Dans les œuvres de fiction, on entend souvent ces reproches : « c’est pas crédible ! », « Ça manque de réalisme !» ou au contraire « On s’y croirait ! »
Pourtant ces deux mots ont des sens très particuliers, pour ne pas dire opposés.
Le réalisme, c’est la capacité d’un film à décrire le réel. Valse avec Bashir est un film très réaliste : il décrit le quotidien de Tsahal pendant la Guerre du Liban. District 9 n’est pas réaliste : aucun alien ne s’est – à ma connaissance -posé à Johannesburg. Pour autant les deux films sont crédibles : on peut « croire » qu’un soldat danse sous les balles devant le poster de Bachir Gemayel, même si ce n’est pas très raisonnable ; c’est la folie de la guerre. De même, on peut admettre qu’après vingt ans de présence, les sud-africains ne puissent plus supporter les aliens.
Ce qui est gênant, au cinéma, ce n’est pas le manque de réalisme, mais bien le manque de crédibilité des actions des personnages ; cette crédibilité ne peut s’apprécier que dans le genre ou l’univers du film.
Rambo et Voyage au Bout de l’Enfer sont deux films sur le Vietnam, mais de genre différent : on comprend que John Rambo survive à d’innombrables viets alors que les amis de De Niro meurent dès la première balle.
De même, chaque film, dans ses premières secondes, génère un univers avec ses propres lois physiques, psychologiques, sociales…
Au début de Wanted, un polar qui semble pourtant se dérouler dans un New York très contemporain, on voit le père du héros se jeter par la fenêtre, sautant entre deux buildings séparés par une large avenue, tout en tirant extrêmement précisément sur une cible situé en face, et l’abattant d’une balle entre les deux yeux. En trente secondes, Timur Bekmambetov a installé son univers : urbain, contemporain, mais avec des personnages qui n’obéissent pas aux lois de normales de la physique.
Dans un autre genre, Star Wars, monde fantastique par excellence (les vaisseaux font du bruit dans le vide de l’espace, les faisceaux laser s’interrompent au bout d’un mètre cinquante), produit pourtant un monde très crédible : touché par un tir, les vaisseaux explosent, blessé, un personnage saigne, etc. Mais ça se gâte quand Lucas ne respecte plus les règles de son propre univers : quand Yoda se met à sauter dans tous les coins, comme un ninja sous acide dans L’Attaque des Clones, alors qu’il peine à bouger un cil dans le reste de la série : même les fans tiquent…
Autre exemple, plus récent : Lost. Voilà un monde, direz vous, où le réalisme n’est pas la première préoccupation des scénaristes : nous sommes en permanence dans le changement, ou dans l’irrationnel. Pourtant, le spectateur suit. Il a accepte le contrat tacite qui lie le public à l’auteur. Les spectateurs de Lost ont tous signé un chèque en blanc à JJ Abrams : divertis-nous ! Si le public a abandonné tout espoir de réalisme, il n’a pas renoncé à la crédibilité.
Mais dans un épisode de la saison 5, ça bugge. Abrams fait une entorse au contrat : Nous apprenons que Sawyer travaille désormais pour le Projet Dharma, à un poste assez haut placé (chef de la sécurité). Pourquoi pas ? Il y a sûrement une raison, et nous allons la découvrir, et enfin savoir ce que fricote Dharma : on est toujours dans le contrat. Jack et Kate retrouvent Sawyer. C’est bon, ils vont lui poser la question qui nous brûle les lèvres : « Alors, c’est quoi le projet Dharma ? Raconte ! » Ca devrait aussi leur brûler les lèvres à eux, personnages, qui se posent cette question depuis la Saison 2. Eh bien non, rien, nada, pas une question ! On parle de la pluie et du beau temps. On s’invite à dîner. On se lance des œillades langoureuses dans cette éternelle partie carrée Kate/Juliet/Sawyer/Jack…
Évidemment, on comprend qu’Abrams réserve cette réponse capitale pour plus tard (la fin de la saison, par exemple). Mais ça ne marche pas : il est tout simplement incompréhensible que les personnages ne posent pas cette question. Il y a indubitablement une perte de crédibilité à ce moment là. Sawyer, d’ailleurs, ne serait pas obligé de répondre*, mais Jack et Kate DOIVENT poser cette question.
On dira que le Professore pinaille. Pourtant, les œuvres de fiction sont basées sur ce pacte tacite, et ce, depuis notre toute petite enfance : « Raconte-moi une histoire ! » La souillon peut devenir Princesse grâce à une pantoufle de vair, mais la chaussure doit être à sa taille… Sinon ce ne serait pas crédible, vous ne trouvez pas ?
*Le fameux « Je ne peux pas vous le dire. Après, je serais obligée de vous tuer ! » de Juliet saison 3
posté par Professor Ludovico
Un membre influent du conseil d’administration de CineFast me presse de prendre parti dans l’affaire pédophilo-médiatico-cinéphilique du moment. Je parle de Polanski, bien sûr, Lettres d’Amour en Somalie n’étant pas à proprement parler un film, et le Neveu, un cinéaste…
Non seulement, je ne céderai pas aux pressions de mes amis, mais pire : je déplacerai le débat. Polanski est-il un grand cinéaste ? Sûrement ! Est-il pédophile ? Il l’était probablement un peu à l’époque, quand d’autres histoires (avec Nastassja Kinski) vinrent corroborer les faits… Mérite-t-il ce traitement ? Probablement pas. Le temps a passé, et même la victime a pardonné (contre un arrangement secret de 600 000$, comme nous venons de l’apprendre). Sommes-nous juges ? Sûrement pas. L’affaire est américaine, et doit être jugée en Californie, qui jusqu’à preuve du contraire, n’est pas la Corée du Nord. En tout cas, elle ne se juge pas au Ministère de la Culture, ou sur CineFast !
Ce qui est intéressant là-dedans, c’est la Suisse. Voilà un pays qui vous décourage d’aller à ses festivals, surtout si vous êtes déjà propriétaire d’une résidence secondaire. L’enthousiasme suisse (en plein milieu du scandale) à extrader le dangereux terroriste Polanski fait peine à voir. Comme l’a dit avec humour Jay Leno, du Tonight Show : « Ça y est, on a enfin eu Polanski. Maintenant, Ben Laden ! »
Le deuxième enseignement, c’est qu’il faut différencier l’art de l’artiste…
Dans l’art, tout est permis. Huysmans, Lautréaumont, Sade, Burroughs, Dustan, Bunuel, Lynch, l’artiste est fou par définition ; il est dans la transgression. La réalisation des fantasmes dans la réalité, c’est ce qui pose problème. Pourquoi l’artiste serait-il traité différemment du commun des mortels ? La justice est faite pour cela : arbitrer les faits et les causes, les circonstances, le contexte. Ce qui amène au dernier enseignement de ces affaires : la défense corporatiste de la communauté cinématographique de l’un de ses pairs. Alors qu’on traque les pédophiles de par le monde, jusqu’à vouloir signaler leurs maisons et leurs employeurs, deux affaires concomitantes (Polanski, Mitterrand) montrent la différence de traitement qui prévaut en la matière. Non seulement cette corporation est particulièrement touché par ces problèmes, habituée qu’elle est de vivre depuis toujours dans l’excès : Fatty Arbuckle, Charlie Chaplin, Frank Sinatra, Don Simpson, et aujourd’hui, Roman Polanski…
Sans aucune barrière morale, sociale, ou patronale d’aucune sorte*, elle assure même le service après-vente en soutenant, via avocats, attachés de presse, patrons de studios (voir Hollywood Babylon sur ce sujet), ses brebis égarées… tout en prônant, dans le même temps, l’inverse dans ses films et ses œuvres caritatives…
Deux poids, deux mesures…
*JP Jeunet racontait que sur le tournage d’Alien:Résurrection, la production avait mis à sa disposition un chauffeur, qui, à son arrivée à Los Angeles, lui avait immédiatement proposé de la drogue et des putes… Mais qui, le lendemain matin, et les jours suivants, venait le chercher à 8h pile pour qu’il soit à l’heure sur le plateau. A Hollywood, tout est permis… Si tu fais le boulot.
lundi 5 octobre 2009
Picasso
posté par Professor Ludovico
Un tour à l’expo Picasso d’Helsinki (oui, je sais, ça pose son homme, mais il s’agit de la collection du musée Picasso de Paris, à votre disposition toute l’année…), cette expo m’a amené aux réflexions suivantes : où est le Picasso du cinéma ? Réponse : nulle part. Picasso est un génie, qui a non seulement guidé son art avec au moins dix ans d’avance sur ses contemporains, mais qui a aussi su se renouveler (période bleue, période rose, cubisme, surréalisme), et qui s’est en plus attaqué à d’autres arts avec succès : sculpture, céramique, etc.
Dans le cinéma, c’est tout bonnement impossible. Le 7ème art est un art collectif, et un art cher. Le réalisateur/producteur est un chef d’entreprise, à la manière des artistes de la renaissance,qui esquissent l’œuvre. Ensuite, l’équipe sculpte, fond le métal, retouche, recommence jusqu’à ce que Laurent le Magnifique ou Jack Warner soit satisfait.
D’où la liberté immense du peintre, ou de l’écrivain d’aujourd’hui ; leurs œuvres ne coûtent rien à fabriquer. Elles n’ont pas forcément une vocation commerciale, et si elles en ont, peuvent se contenter de peu. Les découvreurs de talents, dans ces arts-là, prennent peu de risques : l’éditeur, le galeriste investit peu ; une fois sur mille, il gagnera beaucoup : le docteur Gachet avec Van Gogh, Maurice Nadeau avec Houellebecq…
D’où la possibilité, la liberté totale d’expérimenter, de casser les propres frontières de son art. Comme William Burroughs réclamant la révolution surréaliste du roman (et la réalisant lui-même avec son Festin Nu), comme la peinture et ses multiples révolutions du XXème siècle, comme la musique et les expérimentations Stravinsko-Reicho-Boulezienne…
Au cinéma, point de tout cela. Les génies multicartes se comptent sur les doigts d’une main, et leurs révolutions ont souvent échoué, ou en tout cas, n’ont laissé que des traces minuscules (mais superbes) dans le paysage cinématographique : Orson Welles, Luis Bunuel, Jean-Luc Godard. Leurs révolutions ont tourné à la simple révolte, et n’ont pas fait école.
Au contraire, ceux qui restent sont les grands traditionalistes (Kubrick, Hitchcock, Spielberg, Truffaut, Scorcese). Leurs propres expérimentations restent coincées dans un coin de leur filmographie, souvenirs nostalgiques d’une époque révolue…
vendredi 25 septembre 2009
Les Six Samouraïs
posté par Professor Ludovico
« Lis ça, ça va te plaire ! » Sous cette admonestation, l’ami Guillaume venait de me livrer un lingot d’or : une histoire du nouvel « Nouvel Hollywood ». Marchant dans les pas de leurs glorieux aînés (Coppola, Bogdanovich, Spielberg), une nouvelle génération d’auteurs s’attaquait à la forteresse blockbuster érigée dans les années 80, entre autres, par Simpson et Bruckheimer.
Dans le livre de Sharon Waxman, Les Six Samourais, Vous trouverez des réponses aux questions existentielles, telles que :
• Comment Dans la Peau de John Malkovitch passa au travers des mailles du filet des Studios…
• Comment David Fincher réalisa « un film expérimental » de 63M$…
• Comment George Clooney, star méprisée de la télé, obtint le rôle titre des Rois du Désert et grilla son réalisateur, David O’Russel, à Hollywood…
• Comment Steven Soderbergh réalisa Traffic – un film auquel personne croyait – qui devint malgré tout un immense succès critique et public, installant définitivement Steven S. dans la cour des grands…
• Comment Tarantino, volant ici et là, des bouts de scripts à ses copains, et les oubliant dans la foulée, construisit Miramax…
• Comment Paul Thomas Anderson, le mégalomaniaque – mais génial – auteur de Boogie Nights, comprit qu’il fallait faire des films chers pour avoir l’attention (et le soutien promotionnel) des studios…
• Comment Fight Club devint l’Orange Mécanique des années 2000…
A toutes ces questions, et à bien d’autres encore, le livre de Sharon Waxman répond brillamment. Avec comme d’habitude, le style inimitable des essais américains sur le cinéma : bien écrits et documentés, sérieux sans être pédants, avec juste ce qu’il faut de people et d’analyse.
Si vous aimez leur cinéma, lisez ce livre !
Les Six Samouraïs, Hollywood somnolait, ils l’ont réveillé
Sharon Waxman
Calmann-Levy
mercredi 23 septembre 2009
La citation du Jour : Fight Club (2)
posté par Professor Ludovico
Laura Ziskin, l’une des directrices de la Fox, découvre le film fini :
« Ca ma fait peur. C’était vraiment très intelligent, avec de vraies idées, et ça, c’était très dur. Pourrions nous le vendre ? »
Vendre des idées intelligentes, ça n’a jamais été le point fort d’Hollywood.
mardi 22 septembre 2009
De l’esthétique au cinéma (Ou de l’impact d’une bande-annonce)
posté par Professor Ludovico
D’habitude, on défend ici que l’esthétique n’est que l’écume des choses D’où notre aversion pour le « cinéma de décorateur », professé par Ridley Scott, Jean-Pierre Jeunet, ou Jean-Jacques Annaud (il y en a bien d’autres, mais ce sont nos têtes de turc favorites)…
La bande-annonce d’Avatar, le nouveau « chef d’œuvre de James Cameron » (c’est ce que dit la pub, et comme chacun sait, la pub ne ment pas) nous ferait presque faire marche arrière. En creux.
Nous sommes nombreux à attendre le successeur de Titanic, mais contrairement à ce que pensent certains, je ne pense pas que Cameron soit un génie. Il a fait un très bon film (Abyss), de bons films (Aliens, Terminator 2), et un chef d’œuvre du cinéma populaire, Titanic. Mais je crains un peu Avatar. Je ne me suis pas rué sur la bande-annonce. Mais voilà, maintenant, je l’ai vu, et… hmmm… (Petits sourires contrits devant l’ordinateur). On rembobine pour vérifier : oui, Avatar a l’air très moche. On ne peut pas encore juger l’histoire (de la SF assez basique, visiblement), mais bon, le look de schtroumpf des créatures extraterrestres m’a nettement refroidi.
Comme quoi l’esthétique, si elle n’est pas tout, elle reste la surface des choses et peut tout aussi bien servir de repoussoir…
PS : à l’inverse, la bande-annonce hyper-vendeuse de Star Trek version Abrams était parfaitement mensongère. Le relookage complet de l’Enterprise attendra.
jeudi 17 septembre 2009
Alain Delon, ou la foire aux vanités
posté par Professor Ludovico
Sacré Alain Delon ! Son intervention ce matin sur Europe 1, censément une éloge funèbre de Filip Nikolic, le chanteur des 2be3, a tourné une fois de plus à l’exercice délirant d’autopromotion :
« J’ai connu Filip quand il a débuté avec les 2Be3, il venait me voir sur les plateaux, sur les tournages, parce qu’il était très admiratif de moi. »
Et trente secondes plus tard :
… « C’était un admirateur du cinéma, et de ma carrière, et personnellement de moi… »
et encore…
– « …On avait beaucoup de traits physiques en commun, Filip n’était pas mal fait de sa personne. »
A ce niveau-là, c’est une maladie, et c’est en phase terminale ! On savait les acteurs égocentriques, amoureux d’eux-mêmes (et il faut très certainement l’être pour faire ce métier), mais notre Alain Delon national est très certainement champion du monde à cet exercice !
Profiter de la mort du pauvre 2be3 pour parler de lui, il fallait oser. Mais Delon est coutumier du fait, puisqu’à la mort de Marlon Brando, il avait fait le même coup : « Maintenant qu’il est mort, je suis seul »
Rappelons que le ragazzo déniché dans le lit de Visconti a fait une belle carrière (Plein Soleil, Le Guépard, essentiellement du à sa beauté exceptionnelle, mais que celle-ci ayant périclité avec la quarantaine, ses films sont devenus concomitamment de plus en plus mauvais dans les années 80 (Le Toubib, Le Choc, Le Battant, etc. Comme me l’avait expliqué Nathalie, une copine comédienne, Alain Delon est un acteur (qui ne joue que son propre rôle), et pas un comédien (qui peut tout jouer)…
Pour ceux qui douteraient de l’authenticité de cette chronique, c’est ici : magie d’Internet !