[ Le Professor a toujours quelque chose à dire… ]

Le Professor vous apprend des choses utiles que vous ne connaissez pas sur le cinéma



dimanche 22 octobre 2017


Relire Dune
posté par Professor Ludovico

Comme si nous n’avions que ça à faire, on s’est remis à lire Dune. Oui, le livre de nos quinze ans, déjà lu une fois en français, une fois en anglais, une fois en français, à des âges différents.

Alors, non, Dune n’est pas le plus grand chef-d’œuvre de tous les temps de notre adolescence, mais ce n’est pas non plus un sous-produit littéraire. Après le film, après la série télé, on peut le regarder avec peut-être un peu plus d’objectivité. Et trouver quelques points faibles, comme par exemple ces intellectualisations mal digérées de théorie jungienne.

Mais aussi, on peut s’émerveiller devant la profondeur et la multiplicité des thèmes abordés : la politique, la religion, le sexe, l’économie. Mais ça nous l’avions déjà perçu, dès le départ. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est la qualité de la dramaturgie. D’abord la structure, en trois actes. La précision des décors, de la langue, des accessoires, à la fois abscons et paradoxalement compréhensibles, qui nous immerge dans ce monde magique qu’est Arrakis. Enfin, des personnages passionnants, épais, multifacettes, ce que n’avaient pas réussi à rendre la manichéenne adaptation de de Laurentiis, avec ses gentils Atreides et ses méchants harkonnen.

C’est donc plein d’espoir que nous attendons le travail de Monsieur Villeneuve. Il aura de l’argent, du temps (plusieurs films), un sens graphique ; il lui faudra construire de beaux personnages. Mais il n’aura, comme on le dit juste avant, qu’à illustrer Dune, disposant déjà d’un scénario en béton, et de personnages construits**. 

Jan, jan, jan !*

* en avant !
** Belle théorie empruntée à Karl Ferenc Scorpios




samedi 16 septembre 2017


Harry Dean Stanton
posté par Professor Ludovico

Dès notre première rencontre, dans les soutes du Nostromo, nous sommes tombés amoureux de lui. Lui, le Brett d’Alien négociant par monosyllabes ses primes avec Ripley, nous avait doublement convaincu. Prolo crédible d’un futur habituellement peuplé de permanentés en pyjamas blancs et de princesses en jupettes, Stanton était aussi un comédien incroyable. Avec son air de chien battu, il explosa véritablement dans Paris Texas, rôle quasi mutique.

Pourtant Harry Dean Stanton n’était pas un débutant, il a joué dans 200 films depuis les années 50. Western, SF, films d’auteur, séries, Stanton a tout fait : Les Mystères de l’Ouest et Rintintin, Big Love, Dans la Chaleur de la Nuit et De l’or pour les Braves, Le Parrain et Missouri Breaks, L’Aube Rouge et Rose Bonbon, Sailor & Lula ou La Ligne Verte. Mais il n’a jamais vraiment percé.

À chaque fois qu’on le recroisait, comme dernièrement dans Twin Peaks – The Return, c’était comme un vieux tonton de province qui passait à la noël. On embrassait ses vieilles joues mal rasées, et on reparlait des bonbons au caramel, et des parties de pêche dans la rivière.

Adieu, tonton Harry.




mercredi 30 août 2017


Manuel du Magicien
posté par Professor Ludovico

On cherche en vain à expliquer aux guèmemoftroneurs hardcore ce qui cloche dans notre série fétiche – et qui lui a fait perdre, depuis quelques saisons, tout espoir d’accéder au panthéon des séries parfaites. Mais on se heurte à un mur, car leur fanatisme est sans limite. « C’est agréable », « on ne s’ennuie pas », « c’est normal qu’on passe la seconde », et autres foutaises, alors que la série se débarrasse de son ADN, et, partant, son génie si particulier. Mais comme dit Matthieu (11:15), Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.

C’est alors que le Professorino nous donne la clef, le contre-exemple pédagogique qui permet d’expliciter notre dépit. L’arc narratif « Littlefinger » est une des réussites de cette saison, et montre en creux l’échec des autres. Cet arc (Littlefinger essayant de semer la zizanie chez les Stark) est installé depuis plusieurs épisodes (voire plusieurs saisons), alors que les autres arcs débarquent parfois aussi subitement que l’arrivée du train en gare de La Ciotat. Cet arc est cohérent avec le personnage concerné. Il est amené par des dialogues brillants et subtils. Cette intrigue progresse à petites touches, épisode après épisodes. Son dénouement intervient au bon moment, et ses conséquences sont logiques. En clair, ce qui manque à beaucoup d’autres arcs narratifs de cette saison 7. Et il n’y a aucune excuse à ne pas suivre la méthode ci-dessus.

Les auteurs le savent, mais comme dit Cersei, Knowledge is not power. Power is power.




mardi 27 juin 2017


Hollywood ne répond plus
posté par Professor Ludovico

Voilà un excellent petit livre pour l’été. Olivier Rajchman a en effet la bonne idée de faire le pont, au plein cœur de la crise de la Twentieth Century-Fox, entre trois films qui vont devenir légendaires pour des raisons extrêmement différentes. Cléopâtre, le chef d’œuvre que Mankiewicz va renier toute sa vie, Le Jour Le Plus Long ou la revanche de Darryl Francis Zanuck, et Something’s Got to Give le film avorté de Marilyn Monroe, quelques jours avant sa mort.

Entre les trois films, un point commun : la Fox, au bord du gouffre au début des années soixante, qui met en chantier le plus de films dans l’espoir de tirer au moins le gros lot qui permettra de la sauver.

Petit film, Cléopâtre ? C’est en tout cas l’ambition de départ ; reprendre une histoire connue, et un scénario maison ayant déjà fait l’objet d’un film en 1923. Et un tournage, sous les ordres de Robert Mamoulian, sur… les bords de la Tamise, pour profiter des subventions anglaises. Bizarrement, le temps n’est pas clément et on tourne au mieux deux minutes par jour. Mamoulian est viré, on engage un bon, le Mank’ (All about Eve, Soudain l’Eté Dernier, L’Affaire Cicéron), qui a l’heur de plaire à Miss Taylor, la petite jeunette qui vient de faire un carton, justement, dans Soudain l’Eté Dernier. C’est le début des ennuis, car on recrute aussi un certain Richard Burton, gallois au sang chaud, et comme on dit au Portugal, il faut éviter de mettre la bûche près du feu. Le tournage part en vrille, entre le scandale (les deux sont mariés), les caprices de madame, les beuveries de monsieur, et le scénario qui s’écrit… au fur et à mesure du tournage, une excellente solution pour dépenser beaucoup d’argent…

Les autres films ne sont pas en reste côté anecdotes ; Zanuck, vexé d’avoir été éjecté de la compagnie qu’il avait fondée puis dirigée, rachète les droits du best seller sur le D-Day. Il a une idée de génie pour son Jour le Plus Long : faire un casting… uniquement composé d’inconnus.

Quant à Marilyn, elle ronge son frein contre la petite brunette aux yeux violets qui lui vole la vedette, elle la déesse blonde horriblement âgée de trente-deux ans, et décide de reprendre l’initiative en chantant Joyeux Anniversaire à JFK. Problème, elle est officiellement en congés maladie quand Cukor la demande sur le plateau de Something’s Got to Give. Virée dans les semaines qui suivent, elle prendra la route mortelle de Brentwood, route parsemée de médicaments, d’entourage défaillant et de menaces du clan Kennedy.




dimanche 28 mai 2017


Combien d’emplois générés par la Joconde ?
posté par Professor Ludovico

Il y a avait déjà cette mauvaise manie du générique au cinéma. Quel autre art en effet se sent obligé de remercier tout le monde ? Philip K. Dick remerciait certes son épouse « sans le silence de laquelle » il n’aurait pu écrire Le Maître du Haut Château. Mais il ne remerciait pas le linotypiste, l’imprimeur, le correcteur, l’éditeur, la secrétaire à l’accueil de Putnam Press, et tutti quanti …

Le cinéma, lui, remercie le moindre chauffeur. Peut-être parce qu’il connait le pouvoir d’attraction du 7ème art, qui fait que tout s’arrête dans une rue quand on y pose une caméra, qu’on aperçoit Tom Cruise en train de faire une cascade, ou qu’on met ses mains dans celles de Marylin, devant le Man’s Chinese Theater. Qui n’a pas été flatté de voir son nom à la fin d’un court métrage, parce qu’il avait prêté son appartement ?

Mais voilà maintenant la mauvaise manie de dire que le film a généré de l’emploi. Ainsi, à la fin de Star Trek Beyond, on apprend que le chef d’œuvre a dépensé $69 millions en Colombie Britannique et crée 3 925 jobs. Idem pour Alien Covenant, mais on n’a pas retenu les chiffres…

Imagine-t-on un panneau sous la Joconde indiquant que le tableau a couté 4 années de travail, 1300 mozzarella et 350 jambon-beurres (Vinci l’a fini en France), ce qui a généré 12 emplois à Florence et 2 à Amboise ?

On peut se demander ce qui motive cela. Si le cinéma veut montrer qu’il a une forme d’utilité sociale, c’est vraiment le commencement de la fin.

On pense – et on espère – qu’il s’agit plutôt de compenser l’effroi devant les budgets faramineux des films en question. Est-il bien raisonnable de dépenser 185 millions de dollars pour Star Trek ? Et, partant, 6 millions de dollars pour chacun de ses deux comédiens attitrés ? Une question comminatoire posée aux footballeurs et qui commence à s’immiscer au cinéma (cf. la polémique Maraval en 2012)…




dimanche 7 mai 2017


Election Day, part two
posté par Professor Ludovico

« Il y a une certaine conception de l’honneur, qui, dans les situations humiliantes et devant les périls manifestés, inspire les réactions les plus désastreuses. »

Thucydide, La Guerre du Péloponnèse
Ve siècle av. J.-C.




dimanche 23 avril 2017


Election day
posté par Professor Ludovico

« Quand le duc eut prit la Romagne, trouvant qu’elle avait été gouvernée par des seigneurs impuissants, qui avaient dépouillé leurs sujets plutôt qu’ils ne les avaient corrigés, et leur avait donné matière à désunion, non à union – si bien que cette province était pleine de brigandages, de querelles, et de toutes sortes d’insolences – il jugea qu’il était nécessaire, pour la rendre pacifique et obéissante au bras royal, de lui donner un bon gouvernement. »

Machiavel, Le Prince

Ou encore : « Les hommes changent volontiers de maître, pensant améliorer leur sort. »




dimanche 19 mars 2017


Hail, Hail, Rock’n’Roll
posté par Professor Ludovico

Dans le film de Taylor Hackford, entièrement monté et produit – dans tous les sens du terme – par Keith Richards, il y a cet échange savoureux. Chuck Berry : tu ne vas quand même pas me dire quelle est la tonalité de cette chanson !! C’est moi qui l’ai écrite ! Keith : c’est justement parce que c’est toi qui l’a écrite que je sais qu’elle est en Si Bémol. Et pas en Ré.

Tout Hail, Hail, Rock’n’Roll est à cette aune, Chuck Berry renâclant devant l’hommage que lui rend le petit blanc de Dartford, cent fois plus riche que lui et qui lui a tout piqué. Les chemises de mauvais gout, les plans de guitare, les intro en si bémol.

C’est l’histoire de Chuck Berry, et des pionniers noirs du rock ; des petits blacks à qui on donnait un centime sur chaque disque vendu, tandis que les blancs en touchait dix. Si ça va pas, tu peux toujours retourner au champ de coton. Chuck avait plein de défauts ; il était irascible, radin, colérique, il se tapait des gamines. Mais pendant que Jerry Lee Lewis se mariait avait avec sa cousine de treize ans, Chuck moisissait en taule.

Peu importe tout cela, nous avions treize ou quatorze ans et Antenne 2 diffusait Jazz à Antibes. Le Limougeaud m’avait prévenu : ce soir, y a Chuck Berry ! C’est le King !. On était en 1980 et ma vie ne serait plus jamais la même. Voir ce petit vieux (il avait cinquante ans) faire le duck walk, écarter les jambes comme en quarante, chanter les Little Sixteen et les Cadillac, les Maybellene les Bettie Jean, les Carol et les Nadine, m’avait donné pour toujours le gout de l’Amérique, et avait décidé de mon futur : le rock’n’roll.

C’est un moment, comme dirait Greil Marcus ; un carrefour où tout change. L’attitude corporelle, la sexualité du texte et du phrasé, l’envie immédiate et incontrôlable de danser, Chuck Berry a accompli tout ça. Il y a, en vérité, peu de chansons qui donnent vraiment envie de tout casser. Johnny B. Goode est de celle-là. Et en fait cassa tout. Chuck Berry commença à avoir vraiment du succès en 1955. Dix ans après, c’était la fin de la ségrégation, comme si le noir qu’aimaient les blancs et les noirs, bien avant Michael Jackson, avait cassé la barrière.

Au cinéma, il faisait partie du cast de La Blonde et Moi, la charge anti rock’n’roll qui devint son meilleur outil de promotion. Mais surtout, on n’oubliera pas Retour vers le Futur. Le film de Zemeckis, incroyable hommage, et – en même temps, déconstruction ultime de l’Amérique des fifties –, ne pouvait choisir meilleure illustration musicale que Johnny B. Goode.

Mais en en faisant l’apex de son film, la scène d’hommage uchronique est devenue aussi un moment de l’histoire américaine. Michael J. Fox, petit blanc venu du futur, reprenant dans le passé Johnny B. Goode devant d’autres petits blancs (médusés), et des noirs (admiratifs), qui téléphonent au cousin Chuck pour qu’il « découvre ce nouveau son » ; quel meilleur hommage au plus grand architecte de leur musique populaire ?

Les gens meurent, mais la musique est éternelle. L’Edda poétique, un ensemble de poèmes scandinaves du XIIIème siècle, dit ceci :

Le bétail meurt et les parents meurent
Et pareillement, on meurt soi-même
Je connais une chose qui ne périt jamais
Le prestige des exploits d’un homme mort.

Sæmundr Sigfússon pensait probablement à Chuck Berry.




jeudi 9 mars 2017


PSG-Barca
posté par Professor Ludovico

On n’a pas trouvé mieux, malheureusement, que Don de Lillo, pour décrire ce qui arrive au supporter du PSG, à l’amateur de foot, au chauvin, ou au trois, tout simplement :
« J’étais le seul fan des Dodgers dans le quartier. Je mourais intérieurement quand ils perdaient. Et c’était important de mourir seul. Les autres me dérangeaient

Le cinéma procure d’autres émotions, parfois des surprises, mais on sait la plupart du temps à quoi s’attendre : avoir peur à It Follows, pleurer à Autant en emporte le vent, rire à Sacré Graal.

Mais seul le sport, en direct, peut proposer une telle intensité émotionnelle ; et même, à vrai dire, seul le foot. Le scenario d’hier, était invraisemblable. Si ça avait été un film, on pouvait s’attendre à différents issues : une défaite qualifiante du PSG, ou même à une victoire. Mais personne n’aurait pu dire qu’on allait être qualifié, puis risquer de ne plus l’être, puis l’être à coup sûr, puis ne plus l’être du tout. Et c’est fréquent au foot, parce que, favori ou pas, il suffit d’un point pour passer devant l’adversaire. Il n’y a pas d’accumulation comme au tennis – qui procure aussi d’intenses émotions, mais pas les mêmes -, ni le rugby, le plus souvent prévisible.

Hier, on est allé au Camp Nou voir une comédie ; mais c’était une tragédie qui était au programme.




mardi 7 mars 2017


Jacques Brel, Kubrick, et Joy Division
posté par Professor Ludovico

Dans l’excellent documentaire consacré récemment à Brel sur France 3, cette citation :

« A la fin des films, il y a souvent une fille avec des fleurs qui part sur la route au soleil couchant. Mais il n’y a jamais de route avec des fleurs, et la fille qui vous attend depuis toujours ! Sur la route, il pleut, et les fleurs, elles se fanent ! Alors, on peut très bien être heureux, désespéré mais heureux, en vivant avec des fleurs qui se fanent, des filles qui ne vous attendent pas, et des routes où il pleut… C’est ça, vivre. »

Brel venait d’arrêter la chanson et se mettait au cinéma. Il aurait pu reprendre à son compte la phrase de Kubrick : « La vie n’est pas comme dans les films de Frank Capra ».

Ou dire, comme Bob Dylan,

« She said she would never forget
But now mornin’s clear
It’s like ain’t here
She acts like we never have met.
»

Ou Joy Division :

« So this is permanence, love’s shattered pride
What once was innocence, turned on its side
A cloud hangs over me, marks every move
Deep in the memory, of what once was love
».

C’est pour ça, quel que soit l’art, qu’on aime les mêmes artistes. Parce qu’ils nous proposent quelque chose, qui profondément, nous parle.




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