Un membre influent du conseil d’administration de CineFast me presse de prendre parti dans l’affaire pédophilo-médiatico-cinéphilique du moment. Je parle de Polanski, bien sûr, Lettres d’Amour en Somalie n’étant pas à proprement parler un film, et le Neveu, un cinéaste…
Non seulement, je ne céderai pas aux pressions de mes amis, mais pire : je déplacerai le débat. Polanski est-il un grand cinéaste ? Sûrement ! Est-il pédophile ? Il l’était probablement un peu à l’époque, quand d’autres histoires (avec Nastassja Kinski) vinrent corroborer les faits… Mérite-t-il ce traitement ? Probablement pas. Le temps a passé, et même la victime a pardonné (contre un arrangement secret de 600 000$, comme nous venons de l’apprendre). Sommes-nous juges ? Sûrement pas. L’affaire est américaine, et doit être jugée en Californie, qui jusqu’à preuve du contraire, n’est pas la Corée du Nord. En tout cas, elle ne se juge pas au Ministère de la Culture, ou sur CineFast !
Ce qui est intéressant là-dedans, c’est la Suisse. Voilà un pays qui vous décourage d’aller à ses festivals, surtout si vous êtes déjà propriétaire d’une résidence secondaire. L’enthousiasme suisse (en plein milieu du scandale) à extrader le dangereux terroriste Polanski fait peine à voir. Comme l’a dit avec humour Jay Leno, du Tonight Show : « Ça y est, on a enfin eu Polanski. Maintenant, Ben Laden ! »
Le deuxième enseignement, c’est qu’il faut différencier l’art de l’artiste…
Dans l’art, tout est permis. Huysmans, Lautréaumont, Sade, Burroughs, Dustan, Bunuel, Lynch, l’artiste est fou par définition ; il est dans la transgression. La réalisation des fantasmes dans la réalité, c’est ce qui pose problème. Pourquoi l’artiste serait-il traité différemment du commun des mortels ? La justice est faite pour cela : arbitrer les faits et les causes, les circonstances, le contexte. Ce qui amène au dernier enseignement de ces affaires : la défense corporatiste de la communauté cinématographique de l’un de ses pairs. Alors qu’on traque les pédophiles de par le monde, jusqu’à vouloir signaler leurs maisons et leurs employeurs, deux affaires concomitantes (Polanski, Mitterrand) montrent la différence de traitement qui prévaut en la matière. Non seulement cette corporation est particulièrement touché par ces problèmes, habituée qu’elle est de vivre depuis toujours dans l’excès : Fatty Arbuckle, Charlie Chaplin, Frank Sinatra, Don Simpson, et aujourd’hui, Roman Polanski…
Sans aucune barrière morale, sociale, ou patronale d’aucune sorte*, elle assure même le service après-vente en soutenant, via avocats, attachés de presse, patrons de studios (voir Hollywood Babylon sur ce sujet), ses brebis égarées… tout en prônant, dans le même temps, l’inverse dans ses films et ses œuvres caritatives…
Deux poids, deux mesures…
*JP Jeunet racontait que sur le tournage d’Alien:Résurrection, la production avait mis à sa disposition un chauffeur, qui, à son arrivée à Los Angeles, lui avait immédiatement proposé de la drogue et des putes… Mais qui, le lendemain matin, et les jours suivants, venait le chercher à 8h pile pour qu’il soit à l’heure sur le plateau. A Hollywood, tout est permis… Si tu fais le boulot.
posté par Professor Ludovico
« Lis ça, ça va te plaire ! » Sous cette admonestation, l’ami Guillaume venait de me livrer un lingot d’or : une histoire du nouvel « Nouvel Hollywood ». Marchant dans les pas de leurs glorieux aînés (Coppola, Bogdanovich, Spielberg), une nouvelle génération d’auteurs s’attaquait à la forteresse blockbuster érigée dans les années 80, entre autres, par Simpson et Bruckheimer.
Dans le livre de Sharon Waxman, Les Six Samourais, Vous trouverez des réponses aux questions existentielles, telles que :
• Comment Dans la Peau de John Malkovitch passa au travers des mailles du filet des Studios…
• Comment David Fincher réalisa « un film expérimental » de 63M$…
• Comment George Clooney, star méprisée de la télé, obtint le rôle titre des Rois du Désert et grilla son réalisateur, David O’Russel, à Hollywood…
• Comment Steven Soderbergh réalisa Traffic – un film auquel personne croyait – qui devint malgré tout un immense succès critique et public, installant définitivement Steven S. dans la cour des grands…
• Comment Tarantino, volant ici et là, des bouts de scripts à ses copains, et les oubliant dans la foulée, construisit Miramax…
• Comment Paul Thomas Anderson, le mégalomaniaque – mais génial – auteur de Boogie Nights, comprit qu’il fallait faire des films chers pour avoir l’attention (et le soutien promotionnel) des studios…
• Comment Fight Club devint l’Orange Mécanique des années 2000…
A toutes ces questions, et à bien d’autres encore, le livre de Sharon Waxman répond brillamment. Avec comme d’habitude, le style inimitable des essais américains sur le cinéma : bien écrits et documentés, sérieux sans être pédants, avec juste ce qu’il faut de people et d’analyse.
Si vous aimez leur cinéma, lisez ce livre !
Les Six Samouraïs, Hollywood somnolait, ils l’ont réveillé
Sharon Waxman
Calmann-Levy
mercredi 23 septembre 2009
La citation du Jour : Fight Club (2)
posté par Professor Ludovico
Laura Ziskin, l’une des directrices de la Fox, découvre le film fini :
« Ca ma fait peur. C’était vraiment très intelligent, avec de vraies idées, et ça, c’était très dur. Pourrions nous le vendre ? »
Vendre des idées intelligentes, ça n’a jamais été le point fort d’Hollywood.
mardi 22 septembre 2009
La citation du jour : Fight Club
posté par Professor Ludovico
Je vous avais promis des anecdotes sorties du livre de Sharon Waxman, en voici une sur Fight Club.
Alors que le budget de « son film expérimental », comme il l’appelle, explose, Fincher se fait choper par un co-producteur, Arnon Milchan, qui l’abjure de réduire ses coûts. Fincher refuse. Milchan quitte la production, mais après avoir vu quelques rushes, revient et prend 50% du budget. Le film ne gagna pas d’argent, mais les deux restèrent bons amis : « Je n’ai aucune compassion pour toi », lui dit Fincher, « Dans dix ans tu continueras à draguer les nanas en leur disant, tu sais, Fight Club, c’est moi qui l’ai produit ! »
Les Six Samouraïs, Hollywood somnolait, ils l’ont réveillé
Sharon Waxman
Calmann-Levy
lundi 21 septembre 2009
Mort à Pixar !
posté par Professor Ludovico
Cette critique aurait bien pu ne jamais être écrite, si je m’étais arrêté à la première demi-heure de Wall-E, sûrement la meilleure que la compagnie de Monsieur Jobs ait jamais produite.
Mais il faut en finir avec le mythe Pixar, sa prétendue infaillibilité (Pixar never fails, avait titré Newsweek), ses films toujours meilleurs, sa technologie photoréaliste toujours plus pointue.
La réalité est que Pixar voulait détruire Disney, et elle y est arrivé : Pixar a tué… le dessin animé 2D. Mais en fait, Pixar est devenu Disney. Sa production annuelle, ses thèmes ultra consensuels et conservateurs, ses scenarios photocopiés : Disney avait trouvé son élève, et il avait dépassé le Maitre.
Car c’est quoi un film Pixar : c’est l’histoire d’un garçon un peu star (Jouet star, Voiture star, Robot star) qui rencontre une fille et, confrontés à l’amour, et aux valeurs revigorantes de la campagne (pure, comme chacun sait, face à la ville corrompue), trouve la rédemption tant attendue.
Ce qui était magique dans Toy Story et dans Mille et Une Pattes, cette inventivité de scénario, ces préoccupations à deux niveaux (parents/enfants), tout cela est devenu un moule dans lequel les businessmen de Pixar injectent un peu de plastique neuf pour vendre un nouveau film, de nouveaux jouets, de nouveaux Happy Meal chez McDo.
Apres le gerbant Cars, j’ai boycotté. Mais l’opportunité a fait que j’ai pu regarder Wall-E, le fameux « dernier chef d’œuvre de Pixar » Évidemment, il y a cette première demi-heure, apocalyptique, géniale, dans un New-York rouillé (la méchante ville, encore), envahie sous les déchets. Et une merveille de petit personnage, Wall-E, le petit robot compacteur. Une demi-heure qui réinvente le cinéma puisque entièrement muette : champ. Contre champ. Effets de profondeur. Pause. Accélération. On peut raconter beaucoup de choses sans dire un mot.
Mais voila, au bout de 30 minutes, ca recommence : Wall-E rencontre une fille, EVE, cette fois-ci plutôt dominatrice, et le film part en couilles : courses poursuites effrénés, allusions foireuses à 2001 (désolé, ca ne suffit pas) et bagarres diverses et variées… Un rythme d’enfer pour une histoire zéro. Wall-E, censément héros du film, disparaît au profit des 700 autres protagonistes, et revient faire cinq minutes de figuration à la fin (et, incroyable mais vrai, il est pas mort, il est blessé seulement)…
Il restera le message écologique étonnant, incroyablement anti-américain (ou le début d’une prise de conscience, enfin ?) : nous sommes trop gros, nous consommons trop, nous gâchons l’eau dans des piscines que nous n’utilisons pas, nous ne faisons plus rien de nos dix doigts et nous gâchons notre intelligence devant la télé et les jeux vidéos.
Ça pique les yeux… mais ça justifie de regarder ces trente premières minutes…
jeudi 17 septembre 2009
Alain Delon, ou la foire aux vanités
posté par Professor Ludovico
Sacré Alain Delon ! Son intervention ce matin sur Europe 1, censément une éloge funèbre de Filip Nikolic, le chanteur des 2be3, a tourné une fois de plus à l’exercice délirant d’autopromotion :
« J’ai connu Filip quand il a débuté avec les 2Be3, il venait me voir sur les plateaux, sur les tournages, parce qu’il était très admiratif de moi. »
Et trente secondes plus tard :
… « C’était un admirateur du cinéma, et de ma carrière, et personnellement de moi… »
et encore…
– « …On avait beaucoup de traits physiques en commun, Filip n’était pas mal fait de sa personne. »
A ce niveau-là, c’est une maladie, et c’est en phase terminale ! On savait les acteurs égocentriques, amoureux d’eux-mêmes (et il faut très certainement l’être pour faire ce métier), mais notre Alain Delon national est très certainement champion du monde à cet exercice !
Profiter de la mort du pauvre 2be3 pour parler de lui, il fallait oser. Mais Delon est coutumier du fait, puisqu’à la mort de Marlon Brando, il avait fait le même coup : « Maintenant qu’il est mort, je suis seul »
Rappelons que le ragazzo déniché dans le lit de Visconti a fait une belle carrière (Plein Soleil, Le Guépard, essentiellement du à sa beauté exceptionnelle, mais que celle-ci ayant périclité avec la quarantaine, ses films sont devenus concomitamment de plus en plus mauvais dans les années 80 (Le Toubib, Le Choc, Le Battant, etc. Comme me l’avait expliqué Nathalie, une copine comédienne, Alain Delon est un acteur (qui ne joue que son propre rôle), et pas un comédien (qui peut tout jouer)…
Pour ceux qui douteraient de l’authenticité de cette chronique, c’est ici : magie d’Internet !