[ Le Professor a toujours quelque chose à dire… ]

Le Professor vous apprend des choses utiles que vous ne connaissez pas sur le cinéma



mardi 19 novembre 2013


The Gospel According to Saint Alfred#5 : The Problem of the Set Dresser
posté par Professor Ludovico

« Le problème avec les chef-décorateurs, c’est qu’ils achètent des meubles et arrangent l’appartement comme un décorateur d’intérieur. Alors qu’ils devraient être des écrivains, qui décriraient la personnalité, le goût des personnages au travers du décor. »

Un défaut fréquent dans la production française, où le moindre flic a souvent un appartement designé par Conran…

Dans ce troisième opus de l’excellent podcast Hitchcock, le Maître pose la question usuelle : réalisme ou stylisme.

En fait, il vient de répondre à Truffaut qui croit lui faire un compliment en disant une vacherie sur Clouzot « C’est pour ça que [Clouzot] a du mal : il essaie de faire des choses dans votre style. En même temps il a un tempérament très réaliste… Chez vous, tout est très stylisé, comme le tapis rouge de L’Homme qui en Savait Trop.» Pas de bol, Hitch se sent très réaliste lui aussi. Et dans cette relation SM entre adultes consentants, l’« esclave » Truffaut va recevoir la « leçon » de « maître » Hitch.

« Pour résoudre ce problème, je les envoie avec un appareil photo couleur, et je leur demande prendre des vrais appartements en photos. Pour Les Oiseaux, j’ai fait photographier les habitants de Bodega Bay, pour le département des costumes. Le restaurant est l’exacte copie d’un restaurant local. Pour l’appartement de la prof, j’ai fait photographié de fond en comble un appartement de San Francisco (parce que c’est de là qu’elle vient) et un appartement de Bodega Bay ».

Le réalisme permet au spectateur d’oublier qu’il est au cinéma, dans l’art ancestral de la magie, où l’on « fait semblant » de faire quelque chose. Mais pour que le tour ne se voie pas, il faut distraire l’attention du spectateur.

Une leçon que retiendra Kubrick : dans Eyes Wide Shut, il enverra son gendre photographier une rue entière sur un escabeau pour reconstituer son New York de studio. Son tour de passe-passe à lui, c’est de nous faire oublier – grâce à ce réalisme extrême – que nous ne sommes pas à New York, pour mieux nous concentrer sur les personnages, et le flux d’émotions qu’ils engendrent en nous.




lundi 18 novembre 2013


The Gospel According to Saint Alfred#4: The Lack of Clarification
posté par Professor Ludovico

« I find these errors all the time… »

Des erreurs furent commises, comme le dit un chapitre fameux du Freedom de Jonathan Franzen. En fait, c’est Maître Hitch qui s’insurge devant le nombre incroyable d’approximations, d’erreurs, de fausses pistes, que laissent passer ses collègues réalisateurs.

« On découvre soudain qu’on a changé de lieu, sans explication, ou deux personnages portent le même costume, et de fait, on ne sait plus qui est le méchant… »

Et ça c’est très grave nous dit l’homme de L’Homme qui en Savait Trop. Pendant que le spectateur s’interroge, il ne pense plus à autre chose. Je croyais que nous étions dans la chambre de Claire ? L’homme au complet gris, c’est lui l’agent russe ? L’esprit est accaparé à recoller les morceaux. « Alors qu’il devrait être envahi par les émotions » nous dit Hitchcock.

« Il faut avoir un esprit de simplification » ajoute Truffaut. « Il faut styliser » Ce qu’Hitchcock nie plus tard, voir chronique à venir…

Ce manque de clarification, c’est arrivé pas plus tard que lundi, dans le 11ème arrondissement de Paris. Tandis que le Professore et le Professorino tentaient d’initier madame la Professora aux arcanes d’Un Village Français saison 1 (sur France 5, faut-il le répéter ?) ; la tragédie de juin 40, l’exode, les allemands qui débarquent et abattent des français dans la rue tandis que l’armée française se débande… Celle-ci décrocha au bout de dix minutes. Motif : Tequiero, le bébé qui venait de naître n’était pas alimenté depuis 24 heures.

On avait perdu la Professora, amateure du naturalisme de Zola et de Maupassant, dans les limbes de la fiction… Les vagues de l’émotion s’étaient brisées sur un petit rocher de réalisme*…

*Réalisme ou crédibilité, un sujet déjà abordé là




dimanche 17 novembre 2013


Dramaturgie du football
posté par Professor Ludovico

Et voilà, la France l’a, son grand drame du football. En s’inclinant à Kiev, l’Equipe de France de Football écrit une des plus grandes pages de sa dramatique histoire.

Car évidemment, ils l’ont fait exprès. Perdre, a fortiori 2-0, un score qu’aucune équipe n’a jamais remonté en barrage, c’est le script d’un scénariste de génie (Didier Deschamps) qui écrit le blockbuster de l’année. Les médias, qui s’acharnaient sur les à-côtés des bleus (putes, insultes, et défis divers) sont revenus à l’essentiel : le sport. Il faut gagner mardi.

Et en utilisant les plus grosses ficelles de la GCA : le tic-tac de la bombe prête à exploser, réglé sur 90:00, comme dans Speed ou Die Hard.

Et en sortant sa bande de Douze Salopards gritty : Ribery, Evra, l’énigmatique Benzema, et la petite frappe Koscielny.

S’ils gagnent, c’est un film américain. S’ils perdent, c’est la tragédie grecque.




dimanche 10 novembre 2013


Fétichisme
posté par Professor Ludovico

Nous sommes tous des fétichistes, et les cinéphiles font partie des pires, mais là n’est pas le propos.

Le fétichisme, c’est croire doté de pouvoirs magiques ce qui ne l’est pas, et Télérama, dans son édition du 9 novembre, tombe dans le panneau.

Michael Ardnt, annonce le magazine, a quitté le navire Star Wars VII. Ce n’est donc pas le scénariste du surévalué Little Miss Sunshine qui écrira la suite des aventures de Luke Skywalker. Qui donc, alors ?

Et Télérama de s’enthousiasmer : JJ Abrams et… Lawrence « L’Empire Contre Attaque » Kasdan. Magie de la marque. Kasdan a fait le meilleur Star Wars, il va bien nous pondre un bon épisode 7.

C’est oublier que Kasdan, cinéaste adulé du Professore (Les Copains d’abord, Grand Canyon, La Fièvre au Corps), est à la ramasse depuis 1991. Avoir été bon dans les années 1980 ne veut pas dire être bon aujourd’hui. Kasdan a changé (il a 64 ans aujourd’hui), le public de la saga a changé, et nous avons changé, nous aussi.

Mais bon, voilà les fétichistes de Star Wars rassurés…




samedi 9 novembre 2013


« J’ai de la peine pour mes personnages »
posté par Professor Ludovico

Picoré ce matin dans le podcast conseillé par le Professor Mortimer de Mantes-La-Ville « Pendant les travaux le cinéma reste ouvert », sur France Inter, cette petite citation de Martin Scorsese.

L’auteur des Affranchis vient de voir Reservoir Dogs et on lui demande son avis.

– « Moi, J’ai de la peine pour mes personnages, et je crois que Quentin n’a pas de peine… »

Quelle meilleure définition du cinéma vide de QT ? A part l’excellent Jackie Brown (qui démontre en creux cette théorie), Tarantino n’a pas de personnages, il a des jouets et il les filme. Gangsters, grosses voitures, esclaves noirs ou soldats US, Barbie Mariée et Barbie Karateka : ses personnages ne sont pas de personnages, mais des poupées GI Joe qu’il met en scène avec un talent certain.

Mais sans âme.

A contrario, le cinéma de Scorsese, tout aussi violent, propose systématiquement un point de vue. A l’époque de Casino, le réalisateur expliquait que les scènes de violence inouïes du film étaient nécessaires parce qu’elles correspondaient à la réalité de la mafia, mais qu’elles devaient aussi provoquer le dégoût du spectateur, sans quoi son film serait raté.

Tout le contraire d’un film de Tarantino, en somme.




mardi 22 octobre 2013


The Gospel According to Saint Alfred #3 : « Ne dirige pas dans une langue que tu ne connais pas »
posté par Professor Ludovico

Dans Hitchcock/Truffaut, le Maître revient sur le tournage de Murder, le premier film qu’il tourna en anglais et en allemand. « J’avais travaillé en Allemagne, et je maîtrisais la langue. Je savais dire Achtung, Aufnahme, Los, je pensais pouvoir diriger. Mais en fait je n’avais pas l’oreille pour un dialogue que je ne comprenais pas, et ce fut un échec. Je ne veux pas vous décourager Monsieur Truffaut, mais c’est pour ça que Clair, Duvivier, Renoir n’ont pas réussi ici. »

Un phénomène que l’on peut observer de nos jours chez Haneke, dont l’œuvre autrichienne est immense, et la partie française plus faible. On voit qu’il ne sait pas diriger Binoche ou Auteuil (de grands comédiens par ailleurs) : il n’a tout simplement pas l’oreille. Pareil pour Farhadi, dont le film français Le Passé est inférieur au reste de sa carrière.

On pourrait faire la même remarque avec les acteurs qui se dirigent eux-mêmes : Dans Gazon Maudit, la seule actrice qui joue mal, c’est Josiane Balasko. Personne ne peut avoir l’oreille pour soi-même.




samedi 19 octobre 2013


The Gospel According to Saint Alfred #2: « N’adapte jamais un chef d’œuvre »
posté par Professor Ludovico

Suite des conseils de Maître Hitch, dans l’excellent podcast Hitchcock/Truffaut tiré du livre du même nom. Aujourd’hui, « N’adapte jamais un chef d’œuvre« .

Quand Truffaut lui pose la question, Hitchcock commence par éluder, à parler respect de l’écrivain, cet artiste qui travaille parfois toute une vie sur un livre, et voit son travail réduit à 2h de pellicule par un « simple artisan », selon les mots de Hitch. « Pour les Oiseaux, je n’ai lu la nouvelle de Daphné du Maurier qu’une fois, et je serais bien en peine de vous la raconter. Par contre, j’ai gardé l’idée. » « Pourtant vous pourriez faire un excellent Crime et Châtiment ! », lui dit Truffaut. « Oui, répond Hitch, mais c’est l’oeuvre de QUELQU’UN D’AUTRE ». Tout est dit : un grand maître ne se compare pas à un autre grand maître, fut-il d’un art différent.

C’est exactement ce que disait Kubrick, un peu méprisant à propos du Shining de Stephen King : « Il vaut mieux adapter de la littérature de gare ». Un chef d’œuvre, c’est d’abord un style, dirait King of Cote, c’est à dire quelque chose d’impossible à rendre au cinéma. Comment traduire les cut-up de Burroughs ? Les phrases magnifiques de Proust ? La simplicité de Carver ? Le cinéaste devient un pur illustrateur.

Et c’est sans parler de la communauté des admirateurs, ces gardiens du temple fanatiques qui gardent l’œuvre prisonnière. C’est le cas des adaptations du Seigneur des Anneaux, où Jackson déploie toute son énergie à rester dans les canons Tolkieniens, ce qui rend ses films le plus souvent fades.

Adapter Shining, c’est acheter de l’argile que l’on pourra sculpter comme on veut.




mercredi 16 octobre 2013


Euro Punk
posté par Professor Ludovico

Qu’est-ce qu’une expo sur le Punk vient faire sur CineFast ? Rien, en fait, je fais ce que je veux.

Le mouvement punk n’a certes pas amené grand-chose au cinéma, car quoi qu’on dise, le 7ème art est avant tout l’art du compromis. Il faut négocier avec les puissants – Jack Warner ou le CNC – pour faire son film. Il ne suffit pas de prendre une guitare ou un pinceau pour exprimer sa frustration adolescente.

Le Punk, qui érigea le do-it-yourself en modus operandi, dynamita, dans le même mouvement le rock sur ses bases : si tout le monde pouvait monter un groupe, s’il suffisait d’être provocateur à la télé pour vendre des disques, what’s the point? Les leçons situationnistes du manager des Pistols, Malcolm McLaren, ont détruit pour toujours le concept de provocation rock’n’roll, en montrant qu’elle n’était qu’une stratégie marketing. Certes, McLaren réécrivait l’histoire en se donnant le beau rôle, mais le rock ne s’en est pas remis.

Depuis, d’ailleurs, il est mourant.

C’est tout l’intérêt de la formidable exposition Euro Punk qui ouvre aujourd’hui dans la toute aussi formidable Cité de la Musique. Contrairement à la dernière exposition Dylan, Euro Punk déborde d’objets du culte à admirer, de documents à visionner, et de musique à écouter : affiches, disques, costumes de scène, fanzines, interviews et concerts vidéo ; il faudra plusieurs visites pour en exploiter le contenu.

Et pour ceux qui sont nés dans les années soixante, un incontournable lieu de nostalgie adolescente : ce quarante-cinq tours de God Save The Queen, nous l’avions volé au Prisunic de Trouville, ce pressage original de Unknown Pleasures, nous l’avions bêtement ignoré à l’époque, ces numéros de Libé illustrés par Bazooka, nous les avons bêtement jetés.

Au sous-sol, une expo photo propose un génial contre-point : la France de Giscard, la Vraie France de 1976, peuplée de mamans à grosse lunettes, de militants UDF, et d’adolescentes boutonneuses mangeant des glaces à la Foire du Trône.

A ce moment-là, nous avons eu, un court instant, le sentiment de faire partie de l’avant garde.




lundi 14 octobre 2013


« De quoi vous plaignez-vous ? »
posté par Professor Ludovico

Dans Le Nouvel Hollywood, Paul Schrader, ex-cinéphile devenu cinéaste, interpelle les cinéphiles d’aujourd’hui, c’est à dire vous et moi : « De quoi vous plaignez-vous ? Quand nous, nous voulions voir un vieux film de Jean-Luc Godard, il fallait trouver une copie 16mm quelque part, un projecteur, et tendre un drap blanc sur le mur d’un copain. Vous, il vous suffit d’aller au vidéo club ! »

Je me suis posé la même question hier, devant l’incroyable programmation télé de ce dimanche soir. J’ai pu ainsi surfer de The Town en VO sur TF1 (que je n’ai pas voulu regarder puisque j’avais manqué le début), rire aux éclats devant le Bambino d’OSS 117 Le Caire Nid d’Espions, revoir les dix dernières minutes – magiques – de Deep Impact, l’Armageddon mélo de Mimi Ledder, éviter La Belle et Bête sur Arte ou Thelma et Louise sur 23, jeter un œil à Beignets de Tomates Vertes, changer d’avis sur La Reine Margot, dont je n’avais pas su apprécier la mise en scène arty à sa sortie, et même revoir en replay les 6 buts de l’équipe de France face à l’Australie. On se plaint souvent de la médiocrité de la TNT (« thirteen channels of shit on the T.V. to choose from » comme on dit dans The Wall), pourtant, il y a du choix.

Que demande le peuple ?




mardi 17 septembre 2013


The Gospel According to Saint Alfred#1: A Star Cannot be a Villain
posté par Professor Ludovico

Dans sa volonté prosélyte d’apporter la civilisation aux barbares, d’accompagner le néophyte sur le Chemin de Damas – heureux les simples d’esprit car le Royaume des Cieux leur est ouvert ! – le Professore a décidé rien de moins que de pour vous la synthèse d’Hitchcock/Truffaut, – le livre et maintenant le podcast – indispensables à tout cinéphile qui se respecte.

Objectif : détailler, fatwa par fatwa, les grandes leçons de Maître Hitch, dont l’exégèse nous fut révélée par Saint Francois des Cahiers, en l’an de grâce mil neuf cent soixante deux.

Aujourd’hui : A Star Cannot be a Villain, ou le casting pour les nuls.

Avec The Lodger (1927) ou Soupçons (1941), Hitch a un problème : il voudrait bien finir en queue de poisson, et laisser le spectateur se depatouiller avec d’angoissantes questions : Ivor Novello est-il Jack l’Eventreur ? Cary Grant va-t-il tuer sa femme ? Mais non, Hitch va être obligé d’adapter, parce qu’Une Star ne Peut Pas Etre un Méchant.

Pourquoi ? Comme l’a si bien dit Tony Curtis dans son autobiographie Certains l’Aiment Chaud… Et Marilyn, les acteurs sont des divinités de celluloïd, des géants de dix mètres de haut que l’on adore dans des églises baptisées « salle de cinéma ». On prête à ces dieux païens des qualités (George Clooney est séducteur, Cary Grant est honnête…) qui obscurcissent le jugement que l’on doit ensuite porter sur les personnages qu’ils incarnent.

Petit exemple d’une erreur de casting : dans le Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, le tireur d’Elite nazi, ennemi de Jude Law, est interprété par Ed Harris. Pendant tout le film, nous nous demandons, James Malakansar et moi-même, quand est-ce que Ed Harris va retourner sa veste : Ed Harris, le pur héros américain (L’Etoffe des Héros, Apollo 13, The Rock), le bon mari (Abyss) ne peut pas être une brute nazie. A notre consternation, il finit par pendre le gamin. Bonne surprise, pourrait-on dire, bien joué Monsieur Annaud ! Mais pas du tout : la personnalité de Harris nous perturbe pendant tout le film, on ne pense qu’à cet inévitable retournement, qui ne vient pas. Et une fois que sa « méchanceté » est avérée, elle emplit le spectateur d’une amertume qui pollue la fin du film.

Contre-exemple réussi : Dans Usual Suspects, Bryan Singer n’a pas de star. Le spectateur peut donc jouer au cache-cache pendant tout le film ! Qui est Keyser Soze ? Singer joue même à contre-emploi Gabriel Byrne. A défaut de star, c’est le seul du cast qui pourrait prétendre à ce statut. Le seul beau gosse de l’affaire serait le méchant ? Impossible. Nous en sommes consternés d’avance, ce qui renforce les « fumigènes » déployés par le réalisateur pour nous égarer.

A l’inverse, les acteurs ayant joué des méchants seront souvent cantonnés à des rôles de méchants : Kevin Spacey, Glenn Close, Alan Rickman, etc. C’est sûrement pour ça que les méchants américains sont souvent… Anglais !




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