Le petit mythomane victimaire a encore frappé. Après Orléans (sévices familiaux), après Reims (école de commerce), Yann Moix raconte son service militaire dans Verdun. Le Professore Ludovico s’intéresse très peu à l’auteur imputrescible de Podium, mais beaucoup à la créature médiatique et son biotope.
Mais là, impossible de laisser passer. Le jeune Moix a fait son service à l’Ecole d’Application d’Artillerie puis au 3ème Régiment d’Artillerie de Marine, à Verdun. Pas de chance, l’aspirant Ludovico est aussi artilleur : il a fait ses classes à l’EAA à la même période (1987), puis au 3ème Régiment d’Hélicoptères de Combat à Etain (20,5 km de Verdun)*. On allait voir ce qu’on allait voir.
On a vu.
Passons rapidement sur la forme : Moix se prend pour Péguy, mais n’est pas écrivain qui veut. Son style est ampoulé, verbeux ; rien de pire que quelqu’un prétend jouer la Ligue des Champions alors qu’il est remplaçant en National**.
Passons rapidement sur le fond : ce livre est – à nouveau – l’inventaire des haines recuites de Yann Moix. Qui ne rencontre à l’armée que des nuls, des misérables, des loqueteux, et qui ne lie aucune amitié, ce qui est assez symptomatique. Car quel que soit votre expérience du Service National, vous avez toujours un copain de régiment qui traine, un souvenir cocasse, deux gars qui s’entraident, ou un adjudant sympa. Mais chez Moix, l’enfer, c’est les autres.*** Mépris pour les prolos qu’il encadre ; mépris pour ses camarades aspirants officiers, tous bizarrement issus de l’élite****.
Ce n’est pas ça qu’on retiendra ici, mais plutôt l’exercice de mythomanie qui le caractérise. En douze mois, il arrive à l’aspirant Moix plus de malheurs qu’à un Poilu de 14 : trois copains suicidés, un élève aspirant sodomisé par son père, un autre qui finit dans une secte, un autre meurt du sida, un soldat est agressé au couteau, et Yann Moix lui-même est menacé de mort, puis agressé. A l’évidence, l’écrivain a vécu plusieurs services militaires, issus de souvenirs de quelques camarades. Ce n’est pas grave, puisqu’évidemment il y a marqué Roman sur la couverture ; comme d’habitude le mode de défense bidirectionnel des BOATS*****.
C’est par ailleurs dommage, car il y a matière, dans Verdun, à raconter honnêtement ce moment de vie des mâles de notre génération. Le Service National était une chose à la fois absurde et drôle, éprouvante et fun, inutile et enthousiasmante, stupide et grandiose.
Mais l’essentiel n’est pas là. C’est plutôt la posture victimaire qui habite tout le roman, car il s’agit bien d’un roman, à ce niveau-là de mensonges. Yann Moix s’ennuie, souffre le martyre (en gros, il a des ampoules), et le Service National est une terrible épreuve pour lui. Mais il oublie l’essentiel. Il est EOR (Elève Officier de Réserve) : il a voulu tout cela, et il ne le dit pas. Mais pour les initiés, il a laissé un indice qui le trahit : le premier chapitre s’intitule PPEOR, c’est à dire Peloton Préparatoire aux Elèves Officiers de Réserve. Pour faire le PPEOR, il fallait le demander. C’était un choix proposé lors des fameux « Trois jours ». Ceux qui le faisaient avaient plusieurs motivations : partir plus tôt, choisir leur affectation, devenir officier et donc faire un service plus intéressant et plus confortable. En clair, c’était un choix ! Connaissant son passé (conflits familiaux, révolte contre le système, petit passage facho), ce choix semble tout à fait cohérent… Il n’y aurait aucune honte à le dire, et le regard d’un homme de cinquante ans assumant les conneries de ses vingt ans serait intéressant…
Mais cela ne rentre en aucune façon dans le roman qu’écrit, depuis bien longtemps, Yann sur Moix…
*Eh oui ! Contrairement à ce qu’il raconte, le Professore n’a pas participé à l’assaut de Peleliu avec ses Marines
** Dans un moment d’auto-clairvoyance involontaire, il écrit d’ailleurs : « Ce qui nous paraissait superbe chez un auteur, voilà que l’auteur suivant nous en fait un misérable tas de fumier ».
*** Qui ont compris à qui ils avaient affaire : page 199, un des collègues aspirant le décrit : « Ross établit la liste de mes défauts, dont le plus grave était l’égocentrisme. Tu ne t’intéresses qu’à ta gueule. Le reste n’existe pas. Les autres sont pour toi des abstractions. Si tu étais encore intéressant… mais tu ne l’es pas. Tu es un sale con. »
**** En 1987, j’avais un polytechnicien (sur 80 EOR), Moix en a quarante…
*****Si le lecteur doute, on lui assène la vérité vraie du Récit, si on arrive à prouver que c’est faux (comme on tente de le faire ici), c’est du Roman.
posté par Professor Ludovico
La cinéphilie, c’est l’art du rapprochement. Qui a tourné avec qui ? Qui a produit le film dont X était le réalisateur ? Voir un film, puis en voir un autre, et leur trouver des points communs. Revoir Citizen Kane pour éduquer la jeunesse, et, le lendemain, voir pour la première fois Massacre à la Tronçonneuse. Le point commun ? Quel point commun ? Deux classiques du genre, en fait. Ou plutôt, un classique, LE Classique, le Classique des Classiques, et la Première Pierre du Slasher. Mais dans les deux cas, ces films ont mal vieilli.
Citizen Kane
Le premier visionnage, au début des années 80, nous avait émerveillé. Mais nous étions probablement hypés par Claude Jean-Philippe, qui présentait le Ciné-Club d’Antenne2, tous les vendredis soir : Orson Welles, le cinéaste maudit, Orson Welles, seul contre Hollywood, Orson Welles, le premier à filmer des plafonds, à faire des travellings inexplicables à travers le néon du night-club, à cadrer d’improbables doubles focales, etc., etc. Ce n’est pas pour rien que Citizen Kane est considéré comme le plus grand film de l’histoire du cinéma.
Mais aujourd’hui, le film est bizarrement vide. On pense, sans totalement oser, au cinéma esthétisant à la manière de Jeunet/Scott/Jimenez. Un cinéma formellement impressionnant mais qui ne s’occupe guère de ses personnages. Avec une différence majeure, évidemment : Citizen Kane a quelque chose à dire sur l’Amérique, sur l’argent qui détruit, sur l’idéalisme qui se dissout dans la corruption du pouvoir.
Si le film de Welles reste très efficace, en déroulant l’histoire de son protagoniste dans un immense flashback (très cut pour l’époque), le film peine aujourd’hui à nous émouvoir. A l’instar de son protagoniste, Charles Foster Kane (Orson Welles), un type brillant, balançant punchline sur punchline. Les témoignages extérieurs (son épouse, son meilleur ami (Joseph Cotten*)) contrebalancent malignement ce portrait hagiographique, mais il faut arriver à la toute fin du film pour toucher du doigt la détresse du personnage. Et saluer au passage la métamorphose incroyable de Welles en Kane âgé – il n’a que vingt-cinq ans au moment du tournage. On commence enfin à ressentir quelque chose. Charles Foster Kane avait tout, mais il lui manquait l’essentiel, ce qui n’existe plus : l’enfance, une luge, Rosebud.
Massacre à la Tronçonneuse
Le film de Tobe Hoper, 33 ans après Citizen Kane, n’est évidemment pas sur le même registre, mais c’est également une référence : le premier des slashers. Au contraire de Citizen Kane, ce Massacre peine à décoller : une bande de jeunes se balade au fin fond du Texas dans un Combi Volkswagen. Ils prennent en stop un type étrange, à moitié fou, avant de s’arrêter à cause d’une panne d’essence. Les voilà obligés de dormir dans une maison abandonnée. Les ennuis commencent… au bout de quarante-cinq minutes !
On voit bien l’installation du scénario-type du slasher (des crétins insouciants se font trucider par des rednecks revanchards) mais voilà, The Texas Chainsaw Massacre est le premier à l’exposer. Idem pour les séminales scènes gore : sculptures en os, masque en chair, giclées de sang et cadavres momifiés ont laissé une empreinte indélébile qu’on retrouve encore, cinquante ans plus tard, du Silence des Agneaux à True Detective.
Mais le film reste assez long et ennuyeux, et surtout pas drôle. Aujourd’hui, le slasher essaie souvent de produire une terreur de second degré (Scream, ou les remakes d’Alexandre Aja (La Colline a des Yeux, Piranhas)…
Pourquoi, alors, juxtaposer ces deux films ? Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des moules qui ont produit de brillantes copies. Mais si on le découvre aujourd’hui, le plaisir originel a disparu. Un peu d’admiration, mais beaucoup d’ennui. Il faut expliquer ce que ça représente dans l’histoire du cinéma, car c’est la seule trace qui reste. Des films moins formellement innovants comme Les Enfants du Paradis ou Seul les Anges ont des Ailes produisent encore de l’émotion : ces films sont toujours vivants. Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des films morts. Ils n’en sont pas moins passionnants..
*Malencontreusement confondu avec William Holden par un stagiaire, dans une version précédente de cet article. Merci le Rupelien !