[ Les films ]



mardi 16 mai 2023


The Fabelmans
posté par Professor Ludovico

Depuis le début de CineFast, on vous dit de vous méfier de la Valse à Trois Temps. Steven Spielberg, lui le cinéaste honni, trop américain, trop patriote, vilipendé par Le Canard Enchaîné, Libération, Télérama, oui Steven Spielberg devait devenir un jour leur cinéaste préféré. C’est fait avec The Fabelmans. Libé n’y consacre pas moins de cinq pages, en ayant l’outrance de faire amende honorable. C’est donc là, maintenant, qu’il faut se méfier.

The Fabelmans est un film raté, et raté par l’unique faute de Spielberg. Kubrick disait qu’il ne se sentait pas capable de réaliser A.I. Intelligence Artificielle ; il préférait que son ami Steven le fasse, parce que lui serait capable de filmer les bons sentiments.

C’est ici le contraire : The Fabelmans prétend explorer les traumas d’enfance qui ont fait de Steven le Spielberg que nous connaissons. Mais le cinéaste des Dents de la Mer* n’est pas assez méchant pour régler ses comptes avec des parents qui l’ont trahi. Car c’est bien de ça dont il s’agit ; une mère qui l’abandonne (virtuellement puis réellement) pour un autre homme ; un père impuissant – dans tous les sens du terme – qui ne sait pas quoi faire de son fils…

Ce trauma était connu depuis longtemps**, mais Spielberg veut le montrer lui-même pour la première fois. Il veut aussi pardonner à ses parents*** . Tout le film est donc plein d’une empathie assez niaise : où est le trauma, alors ?

Spielberg réussit comme par hasard une seule scène, une scène sans dialogue où le jeune Fabelman-Spielberg découvre à la table de montage la magie du cinéma, qui sait montrer les choses cachées : en l’occurrence, que sa mère trompe son père.

Le reste est interminable, insupportable de bon esprit, même face à l’antisémitisme Californien. C’est tout le contraire qu’il aurait fallu montrer, mais qui a la capacité d’interroger son propre passé, et ce, aussi consciemment ? Certains le font à leur corps défendant (Kubrick excluant l’antisémitisme de Rien qu’un Rêve, la nouvelle originelle d’Eyes Wide Shut). D’autres se refusent à la psychanalyse, comme Lynch. Ses traumas alimentent de visions dantesques ses films depuis quarante ans.

Spielberg est de ceux-là, ses blessures irriguent une œuvre protéiforme qui ne cesse d’étonner. Tout est déjà là, des nazis d’Indiana Jones aux parents défaillants de Jurassic Park

Il n’y avait pas besoin d’en faire un film…

* Si on était lacaniens, on aurait appelé le film Les Dents de la Mère (mais on n’est pas lacaniens…)
** Un article de L’Express sur Rencontres du Troisième Type l’évoquait déjà en 1978.
*** Il a même fait valider le film par ses sœurs.




lundi 15 mai 2023


La langue étrangère de Succession
posté par Professor Ludovico

Au-delà de l’incroyable succès de Succession, ce Game of Thrones contemporain, ultra-réaliste, sur les milliardaires et leurs querelles d’héritage, le premier épisode de cette ultime saison nous a fait remarquer un particularisme jusque-là ignoré : la langue. En effet, ces dialogues incroyablement écrits… ne veulent rien dire ! La plupart du temps, on a du mal à comprendre de quoi parlent ces êtres vils. Chaque personnage s’exprime par métaphore, chacun dans son style : obscène et vulgaire pour Roman, le puîné priapique, bullshit entrepreneurial 2.0 pour Kendall, le pseudo manager, et anglais procédural pour Shiv, la décevante cadette.

Dans la scène d’ouverture de ce S04e01, nos héros essaient de monter un site web, c’est-à-dire – pour la première fois – travailler réellement : « The Hundred », site d’info, évidemment disruptif. Mais une autre opportunité se présente, un conglomérat à racheter, à coups de milliards : c’est plus simple. Et c’est encore mieux : c’est l’entreprise que Papa convoite…

Aucune discussion réaliste ne sera envisagée sur la valeur réelle de cette entreprise. Ces affaires-là se règlent à coups d’enchères téléphoniques, comme sur le marché aux poissons de Trouville-sur-Mer*.

Les dialogues, écrits le showrunner Jesse Armstrong, virevoltent comme d’habitude dans Succession. On se perd à saisir les allusions, les jeux de mots vernaculaires et à y comprendre quelque chose. En réalité, il n’y a rien à déchiffrer, si ce n’est le caractère des personnages. Ces enfants sont vides ; leur père, lui, ne l’est pas, même si c’est une ordure castratrice. Leur langue est complexe, châtiée, mais vide. Lui s’exprime par borborygmes, assaisonnés de fuck tonitruants, mais ce qu’il dit est clair, et net.

La scène finale, par opposition, vient démontrer ce propos ; deux personnages se séparent, et pour la première fois, parlent normalement. Et ils pleurent…

Humains, après tout.

* Pour s’en convaincre, il suffit de lire Milliardaires d’un Jour : Splendeurs et Misères de la Nouvelle Economie, l’incroyable livre de Grégoire Biseau et Doan Bui. Les auteurs racontent, avec force détails, comment Caramail, Lycos, ou Libertysurf ont roulé dans la farine des vieux crabes expérimentés comme Bernard Arnault, François Pinault, ou Jean-Marie Messier. Et vendu pour des milliards des entreprise qui ne valaient rien.




jeudi 11 mai 2023


Scream VI
posté par Professor Ludovico

Année après année, décennie après décennie, la saga Scream poursuit son chemin. Après avoir méta-analysé les films d’horreur, les copycats des films d’horreur, les médias, les réseaux sociaux, cette dernière itération ne s’intéresse à rien de moins que la mort d’Hollywood.

C’est à vrai dire le seul intérêt de ce film, dont la qualité décline : acteurs moins connus, moins bons, dialogues chétifs… Mais il reste toujours quelque chose à piocher dans Scream.

Ici, c’est la scène finale qui se tient dans un vieux cinéma désaffecté… transformé en musée, vous voyez la métaphore ? Dans ce hangar abandonné, toute une memorabilia de la saga. Photos, affiches, couteaux encore sanglants des véritables meurtres, et, évidemment, la collection complète des Ghostfaces, ces masques terrifiants qui signent le tueur, de film en film.  

Il ne faut pas prendre la saga Scream à la légère. Les six films sont quelque part l’annonce du monde qui vient. La gadgetisation de la terreur, le rôle délétère des médias, l’omniprésence des réseaux sociaux : derrière d’aimables et terrifiants divertissements, Scream a toujours dit des choses sérieuses, sans avoir l’air d’y toucher.  

Or, depuis quelques mois, Hollywood enchaîne les films de nostalgie Hollywoodienne : Babylon, The Fabelmans,  Scream VI. Ce que dit celui-ci, c’est qu’Hollywood est mort, enterré sous le poids de ses propres franchises (dont Scream fait partie) …

C’est évidemment un sentiment que nous partageons ici. Depuis les années 2000, Hollywood est incapable de créer de nouvelles franchises originales qui ne soit pas inspirées de livres ou de comics*. Comme dans les années 50, où la télé prenait le pouvoir, et ne sortaient que des péplums ou des westerns… Hollywood is dead, et c’est peut-être une bonne nouvelle.

*Hormis de rares exceptions (Fast & Furious, Pirates des Caraibes), et des sagas d’horreur (Conjuring, Saw, American Nightmare, Rec, Insidious…)




mercredi 10 mai 2023


The Vampire Diaries
posté par Professor Ludovico

Le Professore Ludovico a fait un pari stupide. Il s’est engagé à regarder Vampire Diaries, huit saisons, 171 épisodes, si la Professorinette se mettait enfin à réviser The Wire, ce qu’elle promet de faire depuis dix ans.

Aussitôt dit, aussitôt fait : après avoir eu la confirmation que la demoiselle savait qui était Snot, on a attaqué la série teen-com, vampire bit-lit de CW.

À vrai dire c’est une expérience intéressante. D’abord en tant que Rôliste… The Vampire Diaries a tous les codes de la Mascarade, le code de ce que font les vampires, ce qu’ils n’ont pas le droit de faire, les coutumes et la la hiérarchie vampirique, et les différentes façons de les tuer… En clair tout ce qui a été défini par Ann Rice et le jeu de Mark Rein-Hagen, Vampire : The Mascarade. Ces vampires ne viennent clairement pas de Twilight, dont la série se moque à plusieurs reprises.

Et puis il y a le plaisir de regarder une série légère, dont on se fout un peu ; argument avancé par la Professorinette elle-même. On peut regarder The Vampire Diaries en faisant la vaisselle, parce que de toute façon un truc va vous être répété trois fois, au cas où vous n’auriez pas tout compris… On peut même écrire la chronique CineFast de The Vampire Diaries en regardant The Vampire Diaries, c’est dire… Tout cela choquera le cinéphile hardcore, mais c’est le concept même de la Série Hamburger. La Série Hamburger ? Un concept sur lequel nous reviendrons bientôt…




mardi 9 mai 2023


L’étoffe des rêves
posté par Professor Ludovico

L’étoffe dont sont faits les rêves. Quelle plus belle définition du cinéma ? C’est pourtant du Grand Bill, William Shakespeare lui-même, que vient cette expression, tirée de La Tempête*.

Cette phrase a eu une belle postérité au cinéma. C’est une des répliques culte du Faucon Maltais, et même sa conclusion morale. De quoi est faite cette statue de faucon qui accumule la convoitise – et les morts ? Réponse de Bogart-Sam Spade: « The, uh, stuff that dreams are made of** ».

Mais La Tempête a eu aussi d’autres adaptations, dont la plus étonnante est probablement Planète Interdite, avec Leslie Nielsen. Oui le futur Flic pour Sauver la Reine ! L’argument est lointain mais semblable, un vaisseau spatial arrive sur Altaïr, une planète habitée par un seul savant et sa fille, comme Prospero et Miranda. Mais la planète est aussi peuplée de rêves, qui prennent une forme très physique.

Le Ludovico a vu La Tempête récemment, dans une toute petite salle, La Huchette, avec trois acteurs pour jouer tous les rôles***. C’était magnifique. Le metteur en scène, Emmanuel Besnault, n’avait gardé que la moëlle, et avec deux planches et trois bouts de chiffon, reconstituait une île, des bateaux échoués, une grotte…

Le théâtre, c’est aussi l’étoffe dont on fait les rêves.

* « We are such stuff dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep » : « Nous sommes de la même étoffe que les songes et notre vie infime est cernée de sommeil. »

** Une anecdote rigolote en direct d’IMDb : il existe encore 3 statuettes du film de John Huston, et elles valent 1M$ chacune, soit trois fois ce qu’a coûté le film, et en fait au passage l’un des accessoires le plus chers du cinéma…

***La Tempête, de William Shakespeare
Mise en scène d’Emmanuel Besnault
Avec Jérôme Pradon, Marion Préïté ou Juliette Marcaillou, Ethan Oliel




mercredi 3 mai 2023


1776
posté par Professor Ludovico

1776, c’est bien sûr la date de la Déclaration d’Indépendance, du 4 Juillet, la Révolution Américaine, Independance Day, Roland Emmerich et Bruce Springsteen, mais je m’égare…

1776, c’est le nombre de critiques atteint ce jour sur Cinefast par le Professore Ludovico (avec Ted Lasso, voir ci-dessous) …

Ça se fête.




vendredi 28 avril 2023


Donjons & Dragons : L’Honneur des Voleurs
posté par Professor Ludovico

Né du croisement improbable de la littérature de Fantasy* et du wargame napoléonien avec figurines, ce loisir était – quand nous l’avons découvert au début des années 80 – dans sa plus tendre enfance.

On créait un personnage sur une feuille de papier, en lui attribuant des caractéristiques chiffrées (sa force, son intelligence…), et on partait explorer des « donjons », sa plus simple expression ludique. Explorant virtuellement un ensemble de couloirs souterrains, nous y tuions à coup de dés le plus de monstres possibles… 40 ans plus tard, le Jeu de Rôles a bien évolué. Comme toute forme d’art, il a mûri. Des dizaines d’univers, des centaines de scénarios, bien plus subtils qu’une simple exploration de souterrains, ont été produits et joués. Et aujourd’hui, on incarne un personnage, on lui donne un passé, des dilemmes moraux : c’est un véritable personnage de fiction…

Tout ce que ne fait pas – somme toute – Donjons & Dragons, le film. Au-delà d’être un patchwork kitsch particulièrement laid, L’Honneur des Voleurs est une histoire ultra classique, sans personnages ni émotions. Des voyous à la ramasse, pitchés en une phrase (le père de famille négligent, la barbare en rupture de ban…) se retrouvent à lutter contre un mal antique qui veut détruire l’humanité… aka le scénario Copytop des studios hollywoodiens (Marvel & Co.) depuis des années…

Sur le plan visuel, pas mieux. En cela, le film respecte le matériau original : D&D a toujours été graphiquement atroce. Cinq éditions et quarante ans plus tard, il est toujours aussi laid : guerriers cheveux en brosse de quarterbacks texans, sorcières MILF peroxydées, châteaux dessinés par Disney… Normal pour un pays qui n’a jamais vu de châteaux forts… Le film fait de même en mélangeant allègrement des Marie-Antoinette, des Martin Luther et des épées antiques à la Conan le Barbare : tout ça est, pour les américains, est médiéval !

Mais le pire reste à venir : l’omniprésence du fan service, même pour le fan qu’est le Professore. Que le film cite visuellement des monstres (Mimic, Displacer Beast, Cube Gélatineux…), ou des objets magiques iconiques (Bag Of Holding , Horn Of Beckoning Death, Helm Of Disjunction…) fait plaisir. Mais le fan service sature littéralement les dialogues. Un name dropping totalement insupportable : Mordenkainen, Neverwinter, Baldur’s gate, etc., on cite même des règles du jeu…

Tout cela donne l’impression d’un gâchis (qui n’est pas immense, parce qu’on n’en attendait pas grand-chose), mais un gâchis tout de même. C’est mieux que le premier film de 2000, bien sûr, mais ça reste très loin de Game of Thrones, ou même de licences plus kitsch comme The Witcher ou Conan.

Et c’est dommage, car il y avait de la matière. D’une part, la partie comique est assez réussie, avec 2 ou 3 scènes cultes, et toute une série de blagues tongue-in-cheek pour initiés… Mais doublement dommage car Donjons & Dragons, le jeu, aurait pu s’appuyer sur les scénarios qui servaient de support à nos parties. Ces « modules » proposaient de belles aventures, mille fois plus originales que la lutte éternelle contre le grand méchant**… Hasbro n’avait qu’à se baisser pour les ramasser…

*Le Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien, le Cycle des Epées de Fritz Leiber, Elric de Michael Moorcock, Conan le Barbare de R.E. Howard, Terremer, de Ursula Le Guin…

** The Sinister Secret of Saltmarsh, où un repaire de pirates mène à complot d’homme-lézards
Castle Amber, où l’on explore la maison hantée d’une antique famille
The Secret of Bone Hill/The Assassin’s Knot, où l’on explore une ile pleine de mystères et où l’on résout un meurtre étrange
The isle of Dread, où l’on explore une ile peuplée d’antiques créatures
Expedition To The Barrier Peaks, un donjon qui se révèle être… un vaisseau spatial

etc.

Chronique publiée également sur Planet Arrakis




lundi 24 avril 2023


Grand Paris
posté par Professor Ludovico

Ce sont les mystères de la cinéphilie. La bonne surprise du mois. Une recommandation à la fin du Masque et la Plume. Un film court (80mn), qui colle parfaitement à une manifestation empêchant momentanément de rentrer à la maison…  Nous voilà donc au MK2 Bibliothèque à regarder Grand Paris. Grand Paris, le film de Martin Jauvat. Et le Grand Paris, la région où se déroule le film.

Et où se développe un pitch minimaliste, qui va pourtant aller très loin… Deux jeunes désœuvrés de Pantin, Momo (Sébastien Chassagne) et Renard (Martin Jauvat lui-même), acceptent la proposition mirifique (20 €) d’aller chercher un sac de beuh à Saint-Rémy-lès-Chevreuse. Mais sur place, leur rendez-vous ne se présente pas. Il faut rentrer et justement, plus de train !

Commence alors une épopée homérique : la banlieue parisienne comme Méditerranée et le métro, le RER, le Noctambus, comme Calypso. Nos deux héros (les Ulis ?) vont trouver sur le chantier du Grand Paris un objet couvert d’étranges hiéroglyphes (preuve – selon Renard – de la présence des Egyptiens au cœur de la Beauce), d’un Initié (par ailleurs contrôleur RATP), d’un livreur de burgers et de quelques sirènes…  

Le film est à la fois l’occasion de découvrir cette banlieue sous un regard nouveau, empli de poésie. Et aussi deux personnages de comédie, filmés tendrement, qui vont révéler bien plus que leurs stéréotypes.

Quant à l’intrigue – anecdotique, à l’instar du film – ne va faire que se déployer pour aller très haut.

Tout en haut, au plus près des étoiles…




vendredi 7 avril 2023


In the Mood for Love
posté par Professor Ludovico

Une pièce. Puis une autre, une chambre, un bureau plein de robes, des costumes, des cravates : In the Mood for Love tient à cela : des bouts de décor, des robes qui changent à chaque scène. On pourrait croire, à lire ce début de critique, que le Ludovico va se lancer dans une de ses diatribes dont il a le secret, contre l’esthétisme qui tient lieu de cinéma.

In the Mood for Love fait la démonstration inverse. Mettre l’esthétisme au service de l’histoire ; si ces costumes changent, c’est qu’ils ont un sens dans l’intrigue*. Ces décors petits mais magnifiques qui soulignent la promiscuité géographique et sociale du Hong Kong des années 50, qui ressemble à une prison plus qu’à autre chose.

Faut-il encore pitcher le sujet ? Vous avez dejà vu ItMfL, contrairement à ce snob de Professore, non ? Un homme et une femme emménagent en même temps. Pas ensemble, ils sont en couple chacun de leur côté. Mais on ne verra jamais le mari de Madame ou la chérie de Monsieur. Est-ce pour cela qu’ils vont tomber amoureux ? C’est que ce que suggère la musique-fatum qui ponctue le film et ramène le spectateur à chaque fois sur le chemin de la destinée.

Il y aura aussi un panoramique vertical sur une fumée de cigarette, des faux ralentis**. Au service d’un film court, qui semble aller très vite alors qu’il va très lentement.  

Du cinéma à tous les étages, vous dis-je.

* Qui vont par exemple déterminer qui trompe qui.
** L’image ralentit, mais pas le son
.




vendredi 3 mars 2023


La Nuit du 12
posté par Professor Ludovico

On devrait toujours faire confiance à son instinct de CineFaster. Quand La Nuit du 12 est sorti, ça faisait pas envie. Et puis voilà, quelques mois plus tard, on est pris par la hype. Le film gagne tout aux Césars, il est élu Meilleur Film Français de l’Année par les auditeurs de France Inter. Comme le dit le Rupélien, « malgré ses récompenses officielles, c’est un très bon film ».  

Dominique Moll intervient d’ailleurs très justement au Masque et la Plume, et invoque les deux David : Fincher (Zodiac) et de Lynch (Twin Peaks). En réalité, il faut se méfier des gars qui parlent bien de cinéma, les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs. Et on est payés pour le savoir, ici, à CineFast.

Mais on se fait prendre comme un bleu, on a soudain envie de cette Nuit du 12. Ça tombe bien, ça passe sur Canal. Et ça commence, en effet, comme dans Twin Peaks : une jeune femme assassinée, les flics qui débarquent, qui doivent annoncer la nouvelle aux parents effondrés, tandis que la communauté apprend la nouvelle. Mais le début de La Nuit est plat, ennuyeux, irréaliste…

Qu’on soit clair, on a bien compris l’intention : Moll ne veut pas faire un thriller à la Fincher, ni un mélo à la Lynch. Le réalisateur d’Harry, un Ami qui vous veut du Bien est dans une veine naturaliste, qui vise la sobriété. Mais la sobriété n’est pas l’ennemi de la subtilité. Pourquoi ces dialogues à l’emporte-pièce ? Pourquoi ces personnages taillés à la serpe ?

Moll a un message à faire passer, très bien… Les femmes sont tuées par les hommes et ce sont majoritairement des hommes qui enquêtent sur ces hommes qui tuent des femmes. C’est un message intéressant, et légitime, sur les féminicides. Mais est-ce que ça ne peut pas être dit plus subtilement que par un personnage qui débarque et prononce exactement ces mots ?    

Tout est possible au cinéma, mais il faut travailler. Si ces personnages sont servis par d’excellents comédiens (Bastien Bouillon, Bouli Lanners…), ils sont seulement esquissés (le vieux flic en colère, parce que sa femme le trompe, le jeune flic solitaire, qui prend cette enquête particulièrement à cœur, etc. Tout cela existe probablement dans la réalité ; mais Dominique Moll n’arrive pas à incarner ces idées. Pour cela, il lui faudrait développer ces personnages, en faire autre chose que des figurines de plomb qu’on dépose dans ce décor. Leur donner des dialogues vivants, pas des slogans…

C’est tout le talent des vingt premières minutes de Twin Peaks où, en quelques gestes, une réplique, une paire de chaussures, la série installe son univers et ses personnages.

Il ne suffit pas d’invoquer Lynch et Fincher. Il faut un peu s’en inspirer.




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