Comment a-t-on découvert Shakespeare ? La plupart du temps, par Orson Welles.
Au-delà de Citizen Kane, LE chef d’œuvre réputé du cinéma, Welles a été le grand pédagogue du barde éternel. L’homme de Falstaff, Macbeth et Othello a su mettre en images, avec une créativité inouïe, (et souvent en les raccourcissant de moitié) les grandes œuvres shakespeariennes.
Macbeth, nous l’avons découvert au Cinéma de Minuit. Il y en avait deux à l’époque, et on ne se rappelle plus bien s’il s’agit du Ciné-Club de Claude-Jean Philippe, du Cinéma de Minuit, encore animé aujourdhui par Patrick Brion sur France 3. Peu importe, car on se rappelle du choc visuel, en plein milieu de la nuit, de l’intro hallucinée de ce Macbeth de monsieur Welles. Qu’on en juge : trois sorcières psalmodient une étrange prédiction autour d’un chaudron puant ; When shall we three meet again? In thunder, lightning, or in rain?
Et puis vient l’étrange prédiction ; aucun homme né d’une femme ne blessera Macbeth, personne, en fait, tant que la forêt de Birnam ne bougera pas.
Comme chacun sait, ces deux prédictions se réaliseront pourtant à la fin.
Aujourd’hui quand on revoit le film, soixante-dix ans après, on reste toujours stupéfait par le génie bricoleur de Welles. Avec seulement 75 000 dollars, Welles bâti son décor, filme des contre-jours époustouflants (les meurtrières, les crucifix, les arbres), puis enchaîne plan séquence sur plan séquence avec une facilité déconcertante. En utilisant le grand angle, qui est sa marque de fabrique, Welles crée de la netteté partout en produisant d’étonnantes perspectives : le très gros visage de Macbeth au premier plan semble être un ogre dément prêt à dévorer un petit soldat minuscule perdu en contrebas.
Reste le miracle shakespearien, une langue ourlée, à la limite de l’incompréhensible, mais qui cinq cent ans après touche toujours l’âme humaine, à l’image du désespoir existentiel qui possède son héros :
– « Eteins-toi, brève chandelle !
La vie n’est qu’une ombre qui passe,
Un pauvre acteur qui s’agite et parade une heure sur la scène,
Puis on ne l’entend plus.
C’est un récit plein de bruit, de fureur,
raconté par un idiot et qui n’a pas de sens. »*
Shakespeare est éternel, Orson Welles aussi.
*Out, out, brief candle!
Life’s but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more.
It is a tale told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing.
posté par Professor Ludovico
On n’osait pas reprendre la saison 2 de The Affair. On avait tellement aimé la saison 1, qu’on se demandait comment Sarah Treem et Hagai Levi allait pouvoir à la fois surpasser cette saison-là, et lui trouver une suite correcte, tout en résolvant les mystères savamment entretenus de l’intrigue policière. Pour cela, nous renâclions tel un vulgaire jockey tombé à l’orée du rail ditch and fence du Grand Steeple Chase de Paris.
Mais Notre Agent au Kremlin nous ramena aux dures réalités cinefasteuses ; le premier épisode était très bien, et nous devions remonter sur notre monture. Une fois lancé, en effet, nous voilà incapable de nous arrêter de dévorer cette deuxième saison.
Car cette Affair est le parfaite antidote à la morosité cinématographique. Après avoir enfilé la même semaine Sicario, Everest, Seul sur Mars, tous mauvais pour des raisons différentes, un peu de cinéma – même sur un écran d’un seul mètre de large – satisfaisait nos besoins essentiels. Une histoire, des personnages, des enjeux. Nous n’en demandons pas plus, en vérité. Pas besoin de montagne à vaincre, de narcotrafiquant ou de martiens, le désastre d’un couple, la construction compliquée d’un autre, fournit plus de cinéma que les trois autres réunis…
Et c’est surtout dans cet épisode 3 que le génie de The Affair éclate de sa noire luminescence.
Si le procédé est désormais classique (la perception de l’homme (30mn), puis celui de la femme (30mn)). C’est la matrice de The Affair ; cela pourrait devenir artificiel, un peu répétitif. Non seulement les auteurs jouent avec cette contrainte, mais ils offrent au passage le plus beau cadeau que l’on puisse faire un acteur. D’abord lui donner des scènes longues, sans coupes, concentré sur le visage, pour exprimer l’étendue de son talent*. Et ensuite lui redonner l’opportunité de rejouer cette même scène, en proposant une deuxième version de soi-même : le fantasme absolu de l’acteur ! On verra ainsi un Noah tendre et généreux et un connard imbu de lui-même, une Helen sûre d’elle-même ou complètement à la ramasse, et une Alison (Ruth Wilson) psychotique ou amoureuse.
Les acteurs se régalent. Le spectateur aussi.
* Qui est immense : le mari, c’est Dominic West, notre tête brulée de de Mc Nulty de The Wire. Son épouse, c’est Maura Tierney qui brillait il y a vingt ans dans Urgences et qui ose ici exposer sa détresse (et son corps) de quinqua comme peu d’actrices en sont capables…
mercredi 11 novembre 2015
Hippocrate
posté par Professor Ludovico
La vie est courte, l’art est long.
L’occasion fugitive, l’expérience trompeuse.
Le jugement, difficile…*
« Médecin, ce n’est pas un métier, dit Abdel, le personnage de Reda Kateb (excellent comme d’habitude), c’est une malédiction » ; nous voilà donc maudits dès les premières minutes d’Hippocrate, dès que l’on a accepté de suivre Benjamin (Vincent Lacoste), l’interne-point de vue d’Hippocrate dans les Sept Cercles de L’Enfer hospitalier. Benjamin n’est pas un idéaliste, c’est le fils du patron. En tant que tel, il se demande s’il va bénéficier d’un traitement de faveur du paternel, ou au contraire d’un bizutage en règle. Il aura l’un et l’autre, souvent dans le mauvais timing. Il va apprendre le métier à la dure ; et la vie, tout simplement.
Le film de Thomas Lilti est doté de nombreux atouts : un excellent casting d’acteurs pros (Vincent Lacoste, Jacques Gamblin, Reda Kateb, Marianne Denicourt) et des acteurs inconnus qui jouent des malades tout aussi bons. Filmé dans un vrai hôpital, presque dans les conditions du réel, il offre aussi un réalisme qui plombe souvent le cinéma français.
Tragi comédie, Hippocrate est d’une finesse comique et tragique qui devrait inspirer certains. Naturaliste, il cerne parfaitement son sujet et relègue à des années-lumière le cinéma prétentieux des frères Dardenne. Hippocrate a des messages à faire passer, et notamment un : le médecin ne peut pas tout, même s’il le croit. C’est pourtant le plus beau métier du monde.
Hippocrate, c’est un petit film qui cache un grand film à l’intérieur.
*citation d’Hippocrate, dénichée dans Les Mille automnes de Jacob de Zoet, de David Mitchell
lundi 26 octobre 2015
Connasse, Princesse des Cœurs
posté par Professor Ludovico
Dans la série des films d’avion, Connasse, Princesse des Cœurs est aussi un parfait candidat, certes à l’opposé de Fast & Furious 7, mais pour des raisons inverses (VF directe), parfaitement visible en l’état. Et de toute façon, on ne serait pas aller le voir au cinéma.
On regarde aussi sous la pression du Professorino et de la Professorinette, porteurs d’un début de buzz (« Tu vas voir ; elle est folle, c’est trop drôle »). La Connasse, c’est évidemment Camille Cottin, qui tente en long métrage les sketches du même acabit qu’elle faisait sur Canal. L’exercice est risqué, comme on le verra. Car Connasse, Princesse des Cœurs fait partie du genre de film « caméra invisible », ce qui sont toujours drôle, mais qui a longue peuvent finir par lasser. C’est le cas de celui-ci.
Camille (comme une certaine catégorie de citoyens de notre beau pays), en a marre de ce pays de merde qui empêche les gens de réussir. Cette partie-là est réjouissante, car l’ambition business de Camille se résume vite à épouser le Prince Harry ! La voilà partie en Grande Bretagne (tout en oubliant pas une petite parodie de Titanic sur les ferries Sealink).
On suit les aventures de notre princesse de cœur, qui va enchaîner provocation sur provocation auprès de populations variées (horseguards, polo men, hôteliers et taxis londoniens…)
Si au début c’est drôle, au bout d’un moment nous voilà lassés de notre Connasse. On a compris le principe, et on a presque pitié de ce pauvre prof de maintien. Bref, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.
vendredi 23 octobre 2015
Quatre de l’Espionnage
posté par Professor Ludovico
Hitchcock n’aimait pas Quatre de l’Espionnage (Secret Agent), c’est bien dommage parce que nous on aime bien ce film. Il ne l’aime pas parce que son personnage principal (Edgar, joué par une jeune John Gielgud) a un objectif négatif : il refuse de faire ce qu’on lui demande ; tuer un agent secret allemand pendant la guerre de 14-18. Et ça, ça ne marche pas avec le public, dit le grand Hitch. Il n’a pas tort, c’est le truc un peu bizarre du film.
Mais Quatre de l’Espionnage est quand même passionnant. D’abord parce qu’il y a le toujours génial Peter Lorre, ici dans un rôle délirant de séducteur-obsédé sexuel-tueur à gages, et Madeleine Carroll est pas mal non plus, une des premières blondes hitchcockiennes.
Mais surtout, il y a une scène culte ; celle du personnage tué en montagne. Les deux espions (Gielgud, Lorre) emmènent en randonnée un british bien sous tous rapports qu’ils soupçonnent d’être l’espion allemand. Mais Gielgud est soudain pris de doute, tandis que Lorre, véritable psychopathe, veut le tuer à tout prix. Gielgud fait demi-tour et assiste au meurtre depuis un observatoire, mais Hitchcok cache la scène au spectateur au dernier moment*. Il filme en parallèle une autre scène, un cours d’allemand improvisé pour distraire la femme du randonneur qui se déroule dans leur chalet suisse. Le chien cherche frénétiquement son maître et hurle à la mort, évidemment, au moment pile où celui-ci tombe dans le vide.
Une excellente utilisation du son comme ressort dramatique. Il y en a d’autres dans Quatre de l’Espionnage : un orgue qui joue à vide (l’organiste a été assassiné) ; des cloches qui sonnent dans le clocher où se sont refugiés nos espions, les obligeant à se parler de la bouche à l’oreille – un gros plan que David Lynch n’aurait pas renié -, une course poursuite dans une usine uniquement rythmé par le bruit assourdissant des machines à chocolat et de l’alarme incendie, etc.
Mais au-delà de ce montage plein de suspense cher à Hirtchcock, le réalisateur montre quelque chose de rare au cinéma : les remords. Ces agents secrets sont terriblement affectés par ce qu’ils viennent de faire (sauf Lorre, inévitablement) ; on ne tue pas impunément sans porter ce fardeau, même quand on est dans les services secrets. Ce genre de regrets, si souvent esquissés dans les films d’action (une simple grimace de Bruce Willis peut faire l’affaire), occupe ici un bon quart d’heure du film.
La fin, elle aussi, est excellente : un terrible accident de train (avec les effets spéciaux 3D de l’époque (un train miniature, des pétards, et les acteurs font semblant d’être gravement blessés)), mais qui fait son petit effet, malgré un happy end convenu.
C’est tellement bon que ça n’a pas vieilli d’un pouce : on pourrait en refaire le remake aujourd’hui sans problème.
* Cette scène montagnarde est reprise en partie par Wes Anderson dans son Grand Budapest Hotel…