[ Les gens ]



jeudi 28 juillet 2022


RIP Michel Schneider
posté par Professor Ludovico

Michel Schneider est mort, et nous sommes tristes. L’homme est surtout connu pour son livre sur Marilyn*, qui lui fit gagner l’Interallié. Mais pour le Professore, Michel Schneider est l’homme d’une émission, Apostrophes, et d’un livre, La Comédie de la Culture. Venu dans la première promouvoir le second, il lutta, seul contre tous, pendant près d’une heure contre les thuriféraires de Jack Lang et Pierre Boulez. Une heure qui changea à jamais Ludovico, qui courut acheter le livre et, douze ans plus tard, partit fonder CineFast.

Son brûlot dénonçait l’imposture d’un ministère de la Culture mécène plutôt que passeur. Un monde que connaissait bien Michel Schneider, lui qui avait été, sous Jack Lang, Directeur de la Musique et de la Danse.

Sa thèse était simple, et, malheureusement, toujours d’actualité. Dans l’Ancien Régime, les artistes vivaient au gré du goût (bon ou mauvais) du Prince. Si les Médicis aimaient les statues, on faisait des statues. Si Louis XV aimait la peinture, on peignait. C’était le goût d’un homme. Mais dans une démocratie, l’Etat est une communauté, il n’a pas de goût. Et il n’a pas à en avoir. Le rôle des fonctionnaires n’est pas de choisir les artistes, mais d’assurer leur diffusion : salles de spectacles, médiathèques, salles de cours et de répétition. C’est évidemment l’inverse que constate, de 1988 à 1991, Michel Schneider. La Comédie de la Culture s’attaque en fait à deux vaches sacrées : Jack Lang, ultra charismatique et indéboulonnable Ministre de la Culture, et Pierre Boulez. Le musicien contemporain a certes du talent, mais vit depuis Georges Pompidou de la commande publique : Éclat/Multiples, …Explosante-fixe…, Répons sont des œuvres payées par les deniers de l’état. Comment puis-je, explique Schneider, moi l’énarque formé à la Cour des Comptes, savoir ce qu’est de la bonne musique ? Sur quels critères dois-je décider de subventionner, ou non, Pierre Boulez ?

En 1993, Boulez est le pape de la Musique Contemporaine en France ; il a la mainmise sur un orchestre spécialisée (l’Ensemble Inter Contemporain), un centre de recherche (l’IRCAM) et bientôt une salle de spectacle (la Cité de la Musique). Ce quasi-monopole empêche la diffusion d’autres musiciens contemporains qui n’ont pas l’heur de lui plaire (Steve Reich, Philip Glass, John Adams). Et ce monopole absorbe une grande partie des ressources (900 millions de francs à l’époque) soit l’équivalent du budget de la Danse en France, ou celui de toutes les bibliothèques.

Quel rapport avec le cinéma ? Même si le fonctionnement est différent (c’est le cinéma américain, taxé, qui finance le cinéma français), la même thèse s’applique. Pour faire un film, il faut souvent passer par les fourches caudines de l’Etat (le CNC), qui juge ce qui est bien ou pas. Et déclenche ensuite les financements télé. C’est-à-dire un droit de vie ou de mort sur les films qui ne sont pas de grosses productions populaires…   

Depuis, Schneider a fait des émules dans la musique (Requiem pour une Avant-Garde, Benoit Duteurtre) ou au cinéma (la charge assassine Vincent Maraval en 2012).

Qu’il en soit remercié.

« Il y a en France un ministère de la Culture, singularité dans une démocratie. Depuis 1981, ses interventions se multiplient : événements, marchandises, consommations, la culture semble diverse et vivante. N’est-ce pas l’inverse ? La fièvre indique un malaise. Au-delà d’une critique de la culture de cour, avec ses mœurs, grimaces, travers et ridicules, il faut analyser les tensions qui toujours existent entre art et politique, culture et pouvoir. Car, menée par la gauche ou la droite, la politique culturelle recèle des risques. Les arts ont peut-être le ministère qu’ils méritent, et le ministère les artistes qui le justifient. Que l’art divorce d’avec le sens, la forme, le beau, qu’il ne dise plus rien à personne, qu’il n’y ait plus d’œuvres ni de public, qu’importe, du moment qu’il y a encore des artistes et des politiques, et qu’ils continuent de se soutenir : une subvention contre une signature au bas d’un manifeste électoral. Le rideau tombe, il faut juger la pièce. Ministère de la Culture ? Non, gouvernement des artistes. Mais on ne gouverne pas la culture, et elle n’est pas un moyen de gouvernement. Rien n’est pire qu’un prince qui se prend pour un artiste, si ce n’est un artiste qui se prend pour un prince. »




vendredi 22 juillet 2022


Casque d’Or
posté par Professor Ludovico

Jacques Becker, voilà un gars qui n’est pas manchot. Casque d’Or a beau raconter une histoire vraie, Becker ne s’emmerde pas avec le biopic*. Il a un film à faire, des enjeux à poser, une structure narrative à mettre en place. C’est ça qui compte.

On est en 1900, Casque d’Or est une jolie blonde qui tapine pour les voyous de l’époque, les Apaches**. Elle est avec Roland, un gars de la bande à Lecca. Mais justement le patron lorgne sur elle. Mais bien sûr, elle est amoureuse d’un autre, Manda (Serge Reggiani), ancien voyou reconverti en menuisier, évidemment marié.

Le triangle des tensions est installé, et tout ça va mal finir. C’est toute la force de Casque d’Or, de Heat, du Faucon Maltais ou de La Fièvre au Corps ; faire planer le fatum sur la tête des personnages. Tout pourrait s’arranger, mais tout va de plus en plus mal, car les hommes et les femmes sont comme ça… Hitchcock disait que la tragédie, c’est des gens qui font le contraire de leur intérêt. Casque d’Or, c’est exactement ça. Parfaitement amené, parfaitement mise en scène, parfaitement écrit (et bourré d’injures qui sonnent juste), ménageant son lot de surprises (le « tapin » final), Casque d’Or est un très grand film, étonnement moderne.

Et pas seulement parce qu’au milieu de Casque d’Or trône la reine Simone. Signoret, au sommet de sa beauté, comme un rayon de soleil. Becker l’a compris, et il la filme.

Comme on filme le soleil.

* Il inverse ainsi la réalité : C’est Manda qui avait agressé Lecca.

**Appelés ainsi parce que la presse – déjà ! – compare les affrontements entre bandes à ceux du Far West




mercredi 20 juillet 2022


Romy Schneider
posté par Professor Ludovico

Pour les gens de ma génération, Romy Schneider n’est pas un fantasme. Elle était trop belle et nous étions trop jeunes ; cela viendrait plus tard : Isabelle Adjani, Kathleen Turner, Debra Winger,…

Mais pour les préadolescents des années 70, Romy était une très belle tante, qui venait diner le dimanche midi (chez Drucker) ou le soir (un film de Sautet)…  Une quadra sérieuse, séduisante, et souriante ; une gentille allemande, nous qui étions encore élevés dans les souvenirs de l’Occupation. Un élément de réconciliation franco-allemande, comme Curd Jürgens, Gert Fröbe, Hardy Krüger, mais en plus sexy…

En découvrant ses films, via les Sissi sous injonction maternelle, nous en apprenions plus sur notre mère (et son goût douteux pour les fastes d’antan et les pauvres princesses) que sur Romy Schneider elle-même. Il fallut La Piscine, et son fameux « si je t’attrape, je t’encule… » pour découvrir Schneider la sexuelle. Mais paradoxalement, le plus grand choc fut Ludwig, où Sissi impératrice reprenait du service version réaliste, c’est à dire Elisabeth d’Autriche. Le film de Visconti opéra comme un ouvre-boîte du mystère Schneider.

Avec Ludwig, Romy Schneider règle en effet ses comptes avec Sissi, ce qu’expliqua brillamment une exposition à Boulogne-Billancourt : la jeune Rosemarie Magdalena Albach, forcée de jouer dans l’Usine à Rêves par sa mère et son beau-père, et qui finit par fuir et trouver des nouveaux amours : Delon, puis la France. Qui le lui rend bien : Plein Soleil, Les Choses de la Vie, La Piscine, Max et les Ferrailleurs, Le Train, Le Vieux Fusil, César et Rosalie, Le Train, Garde à Vue, La Passante du Sans-Souci …

Romy Schneider finira par divorcer d’avec l’Allemagne (en signant une pétition pro-avortement), et se fera même enterrer avec une étoile de David, elle qui n’était pas juive…

Pour en savoir plus, l’excellente collection de monographies Capricci vient de compléter sa collection avec le portrait de l’allemande préférée des français :
ROMY SCHNEIDER
Les actrices se brisent si facilement
Faustine Saint-Geniès




lundi 4 juillet 2022


Joe Turkel
posté par Professor Ludovico

La cinéphilie, on le dit sans arrêt, est un ensemble des petites choses. Parfois il suffit de quelques mots, une ligne de dialogue, un geste, pour graver pour toujours un souvenir dans l’esprit du CineFaster, souvenir qu’il emportera jusque dans la tombe.

C’est le cas de Joe Turkel, aperçu une première fois dans Shining, dans le rôle de Lloyd, barman satanique, peut-être le diable en personne. « Votre argent n’a aucune valeur ici…* » avait-il dit, le regard en biais, et cela avait suffi.

Nous n’étions pas CineFaster à l’époque, nous ne savions pas que Joe Turkel était un habitué de la maison Kubrick : un petit rôle (Tiny le bien nommé) dans L’Ultime Razzia, et un rôle plus conséquent, Pierre Arnaud, soldat sacrifié des Sentiers de la Gloire.

Mais surtout, bien sûr, Eldon Tyrell, le magnat créateur de réplicants dans Blade Runner : « Chaque fois qu’une lumière brûle deux fois plus, elle brille deux fois moins longtemps. Et tu as brûlé on ne peut plus brillamment, Roy !** » réplique suivi d’une mort tout aussi inoubliable, quand le fils réplicant tue le père en lui crevant les yeux.

Joe Turkel, le vrai, est mort de sa belle mort le 27 juin dernier à Santa Monica, âgé de 94 ans.

*“Your money is no good here. Orders from the house.”

**“The light that burns twice as bright burns half as long, and you have burned so very, very brightly, Roy.”




vendredi 17 juin 2022


Trintignant
posté par Professor Ludovico

Et Dieu… créa la femme, Le Fanfaron, Paris brûle-t-il ? L’Américain, Sans mobile apparent, Flic Story, Le Désert des Tartares, L’Argent des autres, La Banquière, La Terrasse, Une affaire d’hommes, Malevil, Le Grand Pardon, Le Bon Plaisir, Bunker Palace Hôtel, L’Instinct de l’ange, Trois Couleurs  Rouge, Regarde les hommes tomber, La Cité des enfants perdus, Un héros très discret, Amour…

Le Professore Ludovico n’a vu – que ! – 22 des 146 films interprétés par le plus grand acteur français vivant, Jean-Louis Trintignant. Une carrière commencée en 1956, à 26 ans dans Si tous les gars du monde de Christian-Jaque, et jamais achevée puisqu’il tournait encore dans un Lelouch, quelques mois avant sa mort, survenue aujourd’hui à Uzès.

Entretemps, Jean-Louis Trintignant aura promené sa silhouette longiligne, son sourire carnassier et sarcastique, et cette voix – quelle voix ! – dans la plus belle brochette de réalisateurs : Roger Vadim, Abel Gance, Georges Franju, Robert Hossein, Jacques Demy, Dino Risi, Alain Cavalier, Costa-Gavras, René Clément, Claude Lelouch, Claude Chabrol, Éric Rohmer, Bernardo Bertolucci, Yves Boisset, Jacques Deray, André Téchiné, Bertrand Blier, Michael Haneke, Ettore Scola, Michel Deville, Christian de Chalonge, François Truffaut, Roger Spottiswoode, Robert Enrico, Krzysztof Kieślowski, Jean-Pierre Jeunet Patrice Chéreau Alexandre Arcady, Yves Boisset, Alexandre Astruc, Alain Cavalier…

Et, évidemment, Stanley Kubrick, qui l’avait choisi pour doubler Jack Nicholson dans Shining. Son « Chérie, ne t’inquiètes pas, je ne vais pas te faire de mal, je vais juste T’EXPLOSER LA GUEULE » résonne encore dans nos oreilles, quarante après…




vendredi 6 mai 2022


Val
posté par Professor Ludovico

Il y a des acteurs qui sont comme des frères. Ils ont notre âge : comme nous, ils ont fait des bêtises à vingt ans, se sont mariés à trente et ont eu des enfants en même temps que nous.

Un frère, c’est ce qu’on ressent quand Val Kilmer, qu’on avait perdu de vue depuis les années 2000 (Déjà Vu), décide de nous donner de ses nouvelles dans Val, son extraordinaire – et terriblement émouvante – autobiographie filmée.

Le voilà, méconnaissable : la soixantaine, bouffi, mal rasé, habillé comme sorcière Navajo, les bras chargés de bijoux. Il s’exprime difficilement, au travers d’un implant phonatoire : il sort d’un cancer de la gorge et vit avec une trachéotomie. On est loin d’Iceman, le beau gosse aux dents blanches et au torse imberbe.

L’acteur raconte son histoire, depuis le début, car oui, nous sommes dans la génération où tout a été filmé, de la naissance à la mort. Son enfance, sa jeunesse et sa vie d’adulte, illustrés de milliers de photos, super8, VHS … On découvre un jeune acteur avant la célébrité, élève de la prestigieuse Julliard School. Un fou de théâtre, qui essaie de percer mais voilà, Hollywood le rattrape… Top Secret, Top Gun (qu’il est obligé d’accepter par contrat !) Willow, The Doors…

Il accepte ensuite Batman Forever, le héros de son enfance. Un rôle qui le rend immensément riche, et intensément malheureux. Il pense être le héros du film, mais les rôles excitants sont ceux des Vilains : Jim Carrey (le Sphinx), Tommy Lee Jones (Double-Face). Au contraire, Kilmer passe des journées épuisantes dans son costume, a du mal à respirer sous le masque, n’entend personne, et comprend vite qu’il n’a qu’à se placer à l’endroit indiqué et débiter son texte. Pour quelques millions de dollars, on n’attend rien de plus de la star. Lui qui s’est plongé jadis dans la Méthode, le tournage est un supplice sans fin. Dès le tournage terminé, il se jette immédiatement dans Heat, « un film indé, comparé à Batman… »

Mais contrairement à d’autres, il n’a pas l’audace de se plaindre. « J’ai eu une belle vie », dit-il. Tombé amoureux de la magnifique Joanne Whalley (Willow, Kill Me Again, Troubles, Storyville), il l’épouse, lui fait deux enfants, achète un ranch au Nouveau Mexique. Et puis ils divorcent, comme tout le monde…

Toujours proche de ses enfants (c’est son fils qui enregistre la voix off à la place de son père), il est obligé de vendre son ranch pour payer ses dettes, cachetonne dans des films Direct to Video, monte un one-man-show sur Mark Twain, et découvre son cancer… et puis, comme tout un chacun, essaie de continuer à vivre.

« N’abandonnez pas vos illusions… Si elles disparaissent, vous existez, mais vous cessez de vivre » conclut-il, déguisé avec son fils en Batman d’opérette : le Batman de son enfance.




mardi 26 avril 2022


Et Moi, et Moix, Emois… part deux, le(s) séquel(les)
posté par Professor Ludovico

Le petit mythomane victimaire a encore frappé. Après Orléans (sévices familiaux), après Reims (école de commerce), Yann Moix raconte son service militaire dans Verdun. Le Professore Ludovico s’intéresse très peu à l’auteur imputrescible de Podium, mais beaucoup à la créature médiatique et son biotope.

Mais là, impossible de laisser passer. Le jeune Moix a fait son service à l’Ecole d’Application d’Artillerie puis au 3ème Régiment d’Artillerie de Marine, à Verdun. Pas de chance, l’aspirant Ludovico est aussi artilleur : il a fait ses classes à l’EAA à la même période (1987), puis au 3ème Régiment d’Hélicoptères de Combat à Etain (20,5 km de Verdun)*. On allait voir ce qu’on allait voir.

On a vu.

Passons rapidement sur la forme : Moix se prend pour Péguy, mais n’est pas écrivain qui veut. Son style est ampoulé, verbeux ; rien de pire que quelqu’un prétend jouer la Ligue des Champions alors qu’il est remplaçant en National**.

Passons rapidement sur le fond : ce livre est – à nouveau –  l’inventaire des haines recuites de Yann Moix. Qui ne rencontre à l’armée que des nuls, des misérables, des loqueteux, et qui ne lie aucune amitié, ce qui est assez symptomatique. Car quel que soit votre expérience du Service National, vous avez toujours un copain de régiment qui traine, un souvenir cocasse, deux gars qui s’entraident, ou un adjudant sympa. Mais chez Moix, l’enfer, c’est les autres.*** Mépris pour les prolos qu’il encadre ; mépris pour ses camarades aspirants officiers, tous bizarrement issus de l’élite****.

Ce n’est pas ça qu’on retiendra ici, mais plutôt l’exercice de mythomanie qui le caractérise. En douze mois, il arrive à l’aspirant Moix plus de malheurs qu’à un Poilu de 14 : trois copains suicidés, un élève aspirant sodomisé par son père, un autre qui finit dans une secte, un autre meurt du sida, un soldat est agressé au couteau, et Yann Moix lui-même est menacé de mort, puis agressé. A l’évidence, l’écrivain a vécu plusieurs services militaires, issus de souvenirs de quelques camarades. Ce n’est pas grave, puisqu’évidemment il y a marqué Roman sur la couverture ; comme d’habitude le mode de défense bidirectionnel des BOATS*****. 

C’est par ailleurs dommage, car il y a matière, dans Verdun, à raconter honnêtement ce moment de vie des mâles de notre génération. Le Service National était une chose à la fois absurde et drôle, éprouvante et fun, inutile et enthousiasmante, stupide et grandiose.

Mais l’essentiel n’est pas là. C’est plutôt la posture victimaire qui habite tout le roman, car il s’agit bien d’un roman, à ce niveau-là de mensonges. Yann Moix s’ennuie, souffre le martyre (en gros, il a des ampoules), et le Service National est une terrible épreuve pour lui. Mais il oublie l’essentiel. Il est EOR (Elève Officier de Réserve) : il a voulu tout cela, et il ne le dit pas. Mais pour les initiés, il a laissé un indice qui le trahit : le premier chapitre s’intitule PPEOR, c’est à dire Peloton Préparatoire aux Elèves Officiers de Réserve. Pour faire le PPEOR, il fallait le demander. C’était un choix proposé lors des fameux « Trois jours ». Ceux qui le faisaient avaient plusieurs motivations : partir plus tôt, choisir leur affectation, devenir officier et donc faire un service plus intéressant et plus confortable. En clair, c’était un choix ! Connaissant son passé (conflits familiaux, révolte contre le système, petit passage facho), ce choix semble tout à fait cohérent… Il n’y aurait aucune honte à le dire, et le regard d’un homme de cinquante ans assumant les conneries de ses vingt ans serait intéressant…

Mais cela ne rentre en aucune façon dans le roman qu’écrit, depuis bien longtemps, Yann sur Moix…

*Eh oui ! Contrairement à ce qu’il raconte, le Professore n’a pas participé à l’assaut de Peleliu avec ses Marines

** Dans un moment d’auto-clairvoyance involontaire, il écrit d’ailleurs : « Ce qui nous paraissait superbe chez un auteur, voilà que l’auteur suivant nous en fait un misérable tas de fumier ».

*** Qui ont compris à qui ils avaient affaire : page 199, un des collègues aspirant le décrit : « Ross établit la liste de mes défauts, dont le plus grave était l’égocentrisme. Tu ne t’intéresses qu’à ta gueule. Le reste n’existe pas. Les autres sont pour toi des abstractions. Si tu étais encore intéressant… mais tu ne l’es pas. Tu es un sale con. »

**** En 1987, j’avais un polytechnicien (sur 80 EOR), Moix en a quarante…  

*****Si le lecteur doute, on lui assène la vérité vraie du Récit, si on arrive à prouver que c’est faux (comme on tente de le faire ici), c’est du Roman.




mardi 15 mars 2022


Francis Huster, le Misanthrope, l’Ukraine, et le joueur de ping-pong
posté par Professor Ludovico

Si on doutait que le Merveilleux Métier de la Scène et du Spectacle pouvait rendre fou, les exemples sont là. Les multiples comédiens rendu dingos par Kubrick (Shelley Duvall, Marisa Berenson,Malcolm McDowell), par Hitchcock (Tippi Hedren), les personnalités déjà limites (Bela Lugosi, Tom Cruise, Pee Wee Herman, Sean Young…), les gars défoncés à la Méthode (Jim Carrey, Pacino) ou boursouflés par le triomphe (De Niro, Depardieu, Adjani…) Certains ont préféré carrément quitter le Métier (Kathleen Turner, Debra Winger) plutôt que de finir en hôpital psychiatrique.

Mais il est rare d’en avoir l’incarnation live. Nous avions déjà attiré l’attention du Cinefaster sur le show Godard, l’été dernier. C’est au tour de Francis Huster.

Adèle Van Reeth ne se doutait pas, en invitant le sociétaire de la Comédie Française dans son émission Les Chemins de la Philosophie, sur France Culture, qu’elle allait tomber sur une tornade.

Pourtant Huster est coutumier du fait. Comme tous les théâtreux, il a tendance à en faire des tonnes. Mais là, c’est un chef d’œuvre d’humour involontaire, de melon surdimensionné, et de vacheries confraternelles. Invité à parler du Misanthrope, Huster parle surtout de lui, Francis Huster : sa vie, son œuvre. Classique, sauf que ça part carrément en vrille. L’Ukraine, Joe Biden, JFK, le Pape, le Christ, et Fabrice Lucchini (« joueur de ping-pong ») avec une séance de drague plutôt gênante entre la présentatrice 39 ans et le vieux beau de 74 printemps.

Et évidemment, mansplaining à tous les étages, « Laissez-moi vous expliquer, Adèle… » Sachant que la demoiselle a fait Normale Sup et l’autre le Cours Florent, c’est assez réjouissant. C’est en tout cas la meilleure comédie du mois, et comme dirait le joueur de ping-pong, « c’est énooooorme ! », et c’est ici.




lundi 14 mars 2022


William Hurt
posté par Professor Ludovico

On a du mal à imaginer, si l’on n’est pas une femme de cinquante ans, ce que représentait William Hurt dans les eighties. En un film, Le Baiser de la Femme Araignée – où il incarnait paradoxalement un homosexuel – il avait brisé le cœur des cinefasteuses. Pour notre part, on l’avait découvert en avocat amoureux de Kathleen Turner, pris dans le piège floridien de La Fièvre au Corps. Il était aussitôt devenu un argument pour aller voir en salle ses autres films : Au-delà du Réel, Les Copains d’Abord, Voyageur Malgré Lui…

Mais cet acteur fin, capable de jouer les salauds comme les héros, a eu une carrière de bimbo hollywoodienne. Ce qui arrive tout le temps aux femmes – et rarement aux hommes – lui tomba dessus : ses grands rôles étaient liés à sa beauté. Celle-ci, une fois éclipsée, le cantonna dans des seconds rôles, même si ce fut de beaux seconds rôles (Smoke, ou le fabuleux Dark City d’Alex Proyas).

Et comme ses collègues féminines, il réapparut dans sa cinquantaine, au tournant des années 2000, souvent dans des rôles de méchants : A.I., Le Village, A History of Violence, Raisons d’État, Into the Wild, ou Avengers. Il eut aussi des rôles remarquables à la télé : le Duc Leto Atréides dans l’horrible série Dune, mais aussi Damages, Goliath, Condor

Il y promenait toujours sa grande carcasse, sa coolitude absolue, ses cheveux blonds et fins sur une calvitie précoce, mais surtout ce regard – doux ou cinglé, c’était selon.

Adieu Monsieur Hurt.




samedi 15 janvier 2022


Jean-Jacques Beineix
posté par Professor Ludovico

Jean-Jacques Beineix est mort, et le Professore se sent vieux.

Bien sûr, il ne faut pas revoir les films de Beineix. La cinéphilie, c’est beaucoup plus compliqué que ça. La cinéphilie, ce n’est pas un cerveau qui analyse, mais un cœur qui bat. Un cœur qui a battu très fort entre 1980 et 1987 pour les trois meilleurs films (les seuls* ?) de Jean-Jacques Beineix. Diva. La Lune dans le Caniveau. 37°2 le Matin. Trois films qui parlent directement au cœur adolescent : amours impossibles, désespoir tranquille et mort qui rôde. Mieux, trois films qui inventaient une nouvelle poésie, désormais la nôtre. Pas celle des profs, des parents, du Lagarde et Michard ou de Marcel Carné. Non, notre poésie eighties, rock, pour nous. Contre le monde.   

Diva était un choc esthétique, sentimental, le petit postier amoureux de la grande cantatrice noire**. Musique classique et polar. On voulait tartiner zen avec Gorodish et habiter dans le loft au néons bleus d’Alba.

La Lune dans Le Caniveau était un film raté ; nous le savions, mais c’était notre film maudit. Un port stylisé en studio, une maison sur la colline et une lune gigantesque. Et Nastassja Kinski dans sa Ferrari rouge, et Victoria Abril en robe orange sur sa balançoire. C’était nos Enfants du Paradis à nous, en couleurs : rouge rouille, rouge sang.  

Et puis vint 37°2 le Matin, LE film, NOTRE film. L’amour jusqu’à la folie, Béatrice Dalle, ses seins, ses dents écartées, et son regard perdu. Yves Duteil et un piano sur une remorque. Un chili con carne renversé sur la tête de Jean-Hugues Anglade. Et la belle Annie (Clémentine Célarié), en mal de sexe, en mal d’amour.

On le voit : il n’est ici pas question de cinéma, pas question de dramaturgie, pas question d’esthétique pubeuse, ou non. On est bien au-delà.

L’amour est aveugle.

*Roselyne et les Lions, IP5 : L’île aux Pachydermes, Mortel Transfert

** Banalité aujourd’hui, rareté à l’époque




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