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Commentaires et/ou Conseils d’achat de DVD – Peut dégénérer en étude de fond d’un auteur



lundi 19 août 2013


Hatfields et McCoys
posté par Professor Ludovico

C’est une histoire peu connue de ce côté-ci du Pecos*, l’affrontement terrible qui opposa deux familles pendant près de quarante ans, le long de la Tug Fork, une rivière qui délimite la frontière entre le Kentucky et la Virginie Occidentale.

Ces Horaces et ces Curiaces US, c’est tout simplement – selon Kevin Costner – l’histoire de l’Amérique elle-même : la lutte entre le bien et le mal, la religion et la laïcité, l’esprit pionnier (qui se meurt) et l’Etat (qui se construit). Deux amis courageux partent défendre le Sud pendant la Guerre de Sécession, mais vont en revenir ennemis à jamais. Anse Hatfield (Kevin Costner) déserte une guerre ingagnable qui n’est plus la sienne, et bâtit un empire dans l’exploitation du bois ; son ami Randall McCoy (Bill Paxton) revient en héros, mais brisé par la guerre et la trahison. De l’assassinat d’un « traître » de la famille McCoy passé Nordiste, à un vol de cochon, va naître la plus grande vendetta des Etats-Unis.

C’est ce que propose de raconter le biopic fleuve Hatfields & McCoys, une mini-série de 5 heures qui a cartonné sur la chaîne History** et co-produite par le revenant Kevin Costner. L’ex wonderboy des années 85-95 s’est trouvé une forme de reconversion dans une exploration revisitée du western. Avec Open Range, puis aujourd’hui via Hatfields et McCoys.

La bonne nouvelle, c’est qu’il s’est réconcilié avec Kevin Reynolds, son meilleur ami devenu meilleur ennemi sur le naufrage Waterworld. Kevin Reynolds, ce n’est rien de moins que le plus grand gâchis de l’histoire récente d’Hollywood. Deux premiers films peu connus mais géniaux (Fandango, La Bête de Guerre), un carton Hollywoodien (Robin des Bois : Prince des voleurs), une des plus belles séquences de Danse Avec Les Loups (les bisons), et puis plus rien. Idem pour Kevin Costner, le plus grand acteur de sa génération, héros des plus gros succès de la décennie 1985-1995***. Deux hommes détruits par un seul film, Waterworld, un bide abyssal que méritait le film mais sûrement pas les deux intéressés.

Les revoilà donc aux affaires, plutôt en forme dans leurs métiers respectifs (acteur et réalisateur). Mais si Hatfields et McCoys passionne pour l’Histoire avec un grand H, la série est ratée côté dramaturgie : l’histoire des deux familles est tellement connue aux USA que Costner et Reynolds ne font qu’en illustrer les images d’Epinal : l’amitié virile, au temps de la Guerre de Sécession, le retour difficile, après la guerre, le meurtre de Harmon MacCoy, la vengeance de la mort de Harmon, la vengeance de la vengeance de la mort de Harmon, etc. Auquel s’ajoute cette fâcheuse mode americana du moment. Les acteurs passent ainsi leur temps à cracher leur chique et à imiter un accent redneck du plus bel effet (Ain’t gonna be my time, sir ! For sure !) L’équivalent de nos reconstitutions médiévales ampoulées de la télé française… La même obsession misérabiliste de montrer « qu’à l’époque c’était comme ça. »

On préférerait que Hatfields et McCoys s’attarde sur les personnages, construise des enjeux, un destin, mais on sait que le biopic castre rapidement ces commandement scénaristiques.

Hatfields et McCoys reste néanmoins hautement regardable, notamment pour la toile de fond qu’elle propose ; rien de moins que la fin de l’ère « sauvage » des Etats-Unis, la fin de la conquête de l’Ouest et de la Destinée Manifeste. Derrière ces gars lourds, taillés à la serpe, défendant leur propriété à coup de Winchester, c’est un nouveau monde qui apparaît : la loi, l’état, la justice fédérale… Un pays en train de se construire.

* Quoique Lucky Luke s’en soit emparé avec les O’Hara et les O’Timmins, dans Les Rivaux de Painful Gulch
** En ce moment sur Canal+, bientôt en DVD/VOD ?
*** Allez, on ne résiste pas : Fandango Silverado, Les Incorruptibles, Sens Unique, Danse avec les Loups, Robin des Bois, Prince des Voleurs, JFK, Bodyguard, Un Monde Parfait…




vendredi 9 août 2013


Astropia
posté par Professor Ludovico

Astropia est une recommandation de longue date de l’ami Ostarc, qui m’avait également fourni le matériel nécessaire : un magnifique fichier .avi contenant ce film islandais et son doublage approximatif en français. Malgré son insistance, et un sujet auquel on ne résiste pas (le jeu de rôle) je n’avais jamais eu le temps de regarder le film en question. C’est chose faite depuis hier.

Au début, on se demande si Ostarc avant de s’attaquer à sa propre version de l’Enlèvement des Sabines (huile sur toile, 800×1200), n’a pas fini quelques bouteilles d’aquavit. Mal filmé, mal joué, à l’évidence produit avec 3 francs islandais et six sous finlandais, Astropia semble loin des exigences fellinieno-hitchcockiennes du Maître de Puteaux.

Sans parler du pitch : Hildur, sorte de cagole islandaise, blonde décolorée, une raggare diraient leurs voisins suédois, vit avec Jolli, un concessionnaire du même tonneau : blond et con. C’est aussi un escroc. Le voilà donc sous les verrous et la blondasse sommée de se trouver un emploi. Ce qu’elle finit par trouver, dans une boutique (l’Astropia du titre) spécialisée dans la geek attitude : comics, collectors Star Wars, et… Jeux de Rôle.

Sur ce schéma très américain (la rédemption par le travail, la découverte de soi-même via la découverte de l’autre), Gunnar B. Gudmundsson brode un joli conte drôle, voire TRÈS drôle pour qui connaît la chose rôliste. Car soit Gunnar est un rôliste, soit il mérite de l’être, soit il s’est très bien documenté. En tout cas, il propose un regard à la fois tendre et cruel sur ces monomaniaques des mérites comparés du Système du Conteur ou de la licence OGL.

Côté cinéma, l’aspect non professionnel du film lui donne bizarrement encore plus de cachet. Mais peut-être n’étais-je pas absolument impartial…




jeudi 8 août 2013


Iwo Jima
posté par Professor Ludovico

Des conneries patriotiques, le Professore en a vu. Des tas, même. Mais comme Iwo Jima, jamais. À côté, L’Ouragan Vient de Navaronne, c’est du Jean-Luc Godard. Et Un Pont Trop Loin, c’est Téchiné.

Car Iwo Jima enchaîne les moments de bravoure, dans le mauvais sens du terme, chaque scène surpassant en ridicule la scène précédente, au bord de sa propre parodie. On est dans Y’a-t-il un Pilote dans l’Avion ?, dont le héros, d’ailleurs, s’appelle Stryker. Et Stryker, ici, c’est John Wayne, le héros du film, sergent évidemment acariâtre, alcoolo, mais dans le fond, un bon gars.

Le pitch : des copains s’engagent dans les Marines, et tombent dans la section du sergent Stryker. Les voilà propulsés à l’entraînement, où l’on découvre l’habituel aréopage du film de guerre : le petit juif rigolo, les jumeaux bagarreurs du Midwest et l’antimilitariste qui s’est engagé dans l’armée parce que son père, colonel, l’a forcé. On découvrira au passage que Stryker est au bord du divorce, qu’il n’a pas vu son fils depuis longtemps et c’est pour ça – évidemment – qu’il est alcoolo.

Puis (enfin !), on attaque Tarawa, et Iwo Jima, ce qui permet à Allan Dwan de caser 1) les vraies images de l’assaut, ça coûte moins cher en figurants et 2) les soldats du fameux drapeau (Rene Gagnon, Ira Hayes, John Bradley) dans leur propre rôle. On restera pourtant très loin de Mémoires de nos Pères*.

Et là, bing, John Wayne se fait tuer. On lit la lettre de Stryker à son fils, et les autres gars pleurent. Même l’antimilitariste. Qui du coup, repique au truc : « La guerre n’est pas finie pour nous, les gars ! »…

Merde. Je vous ai raconté la fin.

*Le film date de 1949, c’est sa seule excuse. Et il fallait un film de propagande pour les Marines, qui menaçaient d’être dissous…




samedi 3 août 2013


The Rocker
posté par Professor Ludovico

The Rocker, comme beaucoup de films américains, a tout pour plaire sur le papier, mais sombre vite dans la facilité, le grandpublicisme qui caractérise malheureusement la production US.

Le pitch est pourtant alléchant : en 1986, un groupe de heavy metal signe l’habituel pacte avec le démon : Vesuvius vend son âme contre son batteur, Fish (l’incroyable Rainn Wilson, échappé de The Office). Vingt ans plus tard, Vesuvius s’est couvert de gloire alors que Fish végète de petits boulots en petits boulots, ruminant encore sa vengeance… un pitch qui ne peut que titiller l’amateur de rock, de Brian Jones à Dave Mustaine, de Vince Clarke à Pete Best, ces grands perdants du rock sont une matière inépuisable à de formidables histoires.

C’est tout le sujet de l’intro de The Rocker, plutôt décapante, tout en ironie vintage sur cette vague British Heavy Metal des années 80. La suite semble prometteuse : Fish est appproché par son neveu, qui a soudain besoin d’un batteur, dans son groupe de lycée. Va-t-il replonger ? That is the question.

Malheureusement, la suite va s’avérer calquée comme d’habitude, directement du schéma directeur de la comédie américaine. Acceptation, puis renoncement, il est temps de grandir, it’s time to move on, etc., etc. Chacun à la fin, aura trouvé sa chacune, et Fish se sera vengé de Vesuvius. Tous ces passages obligés de la comédie familiale américaine, heureusement dynamités, encore une fois, par un acteur exceptionnel, Rainn Wilson.




vendredi 2 août 2013


Game Change
posté par Professor Ludovico

Sur les conseils de La Lengua, je profite de l’été pour me pencher sur Game Change, le téléfilm HBO basé sur la campagne 2008 de John McCain/Sarah Palin. Et je réalise l’indicible : regarder un film sur un netbook ! Oui, sur un écran minuscule de 12″ avec un casque sur les oreilles. Avouons que dans le confort d’une terrasse provençale, une fois les cigales parties se coucher, ça le fait.

On peut donc se pencher tranquillement sur l’extraordinaire performance de Julianne Moore interprétant Miss Palin. Extraordinaire, oui, pesons nos mots. Car la bombe rousse de Magnolia, The Big Lebowski, Boogie Nights, Short Cuts réussit à disparaître littéralement sous le charme MILF, Alaska et chasse à l’élan, de Madame Palin. L’actrice réussit quelque chose d’extraordinaire au cinéma : jouer la bêtise, sans jamais la surjouer.

Car c’est bien de cela dont il s’agit : comment, par opportunisme politique, Steve Schmidt (Woody Harrelson) – stratège politique – pousse John McCain (Ed Harris) à se choisir comme co-listière (et potentielle vice-présidente des Etats-Unis) une parfaite inconnue, séduisante tout autant physiquement que politiquement, mais parfaitement incompétente à un tel poste, la Sénateur de l’Alaska Sarah Palin.

Évidemment, ils vont enfanter un monstre, car, comme le dit McCain, « il y a une face sombre au populisme américain » et Palin va l’incarner : si la sénatrice semble d’abord respecter la feuille de route (incarner la droite du parti, tout en soutenant le réformisme de McCain), elle va vite sortir du cadre imposé (anti-Obama, anti-avortement, créationniste…)
Si Moore brille tant, c’est qu’elle sait aussi donner une perspective à ce personnage, qui ne peut être aussi noir : mère de famille, femme amoureuse, mais aussi femme blessée par les attaques, notamment la fameuse imitation de Tina Fey.

Et une fois de plus, la loi du biopic fonctionne. C’est en décentrant le héros (le conseiller, pas Palin) que nous nous intéressons à cette histoire. C’est bien le conseiller que nous suivons, son enthousiasme, puis ses doutes et enfin ses regrets. Palin n’est qu’une toile de fond de sa propre biographie, ce qui permet au spectateur toutes les spéculations… Et deuxième recette mise en œuvre par HBO : avoir un propos, une opinion, un point de vue. Produit par Tom Hanks, le film est évidemment à charge, ce qui ne le rend pas moins intéressant.

Bien au contraire.




dimanche 21 juillet 2013


Black Death
posté par Professor Ludovico

Black Death fait partie de ces films qui se la pètent, les films d’ados, comme les appelle le Professore. Des films où on pourrait entendre « Oh là mais euh » à chaque plan. Mais où veut-il en venir, le Prof ? A ceci, jeunes skywalkers : à un cinéma qui se la joue auteuriste (caméras portées, déco impeccablement médiévale, réalisme à tout crin… choses éminemment respectables, mais qui exigent un scénario à la hauteur. c’est là que le bât blesse, car on retombe vite sur les plus vieux clichés du monde : le templier implacable parce qu’il a perdu femme et enfant, l’ordure brute mais courageuse dans le fond, le héros martyrisée par les braillards qui l’accompagnent mais qui vont venir à son secours à la fin, la méchante très méchante, etc.

Le casting est idoine, Sean Bean se la joue Ned Stark et Candice Van Houten a évidemment une tête de sorcière…

Mais à la surprise générale, Christopher Smith délaisse à la fin son film d’horreur médiévalo-gore pour un final pour le moins inattendu, sombre et réaliste à souhait.

Donc, finalement, ça se regarde…




mercredi 17 juillet 2013


Guy Debord cinéaste
posté par Professor Ludovico

Le Professore a cette douteuse spécialité : aller voir les expos à la bourre, et donc en parler quand c’est trop tard. Guy Debord, l’Art de la Guerre, expo à la Bibliothèque François Mitterrand, vient donc de s’achever, et Ludovico peut vous en parler.

Qui est Guy Debord ? Un pas-très-connu, dont le nom résonne vaguement dans les têtes, et dont pourtant l’influence fut considérable. Surtout par un petit livre, baptisé La Société du Spectacle, paru en 67. L’année d’après, le livre de Debord inspirait Mai 68, mais ne rendit pas son auteur plus célèbre.

Dans son formidable Lipstick Traces, Greil Marcus trace les influences de Debord, les Dadas, les Lettristes, les Surréalistes et montre qu’il inspire à la fois Mai 68, la gauche radicale, le mouvement Punk. Auteur de quelques formules cultes : « Ne travaillez jamais » « La société est une accumulation de spectacles », Debord écrira d’autres livres, créera de multiples organisations à but intello-révolutionnaire, mais passera beaucoup trop de temps à exclure les membres desdites organisations pour faire vraiment la révolution…

Guy Debord aimait Hegel et Machiavel, la stratégie et le Quartier Latin, mais aussi ce qui nous intéresse ici : le cinéma. Il réalisa un certain nombre de films, tous expérimentaux, basés sur ses écrits. Dans Hurlements en Faveur de Sade (1952), Debord alterne des plans uniquement noir ou blancs, sur lequel il colle des bouts du code civil. Scandale à la première projection, évidemment. La Société du Spectacle (1973), consiste en un montage de vieux films Hollywoodiens, de publicités de la presse magazine, de détournement de Comics, tandis qu’en voix off, Debord ânonne de sa voix si caractéristique La Société du Spectacle, le livre.

Bref un cinéma très loin des paysages habituels CineFastiens, parsemé de météores, d’hélicoptères en flammes, et de romance sur fond d’iceberg, mais qui méritent de figurer dans la filmothèque du parfait honnête homme.




samedi 22 juin 2013


Titanic, plongée n° 3
posté par Professor Ludovico

Et voilà, on retourne plonger – grâce à l’ami Pacobalcon – sur la plus célèbre épave d’Hollywood. L’occasion de former une nouvelle fois nos chères têtes blondes (des quatrièmes de classe européenne) aux mystères de la narration, via Titanic, le chef d’œuvre pop de James Cameron.

Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous, mais dans un grand film, il y a toujours matière à creuser. Ici, ce n’est pas ce qui manque, et on n’a toujours pas fouillé le Pont B, le Café Français, la Salle des Machines ou la Chambre du Capitaine…

Aujourd’hui, on s’attaquera donc à Brock Lovett. Oui, Brock, le chasseur de trésor, le pilleur d’épaves interprété par Bill Paxton, notre chouchou d’Une Créature de Rêve, Un Faux Mouvement, Twister, et Apollo 13.

Qui est donc Brock Lovett ? Eh bien, Brock Lovett, c’est vous ! Le point de vue du film, et aussi l’avatar de James Cameron, sa représentation au sein de son propre film*.

Dans un film ou une série, il faut toujours un point de vue : un personnage neutre auquel le spectateur pourra se rattacher pour porter des jugement sur les autres personnages. Jerry Seinfeld est un bon exemple de point de vue, dans Seinfeld, la série.

Mais Brock Lovett est un drôle de point de vue. Dans la première scène du film, Lovett se filme (narcissisme) en train de plonger sur l’épave du Titanic. Lewis Bodine, son assistant rouquin, Falstaff geek , sarcasme vivant, qui arbore en permanence un T-Shirt des Watchmen, se présente immédiatement comme sa conscience, son gepetto, son bouffon : « You’re so full of shit, boss ! ». Il va être présent tout au long du film, et particulièrement dans l’introduction, pour moquer Lovett, mais aussi Rose : « She’s a liar ! She was an actress, goddamit! ».

Mais pour Lovett, la messe est dite : Lovett is only here for the money, comme disait Frank Zappa. Un pilleur d’épave qui surjoue la tragédie Titanic devant sa caméra, pour faire pleurer dans les chaumières et vendre probablement le making of de son expédition. Brock Lovett n’est là que pour une seule chose : trouver le plus gros diamant du monde : le Cœur de l’Océan. Et ça, c’est mal…

Car comme le CineFaster le sait parfaitement, par cet étrange retournement philosophique qu’opère le cinéma américain, l’argent, c’est mal. Pour un pays qui met le succès au-dessus de tout, c’est assez étonnant. Pourtant, le cinéma US regorge de ces méchants ultra-riches, de JR aux frères Winklevoss. Brock Lovett fait partie de ces méchants assoiffés d’argent. Il sera donc puni. Dans une scène parfaitement freudienne, Lovett (love it ?) fouille un coffre empli d’une substance brune et gluante : l’argent, c’est de la merde.

Pourquoi cette introduction peu ragoûtante, qui semble vouloir nous dégoûter d’un personnage, qui pourtant est notre point de vue ? Mais parce qu’on te parle, spectateur ! Mieux, on te parle… de TOI ! Car James Cameron sait exactement ce que tu es venu faire dans cette salle, petit être vil ! Tu n’es pas, en effet, animé des meilleures intentions. Tu as payé tes 10 euros pour mater un bon petit film catastrophe des familles. Côtoyer, comme tes congénères depuis maintenant un siècle, la légende morbide du Titanic. Voir des enfants mourir et des femmes pleurer. Voir peut-être un peu de romance aussi, un peu de sexe si possible. Ne t’inquiète pas, décadent spectateur. On va te donner ça. Mais pas tout de suite. Pas comme ça.

Cette introduction – interminable selon les standards Hollywoodiens (vingt minutes sans star, sans action, sans violence, tout le contraire des règles érigées par les studios) – est pourtant un chef d’œuvre de mise en place. Tout y est. La catastrophe à venir. La tragédie. La love story. Mais avant de passer aux choses sérieuses, Cameron veut vous nettoyer sérieusement la tête. Vous amener, immaculé, devant SON film. Car vous n’êtes pas venu voir le 43ème film sur le Titanic. Vous êtes venu voir LE Titanic de James Cameron. Il vous faut donc, comme Brock Lovett, expier d’abord vos péchés.

Le péché de voyeurisme. « The experience of it was somewhat different », répond la vieille Rose à Bodine, après son exposé de mauvais goût 3D (« And that’s a big ass, we’re talking 20-30,000 tons »). Cette scène est un coup de génie. Elle vide le film, dès le début, de son étiquette de « film catastrophe », la tumeur cancéreuse qui pourrait tuer le film dans l’œuf. C’est ça que vous êtes venus voir ? Un naufrage ? Le voilà ! semble nous dire Cameron. Mais moi, je suis venu vous montrer une tragédie. Une expérience humaine comparable à nulle autre. Et toi, Bodine, fan habituel de mes films (Aliens, Terminator…), geek sans conscience, qui ne respecte rien et se moque de tout… Eh bien, c’est un nouveau Cameron que tu vas voir ici.

Péché d’impatience ? Oui, nous sommes comme Lovett, coincés dans ce cinéma depuis vingt minutes. Et, oui, nous n’en pouvons plus de ce film documentaire que tu nous assènes, Jim. Des plans vidéo de l’épave. Des robots qui se baladent dans les coursives et qui retournent des planches pourries… et ce piano figé dans l’eau pour toujours… Mais nous voulons de l’action, nous voulons Leo, nous voulons Kate, nous voulons notre film catastrophe… pas ce documentaire sur History channel.

–  Tell us this story, Rose.

C’est à cet endroit précis que Cameron nous prend au bout de sa ligne, qu’il a appâté avec des morceaux de vieille dame indigne (Rose) depuis vingt minutes :

– Do you want to hear this story or not?

Symboliquement, Lovett s’assoit au pied de Rose, dans une position qui évoque celle du spectateur du cinéma, le bon vieux mécanisme de transfert film-spectateur.

Le film peut enfin commencer. « It’s been 84 years, and I can still smell the fresh paint. The china had never been used. The sheets had never been slept in. Titanic was called the Ship of Dreams, and it was. It really was. »

Belles voitures, beaux chapeaux, gants beurre frais, les riches et les pauvres, le ship of dreams, l’iceberg, Plus Près de Toi Mon Dieu… tout le monde est prêt à voir enfin LE Titanic de monsieur Cameron.

On retrouvera les mêmes trois heures plus tard, dans une position légèrement différente. Filmé à hauteur d’homme (ils ont grandi) et les yeux embués de larmes, même Falstaff-Bodine.

Le shaman Kameron nous a emmené au-delà de l’espace et du temps, nous a raconté le grand mythe rédempteur du Titanic, la folie que les hommes croyaient insubmersible, dans une époque où les riches pouvaient enfermer les pauvres à fond de cale, et les femmes, avec un diamant. Enfin éduqués, Lovett, Bodine, peuvent se laisser aller à l’émotion. Le spectateur, lui, pleure comme une madeleine depuis le mitan du film, quand Jack a « libéré » Rose, dans un baiser devenu iconique, à la proue du bateau.

Désormais, il ne reste qu’une chose à faire : conclure cette intrigue « B » (Lovett, l’épave, la vieille Rose) avant de conclure l’intrigue principale « A » (Où est passé le Cœur de l’Océan ? Rose retrouvera-t-elle son Jack ?)

C’est chose faite dans l’une des rares scènes ratées du film : sur l’entrepont, Brock Lovett se confie à Lizzy, la petite fille de Rose : « 3 ans que je bosse sur Titanic, et je suis passé à côté** » ; Lovett jette son cigare sans le fumer : le symbole du succès est à la poubelle, il a échoué, il ne retrouvera jamais le Cœur de l’Océan, d’ailleurs il n’en a plus envie, maintenant qu’il a touché du doigt la vérité vraie de la tragédie du Titanic.

Mal jouée, mal filmée, cette scène est pourtant conservée telle quelle. Probablement parce qu’elle comptait énormément pour James Cameron. Comment ne pas y voir, en effet, l’expression de sa propre angoisse de créateur ? L’angoisse de « rater » Titanic, le film ? De céder aux injonctions des studios, de faire ce film catastrophe avec des stars que la Fox et Paramount exigent de lui ? De subir cette pression de 200 millions de dollars qui manque de l’écraser, et dont il ne se protège qu’en renonçant à toute forme de salaire pour conserver le final cut*** ?

Brock Lovett, c’est évidemment lui. Et Lizzy, c’est Cameron APRES le film, qui regarde le premier avec ce regard amusé que les femmes posent sur l’immaturité des hommes. Tu n’as pas atteint le succès, Brock, mais tu as grandi. Tu as finalement touché du doigt cette tragédie. Tu as laissé les sentiments t’envahir.

Maintenant, tu es un homme …

* Bill Paxton est aussi un des fidèles de Cameron : Aliens, True Lies, Titanic, Terminator
**Three years, I’ve thought of nothing except Titanic; but I never got it… I never let it in.
*** Des droits qui lui furent gracieusement restitués par les studios devant l’immense succès du film




dimanche 9 juin 2013


Sur La Route
posté par Professor Ludovico

Attention, film Patrimonial. Comme il y a la GCA, Grosse Connerie Américaine, le FdF, Film de Festival, il y a le FP, le Film Patrimonial.

C’est à dire le film obligatoire.

Le film de l’œuvre, ou de la vie de l’homme illustre, qu’il faut absolument adapter au cinéma. Ainsi, les films de Roger Planchon, qui adapta le Dandin de Molière au cœur des années 80, ou les vies doloristes de Molière, Beaumarchais, l’Insolent, ou Jean de La Fontaine, le défi. Avec un objectif avoué : séduire le public des écoles, c’est-à-dire se garantir des milliers d’entrées. Plutôt que de faire lire Sur La Route, faisons le voir. Comme chacun sait, les jeunes d’aujourd’hui sont des partisans du moindre effort. Peut-être qu’on peut les intéresser, surtout s’il y a Kisrten Stewart, Miss Twilight, dedans.

Je précise que je fabule, peut-être que Walter Salles a une passion d’enfance pour Kerouac, la Beat Generation, et Sur La Route. Malheureusement, ça ne se voit pas.

Pour ma part, je n’avais qu’un objectif en me fadant Sur La Route, sachant déjà à quelle sauce (voir ci-dessus) j’allais être mangé. On n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces. Non, il n’y avait que dix minutes qui m’intéressaient dans Sur La Route. Les dix petites minutes consacrées à chez Bull Lee, aka William Burroughs, The Priest himself, Mr Naked Lunch, le héros du Professore. La Beat Generation, c’est lui qui l’a inventé, un peu sans le savoir. Plus âgé que les autres (Kerouac, Ginsberg) mais aussi plus déjanté. Déjà junkie dans les années quarante, déjà pédé. De sorte que l’on peut vénérer l’auteur du Festin Nu, et s’ennuyer royalement à Sur la Route, le livre.

Mais le problème du film n’est pas là : Salles essaie d’adapter quelque chose d’inadaptable, la seule chose qui soit intéressante dans la littérature : le style. Celui de Kerouac est jazzy, et donc Salles tente misérablement de trouver un équivalent cinématographique : montage haché, faux raccords. Jazzy movie ? Mais ce n’est pas ça, le cinéma. Adaptation : trahison, dit de façon prémonitoire l’un des personnages dans les débuts du film. Pour que le film veuille dire autre chose qu’une belle carte postale (« Quinze jours sous le soleil du beat country, jazz et marie-jeanne tous les soirs, bises à toute la famille »), il faut un point de vue, un personnage. A aucun moment, notre cœur bat pour Sal Paradise-Kerrouac (Sam Riley). Que veut-il ? Être un héros moderne, comme Dean Moriarty ? Ou le juge-t-il comme ce qu’il est, c’est à dire un petit junkie, voyou, queutard sans morale ?

Pour cela Salles devrait prendre son courage à deux mains et dire quelque chose ; mais il n’ose pas. Il se concentre sur les paysages, les chambres d’hôtel forties, le beau visage de Kirsten Stewart, qui accroche si bien le soleil couchant. Ça, ce n’est pas du cinéma, c’est de l’illustration. Quant au point de vue, à part une sorte d’optimisme béat devant la Beat, on ne voit pas.

David Croneneberg avait tenté de son côté, l’inadaptable : s’attaquer au Festin Nu. Mais au moins, il y avait mis quelque chose de lui-même : ses obsessions insectoïdes, ses extraterrestres, ses secrétions corporelles : il y avait des vrais morceaux de Cronenberg dans ce film-là. Mais où est l’artiste Walter salles dans Sur la Route ? Nous n’avons rien d’autre qu’un chromo luxueux.

Tout est beau, tout est bon, mais tout est vide.




lundi 20 mai 2013


Prohibition : Une Expérience Américaine
posté par Professor Ludovico

Ce qu’il y a de bien avec Ken Burns, c’est que rien ne change. Depuis toujours, le même dispositif : séquences d’archives noir et blanc, photos d’époque soigneusement zoomée puis dezoomées (un effet qui s’appelle désormais « Ken Burns » sur iMovie), interviews de spécialistes en portrait gros plan couleur, et plan de coupe – léché – en couleur. C’est tout. Les mêmes quatre plans depuis trente ans, de The Civil War à Prohibition : Une Expérience Américaine. Et le même ennui qui guette à chaque fois : The Civil War, 25h de documentaire ? La Prohibition, 5h ? On commence à regarder et on s’ennuie.

Et puis tout doucement, la petite musique de Monsieur Ken Burns nous trotte dans les oreilles. On rentre à la maison et on veut tout de suite se coller à l’épisode 4 de Prohibition : Une Expérience Américaine. Pourquoi ? Parce que Burns fait confiance à notre intelligence : pas besoin de gros effets de manche pour se faire entendre. Et l’histoire, ça prend du temps.

On ressort donc de ce dernier documentaire avec l’impression d’en avoir beaucoup plus appris que sur la Prohibition. Sur l’émergence des lobbys, qui vont devenir une composante essentielle de la vie américaine. Sur la libération de la femme, qui n’aurait pas eu le même visage si deux femmes n’en avaient pas incarné l’instauration de la Prohibition, puis son abolition. On se mettrait bien à écouter du Jazz, aussi, parce que ce que fait Wynton Marsalis sur la BO (pourtant extrêmement discrète) est assez sexy.

On ne saurait donc trop vous recommander de poser quelques RTT, on ne sait jamais.




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