[ Pour en finir avec … ]

On peut pas aimer tous les gens…



jeudi 28 juillet 2022


RIP Michel Schneider
posté par Professor Ludovico

Michel Schneider est mort, et nous sommes tristes. L’homme est surtout connu pour son livre sur Marilyn*, qui lui fit gagner l’Interallié. Mais pour le Professore, Michel Schneider est l’homme d’une émission, Apostrophes, et d’un livre, La Comédie de la Culture. Venu dans la première promouvoir le second, il lutta, seul contre tous, pendant près d’une heure contre les thuriféraires de Jack Lang et Pierre Boulez. Une heure qui changea à jamais Ludovico, qui courut acheter le livre et, douze ans plus tard, partit fonder CineFast.

Son brûlot dénonçait l’imposture d’un ministère de la Culture mécène plutôt que passeur. Un monde que connaissait bien Michel Schneider, lui qui avait été, sous Jack Lang, Directeur de la Musique et de la Danse.

Sa thèse était simple, et, malheureusement, toujours d’actualité. Dans l’Ancien Régime, les artistes vivaient au gré du goût (bon ou mauvais) du Prince. Si les Médicis aimaient les statues, on faisait des statues. Si Louis XV aimait la peinture, on peignait. C’était le goût d’un homme. Mais dans une démocratie, l’Etat est une communauté, il n’a pas de goût. Et il n’a pas à en avoir. Le rôle des fonctionnaires n’est pas de choisir les artistes, mais d’assurer leur diffusion : salles de spectacles, médiathèques, salles de cours et de répétition. C’est évidemment l’inverse que constate, de 1988 à 1991, Michel Schneider. La Comédie de la Culture s’attaque en fait à deux vaches sacrées : Jack Lang, ultra charismatique et indéboulonnable Ministre de la Culture, et Pierre Boulez. Le musicien contemporain a certes du talent, mais vit depuis Georges Pompidou de la commande publique : Éclat/Multiples, …Explosante-fixe…, Répons sont des œuvres payées par les deniers de l’état. Comment puis-je, explique Schneider, moi l’énarque formé à la Cour des Comptes, savoir ce qu’est de la bonne musique ? Sur quels critères dois-je décider de subventionner, ou non, Pierre Boulez ?

En 1993, Boulez est le pape de la Musique Contemporaine en France ; il a la mainmise sur un orchestre spécialisée (l’Ensemble Inter Contemporain), un centre de recherche (l’IRCAM) et bientôt une salle de spectacle (la Cité de la Musique). Ce quasi-monopole empêche la diffusion d’autres musiciens contemporains qui n’ont pas l’heur de lui plaire (Steve Reich, Philip Glass, John Adams). Et ce monopole absorbe une grande partie des ressources (900 millions de francs à l’époque) soit l’équivalent du budget de la Danse en France, ou celui de toutes les bibliothèques.

Quel rapport avec le cinéma ? Même si le fonctionnement est différent (c’est le cinéma américain, taxé, qui finance le cinéma français), la même thèse s’applique. Pour faire un film, il faut souvent passer par les fourches caudines de l’Etat (le CNC), qui juge ce qui est bien ou pas. Et déclenche ensuite les financements télé. C’est-à-dire un droit de vie ou de mort sur les films qui ne sont pas de grosses productions populaires…   

Depuis, Schneider a fait des émules dans la musique (Requiem pour une Avant-Garde, Benoit Duteurtre) ou au cinéma (la charge assassine Vincent Maraval en 2012).

Qu’il en soit remercié.

« Il y a en France un ministère de la Culture, singularité dans une démocratie. Depuis 1981, ses interventions se multiplient : événements, marchandises, consommations, la culture semble diverse et vivante. N’est-ce pas l’inverse ? La fièvre indique un malaise. Au-delà d’une critique de la culture de cour, avec ses mœurs, grimaces, travers et ridicules, il faut analyser les tensions qui toujours existent entre art et politique, culture et pouvoir. Car, menée par la gauche ou la droite, la politique culturelle recèle des risques. Les arts ont peut-être le ministère qu’ils méritent, et le ministère les artistes qui le justifient. Que l’art divorce d’avec le sens, la forme, le beau, qu’il ne dise plus rien à personne, qu’il n’y ait plus d’œuvres ni de public, qu’importe, du moment qu’il y a encore des artistes et des politiques, et qu’ils continuent de se soutenir : une subvention contre une signature au bas d’un manifeste électoral. Le rideau tombe, il faut juger la pièce. Ministère de la Culture ? Non, gouvernement des artistes. Mais on ne gouverne pas la culture, et elle n’est pas un moyen de gouvernement. Rien n’est pire qu’un prince qui se prend pour un artiste, si ce n’est un artiste qui se prend pour un prince. »




mardi 26 avril 2022


Et Moi, et Moix, Emois… part deux, le(s) séquel(les)
posté par Professor Ludovico

Le petit mythomane victimaire a encore frappé. Après Orléans (sévices familiaux), après Reims (école de commerce), Yann Moix raconte son service militaire dans Verdun. Le Professore Ludovico s’intéresse très peu à l’auteur imputrescible de Podium, mais beaucoup à la créature médiatique et son biotope.

Mais là, impossible de laisser passer. Le jeune Moix a fait son service à l’Ecole d’Application d’Artillerie puis au 3ème Régiment d’Artillerie de Marine, à Verdun. Pas de chance, l’aspirant Ludovico est aussi artilleur : il a fait ses classes à l’EAA à la même période (1987), puis au 3ème Régiment d’Hélicoptères de Combat à Etain (20,5 km de Verdun)*. On allait voir ce qu’on allait voir.

On a vu.

Passons rapidement sur la forme : Moix se prend pour Péguy, mais n’est pas écrivain qui veut. Son style est ampoulé, verbeux ; rien de pire que quelqu’un prétend jouer la Ligue des Champions alors qu’il est remplaçant en National**.

Passons rapidement sur le fond : ce livre est – à nouveau –  l’inventaire des haines recuites de Yann Moix. Qui ne rencontre à l’armée que des nuls, des misérables, des loqueteux, et qui ne lie aucune amitié, ce qui est assez symptomatique. Car quel que soit votre expérience du Service National, vous avez toujours un copain de régiment qui traine, un souvenir cocasse, deux gars qui s’entraident, ou un adjudant sympa. Mais chez Moix, l’enfer, c’est les autres.*** Mépris pour les prolos qu’il encadre ; mépris pour ses camarades aspirants officiers, tous bizarrement issus de l’élite****.

Ce n’est pas ça qu’on retiendra ici, mais plutôt l’exercice de mythomanie qui le caractérise. En douze mois, il arrive à l’aspirant Moix plus de malheurs qu’à un Poilu de 14 : trois copains suicidés, un élève aspirant sodomisé par son père, un autre qui finit dans une secte, un autre meurt du sida, un soldat est agressé au couteau, et Yann Moix lui-même est menacé de mort, puis agressé. A l’évidence, l’écrivain a vécu plusieurs services militaires, issus de souvenirs de quelques camarades. Ce n’est pas grave, puisqu’évidemment il y a marqué Roman sur la couverture ; comme d’habitude le mode de défense bidirectionnel des BOATS*****. 

C’est par ailleurs dommage, car il y a matière, dans Verdun, à raconter honnêtement ce moment de vie des mâles de notre génération. Le Service National était une chose à la fois absurde et drôle, éprouvante et fun, inutile et enthousiasmante, stupide et grandiose.

Mais l’essentiel n’est pas là. C’est plutôt la posture victimaire qui habite tout le roman, car il s’agit bien d’un roman, à ce niveau-là de mensonges. Yann Moix s’ennuie, souffre le martyre (en gros, il a des ampoules), et le Service National est une terrible épreuve pour lui. Mais il oublie l’essentiel. Il est EOR (Elève Officier de Réserve) : il a voulu tout cela, et il ne le dit pas. Mais pour les initiés, il a laissé un indice qui le trahit : le premier chapitre s’intitule PPEOR, c’est à dire Peloton Préparatoire aux Elèves Officiers de Réserve. Pour faire le PPEOR, il fallait le demander. C’était un choix proposé lors des fameux « Trois jours ». Ceux qui le faisaient avaient plusieurs motivations : partir plus tôt, choisir leur affectation, devenir officier et donc faire un service plus intéressant et plus confortable. En clair, c’était un choix ! Connaissant son passé (conflits familiaux, révolte contre le système, petit passage facho), ce choix semble tout à fait cohérent… Il n’y aurait aucune honte à le dire, et le regard d’un homme de cinquante ans assumant les conneries de ses vingt ans serait intéressant…

Mais cela ne rentre en aucune façon dans le roman qu’écrit, depuis bien longtemps, Yann sur Moix…

*Eh oui ! Contrairement à ce qu’il raconte, le Professore n’a pas participé à l’assaut de Peleliu avec ses Marines

** Dans un moment d’auto-clairvoyance involontaire, il écrit d’ailleurs : « Ce qui nous paraissait superbe chez un auteur, voilà que l’auteur suivant nous en fait un misérable tas de fumier ».

*** Qui ont compris à qui ils avaient affaire : page 199, un des collègues aspirant le décrit : « Ross établit la liste de mes défauts, dont le plus grave était l’égocentrisme. Tu ne t’intéresses qu’à ta gueule. Le reste n’existe pas. Les autres sont pour toi des abstractions. Si tu étais encore intéressant… mais tu ne l’es pas. Tu es un sale con. »

**** En 1987, j’avais un polytechnicien (sur 80 EOR), Moix en a quarante…  

*****Si le lecteur doute, on lui assène la vérité vraie du Récit, si on arrive à prouver que c’est faux (comme on tente de le faire ici), c’est du Roman.




vendredi 14 janvier 2022


Les Tontons Flingueurs
posté par Professor Ludovico

Dire du mal des Tontons Flingueurs ? Difficile exercice… Le film de Georges Lautner dialogué par Audiard est l’œuvre patrimoniale s’il en est, vénérée de génération en génération. Pour autant, il faut en finir avec l’idée que ces Tontons sont un chef-d’œuvre du 7ème art. Bourré de répliques culte, certes, mais un film très mal fait.

On ne passera pas trop de temps sur le côté totalement anachronique des Tontons Flingueurs. Les colères de Fernand Naudin (Lino Ventura) nous semblent totalement incompréhensibles aujourd’hui, et surtout, totalement surjouées. Idem sur les dialogues connus par cœur, mais qui ont définitivement popularisé des mots aujourd’hui familiers : canner, défourailler, plombe, valoche, came, vioque

Mais côté cinéma, c’est autre chose. La construction du film est bancale et manque de rythme. Le film est long, très long, et très très lent. Les scènes d’action sont cheap, et le plus souvent ridicules, ce qui n’est pas toujours volontaire.

Mais c’est dans les détails que les Tontons pèchent. Si l’on admet l’idée générale de l’ancien gangster, fidèle au Mexicain au point de s’occuper de sa nièce, il y a beaucoup d’incohérences dans les détails. Par exemple, on a du mal à suivre le personnage de Tomate, dont on finit par comprendre qu’il fait partie des bouilleurs de cru. Sur le mode viril-mais-correct, Ventura donne des ordres à tout le monde, mais est prêt à conduire lui-même le camion de son ennemi (chargé de pastis frelaté) plutôt que de le confier à un sous-fifre. Les Volfoni sont présenté comme une grande famille du jeu, qui « œuvre à Vegas », mais en réalité ce sont deux branques dans une péniche. Etc., etc.

Donc oui, il y a un patrimoine Tontons Flingueurs, éparpillé façon puzzle dans la culture française. Mais ceux qui viendront me dire que c’est un chef d’œuvre finiront au Terminus des Prétentieux…




jeudi 6 janvier 2022


Léa Seydoux (défense et illustration)
posté par Professor Ludovico

La France aime se tirer dans le pied. Qu’a fait Léa Seydoux pour mériter un tel mépris ? De la part des cinéphiles (« J’irais bien, même s’il y a la Seydoux »), et de la critique (« Y’a-t-il un film sans Léa Seydoux ? »*)

Mais que lui reproche-t-on exactement ? Elle est jeune et belle, mais d’une beauté particulière, masculine. Premier défaut. Elle n’a pas le charme rassurant, maternel, d’une Deneuve, ou d’une Efira. Au contraire, c’est ce regard perçant, intimidant, qui fait peur aux hommes et énerve les femmes, qui la met plutôt du côté d’Isabelle Adjani.

C’est la fille de son père ? Erreur commune. Le père travaille dans la hitech (il fabrique des drones). C’est son grand père, Jérôme, qui co-dirige Pathé. Pour autant, Léa Seydoux n’est pas la première fille à papa qui travaille dans le secteur. Le Professore peut en citer un paquet qui n’ont pas son talent (Lou Doillon, Marylou Berry, Nicolas Bedos), et, tout autant qui se débrouillent plutôt bien (Charlotte Gainsbourg, Eva Green, Louis Garrel…)

Mais pour juger, restons factuels. Qui a aujourd’hui la filmographie de la Seydoux, a fortiori à son âge (36 ans) ? Quelle actrice française a joué dans deux James Bond et un Mission Impossible ? Qui a travaillé pour Ridley Scott, Arnaud Desplechin, Abdellatif Kechiche, Wes Anderson, Quentin Tarantino, Woody Allen ? Qui a interprété des rôles aussi différents que Belle dans La Belle et la Bête, Karole de Grand Central,  Sidonie Laborde dans Les Adieux à la Reine, Tanya Kalekov dans Kursk, et Emma dans La Vie d’Adèle ?

Personne.

La France méprise le talent, et le vrai succès.

*Sempiternelle blague de Jérôme Garcin au Masque et la Plume




samedi 25 décembre 2021


On n’arrête pas l’Eco(nneries)
posté par Professor Ludovico

« Il va falloir sortir de cette économie de l’attention. Cette addiction, il faut nous dire comment on s’arrête. » C’était sur France Inter ce matin, dans On n’arrête pas l’Eco, l’émission a priori sérieuse d’Alexandra Bensaid.

On avait pris la phrase en cours ; on se disait donc qu’on parlait encore des effets désastreux des réseaux sociaux sur la jeunesse*.

Point du tout. On parlait de séries télévisées. Valérie Martin, qui a écrit un livre sur le sujet**, venait nous expliquer combien les séries étaient formatées par le marketing : on cocha donc toutes les cases habituelles du Bingo Bullshit : Addiction, Neuro Marketing, Showrunners dictatoriaux et scénaristes esclaves***…

On s’apprêtait à pleurer devant le niveau pathétique du débat, imaginant les mêmes, en 1844, vilipender Alexandre Dumas et son Monte Cristo trop addictif.

C’est alors qu’un grand éclat de rire nous sauva. La spécialiste des séries nous offrait une solution pour éviter cette terrible addiction : arrêter la lecture au milieu de l’épisode (sic), pour éviter le terrible Gliffhanger. (Resic)

Après le MEUPORG, le Gliffhanger est le nouveau symbole du niveau journalistique. AEn anglais, et, en l’occurrence, de la Dramaturgie.

Voilà nous rassura immédiatement sur le sérieux de l’émission.

C’était en direct de l’Esprit de Noël, Live sur CineFast.

* Il est d’ailleurs toujours plaisant de voir ces boomers s’inquiéter de ce sujet, eux-mêmes rivés sur leur compte Twitter ou Instagram…

** Valérie Martin Le charme discret des séries

*** Valérie Martin expliqua ainsi que Orange is the New Black était une idée sortie d’un focus group. Elle oublia que c’était avant tout l’adaptation de l’autobiographie de Piper Kerman.




mercredi 1 décembre 2021


Kelly Reichardt
posté par Professor Ludovico

On réalise qu’on a oublié de vous parler des films de Kelly Reichardt, que Le Grand Action a pourtant la bonne idée de diffuser en intégralité depuis la rentrée. On avait jusque-là eu accès uniquement aux quatre films de la réalisatrice sortis en salle depuis 2010 : La Dernière Piste, Night Moves, Certaines femmes et First Cow.

Mais là, c’est l’occasion de redécouvrir les premiers films fondateurs de ce style Reichardtien si particulier, totalement indépendant et féministe. Des films low fi, tournés avec des amis d’Hollywood (Todd Haynes à la production,  et Jesse Eisenberg, Michelle Williams, Kirsten Stewart, Laura Dern comme acteurs)

Au programme : River of Grass (1994), Old Joy (2006), Wendy et Lucy (2008). On y revient. Et on parlera aussi de l’excellent dernier : First Cow.




mercredi 17 novembre 2021


Ninotchka
posté par Professor Ludovico

Il y a des cinéastes avec qui on n’est pas en affinité, sans vraiment savoir pourquoi. Dans les années 80, nous arrivions à Paris, tel un Rastignac des Yvelines. Le célèbre IUT-Paris V Communication d’entreprise était infesté de jeunes garçons du XVIème arrondissement qui n’avaient pas réussi à intégrer Dauphine, ou de filles (du même arrondissement) qui n’avaient pas – encore – trouvé de mari. En tout cas, c’étaient des parisiens qui fréquentaient les cinémas du Quartier Latin depuis leur tendre enfance, dès que leur grand mère avaient pu les emmener voir Les Aristochats. De sorte que la cafétéria de l’Avenue de Versailles bruissait des rétrospectives vachement bien qu’il fallait absolument voir : Hitchcock et Lubitsch…

Mais le Professore Ludovico, pauvre mais déjà snob, n’avait absolument pas envie, selon le mot fameux d’un comparse, de « pointer au chef d’œuvre »… Peut-être parce qu’il y décelait, indistinctement, une forme de choix bourgeois, et de pure convention sociale : voir des vieux films plutôt que plonger dans l’excitant cinéma eighties : Birdy, Blade Runner, ou La Fièvre au Corps

Quarante ans plus tard, voilà Ninotchka sur OCS, un des waypoints obligatoires de la cinéphilie, de surcroit recommandé par le Rupellien. Poussé uniquement par le nom du film et la présence de Garbo, (et sans comprendre qu’il s’agit d’un Lubitsch), on se jette donc sur Ninotchka.

En deux mots, trois russes (sosies de Lénine, Trotsky et Staline), sont à Paris pour vendre des bijoux de l’aristocratie tsariste. En face, le Comte d’Algout (Melvyn Douglas), playboy parisien, cherche à récupérer ces bijoux pour le compte de sa maÏitresse, la Grande Duchesse Swana.

Vite distraits par les plaisirs de la vie parisienne, les trois russes sont vite rappelés à l’ordre par l’envoi du commissaire politique Ninotchka (Greta Garbo), inflexible héraut de la révolution prolétarienne. Mais évidemment, la camarade Nina Ivanovna Yakouchova va tomber dans les bras du comte, puis se laisser séduire par les charmes du capitalisme.

Si le début avec les 3 stooges russes est plaisant, le film est très vieillot et l’histoire d’amour est tout sauf plausible. Greta Garbo a été belle, mais ne l’est plus en 1939*, Melvyn Leroy encore moins… Le rythme se traine à la vitesse du transsibérien et le film est affreusement pataud dans son anticommunisme primaire – et c’est un fan de Michael Bay qui vous le dit !

*C’est d’ailleurs son avant-dernier film.




lundi 25 octobre 2021


Dune, part two: l’adaptation impossible
posté par Professor Ludovico

Dune n’est pas fait pour le cinéma. Deux adaptations recensées (Lynch, Villeneuve), quatre projets connus (Jodorowsky, Scott, Berg, Morel), et plein d’autres dans les cartons : que des échecs.

Précisons notre pensée : Dune n’est pas fait pour être adapté dans le modèle Hollywoodien de cinéma. Pas parce qu’il est inadaptable pour les raisons habituellement évoquées (complexité de l’intrigue, longueur du roman…), mais parce qu’il ne peut pas fonctionner dans le business model qui fait tourner l’édition et le cinéma américain.

Où est le problème ? Dune est le livre de SF le plus vendu dans le monde, 12 millions d’exemplaires à ce jour. La famille Herbert a gagné des millions avec l’œuvre de Frank, et continue d’en gagner autant avec les prequels et autres sequels. Les Herbert veulent leur Seigneur des Anneaux, un film qui batte des records, même s’il n’est pas fidèle à l’œuvre*. Pourvu qu’il « développe », selon le langage entrepreneurial d’usage, « la franchise Dune »…

Mais le livre d’Herbert est avant tout un drame Shakespearien. Il ferait une bonne pièce de théâtre : l’essentiel de l’intrigue se déroule dans des palais, et se base sur des conciliabules, des apartés, et quelques duels à l’épée. Les batailles que l’on voit dans les films sont hors-champ, brièvement évoquées dans le livre. Dune est en réalité un film d’auteur à 10 millions de dollars, et pas à 160**. Un film pour adultes, qui parle de pouvoir, de politique, de mysticisme et d’écologie. Hamlet meet Star Wars. Il lui faut du temps, et pas de l’argent. Un artiste – disons européen pour simplifier – préférerait probablement que l’on adapte son livre ainsi, mais pour les Herbert (et les américains en général), il est inimaginable – question d’ego autant que d’argent – de faire un « petit » film sur Dune.

L’adaptation doit donc être spectaculaire : vers des sables, batailles, et encore des batailles pour attirer un public qui veut un peu plus de divertissement que de réflexions mystico-écologiques. Spectaculaire veut dire cher. S’il coûte cher, il doit rapporter beaucoup plus. Sachant qu’on ne vendra pas de Happy Meal Harkonnen, de couette Chani, ni de radioréveil Paul Atréides, il doit rapporter encore plus.

Il faut pour cela faire un film qui plaise à un public large, 13 ans et plus. La recette est simple, il faut gommer certaines aspérités : sexe, drogue, complexité morale ou politique… Pas de chance, c’est exactement ce dont parle Dune.

Le thème principal de la saga, c’est le rapport douteux que l’humanité entretient vis-à-vis des hommes providentiels. Frank Herbert écrit son livre en 1963, en pleine Kennedy mania. Son livre est une alerte contre l’adoration quasi mystique pour la famille du Président, qui fait perdre de vue les véritables enjeux du pouvoir.

Car même armé des meilleures intentions, le pouvoir corrompt. Paul, héros libérateur de Dune deviendra dictateur sans pitié dans Le Messie de Dune.

Une histoire somme toute bien éloignée de tout ce qui fait le divertissement hollywoodien, des Pixar-Disney moralistes à Star Wars et autres Avengers. Aucune trace du Voyage du Héros cher à ces films, mais plutôt l’inverse ! Certes, Paul est initié aux arcanes du pouvoir par ses mentors, il est confronté à des expériences douloureuses et rencontre des alliés inattendus. Mais le Bien ne triomphe pas, et Paul ne rentre pas à la maison pour améliorer le monde. Au contraire, sa prédiction se réalise : un Jihad terrible commis en son nom se répand dans l’univers, « faisant pire » – selon les mots mêmes de Paul – « qu’Adolf Hitler ».

On pourrait lister à l’infini tous les thèmes qui ne « passent pas » le test du business model Hollywoodien : la religion, outil cynique de gouvernement, la drogue comme acquis culturel des Fremen, le sexe comme outil de pouvoir, l’homosexualité malsaine du Baron, ses pensées incestueuses sur son neveu… Tous sujets traitables dans un film adulte signé Lynch, Cimino ou Kubrick, mais pas dans un Dune Spielbergo-Lucasien…

Les Star Wars, les Marvel ne sont pas confrontés à ces problèmes : depuis l’invention du Blockbuster en 1977, ces franchises sont, sui generis, faites pour le grand public, notamment adolescent. Les sujets problématiques n’ont pas besoin d’être enlevés, car ils n’y ont jamais été.

Dune, lui, est un oxymore : un drame shakespearien coincé dans un univers à grand spectacle. Il a un petit frère : le Trône De Fer, qui comporte son lot de sexe, de politique et de morale machiavélienne : mais, comme par hasard, on en a fait une série pour HBO.

Et par le plus grand des hasards, c’est HBO qui diffuse*** sur sa toute nouvelle plateforme de streaming, le Dune de Villeneuve. Ironie des ironies ! Car c’est évidemment HBO qu’il faudrait à Dune : douze épisodes d’une heure, pour un public d’abonnés adultes, ayant payé pour ne pas être censuré de sexe, de drogue, de complexité morale ou politique…

Que cela n’ait pas été imaginé reste un des plus grands mystères de l’Univers Connu. Mais comme chacun sait, il existe bien des dictons sur Arrakis : « Lourde est la pierre et dense est le sable. Mais ni l’un ni l’autre ne sont rien à côté de la colère d’un idiot. »

* Frank Herbert aurait probablement eu la même réaction. Il avait validé le film de Lynch.

** Au final, le film de Villeneuve coûte 165 millions de dollars et est censé en rapporter au moins le double. Le dernier Star Wars a rapporté 2 milliards.

***Le monde cruel d’Hollywood a vu ces derniers mois un réalisateur reconnu (Villeneuve) se battre avec la maison mère (la Warner) pour que son film soit diffusé sur grand écran, plutôt que servir de produit d’appel à HBOMax. Le canadien a fini par gagner, Dune sortira aux USA le même jour sur grand écran. Mais jeudi dernier, dans un coup de pied de l’âne dont les studios ont le secret, HBOMax a avancé d’une journée la diffusion de Dune sur sa plateforme. A la fin, c’est toujours le studio qui gagne.


 




mercredi 25 août 2021


Le Veau d’or (le Godard) est toujours debout
posté par Professor Ludovico

L’occasion était trop belle. Sur France Culture, Michèle Halberstadt – la voix la plus sensuelle du PAF – animait cet été une émission intéressante*, Les films qui ont changé nos regards.

Le concept : les grands films du répertoire (Vertigo, 2001, Le Mépris…) vus par des spectateurs français de renom (Isabelle Huppert, Bruno Podalydes, Arnaud Desplechin…), passionnés par le film en question.

A la fin de chaque émission, Michèle Halberstadt demandait l’avis de l’Oracle. L’oracle, quel oracle ? Mais l’Oracle, voyons ! Jean-Luc Godard himself. L’homme dont la pensée rayonne – au sens radioactif du terme, nous y reviendrons – sur le cinéma français depuis 70 ans. Et là, évidemment, c’est un défilé : « Le Parrain ? pas un film qui a changé le monde ! » « Kubrick ? Un faiseur…» « Hitchcock ? beaucoup de faiblesses… » Etc., etc.

Venant d’un cinéaste, dont, le moins qu’on puisse dire, aucun film n’a eu le retentissement ou la longévité de Vertigo ou de 2001, ça ne manque pas de sel. Comme on sent la jalousie d’un nonagénaire aigri, qui a beaucoup aimé le cinéma, mais qui brûle ce qu’il a adoré, on se rue sur la dernière émission qui lui est intégralement consacrée. Une heure de pure pensée godardienne sur le cinéma, la vie, et le reste.

Que dirait-on aujourd’hui de quelqu’un qui trouve tout le monde nul, à commencer par ses amis (Truffaut, Goupil, Cohn-Bendit) ? Qui râle sur tout ce qui est moderne ? Qui répond par la négative à toutes les questions** ? Un facho ? Un vieux con ? Mais non, c’est Jean-Luc Godard, l’Ermite de Rolle. Dont nous écoutons, masochistes béats, les « leçons », diverses et variées, depuis 1950***…

Hormis quelques fulgurances connues****, le génie godardien est essentiellement composé de réponses négatives (indiquant que vous avez tort, quelle que soit la question) basées sur des jeux de mots lacaniens : « Dans la peinture moderne, il y a toujours des titres aux tableaux. A la banque aussi. » « La représentation ? Mon avocat dit aussi qu’il va me représenter, mais comment peut-il me représenter ? » Etc. Essayez vous aussi, avec quelques huîtres et un bon petit Muscadet, vous verrez, c’est pas très compliqué…

Ce n’est pas pour rien que le Snake – le Chief Technical Officer de CineFast – a créé la rubrique Pour En Finir Avec. Finissons-en donc avec Jean-Luc Godard, le veau d’or du cinéma français, l’homme par qui tout est arrivé, et par qui tout fut détruit.

Car Godard n’a réalisé qu’une poignée de films réellement intéressants, les premiers surtout (À Bout de Souffle, Pierrot le Fou, Masculin Féminin)*****. Donnant corps à la diatribe d’Orson Welles (« Si vous voulez faire du cinéma, faites-en ! Volez des caméras ! Volez de la pellicule ! », la Nouvelle Vague apportait cette idée neuve dans le cinéma des studios : une révolution technique, en tournant avec de simples caméras 16 mm, qui permettaient de s’affranchir de la lourdeur des studios. Et une révolution narrative, en filmant ainsi dans la rue, sans décor, des choses nouvelles. En un mot les aspirations de cette jeunesse 50’s étouffant dans la pesanteur sociale d’après-guerre…

Si ce bouleversement a engendré de beaux bébés (Godard, Truffaut, le Nouvel Hollywood), elle a aussi détruit le cinéma français. Car ces jeunes Turcs ont pris le pouvoir en fustigeant le « cinéma de papa » : le cinéma populaire, de qualité, des années 30 à 50. Ecartés les Duvivier, Marcel Carné, Claude Autant-Lara…

La Fatwa des Cahiers du Cinéma a duré trente ans. Un peu comme Boulez imposant son joug dodécaphoniste sur la musique contemporaine, Godard&Co ont imposé les sujets chichiteux de la bourgeoisie de Saint-Germain des Prés, son refus du scénario, et ses pré-requis techniques low cost (son direct, éclairages hésitants, acteurs improvisés…)

Cette révolution obligatoire de la forme a contaminé tout le cinéma français comme des rayons gamma. Son aura intellectuelle a été relayée par le système des subventions du CNC, qui valide les bons sujets/le bon goût du moment (il y a vingt ans, les banlieues, aujourd’hui, les problématiques de Genre). De facto, l’État oriente le type de sujets de films qui peuvent se tourner et ceux qui ne peuvent pas se tourner. Cette pensée se retrouve parmi les techniciens (formés aussi par l’Etat, via la FEMIS). Autant dire qu’un film d’action, un thriller politique, une comédie romantique n’a pas lieu d’exister dans ce système.

Mais les gens meurent, leur influence s’estompe, et le système s’écroule lentement. Notamment grâce à quelqu’un comme Luc Besson, un autodidacte, qui pris lui aussi Welles au mot. Bricolant en 1983 son Dernier Combat tout seul, et prouvant que le cinéma de genre pouvait fonctionner en dehors du système. On peut penser ce qu’on veut de Besson (à vrai dire, le Professore n’en pense pas beaucoup de bien), mais il a remis le cinéma populaire (et au passage toute une industrie) au centre de la table.

Citons donc Yves Montand :  il est temps de mettre la statue du Commandeur, « le plus con des maoïstes suisses » au musée.

* Quoique non dénuée d’erreurs factuelles : le casting de 2001, par exemple …
** Halberstadt pose pourtant des questions très consensuelles, comme « Quel est votre film de chevet ?»
*** Miss Halberstadt valide elle-même cette théorie, racontant sa rencontre avec Godard, qui l’avait insulté direct : « Depuis quand votre journal, Première, se préoccupe de cinéma ? ». Quarante ans après, la journaliste devenue distributrice est toujours en transe…
****« Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »
***** Et les partie musicales de certains films (One Plus One avec les Stones et Soigne ta Droite avec les Rita Mitsouko)…




dimanche 25 juillet 2021


La Servante Ecarlate au Pays de Lovecraft
posté par Professor Ludovico

On dit souvent ici que le cinéma est l’âme d’un peuple, et que c’est particulièrement vrai du cinéma et du peuple américain.

Si c’est le cas, l’Amérique va mal.

En témoigne les deux season finale de Lovecraft  Country (S01) et La Servante Ecarlate (S04). Deux séries très différentes, l’une fun, l’autre sérieuse, mais dans les deux cas pavées de bonnes intentions.

Comme l’enfer.

Dans la série inspirée du livre de Matt Ruff, il s’agit de rendre hommage à Lovecraft, tout en renversant son racisme foncier du début du vingtième siècle. Dans l’adaptation du livre Margaret Atwood (qui n’est couvert que par la première saison), il s’agit de faire œuvre prospective : que deviendrait les Etats-Unis si la dérive religieuse, déjà en cours, prenait le pouvoir ?  

Mais dans les deux cas – on n’ose le dire – poussées par une forme d’enthousiasme macabre, ces deux séries prolongent leur concept au-delà de l’extrême, et leur conclusion est la même – kill’em all! – tuons tous les blancs, lynchons tous les hommes…

Si un raisonnement élaboré amène à cette conclusion (enlevons aux blancs la magie qui a servi à notre oppression, punissons les violeurs de Gilead…), elle n’en est pas moins révoltante. Il suffit de pitcher l’inverse : qui voudrait d’une série où des héros blonds se proposeraient de tuer tous les noirs parce que certains pratiquent le vaudou ?

Il y a toujours eu cette culture de la vengeance dans le cinéma américain, (nous l’évoquions ici), mais elle était le problème de personnages solitaires*. Ici, la violence est proposée comme remède systémique. Pourtant, d’autres solutions existent : le personnage de Cristina, belle magicienne blonde, prend la défense des personnages noirs, et a même une romance (dans les années 50s de la ségrégation !) avec l’une d’entre elle. Les méchants de la Saison 4 de La Servante Ecarlate pourraient être jugés (probablement atrocement) par Gilead, mais June Osborn complote pour organiser leur lynchage. Les héros de ces séries ne sont donc pas obligés de sombrer dans une vengeance aveugle, c’est au contraire un choix conscient.  

Il y a dix ans, face à un problème collectif comme le racisme ou le sexisme, aucun film, aucune série US n’aurait proposé ce type de solution. Au contraire, une réconciliation, un pardon, une rédemption aurait été proposé au méchant (le plus souvent un mâle blanc)**. Via le pardon du héros, ou vers un procès, avec la loi comme remède aux maladies de l’humanité.

Nous n’en sommes plus là. Nous sommes à l’heure de la vengeance, et de la violence « juste », seule solution à la violence injuste***.

Et ça fait peur.

* Qui la plupart du temps étaient obligés de tuer le méchant :  repensons à toutes ces scènes avec Bruce Willis/Nick Cage/Stallone tenant la main au méchant au bord du précipice/hélicoptère, et que celui-ci, ignorant la main tendue, en profitait pour tenter de balancer notre héros dans le vide, qui n’avait alors d’autre choix que de le tuer…

** Mississippi Burning, Le Plus Beau des combats, American History X, Gran Torino, La Dame du Vendredi, Du silence et des Ombres, Amistad, Working Girl…

*** Sur le même sujet, avec les mêmes références (le massacre de Tulsa), et la même maison de production (HBO), Watchmen fait beaucoup mieux…




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