La cinéphilie, c’est une maladie qui ne se soigne pas. On aime détester les Oscars, mais on a dans son bureau un joli poster avec les affiches de tous les films ayant remporté la statuette. Chacun commente : Celui-là je l’ai vu…celui-là je l’ai pas vu, c’est bien ? Évidemment, plus on remonte le temps, moins on a de chances d’avoir vu les premiers films de l’histoire du cinéma. Le premier, c’est justement Wings, Les Ailes, William Wellman, muet. Oscar 1929, premier du nom.
Le pitch : la vie acrobatique des as de la première guerre mondiale. Ou comment de jeunes américains ont fait deux folies à la fois : s’engager dans l’armée pour finir cette guerre atroce de l’autre côté de l’Atlantique. Et piloter des coucous en toile tendue, que personne n’ose plus piloter aujourd’hui.
Subitement, ça passe sur TCM, et il FAUT qu’on le voie, pour le seul de plaisir de cocher l’affiche sur le poster, dans le bureau « Je l’ai vu ». Ce sentiment de complétude, unique, qui fait la joie du collectionneur.
Cinéphilie, aviation, première guerre mondiale : on est en terrain connu, ça sent le théorème de Rabillon. Mais on découvre une quatrième raison : Wings, c’est un des premiers chefs-d’œuvre du cinéma.
L’intrigue amoureuse est évidemment très datée : deux amis aiment la même femme (Jules et Jim en SpadVII). On découvre au passage ce qu’était le cinéma avant le code Hays : de la nudité, des femmes et des hommes qui s’embrassent, et une début d’orgie.
Mais le principal intérêt de Wings, c’est une incroyable reconstitution des combats terrestres et aériens de la Guerre 14. Une œuvre à grand spectacle. 55 avions, 300 pilotes (pour la plupart d’anciens as), 3500 figurants réquisitionnés par le Kubrick du muet pour reconstituer des dogfights réalistes, et la bataille de Saint-Mihiel, pendant neuf mois de tournage.
Et cette bataille n’est pas seulement gigantesque, elle est aussi magnifiquement filmée. Par exemple, le décollage filmé bird’s eye, comme si Dieu regardaient Ses Creatures au-dessus des nuages, très poétique… mais aussi les combats où, pour une fois, on comprend ce qui se passe, qui tire sur qui, par exemple. Ce qui est loin le d’être le cas aujourd’hui, il suffit de regarder Baron Rouge ou d’autres films de guerre pour s’en convaincre.
Bref, voilà un Oscar pas immérité.
posté par Professor Ludovico
Tout le monde peut se tromper. Après avoir dit que Spielberg allait rater son film, après l’avoir trouvé très bon, le Professore souhaite aujourd’hui simplement revenir sur le sujet. Ludovico n’ose pas dire chef-d’œuvre, mais il le pense. Peut-être parce que l’Homme de Mantes-la-Ville le lui a interdit. En 2015, à l’occasion d’une promenade aoûtienne sur les champs de bataille de la Guerre de Sécession, on a eu une brusque envie de revoir Lincoln. Et grâce à iTruc, Internet, et machin truc, c’est possible, même au fond de la Virginie Occidentale.
Et dès les premières minutes, on se dit que Spielberg n’a rien dans les poches : un biopic, des textes de loi, et pas d’enjeu très lisible. Comment faire un film dans ces conditions ? C’est là que Spielberg est à son meilleur – comme dans Jurassic Park 2.
L’homme d’Amistad va donc dramatiser tout ce qui lui passe sous sa main : un fils rétif, une femme malade, et beaucoup d’amis politiques qui ne sont pas d’accord avec vous.
Deux exemples du talent spielbergien à l’œuvre :
La décision :
Lincoln a un choix terrifiant à faire : faire la paix tout de suite (et éviter des milliers de morts supplémentaires), ou temporiser, le temps de faire adopter (par les seuls états du Nord) l’amendement qui supprimera l’esclavage. Lincoln est obligé de travailler dans l’ombre, car la paix semble si proche, et elle empêcherait à coup sûr la promulgation de ce fameux Treizième Amendement.
Là où un tâcheron aurait expédié ce processus de décision, sur fond de discours grandiloquent et de drapeaux américains flottant au vent, Spielberg temporise. Lincoln descend au cœur de la nuit, dans le bureau des télégraphistes (donnant au passage un petit rôle à Adam Driver). Il est temps de mettre fin à la guerre, leur dit-il et il rédige un mot à transmettre au Général Grant : qu’il amène à Washington les négociateurs sudistes ! Puis il reste à papoter avec les télégraphistes, et raconte, comme à son habitude, une petite histoire absconse dont il a le secret (ici, « choisit-on de naître où l’on nait et quand l’on nait ? » suivi du premier axiome d’Euclide). Le plus souvent, cette petite histoire sert à tirer une morale à l’attention de son interlocuteur. Mais ici, la morale va s’adresser à Abraham Lincoln lui-même. En discutant avec les télégraphistes, le Président a posé ses propres réflexions ; il change d’avis et annule l’ordre de Grant, repoussant d’autant toute perspective de paix, et repartant au combat pour l’abolition.
L’engagement du fils :
Deux minutes plus tard, idem. Plutôt que de décourager (par des dialogues) l’engagement militaire du fils Lincoln, Spielberg préfère d’abord exposer les horreurs de la guerre. Il fait suivre – à la Hitchcock – le trajet d’une brouette qui ruisselle de sang. Celle-ci ne va pas loin mais la scène dure suffisamment longtemps pour accrocher le spectateur. Et l’on comprend ce que charrie cette macabre charrette ; des bras et des jambes amputées, que l’on jette en terre. Le fils Lincoln (Joseph Gordon-Levitt), qui rêvait juste avant de partir à la guerre, essaie maintenant fiévreusement de se rouler une cigarette, sans y parvenir. Comme Indiana Jones et sa pomme, comme le président Adams et sa fleur, Spielberg préfère toujours la métaphore à une ligne de dialogue.
Comme d’habitude, Spielberg choisit d’abord le cinéma…
jeudi 31 mars 2016
Inherent Vice
posté par Professor Ludovico
Paul Thomas Anderson est un bien étrange garçon. Grand formaliste, plutôt à l’aise dans le drame, il s’est lancé deux fois dans la comédie, une fois avec Punch-Drunk Love (et c’était raté), et cette fois-ci avec Inherent Vice, adapté de Thomas Pynchon.
Le film est donc bizarre, basé sur un matériau de départ tout aussi bizarre. On sent que PTA veut rendre hommage à un auteur qui lui est cher. Mais cela donne un film à moitié entre Chinatown, les livres de Chandler, et les frères Coen. Un privé un peu crétin, le Doc (Joaquin Phoenix), abruti par les drogues (on est en 1970), mais qui va quand même survivre à toutes les aventures, parce que comme le Big Lebowski, il est plus fort, finalement, que les autres.
Doc est à la recherche d’un mystère invraisemblable, très Grand Sommeil ; la disparition du copain de son ex-petite amie (entre parenthèses, la magnifique et très sensuelle Shasta (Katherine Waterston*)), une secte étrange (The Golden Fang), un bateau, des bikers Aryens, la corruption immobilière, des dentistes. Et un flic facho hénaurme, Josh Brolin, d’abord persécuteur du Doc qui devient peu à peu son allié. Comme dans Chinatown, comme dans Le Grand Sommeil ou Le Faucon Maltais, on ne comprend rien. Ce n’est pas grave, car comme d’habitude chez Paul Thomas Anderson, la place est belle pour les performances d’acteur.
Et on rigole gentiment. Il y a de meilleures façons de passer deux heures dans un canapé, mais il y en a de bien pires.
*Mme Jobs dans Steve Jobs
lundi 28 mars 2016
Adaline
posté par Professor Ludovico
Dans les avions, on fait d’étranges rencontres. Par exemple, on peut rencontrer la magnifique Blake Lively. Au hasard d’un film en version française dont le pitch a l’air intéressant. L’histoire d’une femme qui a un accident de voiture dans les années 20 et qui, mystérieusement frappée par un éclair, ne vieillit plus.
Ce qui pourrait sembler une bénédiction, pour la plupart des femmes, est évidemment une malédiction. Ne pas vieillir, c’est voir ses amants mourir, et ses enfants devenir vieux. Horrible. Adeline a eu autre idée : tous les vingt ans, elle disparaît. S’installe ailleurs, dans une autre ville. Recommence sa vie. Et essaie de ne plus rencontrer personne. Jure de ne plus tomber amoureuse. Difficile quand on a le physique de Mrs Lively.
Jusqu’au moment où évidemment on rencontre un beau gosse, riche et gentil (Michiel Huisman, pas mal non plus**). Que faire ? On n’en dira pas plus, car l’histoire réserve quelques rebondissements très malins.
Même si Adaline reste un peu convenu, tournant autour des formes classiques du mélo et de la comédie romantico-dramatique, ça reste un film fin et extrêmement sympathique. Et ça permet surtout de découvrir une actrice émouvante, Blake Lively, que nous croyions cantonnée* aux rôles de blondes bitchy et sans saveur d’une Gossip Girl.
* Nous avions oublié – et surtout pas reconnu – son immense prestation de Kris dans The Town, en pilier de bar et ex de Ben Affleck
** Il fait craquer la Khaleesi du Trône de Fer
mardi 15 mars 2016
American Sniper
posté par Professor Ludovico
American Sniper, c’est le genre de film qui pose problème. Pas complètement réussi, mais au propos (très) ambigu. Et qui le rend le film illisible.
American sniper est en effet à la fois une dénonciation de ce que la guerre fait aux hommes (stress post traumatique, « addiction » à l’adrénaline, impacts familiaux), à la fois un plaidoyer pro domo pour les hommes, les vrais, qui la font. A la fois, l’apologie d’une forme de justice immanente (tu me tues, je te tue), et à la fois, le réquisitoire contre cette guerre-là. Eastwood est un libertarien, c’est à dire quelqu’un qui considère que les Etats-Unis ne devraient s’occuper que d’eux-mêmes. C’est un peu ce qu’exprime Taya, la femme du héros (Sienna Miller) quand elle lui rétorque que s’il veut s’occuper de USA, il ferait bien de commencer par elle, et ses enfants…
On l’a vu dans ses derniers films, Eastwood est de moins en moins subtil dans la réalisation. American Sniper sera donc très loin de Mémoires de nos Pères ou d’Un Monde Parfait, mais il propose quelques moments de bravoure. La scène de la tempête de sable, par exemple.
Et si le rôle-titre est formidablement joué par Bradley Cooper, c’est au service de dialogues un peu trop direct pour être honnêtes. Quant à son antagoniste, le sniper irakien Mustafa (Sammy Sheik), il est réduit à un grand méchant façon Inspecteur Harry, alors que son personnage aurait pu être extrêmement intéressant (c’est un ancien champion olympique)… Ce qui faisait le génie de Lettres d’Iwo Jima n’intéresse visiblement plus Eastwood.
Mais surtout, c’est la fin – ou plutôt le générique – qui rend le film terriblement troublant. On y montre les images de l’enterrement du vrai Chris Kyle, avec démonstrations patriotiques afférentes (sirènes de pompier, bannière étoilée, minute de silence dans les stades de foot)
Qui est donc Chris Kyle ? Un vrai héros américain ? Un tueur en uniforme ? Un type bien, détruit par la guerre ? L’ambiguïté ne fait qu’obscurcir le message d’un film déjà pas très clair.
vendredi 4 mars 2016
Le Voyeur
posté par Professor Ludovico
Film mythique.
Sorti en même temps que Psychose, le Peeping Tom de Michael Powell causa la ruine de son réalisateur tandis que Psycho assurait la fortune d’Alfred Hitchcock.
Pourtant, les films sont très semblables. Précurseurs des slasher movies, les deux films sont aussi des performances graphiques. Mais là où réside une forme d’humour distancée chez Hitchcock, il y a une empathie glaçante chez Powell. Assez mal interprété par Karl Heinz Böhm*, le tueur est à l’image du film, un pur produit de l’ambiance puritaine de l’Angleterre des 50’s. Le propos (en dehors des meurtres) est parfaitement gnangnan ; sombres histoires de logeuses, de fifilles à sa maman et de gars vraiment bath’. Mais c’est pour mieux établir le contraste avec Mark Lewis, petit blond propre sur lui, mais à l’enfance traumatisée qui cherche sa revanche sur les prostituées avec une caméra bien étrangement bricolée.
C’est tout autant pour son propos incroyablement pervers et que pour ses innovations graphiques que Le Voyeur est un film séminal. Ses couleurs saturées préfigurent le giallo, et le film contient quelques plans séquences qui vont marquer le jeune Scorsese pour toujours**.
De plus le final est totalement pervers, ce qui n’est pas forcément le cas de Psychose.
Bref, c’est à voir.
* Oui, celui de Sissi Impératrice, et par ailleurs, fils du grand chef d’orchestre Karl Böhm.
** Le cinéaste le lui rendra bien, sortant le film de l’oubli par une ressortie en salles en 1978.