Quel meilleur film de Noël qu’Apocalypse Now ? Même si ce n’est pas notre premier voyage au Vietnam, c’est l’occasion de le montrer à d’autres, et de revisiter le temple Khmer de Coppola. Car nous sommes en possession d’une rareté : le coffret Blu-Ray avec la version d’origine, sans générique ni bombardement final. Bref, un morceau de la Vraie Croix.
Rien de nouveau sous le soleil de plomb du delta, mais l’opportunité – toujours – de découvrir de nouvelles choses…
Ainsi, nous n’avions pas remarqué ces motifs qui se répètent au début et à la fin. Si le Parcours du Héros est parfaitement documenté, the Rise and Fall du Capitaine Benjamin L. Willard, cette symétrie ne nous avait pas frappé. Or, que constate-t-on ? D’abord, l’un des premiers plans est aussi le plan de fin, cet admirable fondu enchaîné sur le visage de Willard / les statues de rois khmers. Symboles de la répétition de l’histoire, et de sa violence éternelle.
Il y en a d’autres. Au début, dans un accès de delirium tremens, Willard se barbouille de sang. Dans la scène finale, il est aussi barbouillé du sang, celui de son ennemi / son double, le Colonel Kurtz. D’ailleurs, il s’est fait un masque camouflage identique à celui de Kurtz, quelques scènes plus tôt.
On continue. Dans la première scène, des soldats viennent chercher Willard pour lui confier sa mission, ils montent des marches (Rise). Dans la dernière, sa mission accomplie, c’est lui qui descend des marches une fois sa mission accomplie (Fall). Comme il est dit, « Je voulais une mission, et pour mes péchés ils m’en donnèrent une* » et, à la fin, « Ils allaient me nommer Major pour ça, alors que je ne faisais plus partie de leur putain d’armée ** ».
Le chemin est accompli : Willard n’est plus un soldat des Forces Spéciales, mais il ne s’est pas transformé en Kurtz (comme les autres, ou comme il le craignait lui-même). Il n’est pas devenu ce Dieu du Chaos prêt à bombarder ses propres indigènes*** (comme dans le fameux happy end absent de la version originelle). Non, Willard est devenu le Roi. Le peuple de Kurtz ne s’y trompe pas ; ils rendent les armes et s’inclinent devant leur nouveau souverain. Willard descend les marches. Roi magnanime, il a dans les mains une épée (le Guerrier, la Justice) et un livre (les souvenirs de Kurtz) : la Loi.
This is The End : La musique des Doors, présente au début et lors du meurtre de Kurtz, s’est arrêtée : seul subsiste le calme de la pluie… La boucle est bouclée ; y’a-t-il un début, une fin à cette histoire ?
Ou simplement, éternellement : the horror, the horror…
*”Everyone gets everything he wants. I wanted a mission, and for my sins, they gave me one. Brought it up to me like room service. It was a real choice mission, and when it was over, I never wanted another.”
** “They were gonna make me a Major for this, and I wasn’t even in their fuckin’ army anymore.”
*** EXTERMINATE THEM ALL, écrit en rouge dans le récit de Kurtz
posté par Professor Ludovico
Parmi les dizaines de films de guerre que le Professore a vu depuis les années 70, il manque toujours quelques icônes : Le Train de John Frankenheimer en fait partie. Et voilà que Prime Video nous annonce que le film va quitter la plateforme, et nous voilà comme qui dirait, obligé de le regarder.
Et là, le choc.
La carrière de John Frankenheimer ne nous jamais ébloui, c’est un de ces artisans talentueux d’Hollywood qui n’ont pas vraiment d’œuvre, ni même de coup d’éclat. Dans sa filmographie, on retient 7 jours en Mai, Un Crime dans la tête, Ronin…
Rappelons l’argument de ce Train : 1944, la deuxième DB est aux portes de Paris, les Allemands fuient la capitale et Waldheim, un colonel allemand (Paul Scofield) se promène, de nuit, dans les couloirs du Grand Palais. Grand admirateur de peinture, il est venu voler ces toiles pour les emmener en Allemagne, au grand désarroi de la conservatrice (Suzanne Flon)… Celle-ci s’adresse à la Résistance, pour qu’elle bloque ce train pendant quelques jours, le temps que Paris soit libéré. Mais Labiche (Burt Lancaster), chef de la résistance cheminot, a d’autres chats à fouetter : stopper le ravitaillement des Allemands.
Faut-il sacrifier une quelconque humaine pour quelques tableaux ? Le film va poser cette question philosophique comme un fil rouge, sans jamais vraiment y répondre. Mais pour cela, il convoque tous les talents possibles du cinéma. Car, n’hésitons pas à le dire (à CineFast on ne fait pas dans la demi-mesure), ce film est parfait.
La photo d’abord. Un noir et blanc somptueux (dû à deux chef op français, Jean Tournier et Walter Wottitz) qui met en valeur les visages couverts de charbon de Michel Simon et de Burt Lancaster, deux genres de beauté, on en conviendra, très différents. Les cadrages sont magnifiques de précision : un premier plan avec des clous de rail saboté, et au fond, en flou, les bottes allemandes qui s’approchent. Le casting est parfait. Mélange d’acteurs français connus (Suzanne Flon, Michel Simon, Jeanne Moreau) et d’autres au visage connu (Jacques Marin, Albert Rémy, Charles Millot), appareillés à un Burt Lancaster minéral en résistant antihéros. En face, un couple illustrant deux visions de la défaite allemande Scofield en colonel jusqu’au-boutiste et Wolfgang Preiss en commandant désabusé.
La construction du film elle-même est un chef-d’œuvre d’accumulation d’enjeux : Pourquoi Michel Simon demande de la monnaie sur son billet de cinq francs ? Pourquoi Jeanne Moreau n’a pas très envie d’aider la résistance ? Pourquoi Labiche ne veut pas sauver les tableaux ? Tout cela s’empile comme la pyramide de Khéops, qui aboutit au chef-d’œuvre final, dans la mise en scène serrée de ce grand croyant dans le cinéma qu’est John Frankenheimer. Très peu de dialogues, aucune explication inutile, l’action est scandée par le montage, la discrète musique de Maurice Jarre, et les bruits diégétiques…
Comme cette locomotive à l’arrêt, dont les échappements de vapeur ponctuent le final.
Ils n’ont pas fini de nous hanter…
mercredi 1 janvier 2025
Nosferatu
posté par Professor Ludovico
Bien sûr, Nosferatu, c’est magnifique… Les décors, la musique, les acteurs : tout est au sommet. Pour 50 millions de dollars, encore heureux… C’est la nouvelle vague du cinéma d’horreur, non plus les série B de notre jeunesse cinéphilique, bricolées avec peu de moyens par John Carpenter, Joe Dante, Sam Raimi, ou Wes Craven, mais les très grosses productions de Jordan Peele (Get out, Nope) ou, ici, Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse). Une volonté de faire des films soignés, esthétisants, réalistes, avec les moyens afférents…
Mais autant Jordan Peele a quelque chose à dire sur l’Amérique, le racisme, le capitalisme, autant Eggers ne dit rien avec son cinéma. A-t-on peur ? Non. Y’a-t-il des enjeux, des personnages intéressants ? Non plus. Y’a-t-il un message politique, sociétal, féministe ? Il est bien caché. Modernise-t-il le mythe vampirique, comme peut le faire, chacun à son échelle, The Vampire Diaries ou Entretien avec un Vampire ? Toujours pas.
Eggers ne filme pas Nosferatu, il le refilme. Qu’apporte-t-il de plus que la version de Murnau (1922) ou celle de Herzog (1979) ? Rien.
C’est donc le retour du cinéma de décorateur, celui de Ridley Scott, ou, d’une autre manière, celui de Quentin Tarantino : refaire ses films fétiches, mais avec tous les moyens du monde.
Ce n’est pas de l’art. C’est du modélisme ferroviaire.
lundi 23 décembre 2024
Leni Riefenstahl, La Lumière et Les Ombres
posté par Professor Ludovico
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Cinéma sans morale n’est que ruine de l’âme, également. Voici donc la tragédie de Leni Riefenstahl, qui, si elle était morte en 1938, ou simplement exilée à Hollywood, serait devenue l’une des plus grandes icônes du cinéma mondial. Danseuse, skieuse, alpiniste, magnifique actrice, géniale réalisatrice : voilà ce qu’on aurait retenu de Leni Riefenstahl.
Mais non, elle est restée auprès d’Hitler puis a prétexté qu’elle n’y pouvait rien. La Lumière et les Ombres démontre le contraire, évidemment. Ses contradictions et ses mensonges, et, au cœur, l’égo incommensurable d’une star ; une Kim Kardashian des Années Trente. Leni Riefenstahl ne peut pas à la fois être un génie et n’avoir rien compris de ce qui se passait autour d’elle.
Le film le montre très malignement, à base d’interviews d’après-guerre non coupés (montrant une Riefenstahl colérique et soucieuse de son image), d’extraits de talks-shows, de photos issues de ses archives personnelles, et de making of jamais vus jusque-là. Le documentaire découvre (comme on ôte un voile) le portrait d’une femme obsédée par l’Art et la Beauté, qui ne réfléchit jamais plus loin. On l’interroge sur le message du Triomphe de la Volonté, son panégyrique du congrès nazi de 1933 ? Il n’y en a pas, moi je filmais simplement ce que je voyais : je filmais le congrès, je filmais les Jeux olympiques, je filmais la Pologne en guerre…
Mais c’est comme par hasard sur ce dernier reportage inachevé qu’elle démissionne. En 1939, elle suit la Wehrmacht dans sa campagne de Pologne. Pour la première fois, elle est confrontée non plus à la beauté, mais à la réalité. Des soldats, des civils se font tuer. Et parfois même, selon ce documentaire, à cause d’elle. Suite à une directive de la cinéaste « Je ne peux pas filmer, avec tous ces juifs qui sont dans le plan », s’ensuit une méprise. Et une fusillade.
Le film se termine par un plan grotesque, mais qui résume sa personnalité. Presque centenaire, on l’installe dans un fauteuil pour une interview. Grande professionnelle, elle se préoccupe du cadre, des éclairages… Alors qu’elle y voit à peine, elle décèle une ride sur son visage (qui en compte des dizaines), mais cette ride-là, il faut absolument l’effacer au maquillage…
Filmer la beauté, la perfection. Jusqu’au cauchemar.