« La violence qui se déverse dans le football ne vient pas du football, de la même façon que ce n’est pas du mouchoir que viennent les larmes. »
Eduardo Galeano ne parlait pas de football américain dans son très beau livre, « Football, ombres et lumières ». L’auteur des Veines ouvertes de l’Amérique latine serait d’ailleurs sûrement choqué de se retrouver ici, cité comme témoin à décharge d’une série glorifiant l’Amérique et SON football. Pourtant il nous semble que Peter Berg ne fait qu’appliquer que le programme galeanien : le foot, US ou pas, n’est pas l’opium du peuple, mais plutôt l’inversion de la phrase de Marx : la religion laïque du peuple.
Des prolos, il y en a partout. Et que leur reste-t-il, une fois qu’on leur a tout enlevé, sinon la dignité ? Sinon le football ? Montrer qu’on vaut mieux que son statut social, sa couleur de peau, ce que pensent vos parents, le quartier de Dillon – West ou East – où vous habitez ? Ce programme, Peter Berg n’a eu de cesse de l’appliquer dans les 76 épisodes de Friday Night Lights.
Mieux, il a camouflé son questionnement derrière une ode sincère à l’Amérique, à ses valeurs, à son mode de vie. Si l’on s’arrête à cette écume, on ne comprendra rien à Friday Night Lights. Oui, l’auteur de Very Bad Things, du Royaume, d’Hancock, de Battleship, Du Sang et des Larmes aime l’Amérique, la religion, la famille, le Texas.
Mais il les aime comme Aaron Sorkin aime la république (A La Maison Blanche), le capitalisme (The Social Network), le baseball (Le Stratège), les journalistes (The Newsroom) et l’armée américaine (Des Hommes d’Honneur).
Aimer n’empêche pas de questionner les raisons de l’amour. Aimer n’empêche pas de chercher à comprendre ce que l’on n’aime pas.
Sous le couvert d’un drama familial, (mais à des années lumière de la médiocrité du genre), Friday Night Lights aura tout abordé, tout disséqué, tout questionné. Le racisme dans le football. Le dopage. Le hooliganisme. Les sponsors. La compétition à tout prix. La beauté du sport pour le sport. L’éducation à deux vitesses. La guerre en Irak. Le couple, la famille, les enfants. Qu’est-ce que c’est que d’être jeune. Que d’être adolescent. Que d’être vieux. Être le père de sa fille. Être la fille de son père. Être riche. Être pauvre. Être noir. Être blanc. Être un homme. Être une femme. Être texan. N’être d’aucun pays. Aimer sa terre plus que tout. Être capable de faire sa vie n’importe où.
C’est là le cœur secret de le cathédrale de Dillon : nous faire aimer tous ces personnages, a priori incompatibles, au sein du même amour : le mari macho et son épouse féministe, le running back noir et son antagonistes texan blanc, l’artiste et le sportif, la grand-mère et l’ado, la strip-teaseuse et la born again christian, le prolo et le concessionnaire auto, Dillon et Boston…
Certes, tout n’est pas parfait dans Friday Night Lights. Il y a des longueurs, des répétitions, des incohérences. Certains arcs narratifs sont sous-exploitées. D’autres le sont trop. Ce qui empêche FNL d’être une série premium, sans faute, avec la perfection implacable d’un Mad Men ou d’un Soprano.
Mais à dire vrai, il y avait longtemps qu’on n’avait pas autant pleuré devant son téléviseur, qu’on n’avait pas été aussi ému devant une fiction, et aussi déprimé à l’idée de quitter une telle galerie de personnages.
Il nous reste l’héritage de Friday Night Lights, la morale de l’histoire, la source d’inspiration qu’apporte toute véritable œuvre d’art : la vie est belle, et elle est un éternel recommencement. Si tu ne triomphes pas aujourd’hui, tu triompheras demain. Ainsi, les idées claires, et le cœur plein, nous ne perdrons jamais.
posté par Professor Ludovico
C’est la dernière saison de Mad Men sur AMC, et c’est comme si la chaîne qui nous a donné Breaking Bad et Walking Dead cherchait un remplaçant à son period show le plus emblématique. On imagine le pitch envoyé aux boîtes de prod’ : « On voudrait une série d’époque, mais pas trop chère à faire… Ça nous a bien servi avec Mad Men, et ses sixties classy, ses mecs tirés à quatre épingles et les filles en tailleur moulant ; mais on n’a qu’à prendre le contre-pied, puiser dans une période ringarde…Tiens t’as qu’à prendre les années quatre-vingt, lunettes carrées et robe en soie, avec permanentes improbables pour les femmes, et costard moule-bite pour les hommes. Et remettez moi ça dans un bureau, ça coûte pas cher… »
Quelques semaines plus tard, deux inconnus au bataillon (Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers) reviennent avec Halt and Catch Fire, rien de moins que l’histoire du PC. Pas le parti communiste, non, le Personal Computer, à l’époque où les computers n’avaient rien de personal. On l’a oublié mais au début des années 80, personne ne croyait, à part Steve Jobs, que chacun aurait un jour un PC chez lui*. Et IBM, qui en avait fabriqué quelques-uns, considérait qu’il avait le brevet, et donc qu’il était le seul à pouvoir en fabriquer… Et à en vendre.
C’est dans ce contexte qu’évoluent nos trois personnages, à vrai dire, le véritable intérêt de Halt and Catch Fire.
Gordon Clark (Scoot McNairy, déjà vu dans Monsters, Cogan, Argo, 12 Years a Slave…) est un informaticien de génie, qui a malheureusement ruiné sa petite famille dans son propre projet de PC. Il travaille chez Cardiff Electronics à rembourser ses dettes.
Joe MacMillan est un beau ténébreux (Lee Pace, le Thranduil du Hobbit 2), chef de produit aux dents longues, Patrick Bateman texan aux origines incertaines, façon Profit, et ancien d’IBM. Quant à Cameron Howe (Mackenzie Davis), c’est une jeune programmeuse. Mi-punkette, mi-clocharde, c’est peut-être le personnage le moins crédible de la série ; la comédienne étant trop jolie pour être crédible. Pourtant c’est ce trio qui nous accroche et qui nous amène à suivre ces aventures peu glamour : programmer du code, éviter les foudres d’IBM, lutter contre l’inertie de la boite dont ils sont en train de changer de business model.
Ce sont eux qui nous attachent à la série et nous voulons les voir réussir. Tout comme nous suivons avec gourmandise ces intrigues secondaires qui veulent faire trébucher nos héros…
A suivre, donc.
* « Il n’y a aucune raison pour qu’un individu quelconque possède un ordinateur chez lui »
Keneth Olsen président Fondateur de Digital Equipment, 1977. Une boite qui coula pour ne pas y avoir cru…
jeudi 5 juin 2014
Mad Men, le retour… Et la fin
posté par Professor Ludovico
Mad Men revient donc pour une dernière fois nous hanter… sur la pointe des pieds. Canal en effet n’a pas mis les petits plats dans les grands, comme si le chef d’œuvre de Matthew Weiner n’était qu’une vieille tante indigne, qui pique et qui sent des pieds : pas de promo, pas de VF, et pour la première fois, le générique n’a même pas été traduit.
On s’en fout à vrai dire. Mad Men n’a jamais marché sur Canal, mais nous, nous savons que c’est la plus belle série du monde. En fait, nous le saurons dans douze épisodes, car une bonne série se juge à la fin. Elle peut errer pendant deux ans comme Six Feet Under, du moment qu’elle finit en beauté. Mais elle pourrait aussi avoir brillé comme Lost, comme les X-Files, comme Homeland pendant quatre épisodes et sombrer à cause d’un mauvais final.
Cette inquiétude, à vrai dire, nous l’avons à chaque reprise, car, comme d’habitude, pour ce premier épisode, Mad Men ne fait pas dans la facilité. Matthew Weiner se fiche bien qu’on ne se rappelle pas ce qui s’est passé il y a un an ; il entre dans l’action, in media res, au milieu d’un pitch pour Accutron. Les dialogues absconds, si proches d’une conversation normale, qui font le style Mad Men, n’aident pas non plus. Et plongent donc dans l’effroi la communauté Madmenienne, qui sait qu’en matière de série, la Roche Tarpéienne n’est pas loin du Capitole.
Mais non, en deux plans de fin d’épisode, Weiner nous prend par les tripes : ami téléspectateur, bienvenue sur Madison Avenue, New York, 1969. Ses pitchs publicitaires, ses épouses trompées, ses femmes humiliées, et ses quadras au bord de la crise de nerf. Bienvenue dans un monde qui change, et qui ne sera plus jamais le même.
Et toi qui entre ici, abandonne tout espoir.
vendredi 30 mai 2014
Frénésie en séries
posté par Professor Ludovico
Depuis quelques semaines, pour des raisons techniques, je fais les trois/huit devant mon téléviseur. Pas assez de place sur ma Free Box donc obligation de regarder Real Humans le plus vite possible, délai de péremption sur Canal à La Demande, donc nécessité d’écluser en une épuisante course contre la montre, les épisodes de Newsroom et Girls saison 2.
Quant aux enfants, la pression est immense, à peine rentré à la maison, me voilà sommé de répondre à la question rituelle : Friday Night Lights ce soir, papa ? Sans parler de Game of Thrones, qui chaque semaine s’enrichit d’un giga supplémentaire et que j’ai très envie de voir. Et sans parler de la 7ème et ultime saison de Mad Men en approche…
La soirée commence donc par FNL et sa quatrième saison exceptionnelle, sorte de The Wire feelgood (elle recycle même deux acteurs baltimoriens). Après cette heure de drama, un peu de peps sorkinnien agrémenté d’idealisme journalistique ne peut pas faire de mal. Mais si l’on est d’humeur plus sombre, on peut aussi se pencher sur l’humaine condition des robots de Äkta Människor. Si on est encore courageux, minuit approche, on prendra trente minutes de limonade acide de Girls, excellent pour la digestion, et qui vous garantit une nuit calme.
Parce que demain, il faut aller au boulot.