Comme bien d’autres, Paul Verhoeven fait partie de ces réalisateurs européens qui ont fait le voyage à Hollywood ; la grande Usine à Rêves, telle la déesse Kali, dévorant les jeunes talents pleins de fougue pour nourrir son ventre toujours plus gros.
Comme ses illustres prédécesseurs (Lubitsch, Hitchcock, Lang), Verhoeven a essayé d’insinuer un peu de poison dans la machine, un peu de cerveau européen dans le muscle américain, un peu de subversion dans un cinéma disneyé à l’extrême.
Starship Troopers en est la plus élégante démonstration. La plus pernicieuse, aussi.
Au départ, il y a un livre très réac, Etoiles, Garde à Vous ! écrit par Robert Heinlein en 1959. L’histoire est la même : des jeunes gens s’engagent dans l’infanterie mobile pour devenir des Citoyens. La guerre fait rage contre les extraterrestres, des arachnides grouillants n’obéissant qu’à un unique cerveau (si vous n’avez pas compris l’allusion à la vermine communiste, merci de changer de blog). Par leur courage indéfectible, nos jeunes fantassins infligent une terrible défaite aux arachnides. Le livre est particulièrement mauvais, même dans le contexte de la Guerre Froide.
Le coup de génie de Verhoeven, c’est de refuser absolument de moderniser l’histoire, mais au contraire de l’adapter telle quelle. Car son projet est autre : jouer le premier degré, c’est en effet exposer sa connerie au grand jour. Et Verhoeven ne va pas faire les choses à moitié : d’abord, il caste des beaux gosses incroyables et des filles sublimes dans les profondeurs du soap américain (Casper Van Dien et Dina Meyer (Beverly Hills), Denise Richards et Patrick Muldoon (Melrose Place), bref, que des dents blanches parfaites, des brushings au carré, même quand le sang verdâtre alien leur dégouline sur le visage.
Coup de vice supplémentaire, il va plaquer, en loucedé, une esthétique nazie sur l’ensemble. Costumes afrikakorps grisés pour l’aéronavale, aigle comme symbole de la Fédération, blonds aux yeux bleus à droite et à gauche, mais surtout, des scènes, piquées plan pour plan au Triomphe de la Volonté, le chef d’œuvre de Leni Riefenstahl (idéologie mise à part, évidemment !) sur le congrès de Nuremberg en 1934. Par exemple, la première scène, où chacun se dit prêt « au combat », ou une plus loin, une scène expurgée depuis : « D’où viens-tu soldat ? » « De Buenos aires ! » « De Dublin ! » « D’Austin, Texas ! », répondant aux mêmes plans de volontaires dans Triumph des Willens : « De Rhénanie ! De Franconie ! De Bavière ! »
Évidemment, ces allusions ne passèrent pas inaperçues à la sortie, et depuis, certaines scènes ont été coupées. Mais ces ajouts au roman initial, si profondément inclus dans la trame du film, ses dialogues, ses décors, transforme radicalement le propos.
Désormais, Starship Troopers a deux couches : un film d’action très réjouissant, Full Metal Jacket rigolard (les séquences d’entraînement plutôt gore), western insectoïde façon Alamo (le fortin assiégé), Star Trek dans la Kriegsmarine (batailles dans l’espace kitschissimes), Love Story à deux balles (un homme, deux femmes, la guerre). Au service de cela, le casting ultra brite, le ton enjoué des dialogues « C’mon you apes, you wanna live forever? », la déco ultra kistch et ultra propre des vaisseaux, des costumes, et des fusils en plastique.
Mais dans le même temps, Verhoeven peint sa deuxième couche autoparodique : les combats sont extrêmement réussis, violents et gore (éventration, suçage de cerveau, membres tranchés dans le vif avec giclées de sang sur la camera) ; on voit des seins (assez rares dans le cinéma US), et si les décors et les vaisseaux sont peu réalistes, les arachnides sont incroyablement modélisés en 3D.
Mais le coup de maître, c’est quand Verhoeven ajoute ces fameuses séquences informatives, parodie d’Internet « Do you want to know more? », du Triomphe de la Volonté, et de Why We Fight, les films de propagande US réalisés par Capra pendant la guerre.
Le piège se referme alors sur le spectateur : si on aime ces personnages, ces scènes d’action hypervitaminées, et ces films d’endoctrinement très drôles, alors en quoi est-on différent des nazis ?
Ce fut l’explication de Verhoeven à l’époque « La guerre rend tout le monde fasciste ». son humour caustique, dévastateur, est évidemment une attaque déguisée contre l’Amérique proprette qui se veut toujours le parangon de la démocratie. Mais comme le dit Jean Rasczak, le Professeur redevenu Lieutenant d’Infanterie : « le droit de vote, c’est un pouvoir ; le pouvoir, c’est exercer une violence* ».
Insérer une leçon de morale politique bien cachée au fond d’une GCA, il fallait le faire, Verhoeven l’a fait.
Rien que pour ça, il faut voir Starship Troopers.
* « When you vote, you are exercising political authority, you’re using force. And force, my friends, is violence. The supreme authority from which all other authorities are derived. »
posté par Professor Ludovico
Case Départ, c’est un peu Retour Vers le Futur aux Antilles. Qui n’a pas la prodigieuse construction de son ancêtre (accumulation d’enjeux jusqu’à l’explosion de rires finale), mais qui n’est pas sans attrait. D’abord le sujet, car il y a très peu de films sur l’esclavage, encore moins français, et encore moins de comédies sur le sujet.
Le pitch déjà est étonnant ; lui aussi : deux noirs d’aujourd’hui, caricatures assumées. Joël (Thomas N’gijol), est un petit voyou, braqueur de vieille dames, père à la ramasse, obsédé sexuel, mais se prétend « victime du racisme », et qui prétend avoir trouvé la rédemption dans l’islam. Une paire de fesses dans un jean trop moulant l’écartera rapidement de cette nouvelle vocation. Régis (Fabrice Eboué) est tout le contraire : un métis très intégré, trop intégré. Conseiller municipal, il se croit obligé de rires aux blagues FN de son maire, et fait la leçon aux africains qui ont le malheur de passer dans son bureau. Marié à une femme blanche moins raciste que lui (Blanche Gardin, qu’on aimerait voir plus souvent et dans d’autres rôles que seconds), il mange du Pont l’Evêque, et écoute Laurent Voulzy.
Un coup de téléphone va les réunir : leur père est mourant. Les voilà demi-frères. Ils se découvrent et, évidemment, se détestent. Sur son lit de mort, Le père leur livre un ultime héritage, le trésor de la famille : le document qui émancipa leur ancêtre en 1780, et en fit un homme libre.
Pour une fois, les frères sont d’accord : cet héritage, c’est de la merde ! Furieux de ne pas hériter d’un vrai trésor en doublons sonnants et trébuchants, les deux compères déchirent le parchemin, au grand dam de leur tante. Pas de chance, celle-ci est une mambo, une sorcière vaudoue. D’un nuage de fumée de sa pipe magique, elle les envoie d’où ils viennent : les Antilles, 1780.
Comment rejoindront-ils leur présent ? Trouveront-ils la rédemption ? C’est le sujet de Case Départ.
La première réussite du film est d’utiliser ses deux caricatures pour traiter, dans les grandes largeurs, les thématiques habituelles du Jamel Comedy Club. Et comme le fit cette nouvelle scène, d’apporter un nouveau souffle à la comédie à la française, en abordant des thèmes jusque là interdits aux comiques français de souche, comme dirait la famille Le Pen. On peut enfin traiter le racisme sous tous ses angles, sans complexe, comme par exemple l’homophobie noire. Gag récurrent de Case Départ (avec un final pour le moins attendu), les deux personnages s’efforcent de démontrer pendant tout le film « qu’ils ne sont pas pédés ». De même, l’épisode des Neg’ Marrons montrent nos personnages prêts à tout, enfin presque.
Le seul regret que l’on pourra opposer à Case Départ, c’est probablement une caricature trop appuyée des blancs, trop gentils ou trop méchants (mais quand on voit le traitement du camp d’en face, difficile d’appuyer trop longtemps cette critique).
Plutôt, on leur reprochera de n’en avoir pas assez fait. Il y avait matière à saturer Case Départ de gags (à l’image du running gag du T-Shirt Scarface), et de pousser ses gags le plus loin possible.
A coup sûr, on guettera les prochaines productions Ngijol & Eboué.
dimanche 14 octobre 2012
Copland
posté par Professor Ludovico
J’ai résilié mon abonnement à TCM, parce que je n’y regardais jamais rien. Mais il me reste encore un mois, et en zappant, on ne tombe pas que sur Arsenic et vieilles Dentelles ; on peut aussi tomber sur Copland, le chef d’œuvre de James Mangold, pour ceux qui n’étaient pas nés dans les années 90.
Copland, c’est le surnom d’une petite ville fictive du New Jersey. Le shérif de Copland n’est autre que Sylvester Stallone, qui signe là son plus grand rôle, loin des bêtises sur la boxe ou le Vietnam. La vie du shérif Heflin est tranquille, entre accidents de voiture et chiens perdus sans colliers. Et pour cause ! Copland porte bien son nom : elle n’est peuplée que par de flics New Yorkais, venus trouver un havre de paix pour leurs familles, pas loin de la grande cité.
Mais derrière cette vision idyllique, se cache une organisation parallèle, quasi-mafieuse, organisée par des flics ripoux, et dirigée par Ray Donlan (Harvey Keitel), qui gère tout, de l’attribution des logements aux chantiers de construction, et qui se rémunère par de généreux pots de vin.
Une bavure, que l’on tente de couvrir tant bien que mal, va déclencher un tsunami dans cette bourgade bien tranquille, et amener les flics du BIA (la police des polices americaine) à s’intéresser à Copland. Au milieu de l’action, Heflin, le flic un peu benêt (en fait à moitié sourd) va finalement se révéler héroïque.
Si vous n’avez pas encore vu Copland, il est temps de réviser ses classiques. Son scénario est implacable, sa description des caractères impitoyable (de l’ex-cocaïnomane (Ray Liotta) au flic frustré du BIA (Rovert de Niro). A la tête d’un casting impeccable, où l’on retrouvera les plus grandes star télé des années 2000*, siège Sylvester Stallone, immense en héros handicapé, tentera de ménager la chèvre et le chou jusqu’au bout, car solidaire de la communauté qui le protège depuis toujours. Mais sa profonde honnêteté aura-t-elle le dessus ?
C’est tout l’enjeu de Copland, que je vous laisse découvrir.
* Peter Berg (futur réalisateur de Hancock et Battleship), Robert Patrick (X-Files), Michael Rapaport (Prison Break), John Spencer (The West Wing), Frank Vincent ou Edie Falco (Les Soprano), John Doman (The Wire, Borgia)