[ Le Professor a toujours quelque chose à dire… ]

Le Professor vous apprend des choses utiles que vous ne connaissez pas sur le cinéma



samedi 18 octobre 2014


The Gospel According to Saint Alfred#9 : J’aurais préféré que rien ne soit dit
posté par Professor Ludovico

« Des photographies de gens qui se parlent » : c’est ainsi qu’Alfred Hitchcock définissait avec mépris le cinéma de son époque. Un cinéma qui n’avait pas foi en lui-même, incapable de se vivre autrement que comme une basse formule d’entertainment, entre le tour de magie et le cirque. Pas un art, en tout cas. Ce sera toute l’œuvre de Truffaut : démontrer que le cinéma est un art, et, partant, Hitchcock, l’un de ses plus grands artistes.

Car, comme un artiste, Hitchcock cherche en permanence à engendrer l’émotion. Et son art, c’est d’atteindre cette émotion en manipulant tous les aspects de la chose cinématographique : son, cadrage, montage, costumes, bruitages, …

Dans un de leurs échanges, Truffaut explique ses problèmes de montage sur Les 400 Coups, c’est passionnant.

Le cinéaste français raconte à Hitchcock une scène, un enfant et sa mère de chaque côté d’un trottoir. L’enfant voit sa mère au bras d’un autre homme. La mère voit que l’enfant l’a vue. Et, ajoute Truffaut, le dit à son amant : « Je suis sûre qu’il m’a vue ».

Alors Hitchcock soupire : « J’aurais préféré que rien ne soit dit… »

Eh oui ! Ce qui est fort, c’est cet échange de regard, qui dit tout ce qu’il faut savoir. L’adultère, et la découverte de l’adultère. Les sentiments mêlés qui en jaillissent… Ce qui est fort, c’est le cinéma à l’état pur. Quand le spectateur intègre silencieusement toutes les implications : la honte, le remords, la colère…

En faisant parler la femme, Truffaut fait décrocher le spectateur de ce petit travail mental ; il s’intermédie dans ce rêve éveillé avec soi-même, cette chose magique et merveilleuse qu’on appelle le cinéma.




dimanche 5 octobre 2014


Passerelles
posté par Professor Ludovico

Des fois, tout se combine à merveille. On vous fait la leçon sur la cinéphilie à réinventer et la nécessité d’assumer Michael Bay et Jerry Bruckheimer. Deux jours avant, on avait vu un film français, c’est rare et on vous le conseillait. Et puis, on lit Libé et c’est quoi le titre du fameux questionnaire de Proust cinéphile « Séance Tenante » :
Le cinéaste dont j’ose dire du bien ? Michael Bay.

Et qui dit ça ? Thomas Cailley, Monsieur Les Combattants.

Tout se tient. Même s’il ajouté « Michael Bay, mais pas trop longtemps », l’argument est quand même là. Quand quelqu’un aime bien quelque chose que j’aime bien, il y a des chances que j’aime bien ce quelqu’un.. Beethoven mène à Burgess. Burgess mène à Kubrick. Qui mène à Pink Floyd. Qui mène à Burroughs.

Depuis toujours la transmission de la culture se fait ainsi, par passerelle. Et ces passerelles, c’est à vous de les construire.




samedi 4 octobre 2014


Là, c’est un grand épisode, non ?
posté par Professor Ludovico

Le temps est venu pour le Professorino de découvrir – selon les propres mots de son créateur – le Géant Endormi -, Battlestar Galactica.

Le Professorino, prêt à entrer à UCLA, demande au paternel la note attribuée à la série de monsieur Moore. Quand on vous dit que la cinéphilie est une maladie contagieuse qui se transmet de père en fils, de père en fille ! Quinze sur vingt, répond le maniaco-dépressif Professore Ludovico. C’est pour comparer, dit le petit, avec Friday Night Lights. Seize sur vingt.

Ah, alors, c’est une très bonne série alors, Battlestar Galactica ?

Oui, mais pontife-t-on, attention avec BSG : y’a du bon et du mauvais. Une fois t’auras un chef d’œuvre, et pis le coup d’après, de la connerie incommensurable en paquets de vingt. Fais gaffe, mon fils…

Là, nous sommes dans l’épisode s01e03 « Révolution », avec l’arrivée de Tom Zarek, le contestataire de l’ordre Adama-Roslynesque. En posant au passage un petit débat – comme ça, au débotté – sur la nécessité de discuter avec les terroristes, et de voter, oui, de voter, en pleine guerre, pour vérifier qu’on est restés des êtres humains. Car si on ne vote plus, et qu’on perd ce gouvernement of the people, by the people, for the people, vaut-on mieux que les machines cylons que l’on combat ?

Là, papa, c’est un grand épisode, non ?

Brave petit.




dimanche 7 septembre 2014


Rétrospective Whit Stillman
posté par Professor Ludovico

Plus d’excuses. Vous aviez raté les films de Whit Stillman – et pis c’est pas facile à voir en salles, et pis je trouve pas les DVD, alors la VOD n’en parlons pas ! – mais là, TOUS les films de Stillman sont disponibles EN SALLE grâce à une rétrospective magique*.

Vous vouliez tout savoir du désarroi de la jeunesse dorée de la Côte Est (Metropolitan), suivre leurs aventures d’expat’ dans la vieille Europe (Barcelona), vous souvenir des Derniers Jours Du Disco, ou fondre d’amour devant Greta Gerwig, Damsel in distress, tout en attendant la série TV du Maître (The Cosmopolitans) ?

As I said : no more excuses.

* L’Archipel – Paris Ciné
17 bd de Strasbourg
75010 Paris




jeudi 4 septembre 2014


Cinéphilie 80’s
posté par Professor Ludovico

Ce sont des petits signes, qui n’ont l’air de rien, mais qui ont le goût et l’odeur du changement. Passant ce matin devant l’Action Ecoles, le temple de la cinéphilie du Quartier Latin, où l’on adore quotidiennement les dieux anciens du cinéma américain (Borzage, Lubitsch, Hitchcock, Michael Curtiz, Fritz lang et bien d’autres), quel ne fut pas mon étonnement de voir l’affiche de… Die Hard.

Ce cinéma, notre cinéma – nous les quadra-quinquas, ados des eighties – enfin mis à l’honneur de la cinéphilie.

Confirmant là une intuition ce que j’ai depuis toujours : nous devons assumer notre cinéphilie. Nous devons être les exégètes de cette période. A nous d’être les Francois Truffaut de Michael Bay, les Jacques Rivette de David Lynch, les Godard de Peter Jackson.

C’est en tout cas pourquoi CineFast existe.




dimanche 31 août 2014


The Gospel According to Saint Alfred#8 : Save the long shot!
posté par Professor Ludovico

On dit en anglais qu’un plan large sert à établir (establish) une scène. C’est à comprendre dans le sens charpentier du terme. Un plan large de New York: on est à New York. Un plan d’un immeuble de nuit à New York, on est dans l’appartement des Friends. Mais pour Hitch, le plan large est là pour dramatiser. En élargissant la perspective, le plus souvent en la soulignant d’une musique un tant soit peu inquiétante, vous dramatisez, explique-t-il à Francois Truffaut. Et faut pas gâcher, ajouterait notre Guy Roux anglais du cinéma.

Prenez les films d’action par exemple. Première scène de Pacific Rim (c’est tout ce que j’ai vu) : après la grosse baston entre le kaiju et le jaeger, le dernier plan est un travelling qui part d’un gros plan sur un détail (la tête en sang d’un pilote de jaeger, en s’écartant doucement, puis en montant de plus en plus vite, pour aboutir à un plan large sur les deux carcasses qui enfin, nous donne la taille (gigantesque) des deux bestioles qui viennent de s’affronter, le tout sur une bonne musique pompière signée Ramin Djawadi. Vue d’ensemble sur le champ de bataille, et sentiment de désolation.

Dans le film d’horreur, c’est pareil. Quand tout danger semble écarté au milieu, ou à la fin du film, un plan large d’une petite rue résidentielle fait soudain craindre que Ghostface/Freddy/Jason rôde encore dans les parages. C’est d’ailleurs le dernier plan du Silence des Agneaux : Hannibal Lecter marchant à la suite de sa future victime, dans les rues d’une île des caraïbes.

D’ailleurs, film d’horreur ou pas, la grande majorité des films américains se termine ainsi : plan large d’une rue, la caméra s’élevant tandis que le générique débute.

Façon de dramatiser une dernière fois, et de laisser le spectateur dans l’émotion générale du film, que ce soit la peur, le mélo, ou l’action.

Comme tout plan élaboré dont on espère qu’il va marquer le spectateur, il faut en user avec parcimonie (n’est-ce pas monsieur Jeunet ?)

Sinon, c’est gâcher.




dimanche 24 août 2014


Game of Thrones, premier accroc
posté par Professor Ludovico

C’est un détail, mais c’est là parfois que le signe que les séries s’apprêtent à Jump the shark. Dans cet épisode de la saison 4, on voit un slogan révolutionnaire, peint sur un mur… en anglais ! tout d’un coup, nous voilà décrochés de Port Réal, Winterfell, et autres royaumes de Westeros. La magie disparait soudain, comme si le magicien venait de nous montrer l’as qui était dans sa manche.

C’est d’autant plus étrange que la série s’est acharnée à créer des langues spécifiques, et que les comédiens rament pour assurer des scènes entières en dothraki sous-titrées (une hérésie outre-atlantique). Quelle mouche dornienne a donc piqué nos scénaristes pour commettre un tel impair ? L’abus de boissons, de décapitations et de scènes de fesses ?

On vous pardonne pour cette fois-ci, mais attention…




mardi 19 août 2014


Va pensiero… (bis)
posté par Professor Ludovico

Il y a une très belle scène dans Sissi Face à son Destin (oui, le Professore a TOUT vu). En voyage officiel à Milan, le Couple impérial austro-hongrois assiste une représentation du Nabucco de Verdi à la Scala. La noblesse italienne, qui déteste les Habsbourg, refuse d’assister à la représentation et envoie ses serviteurs à sa place. Les gens du peuple entonnent alors, devant Sissi, ce chant de révolte qu’est Va pensiero, le célébrissime chœur des Hébreux prisonniers à Babylone. Sissi, évidemment, applaudit et sauve une fois de plus la mise des Austro-Hongrois.

Cette scène a-t-elle vraiment existé ? En tout cas, elle s’est reproduite en 2011, ce que le Professore vient de se découvrir grâce à un article du Monde. Cette année-là, Riccardo Muti conduit une représentation du même opéra pour les 150 ans de l’Unité Italienne. A la fin du Va Pensiero, il est acclamé par la foule qui réclame un bis : car les vers « Oh mia patria sì bella e perduta! » résonnent parfaitement avec l’ambiance de réduction des budgets de la culture par Berlusconi… Violant ses principes (on ne bisse pas à l’opéra), Muti relance Va pensiero, le public debout, chantant avec le chœur, en larmes.

Parfois, le cinéma est une science prédictive.




dimanche 20 juillet 2014


The Gospel According to Saint Alfred#7 : the art of editing
posté par Professor Ludovico

On le sait depuis longtemps : le seul véritable art du cinéma, c’est le montage. Tout le reste est importé des autres arts : le théâtre pour la construction dramatique et les acteurs, l’opéra pour l’utilisation de la musique, la photo, pour la prise de vue et l’éclairage…

Le montage, c’est ce qui rend spécifique le septième art. Essayez par exemple d’écrire – ou de peindre – l’ellipse géniale de 2001, qui fait passer 10 000 ans d’humanité en un seul raccord entre un os et un vaisseau spatial ?

Hitchcock ne dit rien de moins en décortiquant son Fenêtre sur Cour avec François Truffaut. Quand James Stewart passe le temps à espionner son voisinage à la jumelle, on pourrait en tirer plusieurs conclusions. Tout dépend du contexte, et donc, du montage…

Dans un contre-champ, le plan d’une jeune mère jouant avec son bébé. Champ : James Stewart sourit.

Maintenant, explique Hitchcock, changez le contre-champ et remplacez-le par une femme nue. Vous avez remplacé le gentil monsieur en pervers pépère. Pourtant le premier plan, n’a pas changé, c’est James Stewart, un des acteurs les plus gentils du cinéma américain de l’époque, le Tom Hanks des fifties. Mais la simple juxtaposition de deux plans suffit à raconter une histoire tout à fait différente.

Cette juxtaposition fait aussi aujourd’hui le bonheur, et génère l’essentiel des critiques sur la télévision. Quelles images, en effet, juxtapose-t-on pour décrire la banlieue, le conflit israélo-palestinien ou le crash du Malaysia MH17 ? C’est que ces images mises bout à bout finissent par produire un discours, et même, une idéologie. Si l’on insère dans un reportage des images d’archives russes sur les missiles BUK qui pourraient être la cause du crash, n’est-ce pas d’ores déjà prononcer l’acte d’accusation, tout comme Hitch aurait pu glisser ce plan de femme nue ?

C’est le pouvoir des images, et notre responsabilité permanente de nous interroger dessus…




dimanche 13 juillet 2014


The Civil War (en Palestine)
posté par Professor Ludovico

L’homme ne change pas.

Dans le premier épisode de son chef d’œuvre sur la Guerre de Sécession, Ken Burns raconte qu’à la première bataille de Bull Run, le 21 juillet 1861, près de la petite ville de Manassas, le peuple et la haute bourgeoisie de Washington se rendit en masse, à pied ou en calèche. Il fallait assister à l’affrontement, comme on se rend à un match OM/PSG ou à une étape du Tour de France. Ce qui – en creux – dit bien qu’il s’agit de la même chose depuis toujours : gladiateurs et duels, sport et guerre, le même théâtre de la cruauté.

La bataille commença en contrebas, et pendant que chacun savourait son sandwich ou croquait sa pomme, les premiers blessés commencèrent à refluer du champ de bataille.

C’est à la vue de ces bras arrachés, ces visages ensanglantés, et ces hommes aveuglés, que la foule condescendit à se replier, épouvantée par les conséquences réelles de ce massacre. Cent cinquante ans plus tard, l’humanité n’a pas bougé d’un iota.

Dans un article de Libération, le journaliste décrit la population israélienne de Sdérot venu pique-niquer avec les enfants aux abords de la bande de Gaza pilonnée par l’aviation israélienne. Dans un autre article, des familles israéliennes se rendent en riant, dès l’alarme donnée, dans le bunker censé les protéger des roquettes du Hamas. Sans croire qu’une seule de ces roquettes, si elle échappait à la vigilance du prétendu infaillible Dôme d’Acier anti-missile, suffirait à détruire d’un seul coup amis, familles et enfants… Comme pour le Costa Concordia, l’humanité est à bord du Titanic, mais il est insumersible…

Quand on demandait à Primo Levi dans les années 80 pourquoi les juifs n’avaient pas fui le péril nazi, pourtant évidemment antisémite depuis les années trente, il répondait par cette évidence : « Vous-mêmes, fuyez-vous la Guerre Froide qui menace, avec le péril atomique, 90% de l’humanité ? Pourquoi ne fuyiez-vous pas en Nouvelle Zélande, ou en Polynésie, qui ne seront pas touchées par les radiations ? Eh bien nous, c’était pareil. Nous connaissions le péril, mais nous n’y croyions pas… »

Cette humanité, curieuse et voyeuriste, inconsciente du danger, mais aimant se faire peur, c’est celle que l’on croise dans l’ambiance feutrée d’une salle de cinéma, bunker protecteur qui nous permet d’assouvir tous nos fantasmes sans danger, et assister en voyeur à ce que la morale nous a habituellement interdit. Les défauts, toujours rigolo chez les autres (Qu’est-ce Qu’on a Fait au Bon Dieu ? 40 Ans et Toujours Puceau). Le spectacle d’une violence sans limite (Le Grand Sommeil, Scarface, Seven, Massacre à la Tronçonneuse, Transformers). La sexualité du voisin (Un Eté 42, La Chambre Bleue, L’Homme Blessé) ou des voisines (Mulholland Drive, La Vie d’Adèle). Le corps dénudé des plus belles femmes du monde (Arletty dans Les Enfants du Paradis, Angie Dickinson dans Rio Bravo, Nicole Kidman dans Calme Blanc, Tricia Helfer dans Battlestar Galactica…)

Le cinéma, la télé, et le sport ; les grands défouloirs… L’homme ne changera pas.




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