOATS façon Clint Eastwood).

Il faut juste croire à la puissance de la fiction.




lundi 29 août 2011


La nouvelle nouvelle guerre des boutons
posté par Professor Ludovico

C’est l’histoire d’une guerre, souterraine, secrète, mais une guerre quand même. Cette guerre, c’est la guerre des boutons. Rappel des faits : en 1912, Louis Pergaud écrit La Guerre des Boutons, le livre, qui deviendra un film drolatique d’Yves Robert, en 1955. (Je peux écrire drolatique, parce que je ne l’ai pas vu, le film….)

Mais grâce à lui, les aventures de Petit Gibus deviennent cultes, comme les répliques « Si j’aurais su, j’aurais po v’nu ! »

Aujourd’hui, le livre est tombé dans le domaine public. Marc du Pontavice, ancien de la Gaumont et producteur de Gainsbourg, Vie Héroïque, flaire la bonne idée, pas chère (pas de droits à payer, malgré une notoriété inentamée : faisons un remake !). Un projet est lancé, sous la direction de Yann Samuell (Jeux d’Enfants) avec notamment Alain Chabat et Mathilde Seigner.

Mais Thomas Langmann (Astérix, Le Boulet) a eu la même idée. Il a monté lui aussi un projet, autour de Christophe Barratier (Les Choristes) et de Kad Merad et de Gérard Jugnot. Le conflit ne peut se régler devant les tribunaux, puisqu’il n’y a plus de droits cédés. Ca sera donc la guerre. On appelle comédiens, techniciens, décorateurs, et on menace « si tu fais La Guerre des Boutons avec Machin, tu ne travailleras plus jamais dans le cinéma français* », entre autres amabilités.

Moralité : deux films sortent, à une semaine d’intervalle (14 et 21 septembre), sans argumentaire marketing sérieux pour faire pencher la balance. D’un côté, l’humour Nuls, la sensibilité et l’esthétisme façon Yann Samuell, de l’autre le plus franchouillard, façon Choristes, Barratier-Merad-Jugnot. Il n’y aura à l’évidence aucun vainqueur, mais deux perdants. D’abord parce que personne de sensé n’ira voir les deux. Et que même si l’un l’emporte sur l’autre, il perdra quand même, mathématiquement, une bonne partie des entrées de son adversaire.

Petits dégâts collatéraux : comment sera géré la promo ? Invitera-t-on en même temps Kad Merad et Alain Chabat aux Enfants de la Télé ? Osera-t-on leur poser une question sur le ridicule de la situation ? Et si on ne le fait pas, c’est l’interviewer qui sera ridicule, d’enchaîner ainsi, sans rien dire, la promo du même film. Et cela promet aussi une belle foire d’empoigne lors des diffusions télé : « Si tu achètes la Guerre de Machin, n’espère pas avoir mon Astérix IV ! »

Rien de grave à tout cela, mais plutôt un sujet de rigolade, assez fréquent si on y regarde de plus près : il y a deux Borgia à la rentrée : celui que Canal+ a produit, écrit par Tom Fontana, et celui que Canal+ a acheté à Showtime, et qui est déjà diffusé partout dans le monde. Si Canal l’a acheté, c’est pour éviter de se faire griller deux fois. Une fois à l’international (c’est fait, personne n’achètera les Borgia façon Canal), et une fois en France (pas question que M6 ne diffuse un Borgia Showtime avant le mien)…

De même, 1998 vit l’affrontement titanesque de Deep Impact et d’Armageddon, sur le même sujet météoritique : Le Simpson-Bruckheimer l’emporta localement, laissant la victoire international au mélo de Mimi Ledder…

*Selon la formule célèbre de Julia Philips : « You’ll never eat lunch in this town again », titre de son livre de révélations sur Hollywood, et menace sous-tendue si elle publiait lesdites révélations. Quatre prostituées d’Hollywood reprirent l’idée dans leurs propres confessions « You’ll Never Make Love In This Town Again »




lundi 22 août 2011


Put the bunny back in the box !
posté par Professor Ludovico

C’est l’histoire d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître… Une Amérique pré Ben Laden, sûre d’elle même et dominatrice, qui produisait de la GCA sans complexe. Dimanche soir, TF1 diffusait Les Ailes de l’Enfer, Con Air en VO, Air Con pour les intimes*

Eh bien à ma grande surprise, ça n’a pas trop vieilli. Pas mal pour un film déjà pas terrible à l’époque. Loin derrière pourtant des autres productions du tandem roi de la décennie, Don Simpson-Jerry Bruckheimer ; loin derrière The Rock, Armageddon, USS Alabama

Mais bon, c’est peut-être le dernier bon Nicholas Cage, et c’est surtout le film d’une réplique, culte forever :

– « Repose le lapin dans la boîte »

*© James Malakansar




lundi 15 août 2011


Hollywood Crime Stories
posté par Professor Ludovico

Tout le monde ne peut pas lire la bible, c’est à dire Hollywood Babylon, le chef d’œuvre introuvable de Kenneth Anger. Hollywood Babylon racontait les anecdotes les plus crues, les plus trash, les plus violentes de l’usine à rêves pendant son âge d’or, c’est à dire les années 20-30. Un livre vient de sortir en français sur le même sujet, moins bien écrit, mais qui vaut le détour. D’autant plus que Hollywood Crime Stories ajoute quelques chapitres français à cette histoire : Max Linder et son suicide en couple, Jean Seberg et son suicide en R5, les mauvaises fréquentations d’Alain Delon (l’affaire Markovic) ou de Gérard Lebovici.

Lecture donc indispensable au CineFaster, qui se passionne pour les coulisses, ou pour l’historien, qui adore les mises en perspectives. Ici, on notera que Lady Gaga ou Paris Hilton passeraient pour des bonnes soeurs face aux turpitudes des people californiens : détournement de mineures (Charlie Chaplin), viol, orgies (Fatty Arbuckle, sorte de John Goodman années 10), meurtre (William Desmond Taylor), drogues (Olive Thomas)… On suivra aussi avec intérêt l’histoire de John Holmes, star du porno américain, dont la déchéance criminelle inspirera deux films, l’un médiocre (Wonderland), l’autre un chef d’œuvre instantané (Boogie Nights)

Hollywood Crime Stories, sexe, mensonges et violences dans le monde du cinéma, de Vincent Mirabel, éditions First Document




mercredi 10 août 2011


Woody, Paris-New-York, New-York-Paris
posté par Professor Ludovico

Dans le TAL (Trucs à Lire) qui traîne aux pieds du lit vacancier un Nouvel Obs de juillet. Vieux réflexe d’attaché de presse, je lis tout, même le magazine bobo moralisateur à demeures de charme …

Et là, p.21, l’info toute crue qui ravit le Professore. Midnight in Paris*, le dernier Woody Allen, est devenu le plus gros succès du cinéaste New-Yorkais, dépassant Hannah et ses soeurs : 4 millions de dollars de recettes.

Que d’infos en une si petite brève ! D’abord, parce qu’on nous signale au passage que Woody, enchaînant les flops, était obligé de trouver ses financements à l’étranger, d’où sa période anglaise (Match Point), espagnole (Vicky Cristina Barcelona) et francaise… Grâce aussi aux déductions fiscales que propose la vieille Europe… Quoi ? L’Amérique, Land of Opportunity, serait odieusement taxatrice ??? Cela ne surprendra que les contempteurs habituels des impôts-qui-écrasent-l’initiative-individuelle, et qui me connaissent les fonctionnements US en la matière.

Ensuite, on notera qu’un succès de Woody aux USA, ce n’est que 400 000 personnes…

Enfin cela vient corroborer notre théorie des amours contrariés franco-americains : si les américains privilégient Midnight in Paris, c’est probablement parce que le Woody y livre une vision carte postale de la capitale, tout comme le plus gros succès français de Woody en france est évidemment… Manhattan.

*J’ai failli y aller, selon le syndrome aixois, mais j’ai renoncé, grâce à une belle fièvre.




samedi 25 juin 2011


One+One/Mammuth
posté par Professor Ludovico

Par les hasards de la cinéphilie, je terminais – péniblement – Mammuth, du duo Delepine/de Kervern. Perclus d’ennui, je zappais sur Tsonga-Dimitrov, et une fois la 6ème balle de match enfin concrétisée, j’errais sur le câble pour tomber, ô miracle ! sur One+One de Jean-Luc Godard.

On parle peu de Godard sur CineFast, c’est aussi parce que le bonhomme n’est plus très actif, et que ses derniers films sont moyennement intéressants, mais il fait partie lui aussi du panthéon secret du Professore. D’abord Godard, c’est un très grand analyste de l’image (et là où il est le meilleur, d’ailleurs), et c’est évidemment – du moins à ses débuts – un immense cinéaste (A Bout de Souffle, Le Mépris, Pierrot le Fou). Plus que ça, une référence pour les cinéastes américains que nous admirons ici (Spielberg, Coppola, Schrader, etc.)

Nous nous ennuyions donc sur Mammuth, film à la fois sympathique et prétentieux. Sympathique par son format (court métrage Super8, auto-assumé Art Brut*). Prétentieux par sa volonté de traiter poétiquement (plutôt que politiquement) du problèmes retraites. Un coup marketing aussi : Depardieu + Adjani, nos anciens amours réunis à l’écran. Mais voilà, c’est tellement jemenfoutiste dans les dialogues, le jeu, la construction, qu’on s’ennuie ferme. Il ne suffit pas de s’assumer arte povera pour qu’on trouve ça génial. Les répliques prétendues cultes tombent à plat, les-scènes-critique-de-la-vie-quotidienne aussi (comparez la scène de l’audiotel de Mammuth avec celle de Burn After Reading et vous comprendrez). La symbolique est lourdingue (la grosse moto qui devient mobylette, les papiers qui volent au vent). Bref, Gustave de Kervern et Benoît Delépine essaient de faire leur film d’errance métaphysique, mais n’est pas Antonioni qui veut. Seules surnagent les séquences à moto, notre Gégé national sur sa Mammuth, et la musique de Gaétan Roussel.

En face, la concurrence de One+One a dû leur glacer les sangs. One+One, tout est dans le titre : juste après Mai 68, Godard veut faire deux films en un : un film politique sur la l’après-68, et film sur le rock : l’enregistrement du futur mythe des Stones Sympathy for the Devil.

Vs Mammuth, Godard, c’est la stratosphère. Plans magnifiques, c’est la Ferrari du film intello. Certes, la partie « Black Panther » est ratée et lourdingue, mais le film sur les Stones est un chef d’œuvre rare. Tout simplement parce que les artistes rechignent se mettre ainsi à nu, alors que l’œuvre n’en est qu’à sa genèse. Au début, Sympathy for the Devil n’est qu’un immonde brouillon blues, péniblement gratouillé par un Brian Jones dépressif. Mais petit à petit, on voit le diamant sortir de sa gangue de boue, devenir cette incroyable salsa parsemée d’éclairs électriques. Au fur et à mesure son géniteur s’efface, s’éloigne du champ, jusqu’à disparaître de l’image. La préfiguration du vidage du Stone, et de son suicide, un an après.

Un exemple vu ce soir-là : par un long travelling dans le studio, qui s’arrête, qui repart, qui fixe tout autant Brian Jones (déjà au bord de la piscine) que les technicos qui bouffent leur sandwich à côté, Godard fait sens. On regarderait ça pendant des heures, même à une heure du matin.

Merci Jean-Luc.

*de l’intérêt de lire le générique de fin jusqu’au bout.




lundi 20 juin 2011


CineFast à l’école !
posté par Professor Ludovico

Depuis deux ans, l’ami François me fait l’honneur de m’accueillir dans sa classe d’anglais, en Classe Européenne. Il croit que je lui rends un service, mais il me fait le plus beau cadeau du monde : deux heures, rien qu’à nous, pour éduquer dans la langue de Shakespeare, de jeunes esprits à la cinéphilie.

Tout cela a commencé l’an dernier, quand la Professorinette a arboré un T-Shirt CineFast en classe (eh oui, on ne lésine pas sur le street marketing à CineFast). Intrigué, ledit François va alors sur cet honorable blog et demande dans la foulée si le Professore ne voudrait pas intervenir sur le cinéma, pendant un cours du mois de juin.

Après s’être calé ensemble sur le programme (j’avais proposé « Philosophie Politique d’Armageddon », il avait proposé « Woody Allen et Citizen Kane chez Shakespeare », on a transigé sur Titanic, évidemment.

L’objet du premier cours était de montrer comment se construit un film hollywoodien, et Titanic est parfait pour ça : vingt minutes pour poser les enjeux, trois heures pour les résoudre. François, qui avait déjà fait travailler ses élèves sur la cinématographie, s’est arrêté de son côté sur la représentation du bateau lui-même : fort et puissant au début, théâtral au milieu*, et minuscule et fragile îlot de lumière au mitan, quand justement le film amorce sa descente : iceberg, collision, naufrage.

Les élèves ont ensuite travaillé sur le calme et le frénétique, les deux fins de Titanic. En effet, nous avions posé avec eux qu’il y avait deux films en un : un film pour garçon (les vingt premières minutes, pleines de testostérone : sous-marins, hélico, cigare, chasse au trésor, Brock Lovett). Vingt minutes macho, hard boiled, et d’ailleurs toutes bleues. S’y succédaient vingt autres minutes tout de rose vêtues (vieille dame, jeune fille, chapeaux et corsets, peignes, miroirs d’argent et émotions, Rose Calvert) : un film pour filles. Il fallait donc deux fins pour parachever Titanic ; une fin action : bateau qui casse, cris, explosions, méchant puni. Mais aussi, ensuite, une tragédie calme, le silence, Rose et Jack seuls face à l’immensité de l’univers. C’est ce qui fait le succès de Titanic, d’ailleurs, et sa grande réussite : ce mélange tous publics de film catastrophe et de romance également réussis…

Le deuxième cours, destinée aux Troisièmes, était consacrée deux jours plus tard à la Sitcom. Sur la base du visionnage du Pilote de Friends, l’objectif était de comprendre la structure narrative spécifique de la sitcom, et les contraintes marketing afférentes (court, pas cher, formaté et répétitif, pour garantir les taux d’audience). Sur le même principe de pédagogue éclosive (regarde et découvre toi-même !) les élèves ont encore fait des étincelles.

Car ce qui frappe de prime abord, c’est la culture, le dynamisme, la fraîcheur des élèves sur ces sujets. Enfants de la télé, du téléchargement, et de la culture US, ils sont impressionnants d’érudition et de questionnements. Et n’hésitent pas à renvoyer le Profess(eur)ore dans ses 22. Une jeune fille de Quatrième que visiblement je bassinais sur le genre très marqué de Titanic (a film for boys, a film for girls), me reprit, sarcastique : « Alors les filles n’ont pas droit aux films d’action ? » Et deux garçons de m’interroger sur le créneau Sitcom du jeudi sur NBC : « En France c’est plutôt mardi, non !? »

Tout ça pour dire que je me suis régalé ; d’abord parce qu’il n’est rien de plus valorisant que d’apprendre quelque chose à quelqu’un, surtout à nos enfants. Et ensuite parce que nous partageons avec François cette même vision : plutôt que d’esquiver Internet et la télé, l’école (ou les parents) ont tout intérêt à apprivoiser ces outils pour donner aux enfants les grilles de lecture pour les comprendre et les décrypter.**

Ensuite parce que ce genre d’exercice renoue avec la magie intacte du cinéma. Plongez une classe d’ados dans le noir, projetez-leur Titanic sur l’écran pas terrible d’une salle de collège, passez la scène de la mort de Jack, et amusez vous compter les filles en pleurs***…

« On meurt, on passe un bout de temps à rêver, et on revient… » : c’est ce que dit David Lynch à propos du cinéma, et on ne saurait mieux dire.

*François m’a ainsi permis de remarquer que lors de la séquence culte du baiser, la proue, et le poste de commandement du Titanic sont carrément redessinés, idéalisés façon Vérone 1912 : un écrin orange parfait pour nos Roméo et Juliette cameroniens, et leur Amour Eternel).

** A l’instar, par exemple, de la démarche d’un Daniel Schneidermann en 2001, au lancement de Loft Story. Plutôt que de se lamenter sur la-télé-qui-décervèle-nos-enfants, Arrêt sur Images avait abonné une classe de CM2 à la Chaîne du Loft, et leur instituteur les avait fait travailler dessus. Des gosses de dix ans avaient compris – avant tout le monde – que Loft Story était entièrement scénarisé par Endemol, malgré toutes leurs dénégations.

*** Autre anecdote intéressante : je commence mon intervention en interrogeant les élèves ce qu’ils savent du vrai Titanic. Ils savent pas mal de choses (les femmes et les enfants d’abord, les riches qui ont survécu, l’iceberg, le SOS…), et que le bateau a coulé, évidemment… Puis je plonge la salle dans le noir, et on lance le film : cinq minutes plus tard, quand on demande aux élèves les questions que posent le début du film, ils répondent en chœur : « On se demande si le bateau va couler… » Magie, du conte, du théâtre, du spectacle encore et toujours, et pour toujours…




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