Le 25 janvier 1077, Henri IV, futur empereur germanique, alla s’agenouiller pied nus dans la neige de Canossa pour se faire pardonner du pape et lever son excommunication. Aujourd’hui, le Professore ne va pas à Canossa, mais à Dunkerque, où on peut le voir, pied nus dans l’écume mousseuse de la Mer du Nord, s’excuser devant la statue du Commandeur Nolan.
On a beaucoup, sur CineFast, dit du mal de Christopher Nolan : après 3 ou 4 films réussis (Memento, Insomnia, Le Prestige), le Stanley Malick anglais semblait s’être perdu dans un genre qu’il avait lui-même créé : le blockbuster faussement intello. Ou plutôt, le film à la carapace auteuriste (The Dark Knight, Inception), qui, une fois décortiqué comme un gambas par tout cinéphile de plus de quinze ans, se révélait aussi épais qu’un papier à cigarette de la marque Michael Bay, version gauchiste.
Nolan, en effet, n’avait jamais les idées claires, ni politiquement, ni scénaristiquement. Son Dark Knight Rises pouvait laisser croire à une critique féroce du capitalisme émise par Catwoman elle-même : «how you could live so large and leave so little for the rest of us ? ». Et puis on découvrait que ces hackers, ces révolutionnaires métaphoriques à la Occupy Wall Street étaient en fait… les méchants ???
Côté scénario, il y avait la même profondeur abyssale. Inception pouvait se résumer à un jeu vidéo interminable joué par des espions internationaux dans le cerveau d’une victime dont on ne savait plus très bien à la fin ce qu’on voulait lui extorquer. Interstellar était un sous-Contact filmé par les Bodganoff : Papa te parle en morse au-delà de l’espace et du temps. Sans parler des Batman, aux scénarios nativement ineptes.
En fait, Christopher Nolan était un très brillant fabricant de perles, mais un mauvais enfileur sur collier. Il y avait des scènes, des dialogues, des acteurs incroyables dans son cinéma (la tirade du Joker, la fin d’Inception, l’introduction pré-apocalyptique de Insterstellar). Nolan croit dans le cinéma, il sait, comme Kubrick, comme Hitchcock, comme Spielberg, incarner une idée cinématographiquement. Mais contrairement à eux, il ne tient pas la distance. Ces moments de bravoure n’arrivent jamais à être assemblés en un film complet, adulte, et cohérent.
C’est donc plein de morgue (mais encadré par le Commissaire du Peuple Karl Ferenc), que nous avons abordé les plages de la Côte d’Opale. Avec la conviction que ces syndromes allaient se répéter, doublés d’un mauvais goût historique quasi garanti dans une production US à 200M$ : héros britannique beau gosse (Harry Styles des One Direction) qui filerait la love story avec une jolie infirmière française jouée par Miley Cirus, et serait probablement tué par une balle perdue de la Wehrmacht dans les dix dernières minutes…
Las. Après quinze minutes incroyables – du cinéma à l’état pur – on savait déjà qu’on avait tort, et que Christopher Nolan se trouvait à la croisée des chemins. Soit il continuait tout droit, et le chef d’œuvre était au four, soit il prenait la mauvaise route, et le film échouerait à la marée basse de ses ambitions.
Ces croisées des chemins, il y en a des dizaines dans Dunkerque. A chaque fois, on se dit que Nolan va prendre la mauvaise route, mais non, il évite les obstacles habituels : le cliché, la métaphore ratée, la situation irréaliste. A chaque fois, Nolan apporte la bonne réponse.
Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu un tel strike au cinéma. Et là, on est obligé de s’incliner. Un peu comme le James Cameron qui réussit tous ses paris de Titanic, Nolan fixe à Dunkerque toutes les ambitions, et les réussit toutes. Faire un film d’auteur. Un blockbuster. Une reconstitution historique léchée. Patriotique mais aussi critique. Un film humain. Un grand spectacle. Avec des stars. Qui ne mangent pas le film. Avec des débutants. Qui sont formidables. Un film expérimental. Une musique incroyable.
On a vu évidement des centaines de films de guerre. Certains réussis, filmé à hauteur d’homme ; Week end à Zuydcotte, Il Faut Sauver le Soldat Ryan. D’autres, pathétiques reconstitutions empesées de propagande : Le Jour le Plus Long, Un Pont Trop Loin. Mais comme le dit le Capitaine Ferenc, on est clients des deux.
Mais Dunkerque se situe au-dessus : La Ligne Rouge, Le Pont de la Rivière Kwai, tout en restant foncièrement un film Nolanien. Un Nolan qui se tient enfin debout, de bout en bout. A l’instar de sa musique qui ne s’arrête qu’à la fin de la dernière scène, nous laissant, comme les personnages, épuisés et heureux.
posté par Professor Ludovico
Scarface n’est pas simplement le film-référence de la planète rap, c’est un classique. Pour la huitième fois on regarde Scarface, le Scarface de De Palma. Le remake de la version d’Howard Hawks, déjà un très grand film, déjà un très grand scandale. Évidemment, il y a un objectif pédagogique (le cinéma, c’est pas fait pour s’amuser) : montrer au Professorino ce que c’est qu’un vrai trafiquant de drogue, et pas ce pseudo réalisme à la Narcos.
Ce qui frappe de prime abord, trente ans après, ce n’est pas tant que le film ait vieilli, mais plutôt qu’on voit que c’est devenu un petit budget, par rapport aux standards actuels. 25M$, c’était quelque chose. Mais vu d’aujourd’hui, il y a peu de décors : le garage de Frank, la boîte de nuit Babylone, le repaire du colombien à Miami Beach et évidemment, la maison de Tony, iconique palace romain tout de noir et d’or… et futur cercueil des rêves de Tony Montana.
Cela étant dit, la polémique de l’époque a totalement disparu : Le Figaro Magazine et François Chalais sont bien loin, eux qui reprochaient à De Palma de détruire le film de Hawks à cause du trop grand nombre de « Fuck » dans le scénario. Et qui vouait Pacino aux gémonies, lui l’acteur adulé du Parrain, pour s’être ainsi commis dans un film de si bas étage. Il est évident aujourd’hui que c’est l’une des plus grandes performances de Pacino, si ce n’est la plus grande. Quant aux dialogues, ils sont devenus cultes, mètre étalon, tout comme la violence (qui nous semblait apocalyptique en 1983, tronçonneuse, massacre final et tutti quanti) est devenu standard du genre.
Au contraire, ce qui ressort aujourd’hui, c’est la tragédie shakespearienne qui irrigue tout le film. Richard III incestueux, Tony Montana détruit tout sur son passage ; patrons, partenaires, alliés, amis, et même sa si chère sœur, l’adorable Ophélie-Gina (Mary Elizabeth Mastrantonio). Une Lady Macbeth cokée, Elvira (Michelle Pfeiffer) tente de guider son roi fou vers les sommets, tandis que les Rosencrantz et Guildenstern cubains se font massacrer à coup de M-16. C’est cette tragédie-là, cette histoire de petit gars des favelas qui embrasse le rêve américain, qui croit que tout est possible, et que oui, The World is Yours, qui fait de Scarface, version de Palma, tout autant un chef d’œuvre que son illustre prédécesseur. En délocalisant de Chicago à Miami, De Palma ne fait pas que moderniser le film ; il continue de raconter l’histoire de l’Amérique.
vendredi 14 juillet 2017
Factory Records, Depeche mode et Pulp
posté par Professor Ludovico
Trois bonnes nouvelles en une : les excellents étés d’Arte sont cette fois-ci consacré à l’Angleterre et à la programmation Fish’n’Chips, y’a du lourd ; des films qu’on voit trop rarement sur petit écran et donc inratables si vous aimez la musique, l’Angleterre, la pop et le cinéma.
Samedi 15 à 0 :00, le meilleur documentaire réalisé sur ce que veut dire monter un groupe de rock : le fabuleux Pulp, a film about life, death and supermarkets.
Vendredi 21 à 22:50, 101, un très bon documentaire sur Depeche Mode et son concert au Rose Bowl de Pasadena.
Et juste après à 00:50, 24 Hour Party People, le docu-fiction barré de Michael Winterbottom sur la folle histoire de Factory et les groupes de Manchester, de Joy Division aux Happy Mondays, avec un impeccable Steve Coogan en Tony Wilson.
A ne pas manquer, donc.
dimanche 9 juillet 2017
La Rivière Rouge
posté par Professor Ludovico
Des machos confrontés à des situations dantesques ? Le jeune qui doit remplacer le vieux ? Des femmes pointues, courageuses, qui n’ont pas leur langue dans leur poche et peuvent dire leur fait aux mâles environnants ? Ben oui, bien sûr, on est chez Howard Hawks ! La Rivière Rouge, un des plus grands films du maître, 1948.
Le pitch : des cowboys doivent convoyer le plus grand rassemblement de longhorns (9000 têtes), en partant du Texas qui produit trop de bétail, jusqu’au Missouri pour aller nourrir les grandes villes du Nord. Qui elles, n’ont pas assez de viande. Le western, c’est toujours plus ou moins l’histoire de l’Amérique.
A leur tête, Dunson (John Wayne) un chef acariâtre, usé par l’âge, le célibat forcé, et une forme de tyrannie tranquille. Accompagné de Matthew (Montgomery Clift), son fils adoptif, recueilli quinze ans plus tôt d’une attaque indienne qui emporta le seul amour de Dunson. Mais sa tyrannie finit par lasser tout le monde, même Groot (Walter Brennan, oui le vieux de Barbary Coast et Rio Bravo). Le fils putatif reprend alors la main, se dressant contre son père adoptif.
Même si le final est très faible – une happy end imposée par Hawks qui ne voulait pas que ses héros s’entre-tuent sans aucune raison valable – le reste est excellent : l’incroyable stampede de nuit (une semaine fut nécessaire pour filmer la débandade de centaines de vaches), John Wayne dans un rôle étonnamment ambigu, Montgomery Clift, l’intello homo newyorkais crédible en cow-boy taiseux, l’inévitable Walter Brennan, Joanna Dru, John Ireland…
Un classique vous dis-je !