Dans les années 60, nos parents allaient voir John Wayne, le héros de leur jeunesse, dans Les Bérets Verts, une rodomontade patriotique sur la guerre du Vietnam. Ils allaient voir un très mauvais film, pour le simple plaisir de retrouver l’âge d’or de Rio Bravo ou de la Prisonnière du Désert.
Aujourd’hui nous allons voir Harrison Ford, le héros de notre jeunesse, dans la cinquième itération d’Indiana Jones.
Nous sommes devenus nos parents.
Le film de James Mangold laisse en effet une drôle d’impression. C’est à la fois un film extrêmement maîtrisé et réussi, et en même temps, une extorsion marketing de la nostalgie. Un adieu sincère à la saga et un copier-coller honteux, sous forme de best of de ses meilleurs moments. S’il y a un film de fan service, c’est bien Indiana Jones et le Cadran de la Destinée. Chapeau, fouet, nazis, objet sacré, antiquité, sidekick féminin pointu : tout est dans Indiana Jones 5, et inversement.
Pourquoi aller voir ce Cadran de la Destinée, alors ? Pour revoir des poursuites, de l’action, un baiser sur un coude ? Bref, de la pure nostalgie. Pour pleure sur notre jeunesse enfuie. Est-ce une bonne raison ? Sûrement pas. Mais cette nostalgie est bien faite, et propose un contre-feu intéressant : l’adieu (semble-t-il définitif) à la saga… Cette partie-là est particulièrement réussie… Si elle n’ose pas aller jusqu’au bout de ses idées, et conclure par une fin particulièrement mélodramatique, européenne, elle propose un happy ending plus conventionnel, plus américain, mais émouvant quand même.
Comme évoqué au début de cette chronique, notre John Wayne à nous, c’est Harrison Ford, notre Han Solo, notre Rick Deckard, notre Indiana Jones. Justement, la technologie offre deux Harrison Ford pour le prix d’un : le jeune Doctor Jones, (merci la CGI), et le vieux, largué dans une époque qui n’est pas faite pour lui. Double effet d’identification pour le spectateur…
Mais la CGI, c’est justement ce qui pose problème. Comme nous l’avions intuité depuis longtemps, les trucages numériques tuent la magie primitive du cinéma. Nous savons que Harrison Ford ne fait plus ses cascades, qu’il surfe sur un fond vert, qu’il ne va tomber nulle part… Nous n’avons plus peur pour lui, ni pour personne d’ailleurs. Nous ne sommes plus impressionnés par cette pyrotechnie qui faisait le charme du cinéma. Rien ne nous émerveille, puisque l’ordinateur peut tout faire*.
Il est d’ailleurs très intéressant d’observer la promotion de deux autres films à l’affiche : Oppenheimer et Mission Impossible 7. Nolan a bâti de longue date sa promo sur le fait qu’il filme toujours sur de la pellicule traditionnelle (et donc pas en numérique) et qu’il n’utilise pas de CGI**. Tom Cruise fait de même, en montrant son making of AVANT de montrer son film. Instagram est inondé de vidéos décryptant son saut en moto-parachute, ou sur la VERITABLE loco qu’on a détruite, etc. Comment mieux dire que ces films souhaitent renouer avec l’antique magie du cinéma, contrairement aux Marvel, contrairement à Indiana Jones ?
*Ce qui est techniquement faux : beaucoup de cascades, d’effets spéciaux sont tournées puis retouchées. Mais comme pour beaucoup de choses, c’est la perception qui compte…
** Il a déjà crashé un véritable avion pour Tenet, fera-t-il sauter une bombe atomique pour Oppenheimer ?
posté par Professor Ludovico
Le Théorème de Rabillon nous fait faire bien des bêtises. Après USS Greyhound, on a envie de voir des F4U-Corsair. Oui, l’avion rigolo de Papy Boyington, avec des jolies ailes en W et un beau ronronnement au niveau du moteur. C’est pour le Corsair que le Ludovico se cogne 2h19 de Devotion, un film de 90 millions de dollars entièrement à la dévotion de l’armée américaine, son courage imputrescible contre le communisme, et au passage, quelques idées philosophiques fortes, comme quoi l’amitié et la famille, c’est vachement important.
En fait, Devotion confirme qu’Hollywood est retourné, Back to the Future, aux années 50. Les DC-Marvel à la place des péplums (mêmes slips), les westerns remplacés par la Fantasy (les orcs font de très bons indiens, on peine à voir la différence), et Devotion en bonne itération de l’excellent (!) Diables de Guadalcanal, avec John Wayne. On reviendra d’ailleurs sur le sujet John Wayne très prochainement…
Devotion est évidemment basé sur une histoire vraie, celle du premier aviateur naval afro-américain (Jesse L. Brown, joué à la 12,7 par Jonathan Majors) dont on raconte le combat pour exister au milieu des centaines de pilotes blancs, son amitié inaltérable avec son ailier Tom Hudner (Glen Powell), les bagarres-avec-les-fantassins-en-perm, la-Guerre-de-Corée-où-il-fait-super-froid-dis-donc, etc., etc. Le tout à grands coups de clichés, légers comme de la DCA coréenne.
Rien de manque à ce war movie, y compris le petit message final : les deux familles sont restées très amies depuis la guerre…
Seul point positif, les combats aériens, formidablement filmés : on a rarement vu aussi bien.
Et pis y’a plein de Corsairs. Et c’est beau, un Corsair !
mercredi 12 juillet 2023
USS Greyhound : la Bataille de l’Atlantique
posté par Professor Ludovico
USS Greyhound est le pendant (un peu plus réussi) du Gettysburg de Ted Turner. Ici, version bateau, c’est à dire gouvernez-au-147 au lieu de compagnie-feu-à-volonté !
On voit bien ce qui est intéresse Tom Hanks, scénariste et acteur principal de ce film Apple : un héros, profondément religieux, confronté à la nécessité, pour son premier commandement, de tuer pour survivre et acheminer ce convoi allié lors de ce terrible hiver 1941.
Mais Tom n’en fait rien, contrairement à son modèle, Steven « Il faut Sauver le Soldat Ryan » Spielberg. Simplement une reconstitution aux petits oignons de trois (fois la même) bataille navale.
Si on aime le wargame, on est servi. On a tous les caps, toutes les distances, toutes les portées de tir. Le CineFaster lui, n’en a pas pour sa faim. Pas d’enjeux, pas de personnages, pas de conflits internes. Rien. Nada. Que dalle.
Dommage.
lundi 10 juillet 2023
Asteroid City
posté par Professor Ludovico
Le pays de Wes Anderson est désormais totalement cartographié. On en connait chaque coin et recoin, son casting AAA, ses cadrages carrés, ses maquettes et ses trains électriques.
La question est de savoir si Wes Anderson est en terrain conquis. Il semblerait, puisqu’on y retourne à chaque fois sans barguigner. Cet Asteroid City ne déroge pas à la règle. Il est comme The French Dispatch, toujours agréable. On rit gentiment, on est un peu triste à un moment. Certes, ce n’est pas un grand Wes Anderson, façon Moonrise Kingdom, Grand Budapest Hotel ou The Fantastic Mr Fox…
Mais à la différence avec les autres faiseurs esthétisants, il y a bien un cœur qui bat chez Wes Anderson, et ce n’est pas sans propos : cette nostalgie Fifties n’est pas niaise.
Cela suffit à rendre le film agréable à regarder, même si le procédé Andersonien est répétitif.
vendredi 30 juin 2023
Sans Filtre (The Triangle of Sadness)
posté par Professor Ludovico
S’il y a quelque chose que Ruben Östlund sait faire, c’est incarner une idée. À vrai dire, la chose la plus difficile au cinéma… En deux heures de Snow Therapy, le suédois avait réussi à matérialiser la lâcheté masculine. Le film, sans un gramme de graisse, reposait sur le style Östlund, c’est-à-dire des plans fixes cadrés sur des visages, permettant au temps long de s’installer, aux acteurs de travailler, et au malaise de s’insinuer. Car Ruben Östlund c’est ça, c’est le cinéaste du malaise.
Ici, au milieu de l’océan, il y a encore des idées, mais son cinéma a pris du gras, et du mauvais cholestérol. Le film est trop long (2h30) et part dans une surenchère qui ne lui convient pas bien au teint. Une scène en particulier, largement documentée par la presse à sa sortie, accumule jusqu’à l’écœurement vomi et toilettes bouchées. Est-ce drôle ? Ça se discute. Est-ce utile ? Sûrement pas, une simple allusion aurait suffi…
Si on accepte la métaphore – l’avidité capitaliste jusqu’à l’écœurement – on a connu la bile Östlundienne plus subtile. Comme dans les 25 premières minutes, par exemple, la scène de la note. Un couple de young and beautiful dîne dans un restaurant parisien. Qui doit payer, l’homme ou la femme ? Le talentueux top model ou la riche influenceuse ? Avec des acteurs magnifiques (et inconnus, Harris Dickinson et Charlbi Dean), avec une table et un simple champ/contrechamp, Ruben Östlund dresse un portrait de la guerre des couples pour le partage de pouvoir, façon Don Delillo …
Après, le film est intéressant, sa critique capitalo-marxiste tendance yachting, (« tout le monde sur le même radeau ») est réjouissante. Mais il est dommage que le film en fasse un peu trop…
mardi 27 juin 2023
Don’t stop believing
posté par Professor Ludovico
Plutôt que la soupe en boite de Journey, nous choisirons la nôtre, Voilà C’est Fini… Pour la deuxième fois, nous avons fait l’aller-retour Paris-Newark, Newark-Paris, cette fois-ci avec el Professorino. Pour la deuxième fois, nous avons vu les 86 épisodes des Sopranos. Une fois encore, nous avons aimé Tony et Carmella, Meadow et Anthony, Sil et Paulie, Christopher et Bobby, Adriana et le Dr Melfi. Une fois encore, nous avons détesté les gens qui voulaientt du mal à ces êtres pourtant peu recommandables.
On a beau le savoir, mais il est toujours aussi difficile de quitter une série. C’est avouer quelque part qu’on ne reverra plus ces amis de vingt ans. La fin de la série qui secoua l’Amérique, connue pour être exceptionnelle, est évidemment entachée par la bêtise habituelle des networks – ici Prime Vidéo – qui en a coupé l’effet, dès les premières secondes. Si David Chase avait décidé de cette minute spéciale à la fin de sa saga italo-américaine, c’était bien pour nous accompagner dans ce deuil. Tout comme Kubrick avait voulu que les salles respectent ces minutes d’obscurité avant le début de son acid trip 2001. Eternelle obsession des conteurs : bien nous faire entrer dans l’histoire, bien nous en faire sortir.
On imagine les sombres calculs algorithmiques qui préside à cette coupure idiote. Mais peu importe. Nous nous sommes échappés du New Jersey.
Vivants.
Don’t stop believing, donc…
vendredi 23 juin 2023
Jeanne du Barry
posté par Professor Ludovico
On dit souvent ici que certains films ont une tête mais pas de cœur, selon la belle formule du Prince d’Avalon. Jeanne du Barry, ce serait plutôt l’inverse : beaucoup de cœur et pas beaucoup de tête. On voit bien que Maïwenn est à fond dans son projet, qu’elle y met des choses éminemment personnelles (le plaisir, les pygmalions) et que, pour cela, elle a voulu incarner elle-même du Barry. C’est souvent une erreur, car rares sont les metteurs en scène qui arrivent à se diriger.
Le film laisse une drôle d’impression : mal foutu, l’incohérence du propos et la caricature pèsent sur le film, qui reste aimable quand même : on a du mal à lui en vouloir…
Maïwenn semble tout simplement ne pas avoir réfléchi à ce qu’elle voulait dire. Selon l’anecdote, elle voulait filmer des improvisations d’acteurs comme à son habitude, puis y a renoncé. Les incohérences abondent : après avoir validé les vertus du libertinage pendant une bonne heure, Maïwenn découvre (sic) le « côté obscur du roi » qui a une autre favorite. Elle plaint à la fin la pauvre plébéienne, guillotinée comme une noble par la Terreur, comme si elle n’avait pas vécu – et profité comme eux – des privilèges l’Ancien Régime.
Incohérences de l’intrigue, ensuite : des personnages disparaissent sans raison (la fille très chrétienne de Louis XV, raccordée sur le fil par une voix off pontifiante), ou agissent sans raison (les autres filles qui complotent ouvertement à la table du Roi, qui vient pourtant de démontrer son pouvoir absolu).
Caricature, enfin : si ses personnages principaux sont relativement crédibles (Johnny Depp impérial en Louis XV, la bonne idée de caster une star Hollywoodienne qui en impose par sa seule présence, ou Maïwenn en libertine amoureuse, plutôt attachante), les autres personnages sont efféminés, stupides, racistes*.
Reste la désagréable (et habituelle) impression d’une fascination pour les rois et les reines dans un Cendrillon 2.0.
Le film n’est tout simplement pas assez radical dans son propos, façon Marie Antoinette de Sofia Coppola, ou pas assez sérieux, pour loucher du côté de Barry Lyndon, référence évidente de la cinéaste (35mm et éclairage aux bougies).
Dommage car il y a de bons moments dans cette du Barry Lyndon.
*L’histoire réelle de Zamor, jeune enfant noir adoptée par la du Barry s’éloigne énormément du conte de fées de Maiwenn (anecdote copyright el Professorino)
vendredi 9 juin 2023
Das Boot
posté par Professor Ludovico
Après une ultime revoyure – le Kapitän Ludovico ayant déjà tout vu : le livre, le film en salle, le film à la télé, la série télé (au moins deux fois), le director’s cut…), le bilan est toujours le même : Das Boot reste un chef-d’œuvre imputrescible, qui ne connait aucune corrosion. Acteurs parfaits, mise en scène parfaite, propos parfait… Rien ne vieillit chez le parangon du film de sous-marin.
Pourtant il est difficile d’imaginer le scandale à sa sortie : film fasciste, osant dire que les Allemands avaient eux aussi combattu de manière héroïque, et qu’il n’y avait pas que des nazis… La controverse fut intense, car Das Boot était le premier.
Selon le principe qui veut que l’histoire soit racontée par les vainqueurs, les Américains avait entièrement accaparé la narration de la seconde guerre mondiale, avec Le Jour Le Plus Long comme prototype… Un Pont Trop Loin, les Douze Salopards, L’aigle s’est Envolé, De L’or Pour Les Braves… tous ces films obéissaient au sacro-saint principe : les héros étaient américains, et les Allemands avaient le mauvais rôle… Il a fallu que le temps passe, et que l’Allemagne fasse son propre examen de conscience (pour reprendre le titre du plus beau livre d’August von Kageneck) pour que les jeunes cinéastes allemands ne se sentent plus responsables des erreurs de leurs parents, et se décident à explorer le grand drame du XX° siécle, vu de leur côté…
Il faut en tout cas bien être aveugle pour voir dans Das Boot un panégyrique nazi. Dès la première scène, un capitaine saoul se moque d’Hitler en fêtant sa décoration… Quand on embarque sur le U-96, seul un jeune « commissaire politique » est un authentique nazi, et il va vite perdre ses illusions…
Les autres membres d’équipage n’ont pas d’opinion, ouvriers au service d’une guerre sous-marine déjà perdue, qui ne cherchent qu’à survivre au milieu des vapeurs de mazout. C’est le génie de Petersen de filmer cette chair à canon aux visages blafards couverts de sueur et de graisse, sous des néons rouges et bleus*. C’est tout simplement l’humanité à l’os que filme le cinéaste ; son courage et sa lâcheté, sa détermination et sa peur.
Malheureusement, Wolfgang Petersen ne deviendra pas un grand cinéaste. Après L’Histoire sans Fin, il fera le voyage fatal Hambourg-Hollywood, passant de cinéaste-auteur à un bon faiseur de l’Usine à Rêves. Avec pas mal de bons films (Dans la ligne de mire, Air Force One, Troie), quelques nanars (Enemy, Troubles, Alerte ! Poséidon), mais sans nouveau coup d’éclat.
*Néons qui marqueront pour toujours Tony Scott (USS Alabama), et les ¾ de la production Simpson/Bruckheimer/Michael Bay …