[ Les gens ]



samedi 25 décembre 2021


On n’arrête pas l’Eco(nneries)
posté par Professor Ludovico

« Il va falloir sortir de cette économie de l’attention. Cette addiction, il faut nous dire comment on s’arrête. » C’était sur France Inter ce matin, dans On n’arrête pas l’Eco, l’émission a priori sérieuse d’Alexandra Bensaid.

On avait pris la phrase en cours ; on se disait donc qu’on parlait encore des effets désastreux des réseaux sociaux sur la jeunesse*.

Point du tout. On parlait de séries télévisées. Valérie Martin, qui a écrit un livre sur le sujet**, venait nous expliquer combien les séries étaient formatées par le marketing : on cocha donc toutes les cases habituelles du Bingo Bullshit : Addiction, Neuro Marketing, Showrunners dictatoriaux et scénaristes esclaves***…

On s’apprêtait à pleurer devant le niveau pathétique du débat, imaginant les mêmes, en 1844, vilipender Alexandre Dumas et son Monte Cristo trop addictif.

C’est alors qu’un grand éclat de rire nous sauva. La spécialiste des séries nous offrait une solution pour éviter cette terrible addiction : arrêter la lecture au milieu de l’épisode (sic), pour éviter le terrible Gliffhanger. (Resic)

Après le MEUPORG, le Gliffhanger est le nouveau symbole du niveau journalistique. AEn anglais, et, en l’occurrence, de la Dramaturgie.

Voilà nous rassura immédiatement sur le sérieux de l’émission.

C’était en direct de l’Esprit de Noël, Live sur CineFast.

* Il est d’ailleurs toujours plaisant de voir ces boomers s’inquiéter de ce sujet, eux-mêmes rivés sur leur compte Twitter ou Instagram…

** Valérie Martin Le charme discret des séries

*** Valérie Martin expliqua ainsi que Orange is the New Black était une idée sortie d’un focus group. Elle oublia que c’était avant tout l’adaptation de l’autobiographie de Piper Kerman.




mercredi 1 décembre 2021


Kelly Reichardt
posté par Professor Ludovico

On réalise qu’on a oublié de vous parler des films de Kelly Reichardt, que Le Grand Action a pourtant la bonne idée de diffuser en intégralité depuis la rentrée. On avait jusque-là eu accès uniquement aux quatre films de la réalisatrice sortis en salle depuis 2010 : La Dernière Piste, Night Moves, Certaines femmes et First Cow.

Mais là, c’est l’occasion de redécouvrir les premiers films fondateurs de ce style Reichardtien si particulier, totalement indépendant et féministe. Des films low fi, tournés avec des amis d’Hollywood (Todd Haynes à la production,  et Jesse Eisenberg, Michelle Williams, Kirsten Stewart, Laura Dern comme acteurs)

Au programme : River of Grass (1994), Old Joy (2006), Wendy et Lucy (2008). On y revient. Et on parlera aussi de l’excellent dernier : First Cow.




mercredi 17 novembre 2021


Ninotchka
posté par Professor Ludovico

Il y a des cinéastes avec qui on n’est pas en affinité, sans vraiment savoir pourquoi. Dans les années 80, nous arrivions à Paris, tel un Rastignac des Yvelines. Le célèbre IUT-Paris V Communication d’entreprise était infesté de jeunes garçons du XVIème arrondissement qui n’avaient pas réussi à intégrer Dauphine, ou de filles (du même arrondissement) qui n’avaient pas – encore – trouvé de mari. En tout cas, c’étaient des parisiens qui fréquentaient les cinémas du Quartier Latin depuis leur tendre enfance, dès que leur grand mère avaient pu les emmener voir Les Aristochats. De sorte que la cafétéria de l’Avenue de Versailles bruissait des rétrospectives vachement bien qu’il fallait absolument voir : Hitchcock et Lubitsch…

Mais le Professore Ludovico, pauvre mais déjà snob, n’avait absolument pas envie, selon le mot fameux d’un comparse, de « pointer au chef d’œuvre »… Peut-être parce qu’il y décelait, indistinctement, une forme de choix bourgeois, et de pure convention sociale : voir des vieux films plutôt que plonger dans l’excitant cinéma eighties : Birdy, Blade Runner, ou La Fièvre au Corps

Quarante ans plus tard, voilà Ninotchka sur OCS, un des waypoints obligatoires de la cinéphilie, de surcroit recommandé par le Rupellien. Poussé uniquement par le nom du film et la présence de Garbo, (et sans comprendre qu’il s’agit d’un Lubitsch), on se jette donc sur Ninotchka.

En deux mots, trois russes (sosies de Lénine, Trotsky et Staline), sont à Paris pour vendre des bijoux de l’aristocratie tsariste. En face, le Comte d’Algout (Melvyn Douglas), playboy parisien, cherche à récupérer ces bijoux pour le compte de sa maÏitresse, la Grande Duchesse Swana.

Vite distraits par les plaisirs de la vie parisienne, les trois russes sont vite rappelés à l’ordre par l’envoi du commissaire politique Ninotchka (Greta Garbo), inflexible héraut de la révolution prolétarienne. Mais évidemment, la camarade Nina Ivanovna Yakouchova va tomber dans les bras du comte, puis se laisser séduire par les charmes du capitalisme.

Si le début avec les 3 stooges russes est plaisant, le film est très vieillot et l’histoire d’amour est tout sauf plausible. Greta Garbo a été belle, mais ne l’est plus en 1939*, Melvyn Leroy encore moins… Le rythme se traine à la vitesse du transsibérien et le film est affreusement pataud dans son anticommunisme primaire – et c’est un fan de Michael Bay qui vous le dit !

*C’est d’ailleurs son avant-dernier film.




samedi 30 octobre 2021


Stardust
posté par Professor Ludovico

Bowie aime les biopics. Ou les biopics aiment Bowie. Après Velvet Goldmine, ce sont des inconnus avec peu de sous qui s’y collent. Précédé d’une note catastrophique et d’une réputation ad hoc, Stardust débarque directement sur OCS. Pourtant il est loin d’être nul, le film de Gabriel Range, surtout si on le compare aux autres biopics musicaux (Ray, Bohemian Rhapsody, All Eyez on me)

Stardust remplit toutes les cases de ce que devrait être – et n’est jamais – un biopic. D’abord, il a un point de vue : David Bowie devient David Bowie pour ne pas devenir fou comme son frère, grand schizophrène. Bowie sera un schizophrène de scène, camouflant le vrai David Robert Jones sous des identités changeantes : Ziggy Stardust, Major Tom, Thin White Duke, Alladin Sane. Sûrement pas un scoop pour la Bowiesphère, mais néanmoins un bon point…

En se centrant sur la période pré-Ziggy, et en particulier sur une tournée calamiteuse aux Etats-Unis, Range dresse un portrait assez fin de Bowie (très bon Johnny Flynn) et de sa relation compliquée avec Angie (Jena Malone, qui explose ensuite dans Too Old To Die Young).

Certes, on a droit à la happy end conventionnelle : Bowie sauvé par sa transformation en Ziggy, le personnage-concept qu’il est le seul à défendre. L’éternelle héroïsation « seul contre tous » du biopic, comme si l’art se faisait tout seul.

En réalité, l’histoire de David Bowie commence, et Ziggy est loin d’être une happy end. Mais pour cela, il faudra voir (ou revoir) l’excellent Velvet Goldmine de Todd Haynes, qui reprend la saga Bowiesque là où Stardust se termine, sur un ton beaucoup plus fictionnant et mystique.

Stardust n’a pas cette ambition, ou, en tout cas, son ambition est toute petite. Mais dans cadre, il réussit.

 



lundi 25 octobre 2021


Dune, part two: l’adaptation impossible
posté par Professor Ludovico

Dune n’est pas fait pour le cinéma. Deux adaptations recensées (Lynch, Villeneuve), quatre projets connus (Jodorowsky, Scott, Berg, Morel), et plein d’autres dans les cartons : que des échecs.

Précisons notre pensée : Dune n’est pas fait pour être adapté dans le modèle Hollywoodien de cinéma. Pas parce qu’il est inadaptable pour les raisons habituellement évoquées (complexité de l’intrigue, longueur du roman…), mais parce qu’il ne peut pas fonctionner dans le business model qui fait tourner l’édition et le cinéma américain.

Où est le problème ? Dune est le livre de SF le plus vendu dans le monde, 12 millions d’exemplaires à ce jour. La famille Herbert a gagné des millions avec l’œuvre de Frank, et continue d’en gagner autant avec les prequels et autres sequels. Les Herbert veulent leur Seigneur des Anneaux, un film qui batte des records, même s’il n’est pas fidèle à l’œuvre*. Pourvu qu’il « développe », selon le langage entrepreneurial d’usage, « la franchise Dune »…

Mais le livre d’Herbert est avant tout un drame Shakespearien. Il ferait une bonne pièce de théâtre : l’essentiel de l’intrigue se déroule dans des palais, et se base sur des conciliabules, des apartés, et quelques duels à l’épée. Les batailles que l’on voit dans les films sont hors-champ, brièvement évoquées dans le livre. Dune est en réalité un film d’auteur à 10 millions de dollars, et pas à 160**. Un film pour adultes, qui parle de pouvoir, de politique, de mysticisme et d’écologie. Hamlet meet Star Wars. Il lui faut du temps, et pas de l’argent. Un artiste – disons européen pour simplifier – préférerait probablement que l’on adapte son livre ainsi, mais pour les Herbert (et les américains en général), il est inimaginable – question d’ego autant que d’argent – de faire un « petit » film sur Dune.

L’adaptation doit donc être spectaculaire : vers des sables, batailles, et encore des batailles pour attirer un public qui veut un peu plus de divertissement que de réflexions mystico-écologiques. Spectaculaire veut dire cher. S’il coûte cher, il doit rapporter beaucoup plus. Sachant qu’on ne vendra pas de Happy Meal Harkonnen, de couette Chani, ni de radioréveil Paul Atréides, il doit rapporter encore plus.

Il faut pour cela faire un film qui plaise à un public large, 13 ans et plus. La recette est simple, il faut gommer certaines aspérités : sexe, drogue, complexité morale ou politique… Pas de chance, c’est exactement ce dont parle Dune.

Le thème principal de la saga, c’est le rapport douteux que l’humanité entretient vis-à-vis des hommes providentiels. Frank Herbert écrit son livre en 1963, en pleine Kennedy mania. Son livre est une alerte contre l’adoration quasi mystique pour la famille du Président, qui fait perdre de vue les véritables enjeux du pouvoir.

Car même armé des meilleures intentions, le pouvoir corrompt. Paul, héros libérateur de Dune deviendra dictateur sans pitié dans Le Messie de Dune.

Une histoire somme toute bien éloignée de tout ce qui fait le divertissement hollywoodien, des Pixar-Disney moralistes à Star Wars et autres Avengers. Aucune trace du Voyage du Héros cher à ces films, mais plutôt l’inverse ! Certes, Paul est initié aux arcanes du pouvoir par ses mentors, il est confronté à des expériences douloureuses et rencontre des alliés inattendus. Mais le Bien ne triomphe pas, et Paul ne rentre pas à la maison pour améliorer le monde. Au contraire, sa prédiction se réalise : un Jihad terrible commis en son nom se répand dans l’univers, « faisant pire » – selon les mots mêmes de Paul – « qu’Adolf Hitler ».

On pourrait lister à l’infini tous les thèmes qui ne « passent pas » le test du business model Hollywoodien : la religion, outil cynique de gouvernement, la drogue comme acquis culturel des Fremen, le sexe comme outil de pouvoir, l’homosexualité malsaine du Baron, ses pensées incestueuses sur son neveu… Tous sujets traitables dans un film adulte signé Lynch, Cimino ou Kubrick, mais pas dans un Dune Spielbergo-Lucasien…

Les Star Wars, les Marvel ne sont pas confrontés à ces problèmes : depuis l’invention du Blockbuster en 1977, ces franchises sont, sui generis, faites pour le grand public, notamment adolescent. Les sujets problématiques n’ont pas besoin d’être enlevés, car ils n’y ont jamais été.

Dune, lui, est un oxymore : un drame shakespearien coincé dans un univers à grand spectacle. Il a un petit frère : le Trône De Fer, qui comporte son lot de sexe, de politique et de morale machiavélienne : mais, comme par hasard, on en a fait une série pour HBO.

Et par le plus grand des hasards, c’est HBO qui diffuse*** sur sa toute nouvelle plateforme de streaming, le Dune de Villeneuve. Ironie des ironies ! Car c’est évidemment HBO qu’il faudrait à Dune : douze épisodes d’une heure, pour un public d’abonnés adultes, ayant payé pour ne pas être censuré de sexe, de drogue, de complexité morale ou politique…

Que cela n’ait pas été imaginé reste un des plus grands mystères de l’Univers Connu. Mais comme chacun sait, il existe bien des dictons sur Arrakis : « Lourde est la pierre et dense est le sable. Mais ni l’un ni l’autre ne sont rien à côté de la colère d’un idiot. »

* Frank Herbert aurait probablement eu la même réaction. Il avait validé le film de Lynch.

** Au final, le film de Villeneuve coûte 165 millions de dollars et est censé en rapporter au moins le double. Le dernier Star Wars a rapporté 2 milliards.

***Le monde cruel d’Hollywood a vu ces derniers mois un réalisateur reconnu (Villeneuve) se battre avec la maison mère (la Warner) pour que son film soit diffusé sur grand écran, plutôt que servir de produit d’appel à HBOMax. Le canadien a fini par gagner, Dune sortira aux USA le même jour sur grand écran. Mais jeudi dernier, dans un coup de pied de l’âne dont les studios ont le secret, HBOMax a avancé d’une journée la diffusion de Dune sur sa plateforme. A la fin, c’est toujours le studio qui gagne.


 




vendredi 22 octobre 2021


Rétrospective John Sayles
posté par Professor Ludovico

Evidemment, tout le monde dans la salle connait John Sayles, légendaire incarnation du « one for them, one for us » ; l’antienne Hollywoodienne qui veut que l’on accepte de se compromettre dans l’Usine à Rêves pour pouvoir financer/greenlighter des projets plus personnels. Par exemple, accepter – comme Steven Soderbergh – de faire la suite d’Ocean’s Eleven pour faire Bubble.

John Sayles a fait mieux que ça : scénariste de films de genre (Piranha, Alligator, Battle Beyond the Stars, Hurlements…),  script doctor renommé sur des gros films Hollywoodiens (E.T., Apollo 13, Jurassic Park…), il a pourtant dévoué toute sa carrière à un cinéma des plus indépendants, très marqué à gauche : le racisme (The Brother from Another Planet), la condition des mineurs (Matewan), la corruption dans le sport (Eight Men Out), ou dans la vie publique (City of Hope), mais aussi les drames familiaux (Passion Fish, Lone Star), ses deux chefs-d’œuvre.

A chaque fois, des scénarios humains, subtils, précis, servis  par la crème des acteurs B-list, que l’on retrouve de film en film, et qui finissent par constituer une troupe : Chris Cooper, Joe Morton, David Strathairn, Mary McDonnell, Alfre Woodward, Angela Bassett…

Même si sa filmographie s’est étiolée depuis Limbo (1997), il ne faut pas rater la quasi intégrale que nous propose la Cinémathèque, en présence du Maître.

La Cinémathèque Française
51 rue de Bercy
75012 Paris




mardi 7 septembre 2021


Ode à Michael K. Williams
posté par Professor Ludovico

Il y a des gens qui n’ont jamais de chance. C’est le cas de Michael K. Williams, qui a eu la mauvaise idée de mourir le même jour que Jean-Paul Belmondo, notre patrimoine national. On n’entendra donc pas beaucoup parler de Michael K. Williams dans les journaux français aujourd’hui, ni demain d’ailleurs. Pourtant, c’est vers lui que se tourne aujourd’hui notre tristesse, immense, à la hauteur des émotions prodiguées par son rôle-phare, Omar Little.

Car Michael K. Williams a eu de la chance, finalement, en se voyant offrir ce rôle dans The Wire – peut-être le plus grand rôle de la télévision américaine. Robin des Bois de Baltimore, gangster, homosexuel et drogué, consacré meilleur personnage de fiction par Barack Obama. Oui, l’Amérique avait changé. Oui, l’Amérique pouvait changer.

Ce n’est pourtant pas le seul rôle de Michael K. Williams. Il a interprété d’autres gangsters, sans jamais refaire Omar : stylé comme Chalky  White de Boardwalk Empire, dangereux comme Freddy dans The Night Of. Il a trainé son sourire, à la fois triste et carnassier, dans pléthore de rôles au cinéma et à la télévision, avant et après Sur Ecoute : Lovecraft Country, Dans leur Regard, SOS Fantômes, Assassin’s Creed, Inherent Vice, Gone Baby Gone, Twelve Years a Slave…

Mais c’était trop tard. Nous avions découvert ce diamant dans la trentaine. Il ne serait jamais jeune premier. Michael K. Williams avait débuté comme danseur chez Madonna et Missy Elliot. Une carrière artistique qui, comme il le disait, l’avait sauvé de ses pires tourments*.

Mais on n’y échappe jamais réellement, à l’instar de son emblématique cicatrice au visage, qu’il portait comme une bannière de sa jeunesse agitée. Ces tourments l’ont rattrapé dans l’appartement de Flatbush, Brooklyn, la ville qu’il n’avait jamais quitté : retour à la case départ.

C’est aujourd’hui avec tout l’égoïsme du spectateur que l’on souhaite que Michael K. Williams repose en paix. Non pas dans la réalité, près de ses proches, mais dans son univers de fiction. Qu’il retrouve au paradis des gangsters Brandon, Dante et Renaldo, ses amants, Butchie, son mentor, et tous les autres incroyables personnages dont la mort fictive nous a ému dans la magnifique cité de Baltimore.

Car comme il est dit dans la Nuit des Rois, « Je suis un acteur : je suis ce que je joue. »

* « Les arts m’ont donné quelque chose qu’aucune somme d’argent, aucune statue ne pouvait me donner – une vie, une voix, un but. » Vanity Fair, 2017




lundi 6 septembre 2021


Jean-Paul Belmondo
posté par Professor Ludovico

– « Quelle est votre ambition dans la vie ?
– Devenir immortel et mourir. »

A Bout de Souffle




samedi 28 août 2021


« N’oubliez jamais les petites villes »
posté par Professor Ludovico

En 1936, auréolé du succès de Mayerling, Joseph Kessel est accueilli en grande pompe à Hollywood. Déçu par les contraintes qu’on lui impose, il en tire néanmoins un petit livre assez bien vu sur l’Usine à Rêves, Hollywood, film mirage.

Ce qu’il écrit à l’époque est encore valable aujourd’hui. Voilà par exemple ce qu’il fait dire à un producteur :  

« N’oubliez jamais les petites villes d’Amérique, si vous faites des scénarios pour nous. Ne pensez plus que vous travaillez pour les spectateurs évolués d’Europe. Ce n’est pas de New York dont nous vivons, ni de Chicago, ni d’aucun des grands centres. Nous dépendons des cités sans joie, des bourgades où habitent les gens les moins cultivés, les moins informés, les plus primitifs, les plus enfantins, et les plus naïvement sentimentaux du monde. Il faut les faire rire du ventre et non de la gorge. Il ne faut pas les faire pleurer, mais tout juste humecter gentiment leurs paupières. Il faut éviter tout ce qui suppose une connaissance quelconque géographique, historique, ou scientifique. Il faut éviter tout effort de l’intelligence, toute égratignure aux conventions. Songez à cela, et tâcher de nous être indulgent. »

Ça pourrait être du Michael Bay ou du Jerry Bruckheimer…




mercredi 25 août 2021


Le Veau d’or (le Godard) est toujours debout
posté par Professor Ludovico

L’occasion était trop belle. Sur France Culture, Michèle Halberstadt – la voix la plus sensuelle du PAF – animait cet été une émission intéressante*, Les films qui ont changé nos regards.

Le concept : les grands films du répertoire (Vertigo, 2001, Le Mépris…) vus par des spectateurs français de renom (Isabelle Huppert, Bruno Podalydes, Arnaud Desplechin…), passionnés par le film en question.

A la fin de chaque émission, Michèle Halberstadt demandait l’avis de l’Oracle. L’oracle, quel oracle ? Mais l’Oracle, voyons ! Jean-Luc Godard himself. L’homme dont la pensée rayonne – au sens radioactif du terme, nous y reviendrons – sur le cinéma français depuis 70 ans. Et là, évidemment, c’est un défilé : « Le Parrain ? pas un film qui a changé le monde ! » « Kubrick ? Un faiseur…» « Hitchcock ? beaucoup de faiblesses… » Etc., etc.

Venant d’un cinéaste, dont, le moins qu’on puisse dire, aucun film n’a eu le retentissement ou la longévité de Vertigo ou de 2001, ça ne manque pas de sel. Comme on sent la jalousie d’un nonagénaire aigri, qui a beaucoup aimé le cinéma, mais qui brûle ce qu’il a adoré, on se rue sur la dernière émission qui lui est intégralement consacrée. Une heure de pure pensée godardienne sur le cinéma, la vie, et le reste.

Que dirait-on aujourd’hui de quelqu’un qui trouve tout le monde nul, à commencer par ses amis (Truffaut, Goupil, Cohn-Bendit) ? Qui râle sur tout ce qui est moderne ? Qui répond par la négative à toutes les questions** ? Un facho ? Un vieux con ? Mais non, c’est Jean-Luc Godard, l’Ermite de Rolle. Dont nous écoutons, masochistes béats, les « leçons », diverses et variées, depuis 1950***…

Hormis quelques fulgurances connues****, le génie godardien est essentiellement composé de réponses négatives (indiquant que vous avez tort, quelle que soit la question) basées sur des jeux de mots lacaniens : « Dans la peinture moderne, il y a toujours des titres aux tableaux. A la banque aussi. » « La représentation ? Mon avocat dit aussi qu’il va me représenter, mais comment peut-il me représenter ? » Etc. Essayez vous aussi, avec quelques huîtres et un bon petit Muscadet, vous verrez, c’est pas très compliqué…

Ce n’est pas pour rien que le Snake – le Chief Technical Officer de CineFast – a créé la rubrique Pour En Finir Avec. Finissons-en donc avec Jean-Luc Godard, le veau d’or du cinéma français, l’homme par qui tout est arrivé, et par qui tout fut détruit.

Car Godard n’a réalisé qu’une poignée de films réellement intéressants, les premiers surtout (À Bout de Souffle, Pierrot le Fou, Masculin Féminin)*****. Donnant corps à la diatribe d’Orson Welles (« Si vous voulez faire du cinéma, faites-en ! Volez des caméras ! Volez de la pellicule ! », la Nouvelle Vague apportait cette idée neuve dans le cinéma des studios : une révolution technique, en tournant avec de simples caméras 16 mm, qui permettaient de s’affranchir de la lourdeur des studios. Et une révolution narrative, en filmant ainsi dans la rue, sans décor, des choses nouvelles. En un mot les aspirations de cette jeunesse 50’s étouffant dans la pesanteur sociale d’après-guerre…

Si ce bouleversement a engendré de beaux bébés (Godard, Truffaut, le Nouvel Hollywood), elle a aussi détruit le cinéma français. Car ces jeunes Turcs ont pris le pouvoir en fustigeant le « cinéma de papa » : le cinéma populaire, de qualité, des années 30 à 50. Ecartés les Duvivier, Marcel Carné, Claude Autant-Lara…

La Fatwa des Cahiers du Cinéma a duré trente ans. Un peu comme Boulez imposant son joug dodécaphoniste sur la musique contemporaine, Godard&Co ont imposé les sujets chichiteux de la bourgeoisie de Saint-Germain des Prés, son refus du scénario, et ses pré-requis techniques low cost (son direct, éclairages hésitants, acteurs improvisés…)

Cette révolution obligatoire de la forme a contaminé tout le cinéma français comme des rayons gamma. Son aura intellectuelle a été relayée par le système des subventions du CNC, qui valide les bons sujets/le bon goût du moment (il y a vingt ans, les banlieues, aujourd’hui, les problématiques de Genre). De facto, l’État oriente le type de sujets de films qui peuvent se tourner et ceux qui ne peuvent pas se tourner. Cette pensée se retrouve parmi les techniciens (formés aussi par l’Etat, via la FEMIS). Autant dire qu’un film d’action, un thriller politique, une comédie romantique n’a pas lieu d’exister dans ce système.

Mais les gens meurent, leur influence s’estompe, et le système s’écroule lentement. Notamment grâce à quelqu’un comme Luc Besson, un autodidacte, qui pris lui aussi Welles au mot. Bricolant en 1983 son Dernier Combat tout seul, et prouvant que le cinéma de genre pouvait fonctionner en dehors du système. On peut penser ce qu’on veut de Besson (à vrai dire, le Professore n’en pense pas beaucoup de bien), mais il a remis le cinéma populaire (et au passage toute une industrie) au centre de la table.

Citons donc Yves Montand :  il est temps de mettre la statue du Commandeur, « le plus con des maoïstes suisses » au musée.

* Quoique non dénuée d’erreurs factuelles : le casting de 2001, par exemple …
** Halberstadt pose pourtant des questions très consensuelles, comme « Quel est votre film de chevet ?»
*** Miss Halberstadt valide elle-même cette théorie, racontant sa rencontre avec Godard, qui l’avait insulté direct : « Depuis quand votre journal, Première, se préoccupe de cinéma ? ». Quarante ans après, la journaliste devenue distributrice est toujours en transe…
****« Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »
***** Et les parties musicales de certains films (One Plus One avec les Stones et Soigne ta Droite avec les Rita Mitsouko)…




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