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Commentaires et/ou Conseils d’achat de DVD – Peut dégénérer en étude de fond d’un auteur



mercredi 21 décembre 2011


L.A. Takedown
posté par Professor Ludovico

Joli cadeau que m’a fait Ludo Fulci en me prêtant L.A. Takedown, téléfilm américain des années 80 que je cherchais en vain depuis longtemps. Rien de moins que la première version de Heat, le chef d’œuvre de Michael Mann. Ecrit et filmé par le même Mann, L.A. Takedown est le clone de son cadet : deux héros, un flic et un voyou, s’affrontent jusqu’à la tragédie. Mais il y a un nanar et un chef d’œuvre. L’exercice est donc passionnant, comme une expérience inédite de cinéphile de laboratoire. Même scénario, même réalisateur, même décor, la flamboyante Los Angeles. Même musique (synthé + guitare planante, reprise des Stones versus reprise de Joy Division)

Qu’est-ce qui cloche alors ? Le temps, l’argent et le talent. Michael Mann, dans le mini making of prévient d’emblée : les deux films de ne sont pas comparables (10 jours de préparation contre et 19 jours de tournage contre 109 jours pour l’affrontement de Niro – Pacino). Les acteurs n’ont pas pu se préparer comme les autres, faire ces « recherches » qu’affectionnent tant les scénaristes et les acteurs US. Les cadres sont systématiquement en gros plan, comme l’exige la télévision, et il n’y a pas de place pour l’architecture, comme le souligne Mann dans le Making of. Mais surtout, il manque de Niro & Pacino, et aussi la flopée de seconds rôles, qui sont tous parfaits dans Heat (Val Kilmer, Tom Sizemore, mais aussi les femmes : Diane Venora, Amy Brenneman, Ashley Judd et Natalie Portman.)

Un véritable exercice d’analyse cinématographique, si vous réussissez à tomber dessus…




dimanche 4 décembre 2011


Potiche
posté par Professor Ludovico

Je ne sais pas pourquoi, mais je vais rarement voir les films de François Ozon. Pourtant, j’ai adoré les deux que j’ai vus : Swimming Pool, Sous Le Sable. Et ce soir, Potiche.

Peut-être parce qu’Ozon fait des films de fille (ce que la gent féminine de la famille Professorale cherchait hier), et qu’aucun de ses sujets ne semble assez bankable à mes yeux.

Mais là, 10mn après, je suis séduit, et 100 mn après, je suis conquis. Potiche est un pari dingue : adapter un classique du Boulevard, signé Barillet – Gredy, et le conserver tel quel : décor criard, jeu faux façon Au Théâtre Ce Soir, dialogues surannés. Il faut une grosse paire de cojones pour tenter le coup et des producteurs spécialistes de la chose (Eric et Nicolas Altmeyer (OSS 117, Brice de Nice…))

Il faut aussi des comédiens exceptionnels (Deneuve, qui fait une fin de carrière exemplaire, Gégé, qui signe son premier bon rôle depuis… depuis…, Judith Godrèche, fabuleuse en militante RPR, et Jérémie Renier en designer gay qui s’ignore, Luchini, Viartd, n’en jetez plus, la coupe est pleine ! L’intrigue a peu d’importance : un patron (Luchini) est obligé de laisser la gestion d’entreprise à sa potiche de femme (Deneuve), face au tout-puissant député-maire communiste (Depardieu), qui n’est autre qu’un ancien amant de la demoiselle. Vous l’aurez compris, on n’est pas chez les Dardenne, mais plutôt dans une jolie fable féministe, drôle et …couillue !

C’est promis, je vais voir le prochain Ozon !




dimanche 20 novembre 2011


Bus Palladium
posté par Professor Ludovico

Nous ne pensons pas grand bien de Christopher Thompson : acteur médiocre, le plus souvent cantonné à des rôles chez sa talentueuse mère (Danièle Thompson), il n’a pas vraiment impressionné la pellicule jusqu’ici.
Avec Bus Palladium, il signe son premier film, qui, loin d’être parfait, se révèle pourtant prometteur. Car s’il enchaîne les clichés plus rapidement que Desperate Housewives, Bus Palladium brille par son absolue sincérité.

Pour les moins de vingt ans, rappelons ce que fut le « Bus » : un club branché de la rue Fontaine, qui connut son heure de gloire dans les années 60, puis les années 80, en hébergeant la scène rock française. Thompson raconte l’odyssée d’un de ces groupes, et ça sent le vécu. On suivra ces quatre copains au travers de ce biopic rock classique : deux têtes pensantes (chant-guitare) qui se rencontrent, le copain sans talent qui s’improvise manager, les repets, les premiers contacts avec une maison de disque, la tournée, la drogue, etc.

Le premier coup de génie de Thompson est de suivre les théories de McKee, le ponte du scénario américain, et (et sûrement les conseils de sa mère), c’est à dire de ne partir que de son expérience personnelle, même si vous écrivez une histoire d’extraterrestres. Au lieu d’essayer de raconter Téléphone, Trust ou Taxi Girl, Thompson parle de Lust, un faux groupe, mais qui sonne vrai. L’histoire est bien bâtie, sur un traditionnel flashback, les comédiens sont excellents (Marc-André Grondin, Arthur Dupont,
Jules Pelissier, Abraham Belaga), jouent vraiment des instruments (ce qui apporte beaucoup à ce genre de film). On reprochera donc seulement au réalisateur ses scènes à l’emporte-pièce, ses emprunts grossiers (la cravate de The Big Chill, la citation de Jagger), l’irréelle maturité de ses personnages adolescents.

Mais à la fin du film, on en veut plus, ce qui est si rare au cinéma… On guettera donc la prochaine œuvre de Mr Thompson…




lundi 7 novembre 2011


Centurion
posté par Professor Ludovico

Le Théorème de Rabillon nous fait faire bien des bêtises. Regarder, par exemple, Centurion, sous prétexte qu’il y a des gars en jupettes qui appartiennent à la Neuvième Légion.

C’est pourtant un nanard d’une ringardise absolue, malgré la présence fugace de notre héros Dominic « McNulty » West. Héroïnes court vêtues (mais maquillées l’Oréal, qu’il neige ou qu’il vente), héros bourrus (mais courageux), casting politiquement correct (patrouille romaine avec un noir et un arabe ; je vous rassure, le traître est arabe), et répliques culte piquées à Y’a-t-il un Pilote dans l’Avion? : « Pourquoi aller au nord, notre garnison est au sud ?? – parce que c’est justement ce à quoi ils s’attendent !! »

Rien à sauver donc, le Professore s’y est repris une dizaine de fois pour arriver au bout de Centurion

CinFast, sûrement, sinécure, sûrement pas…




dimanche 6 novembre 2011


The Tourist
posté par Professor Ludovico

The Tourist, c’est l’archétype du nanar, qu’on croyait perdu dans les profondeurs des fifties, c’est aussi l’incarnation de la Loi d’Olivier. Revue de détail.

L’intrigue de The Tourist est pourtant rigolote, au début. Une beauté fatale (Angelina Jolie), visiblement surveillée par la police française, reçoit un mystérieux message qui lui enjoint à prendre le Paris-Venise en s’asseyant face à « quelqu’un qui me ressemble« . Qui ressemble en fait au rédacteur de ce message, le fameux Alexander Pearce, escroc de haut vol, recherché par toutes les polices. La belle monte donc dans le TGV, et s’assoit face à… Johnny Depp. Ça dragouille gentiment jusqu’à Venise, et là, les ennuis commencent. Pas la peine d’en dire plus, ça risquerait de vous gâcher un dimanche soir sur M6, mais sachez que l’on saura à la fin qui est ce fameux Alexander Pearce.

Le problème est d’abord là, brillamment exposé par le professeur Olivier, depuis sa chaire de Filmologie Comparée de Lausanne. La Loi d’Olivier dit ceci : « Un réalisateur n’est pas le maître omniscient de son univers. Il peut réserver des surprises au spectateur, mais se doit de maintenir une certaine connivence avec lui, afin de le laisser chercher par lui même des pistes de résolutions de l’intrigue » Et justement, The Tourist se veut hitchcockien, mais ne l’est pas du tout. Car à aucun moment, il est possible de deviner qui est le fameux Pearce. Et au moment de la révélation finale, nous voilà esclaves du réalisateur. C’est lui. Bon d’accord. Rien ne nous permettait de le deviner, ni de deviner le contraire…

Le deuxième souci de The Tourist, c’est sa ringardise absolue. Jouer la carte du duo classique Hollywoodien, c’est bien, mais n’est pas Cary Grant-Eva Marie Saint qui veut. Angelina n’est plus très jolie depuis quelle a atteint le point de non retour de la chirurgie esthétique, appelé aussi Point Kidman* Angelina est donc hideuse, et on se demande qui pourrait tomber sous le charme d’une copie taïwanaise de Barbie. Qui, sinon Johnny Depp, qui à force d’avoir abusé du Jack Daniels avec Keith Richards sur le tournage de Pirates des Caraïbes, a pris un joli pneu autour de la taille. Pire, autour de ce couple qui n’a rien de glamour, tout sonne faux : le TGV d’opérette qui nous mène à Venise, le Danieli placé sur le Grand Canal, et l’aéroport en face de la gare, je vous en passe et des meilleures**… Détails, me direz-vous… Mais ce qui passait dans les films des années 60-70 n’est plus acceptable aujourd’hui. Des réalisateurs comme Paul Greengrass, des films comme la trilogie Jason Bourne, ou même les Mission Impossible ont modernisé le thriller ; ils répondent à une plus grande exigence du public, mieux informé, connecté à Internet et qui sait trouver le Danieli sur Googlemaps.

Il en va de même pour le reste du film : Florian Henckel von Donnersmarck (réalisateur de La Vie des Autres) s’est visiblement égaré à Hollywood, et particuliers dans une faille spatio-temporelle située au croisement de Van Nuys et Ventura Boulevard. Il se croit en 1953, sur le tournage de Vacances Romaines, avec de grands posters du Tibre figurant Rome derrière Gregory Peck.

* Nicole Kidman était une jolie fille, sans plus, à ses débuts. Il suffit de la voir dans le magnifique Calme Blanc : beau corps, mais visage quelconque. Son arrivée à Hollywood (Horizons Lointains), son mariage avec Cruise (Eyes Wide Shut) coïncide avec quelques modifications de la carrosserie : des yeux plus grands, un nez moins long, des sourcils mieux dessinés. Mais comme chacun sait, la chirurgie esthétique est une drogue dont il n’existe pas de méthadone : il n’y a pas de sortie de secours, et une fois que l’on se rend compte qu’on est allé trop loin (le fameux point Kidman), il est trop tard pour faire demi-tour.

**et notamment les cigarettes électroniques (sic) de Johnny Depp…




dimanche 30 octobre 2011


Les Sentiers de la Gloire
posté par Professor Ludovico

Le scénario des Sentiers de la Gloire est-il vraiment signé Jim Thompson ? Ne serait il pas plutôt l’œuvre de René Girard, l’auteur de « La Violence et le Sacré » ? La question peut être posée, tant le sujet des Sentiers de la Gloire semble épouser les thèses du dernier philosophe méconnu des français. Pour cela, il aurait fallu le Framekeeper sous le bras, professeur agrégé de Girardisme, mais il répugne à fréquenter le VIème arrondissement en dehors d’une rétrospective Ozu. De toute façon, il est probablement en Corse à l’heure qu’il est…

Résumons.

Dans ce quatrième film de Kubrick, et dans sa première superproduction, l’ensemble de la Doxa Kubrickienne est là. (Vous pouvez par ailleurs retrouver ici toutes les chroniques consacrées à la filmographie Kubrick) mais pitchons déjà le film…

Dans Les Sentiers de la Gloire, le général Mireau est chargé de prendre une position réputée imprenable, la Fourmilière. Il refuse, mais quand on lui promet une promotion, il change d’avis. Le 701°, commandé par le Colonel Dax (Kirk Douglas) part donc à l’assaut, et échoue. Le Général en chef, Broulard (Adolphe Menjou) veut des coupables. Machiavélique, Mireau lui propose quelques soldats à fusiller pour l’exemple.

L’un est tiré au sort (alors qu’il a été cité à deux reprises pour bravoure), un autre parce que son lieutenant le trouve asocial, un troisième parce qu’il a menacé son supérieur de dénoncer sa lâcheté lors d’une patrouille qui a mal tourné.

Dax, assure leur défense en cour martiale, – il est Avocat dans le civil -, mais nos héros sont fusillés.

Conclusion inattendue dans une taverne : des soldats du 701°, huent une pauvre « prise de guerre » (c’est ainsi qu’elle est présentée), une jeune allemande (Christiane Harlan, future Madame Kubrick). Seule contre cette bande d’hommes déchaînés, la jeune fille semble n’être bonne à rien, à part se faire violer (le patron de la taverne montre complaisamment sa poitrine, son « seul véritable atout »). Mais voilà, elle se met à chanter, les soudards se taisent, et bientôt, sont émus aux larmes.

La Violence et le Sacré

Commençons donc par Girard…

Ces trois hommes, innocents aux yeux des règlements militaires (ce sont les officiers de la cour martiale qui le disent eux-mêmes), sont à l’évidence victimes d’une terrible injustice.

Chez Girard, et sa théorie de la victime mimétique, il faut un bouc émissaire qui « purge » la société de ses péchés. Pour que tous vivent, il faut que l’un meure. D’où son explication de la tragédie biblique de Job (un homme riche, honnête, religieux, sur qui s’abat soudain tous les malheurs du monde). Ici, dans les Sentiers de la Gloire, pour emmener tant de monde à l’abattoir, il faut non seulement un ennemi identifié (l’allemand, l’allemande), mais aussi gérer l’ennemi intérieur (le traître). Si l’offensive est ratée, il faut trouver des coupables. Cela ne peut être une faute collective (dans ce cas, c’est la défaite assurée), c’est forcément la faute de quelques-uns. Nos trois héros feront parfaitement l’affaire, car, justement, ils sont parfaitement innocents. Car comme le dit le Général en Chef « Rien de plus revigorant que de voir quelqu’un mourir à côté de soi ! », paraphrasant presque le Ernst Jünger du Journal Parisien, qui notait en 1942 : « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, mais tout ce qui nous tue nous rend encore plus fort ! »

Mieux, ce processus s’étend, et Mireau est bientôt lui aussi sacrifié par le Général en Chef qui l’envoie en commission d’enquête, quand Dax lui amène sur un plateau la preuve de son incompétence (il attaque en sous-effectif, fait tirer sur sa propre troupe par l’artillerie, etc.) Pour sauver les soldats, il faut sacrifier trois soldats, pour sauver le corps des officiers, il faut sacrifier un officier…

Et personne, à part le Colonel Dax, qui prend là une pose christique – rôle fétiche chez Kirk Douglas – ne viendra s’en offusquer. Kubrick ne montre d’ailleurs le soutien d’aucun camarade, et se complait au contraire à mettre en scène l’extrême discipline qui procède à leur exécution. Et offre ce contrepoint passionnant (car nous nous sommes évidemment mis du côté des « pauvres soldats face à la boucherie des officiers ») en inversant ce point de vue dans la conclusion : en cinq minutes, voilà les « pauvres soldats » devenus des bêtes immondes face à une femme seule, puis, nouveau retournement, agneaux émus aux larmes par son chant. Toute la vision Kubrickienne de l’humanité est là.

Le faible secours des structures sociales

Malgré l’organisation hyper structurée de nos sociétés modernes, Kubrick montre qu’elles ne sont d’aucun secours face à l’injustice. Le cas des trois soldats est léger, mais rien n’arrêtera l’arbitraire en train de se commettre : ni la structure militaire, pourtant ultra-réglementée, qui fournit un cadre juridique à la condamnation des soldats, et, donc – théoriquement – la possibilité de se défendre, ni même l’accumulation de preuves en leur faveur (l’officier d’artillerie qui a refusé de tirer sur ses troupes sans ordre écrit, et qui obtient gain de cause). De même, la religion ne sera d’aucun secours (que l’on soit croyant ou non, rien ne change l’absurdité de la mort). On retrouvera le thème du prêtre inutile dans Orange Mécanique.

La décadence Mitteleuropa

Dans les Sentiers de la Gloire, on trouve une valse de Strauss, beaucoup moins célèbre que celle de 2001, mais qui remplit un rôle similaire : montrer une société à son apogée mais qui court à sa perte (les ors des palais austro-hongrois XIXème, pendant de la perfection technologique de l’humanité du XXIème siècle). La Mitteleuropa, ses bals, et ses militaires en tenue d’opérette, ou les cadres froids, technos et inhumains de 2001 dansent sur la même valse. Il faudra un événement d’envergure (une guerre, un monolithe E.T.) pour changer d’ère.

Comme dans 2001, Kubrick joue de la perfection des alignements. Palais XVIIIème filmés au cordeau, défilés et alignement militaires filmés volontairement « dans l’axe », premiers travellings arrière qui formeront sa marque de fabrique, tout cela est opposé à la brutalité de l’offensive, qui elle est filmée de coté, sans héroïsme aucun. Les singes d’un coté, la sauvagerie de l’homme, filmé en opposition des « œuvres de civilisation », palais ou vaisseaux spatiaux. Mais on meurt dans la boue dans toutes les guerres, dans Les Sentiers de la Gloire, dans Barry Lyndon, dans Full Metal Jacket.

La patrouille perdue

Etrange obsession. La patrouille perdue, c’est le thème du « brouillon » Peur et Désir, premier film maudit, dont Kubrick essaya de détruire toutes les copies, tant il jugeait l’œuvre indigne de lui. Peur et Désir ? Etrange comme ce simple titre peut pourtant définir toute l’œuvre Kubrickienne. De quoi parle Fear and Desire ? D’une patrouille qui se perd en territoire ennemi, rencontre une ennemie, et veut la violer… Full Metal Jacket ? Une patrouille se perd dans Huê et manque d’être décimée par une sniper vietminh. Rattrapée, les Marines évoquent la possibilité de la violer, puis finalement l’achèvent… Dr Folamour ? Un avion perd ses codes en territoire ennemi, est incapable d’interpréter un message de retour, et déclenche l’apocalypse nucléaire parce qu’un colonel a des « problèmes d’érection ». Les Sentiers de la Gloire ? Une patrouille se perd, et tue par erreur un camarade ; cet événement déclenchera la condamnation d’un des trois soldats, tandis qu’on évoque la possibilité de violer la jeune allemande à la fin… ces coïncidences n’en sont pas ; la peur et le désir sont étroitement liés chez Kubrick. Une fois effrayé par la méthode Ludovico, Alex n’a plus de désir, même pour une très belle femme nue, dans Orange Mécanique. Bill Hartford patrouille lui aussi les « yeux grands ouverts » dans la nuit new-yorkaise, qui est à la fois la nuit des désirs, mais aussi la nuit de la terreur, celle de sa paranoïa, mais celle aussi de la vraie violence (la bande de hooligans, les libertins masqués, le type qui le suit). Bill sombre dans la peur plutôt que de suivre le conseil final de sa femme : « Fuck ». De même, Barry Lyndon est prêt à toutes les violences pour le sexe ; affronter en duel un militaire de carrière pour séduire une cousine, affronter la noblesse du royaume pour conquérir puis garder Lady Lyndon. Non cher Stanley, tout était là dans votre première œuvre. C’est sûrement empli d’effroi que vous avez détruit les bobines….

La musique, commentateur ironique

Tout le monde le sait, la musique est un élément à part entière de la chorégraphie Kubrickienne. C’est surtout vrai pour sa période « Couleur », quand il décide de se passer de musique originale et piocher directement dans le répertoire (2001 et suivants). Mais des prémices se trouvent déjà dans ses premières œuvres. Dans Les Sentiers de la Gloire, cela commence même dès le générique : une Marseillaise tonitruante, qui se conclue par un bizarre accord mineur : tout est dit. Le Patriotisme, royaume du mode Majeur, mais surtout « dernier refuge de la canaille », selon le Colonel Dax, se termine en Mineur : la guerre, la souffrance, et la mort. Mais il y a aussi l’introduction d’un pattern typiquement Kubrickien : la musique populaire qui sert à clôturer le film. Ici, une chanson traditionnelle allemande, chantée du bout des lèvres par la prisonnière allemande, et qui retourne le cœur des soldats. Une chance que n’aura pas son équivalente vietminh dans Full Metal Jacket. Le film se conclue lui aussi, par deux chansons populaires : Mickey Mouse, et Paint it, Black.

On retrouve ce principe presque partout chez Kubrick (We’ll Meet Again, à la fin de Dr Folamour, Singing in the Rain dans Orange mécanique, Home, dans Shining, la Jazz Suite de Chostakovitch dans Eyes Wide Shut)… Cette petite musique, c’est évidemment un procédé, une façon de sortir le spectateur de la salle de cinéma, d’alléger le pathos qui accompagne souvent un Kubrick. Mais c’est aussi une façon de marquer le spectateur à jamais (plus facile de chantonner We’ll Meet Again que le Requiem de Ligeti). C’est enfin la petite musique de la vie ; au travers de ces chansons populaires, et de leurs paroles à double sens, on conclue le film d’une morale sarcastique. Non, nous ne rencontrerons plus jamais à la fin de Dr Folamour, car la Terre est rayée de la carte, et nous ne chanterons peut-être pas sous la pluie en pensant à Gene Kelly, terrifié par le sort qu’Alex (Et Kubrick) ont désormais réservé à cette chanson.




mercredi 28 septembre 2011


The Social Network, part 2
posté par Professor Ludovico

En re-regardant la semaine dernière The Social Network sur Canal+, on ne pouvait qu’être ébahis par le travail à quatre mains de Messieurs Sorkin et Fincher, mais aussi devant tant de modestie. Le chef d’œuvre invisible, comme nous l’avions baptisé à l’époque, est bien là : dialogues impeccables, acteurs géniaux, et mise en scène discrète se pliant au service de ces deux précédentes composantes.

Une autre constatation s’est faite jour ; c’est la multiplicité des niveaux de lecture de The Social Network. Il y a évidemment l’histoire elle-même, comment Marc Zuckerberg devint Maître du Monde, mais il y a aussi d’autres films dans le film.

Même si Fincher, provocateur, a déclaré vouloir faire de cette histoire une comédie à la John Hughes*, The Social Network est avant tout un film étonnamment angoissant, noir, limite American Gothic à la Tim Burton, quand il dépeint le monde de l’université. La soirée Phoenix, où s’éclatent les harvardiens friqués pendant que le besogneux Zuckerberg programme sa première version de Facebook est filmée comme Seven, dans ce noir si familier chez Fincher. Drôle et lugubre soirée où l’on a pourtant l’air de bien s’amuser (strip-poker, bière, et filles qui s’embrassent). Pourquoi la filmer comme un Harry Potter (Ordre du Phoenix ?) On sait que les Sociétés Secrètes pullulent à Harvard, il y a même une scène d’initiation dans le film… Au bout d’une heure, on sortira de ce cauchemar avec Sean Parker, Mr Napster himself. Eclairé au doux soleil de Californie, le torse glabre de Justin Timberlake, et les fesses rebondies de Dakota Johnson apporteront un rafraîchissant contrepoint solaire à l’ambiance gloomy de la Nouvelle Angleterre. D’un côté, l’Est, la rigueur puritaine, le pouvoir. De l’autre, l’Ouest, ses pionniers, voleurs, et bandits rayonnants.

Il y a aussi, et c’est extrêmement rare dans le cinéma américain, un film sur la lutte des classes. Un film qui démonte le mensonge égalitaire US qui voudrait faire croire au PDG qu’il partage la même culture que l’ouvrier : comme toi, je mange des burgers et je regarde le Superbowl. Mais Fincher, lui, en doute. Et c’est même une constante dans son œuvre : c’est évidemment le sujet de Fight Club, mais aussi, souterrain, dans Panic Room (Partageons un peu plus), Seven (extrême richesse vs extrême pauvreté, tous seront égaux devant le Christ Vengeur) ou The Game (Retourne à la poussière homme riche, si tu veux retrouver le bonheur). Dans le Harvard de The Social Network, il est plus facile de s’appeler Winklevoss que Zuckerberg, même si l’on est cent fois plus brillant, plus créatifs, plus travailleurs. Plusieurs répliques viennent asseoir cette démonstration :

« The rest of my attention is back at the offices of Facebook, where my colleagues and I are doing things that no one in this room, including and especially your clients, are intellectually or creatively capable of doing »

Ou encore :

« The « Winklevii » aren’t suing me for intellectual property theft. They’re suing me because for the first time in their lives, things didn’t go exactly the way they were supposed to for them. »

Toute la rage marxiste qui habite le fondateur de Facebook, c’est bien celle-là, formidablement rendue par Jesse Eisenberg. En contrepoint, Justin Timberlake offre la candeur – toute américaine – du self made man. Il n’a fait, comme il dit, que l’Ecole Primaire William Taft. Au final, c’est lui qui gagne : heureux, à l’aise, il se tape toutes les filles, et il emporte – presque – la mise.

Il y a aussi dans The Social Network un film sur Facebook, et sur ce que Facebook a changé dans nos vies. Pour cela, Aaron Sorkin utilise une ficelle classique : les principaux protagonistes sont les propres victimes de leur création : Zuckerberg se fait prendre parce qu’il fait la bêtise de tout raconter sur son blog (une mésaventure qui va arriver à ensuite beaucoup de gens sur Facebook ), et sa girlfriend accuse Internet d’être devenu le repaire de ces gens aigris, qui ne pensent qu’à cracher leur haine (« You write your snide bullshit from a dark room because that’s what the angry do nowadays »). Severin se fait agonir par sa copine, parce qu’il est toujours Célibataire sur son Profil, etc.

Enfin, il y a un dernier film, celui du pacte avec le démon, symbolisé par la scène de la discothèque. Satan (Timberlake) proposant le pacte à Zuckerberg, via la géniale (et authentique) métaphore Victoria’s Secret !) Mais pour cela, il faut se débarrasser des amis, de tous les liens humains, ce qui va parfaitement à l’autiste.

Le génie de The Social Network est là : dans l’intrication de multiples niveaux de lecture, tous lisibles par le spectateur, mais qui y pioche ce qu’il veut, s’il le veut. Tout le contraire d’un film à thèse, même s’il en est un… Caché dans une forme élégante, dont le spectateur ne sent aucune couture, The Social Network ne cesse d’émerveiller…

* ce qu’il est parfois : la scène dans les toilettes avec les groupies asiatiques est le parfait décalque de Une créature de rêve, Zuckerberg et Severin remplaçant avantageusement Gary et Wyatt




lundi 19 septembre 2011


Buried
posté par Professor Ludovico

Buried, c’est un film formule, une idée, et une seule, poussée jusqu’au bout. Souvent de belles intentions, mais guetté par le crash final (Blair Witch par exemple).

Mais ici, Rodrigo Cortés tient son projet de bout en bout. Le concept : un type se réveille dans un cercueil : il a été enterré vivant. Vous avez 90 mn (avec lui) pour découvrir ce qui lui est arrivé. De cette amorce, Rodrigo Cortés ne changera rien : unité de temps, unité de lieu. Pas de flashbacks intempestifs. Pas de sauveteurs extérieurs. Pour tenir la distance, il faut évidemment un peu de maestria technique : comment filmer (et éclairer !) un coffre en bois de 2m sur 1 avec un gusse à l’intérieur ? Il faut un propos : sans trop en révéler, on dira que Buried propose une intéressante métaphore de la situation géopolitique et morale des USA aujourd’hui.

Dernière qualité : Buried s’arrête quand le procédé devient lassant, et frôle l’irréaliste. A voir.




samedi 3 septembre 2011


Tabou(s)
posté par Professor Ludovico

Tabous s’appelle en anglais Towelhead, tête de serviette, en un mot : bougnoule. Ça aurait été plus clair, mais probablement que l’ami Fulci ne l’aurait pas acheté (en plus de la bouche purpurine de Summer Bishil), et que je ne l’aurais donc pas vu.

Tabous est le nouveau paradoxe d’Alan Ball : scénariste d’American Beauty, créateur de la fabuleuse série Six Feet Under, mais aussi de True Blood, on a du mal à imaginer ces différentes créations dans la tête du même artiste. Autant Six Feet Under était subtil, autant American Beauty et Tabous ne le sont pas. Les deux films sont d’ailleurs très semblables ; la haine de la Banlieue Américaine y est tout aussi présente qu’inexpliquée, le sexe y est tout aussi répressif, et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les quadra US sont des grands frustrés qui ne rêvent que de se taper de nubiles adolescentes.

Pourtant, contrairement à American Beauty, je m’y suis intéressé jusqu’au bout. Il y a dans Tabous une ambition toute autre que d’y enfiler des clichés.

Pourtant il y en a des clichés : Jasira, adolescente de 13 ans, fille d’un couple americano-libanais, vit chez sa mère. Devant le comportement libidineux de son compagnon, la mère décide plutôt de se séparer de sa fille et de l’envoyer chez le père libanais, ingénieur à la NASA, à Houston. Rifat Maroun est une caricature du type qui veut s’intégrer à tout prix. Bannière étoilée dans le jardin, Vierge Marie dans la bagnole, mais devant sa télé, Rifat espère secrètement que Saddam gazera tous les yankees.(L’intrigue se déroule en 1991, pendant la première Guerre du Golfe). Intolérant, raciste, rien ne lui est épargné. En face, ce n’est pas mieux : Travis Vuoso, (excellent, comme toujours Aaron Eckhart) est un pur produit redneck : réserviste, patriote, mari frustré face à une épouse frigide… Au milieu de la bataille, le couple de gauche qui écoute forcément Edie Brickell and the Bohemians (Toni Colette et Matt Letscher) et qui veut faire le bien, même malgré elle, de la pauvre Jasira. La Nouvelle Lolita subit certes le racisme texan (towelhead !) Mais va surtout découvrir sa sexualité et comprendre le pouvoir qu’elle peut exercer sur les hommes…

Nous avons donc d’un côté, un décor d’opérette et des personnages à la limite de la caricature, mais au service d’un propos des plus rafraîchissants : et si la sexualité était quelque chose de positif ? Et si malgré un père abusif, un beau-père peloteur, un voisin mateur, on pouvait survivre ? Rien que pour ça, et pour la candeur de l’actrice principale, Tabous vaut le détour.




jeudi 25 août 2011


A Propos d’Elly
posté par Professor Ludovico

C’est l’histoire d’une bande de trentenaires qui montent une cabane à leur copain récemment séparé. Et qui amènent une jeune et jolie institutrice à ce week-end au bord de la mer, on ne sait jamais… Des jeunes mecs à la coule, des petites nanas canons, 4×4, portables et sacs Vuitton, tout l’attirail de ces ex-étudiants en Droit est là… Sauf que la scène ne se passe pas à Cabourg ou au bord du Lac Tahoe, mais à Chalous, sur la rive iranienne de la Mer Caspienne.

Car le Professore est allé voir son troisième film iranien, A Propos d’Elly, of course. Qu’arrive-t-il au Professore ? A-t-il cédé aux sirènes du Grand Satan iranien ? Que nenni ! Non seulement A Propos d’Elly est le second film de Asghar Farhadi, auteur de la fabuleuse Séparation, mais la vérité oblige à dire qu’à sa sortie en 2009, le Professore avait déjà failli y aller, probablement à cause de la magnifique Golshifteh Farahani.

Eh bien n’y allons pas par quatre chemins : A Propos d’Elly est aussi bien, si ce n’est mieux que son cadet. On y retrouve non seulement ses deux acteurs d’Une Séparation (Shahab Hosseini et Peyman Moaadi), mais surtout les thématiques, et la structure fétiche des films de Farhadi. A partir d’un petit rien (un week-end à la mer), Fharadi fait partir l’intrigue en vrille, sans avoir besoin de requérir de grands effets de manche. Car chez ce cinéaste, comme chez Haneke, comme chez Kubrick, l’enfer est pavé de bonnes intentions : on invite une copine pour consoler un copain, on ment au propriétaire de la maison, à ses amis, à ses parents, on cache un sac, et l’empilement de ces petits mensonges du quotidien peuvent conduire à la catastrophe… Comme dans Une Séparation, et comme chez Hitchcock, le plus simple serait de dire la vérité, mais comme chacun sait, nous préférons généralement nous arranger avec.

Les deux parties d’A Propos d’Elly, l’une joyeuse, l’autre cruelle, montre les effets dévastateurs de cette conduite : personne ne sortira indemne de ce week-end. Le spectateur non plus…




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