Pour ceux qui pensent encore que le cinéma naîtrait, ex nihilo, du cerveau d’un seul cinéaste démiurge, que la beauté d’un plan, d’un costume, d’un décor serait le fruit du hasard, et pas l’exécution d’un travail planifié en amont, on se penchera sur trois minutes de Stranger Things.
Un nouveau personnage très excitant, Maxine, est venu enrichir la bande de copains de la fresque nostalgique des frères Duffer. Maxine est rousse. Dans l’épisode six, il y a un exemple parfait de la nécessité de stylisation que décrivait Hitchcock : « On découvre que deux personnages portent le même costume, et de fait, on ne sait plus qui est le méchant… »
La stylisation, c’est ce qui permet de caractériser le personnage d’un seul coup d’œil, car le spectateur a autre chose à faire : comprendre l’intrigue, écouter les dialogues et surtout, ressentir des émotions.
Donc, Maxine. Toutes les filles rousses vous le diront, ce qui leur va le mieux, c’est le vert. Parce que le vert, c’est la couleur complémentaire de l’orange, la couleur qui crée dans votre œil le plus fort contraste possible. Quand on est décorateur, costumier, on a appris ça à l’école.
Et on le met en pratique, dans cette scène très simple de la maison de Maxime. Il y a de l’orange partout dans cette maison : les vitraux de la porte, le papier peint, les coquillages dans le bocal… Mais il y a aussi du vert, le linteau de la cheminée, le bocal de coquillages, les rideaux… Ce n’est pas innocent, même si ce n’est pas fait de façon appuyée*.
Ces choix créent une ambiance : on est dans la maison de Maxine, vous savez, la petite rousse en survêtement vert. Dans le final de la saison, elle porte un masque de plongée comme les autres … mais le sien est orange ! Tous les masques de plongée des années 80 sont en plastique noir, sauf celui de Maxine : on la reconnaitra du premier coup d’œil. Dans Mad Men, Matthew Weiner faisait de même avec Joan Holloway ; Christina Hendricks se pavanait dans des robes vertes incendiaires. Mais il n’est pas besoin d’être aussi stylé que les années 50 pour faire ce travail de stylisation…
* Au contraire de Légion, ou de Kingsman qui cherchent, eux, à créer un univers ultrastylisé, type BD.
posté par Professor Ludovico
Nouvelle crise de schizophrénie du CineFaster : on se jette comme la vermine sur le bas clergé sur Stranger Things, et on se repaît de notre dose quotidienne. Mais une fois fini, on n’a de cesse d’en pointer les innombrables défauts. Car il s’agit bien de cela : une série addictive mais faible, à l’exécution parfaite mais d’une faible originalité.
Les frères Duffer ont à l’évidence appris par cœur les manuels de Spielberg, Donner, de Palma, Carpenter, mais ils peinent à avoir le début d’une idée. Cette saison deux a une intrigue et une seule, qui ressemble beaucoup à celle de la première saison. Les personnages sont fossilisés dans leurs stéréotypes, la mère courage pleurnicheuse, les enfants indomptables, le flic frustre*. Il y a bien une ouverture – un instant mystérieuse – avec Maxine, mais qui ne mène finalement à rien.
Il reste néanmoins la perfection de l’exécution, la musique, les acteurs, la déco, et ce doux parfum de nostalgie eighties, talkies-walkies et Donjons&Dragons, promenades à vélo et cabanes dans la forêt yvelinoise, et le Commissariat à l’Energie Atomique de Bruyères-le-Chatel comme siège possible de l’Empire du Mal… C’est ce business de la nostalgie qui pilote Stranger Things, et seulement cela.
Si, comme l’a révélé la dernière séance de spiritisme menée par le Professore Ludovico au cœur de la forêt rambolitaine, Stranger Things devait durer 11 saisons, il va falloir songer à se trouver un scénariste.
* Sans parler d’un épisode (et d’un personnage) complètement ratés, qui sentaient le Trumpisme à plein nez comme le Framekeeper sent le Brocciu, et dont le message frôlait dangereusement les meilleures pages de la Loi du Talion.
samedi 28 octobre 2017
Halt and Catch Fire saison 4, épisode 8
posté par Professor Ludovico
Il aura fallu un autre épisode de HC&F pour montrer l’incroyable supériorité de la télévision actuelle sur le cinéma actuel.
Un épisode d’une série dont on n’arrête pas de dire qu’elle est en deuxième division, mais qui est capable de se payer le luxe de passer un épisode entier sur le deuil, et de raconter quelque chose aussi d’aussi peu passionnant ou cinématographique que le vidage de la maison d’un mort.
Plus aucun film ne sait faire ça aujourd’hui. C’est à AMC, et à Halt & Catch Fire, de le faire. Et de filmer une chose aussi compliquée qu’une réconciliation, en alternant, très lentement, la mise au point sur ses deux héroïnes filmée de profil. On a déjà vu ça cent fois, mais jamais comme ça. Toute la scène tenait à la finesse du focus puller, qui passait tendrement d’une actrice à l’autre, en laissant volontairement des moments imperceptibles de flou.
Du cinéma.
mardi 24 octobre 2017
Halt & Catch Fire, saison 4, épisode 7
posté par Professor Ludovico
C’était l’autre soir ; on regardait Halt & Catch Fire, cette quatrième et dernière saison. Et l’émotion nous a saisi à la faveur d’un plan (volontairement) artificiel : on a compris qu’on aimait ces personnages depuis toujours.
Halt & Catch Fire n’est pas une grande série. C’est le Mad Men du pauvre. Qui échangerait ces magnifiques costumes trois pièces contre un survêtement Tacchini ? Mais même en deuxième division, si vous vous intéressez à ces histoires de serveur, de PC, de jeu vidéo en réseau, bref tout ce qui fait nos vies depuis 1980, cette série est pour vous. Malgré ses personnages hésitants, ses comédiens pas toujours parfaits, et ses scénarios un peu faibles, H&CF fait le boulot.
Adieu les amis.
samedi 23 septembre 2017
The State
posté par Professor Ludovico
On peine à comprendre la polémique qui entoure le nouveau opus de Peter Kosminsky, The State. Certes, l’intrigue est située du côté des personnages, quatre anglais (deux hommes, deux femmes) venus soutenir la guerre en Syrie. Mais en aucun cas Kosminsky ne prend le parti de l’EI.
L’auteur de Warriors s’intéresse plutôt à leurs désillusions ; quand la médecin découvre qu’en tant que femme elle ne peut pas, malgré les promesses Facebook, aider à l’hôpital ; ou quand un garçon réalise que les motifs qui l’ont fait venir ne sont qu’un tissu de mensonges.
Comme d’habitude chez Kosminsky, ce n’est pas extrêmement mis en scène, c’est simple, basique, réaliste, affreusement réaliste. Mais pour une fois, on voit un peu les failles du système Kosminsky. Cette austérité toute puritaine pour la réalité, rien que la réalité, c’est aussi un cœur presque sec. On commence in media res sans savoir pourquoi ces gens ont décidé de rejoindre l’Etat Islamique.
On ne s’intéresse pas beaucoup à ces personnages, et la série étant extrêmement courte (4 épisodes), on a peu le temps de comprendre leurs péripéties scénaristiques. Quand l’un se transforme en bombe humaine tandis que l’autre décide de revenir en Grande Bretagne, on n’est déjà à la fin de The State.
Qui confine donc au documentaire, voire au docudrama. Ce qui a toujours été le risque des œuvres de Kosminsky.
dimanche 17 septembre 2017
Back to Baltimore
posté par Professor Ludovico
On retourne, le cœur serré, dans les streets of Baltimore avec le Professorino. Wee Bey, Bodie, Stringer B, Dee Angelo, la partie d’échec dans les pavillons, les Projects, McNulty et Rawls, Bunk et Bubbles. Le truc a pris un coup de vieux, mais on le voit enfin en HD et on comprend.
Car il y a cette ironie dramatique, qui nous fait connaitre à l’avance le destin de chacun, ce fatum de l’incroyable roman russe de David Simon qui pèse sur tous les protagonistes, pour une fois traités d’égal à égal ; flics ou gangsters, riches ou pauvres, blancs ou noirs…
Et revient alors de notre mémoire cinéphilique l’épilogue de Barry Lyndon : « It was in the reign of King George III that the aforesaid personages lived and quarrelled ; good or bad, handsome or ugly, rich or poor, they are all equal now »*
* « Ce fut sous le règne du roi Georges III que ces personnages vécurent et se querellèrent ; bons ou mauvais, beaux ou laids, riches ou pauvres, ils sont tous égaux maintenant »
samedi 16 septembre 2017
Vietnam
posté par Professor Ludovico
Oyez, oyez braves gens ! Le cirque Burns est en ville avec son nouveau spectacle, Viet-NAAAAAM ! Neuf heures d’amusement, de frayeur, et de rires pour toute la famille ! Découvrez les rives enchanteresses de la Nang River, le Siège de Khe San, la bataille d’Hamburger Hill ! Photo dézoomées, témoignages austères, gros plan sur des casques Born to Kill et joint de marijuana !!! Le Grand Orchestre du Cirque Burns est dirigé par Messieurs Trent Reznor et Atticus Ross !!
Ne manquez pas le spectacle ! Le Cirque Burns sera en ville à partir de mardi 20 heures jusqu’à jeudi, dernier délai, pour trois heures de spectacle formidables par jour !
Rentrez chez vous braves gens ! Allumez votre téléviseur ! Et regardez !!!
Vietnam, un documentaire de Ken Burns et Lynn Novick
Arte, du 19 au 21 septembre à 20h50
lundi 4 septembre 2017
Wolf Hall
posté par Professor Ludovico
Au moment où Peter Kosminsky revient sur Canal+ avec le provocant The State, Arte rediffuse Wolf Hall, ses Tudors minimalistes. La série date de 2015 et cette tanière du loup est une énième variation, adaptée des livres de Hilary Mantel, sur le grand événement fondateur de la monarchie anglaise : comment un pays profondément catholique, avec un roi marié à une princesse espagnole, Catherine d’Aragon, a basculé dans un régime totalement spécifique inspiré par la réforme.
Il y avait déjà eu la version glamour signée Michael Hirst, et beaucoup d’autres versions cinématographiques, il y a maintenant le Wolf Hall de Monsieur Kosminsky. C’est évidemment le premier atout marketing de cette mini-série de six épisodes. Sec comme un coup de trique comme Warriors, sans concession, comme La Promesse. Mais il y a aussi Mark Rylance, le Rudolf Abel du Pont des Espions, le père de Dunkerque. Il interprète ici un Cromwell de haute facture : silencieux, machiavélien, tour à tour terrifiant et terrifié.
On le comprend, ces Tudors-là sont à l’exact opposé des Tudors de Hirst. Pas de beaux costumes, pas de décors magnifiques, mais plutôt une sorte de reportage, caméra à l’épaule, dans de vrais décors. C’est la force et la faiblesse de la version Kosminsky. Sexy comme une bible de Martin Luther, il a pourtant tout pour plaire. Pour cette vision ultra réaliste des relations très particulières qu’entretiennent prince et conseiller, le premier toujours à quelques centimètres de planter la tête du second au bout d’une pique (ce qu’il fera quelques années plus tard)…
Rylance est tout simplement parfait dans le rôle, gardant dans le silence, plutôt que proférer d’inutiles dialogues, une relation distante avec ses maitres (Damian Lewis, tout aussi parfait en Henri VIII).
Pour tout amateur d’histoire : un must.
mercredi 30 août 2017
Manuel du Magicien
posté par Professor Ludovico
On cherche en vain à expliquer aux guèmemoftroneurs hardcore ce qui cloche dans notre série fétiche – et qui lui a fait perdre, depuis quelques saisons, tout espoir d’accéder au panthéon des séries parfaites. Mais on se heurte à un mur, car leur fanatisme est sans limite. « C’est agréable », « on ne s’ennuie pas », « c’est normal qu’on passe la seconde », et autres foutaises, alors que la série se débarrasse de son ADN, et, partant, son génie si particulier. Mais comme dit Matthieu (11:15), Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
C’est alors que le Professorino nous donne la clef, le contre-exemple pédagogique qui permet d’expliciter notre dépit. L’arc narratif « Littlefinger » est une des réussites de cette saison, et montre en creux l’échec des autres. Cet arc (Littlefinger essayant de semer la zizanie chez les Stark) est installé depuis plusieurs épisodes (voire plusieurs saisons), alors que les autres arcs débarquent parfois aussi subitement que l’arrivée du train en gare de La Ciotat. Cet arc est cohérent avec le personnage concerné. Il est amené par des dialogues brillants et subtils. Cette intrigue progresse à petites touches, épisode après épisodes. Son dénouement intervient au bon moment, et ses conséquences sont logiques. En clair, ce qui manque à beaucoup d’autres arcs narratifs de cette saison 7. Et il n’y a aucune excuse à ne pas suivre la méthode ci-dessus.
Les auteurs le savent, mais comme dit Cersei, Knowledge is not power. Power is power.