[ Les films ]



dimanche 7 septembre 2025


La voix de Kubrick
posté par Professor Ludovico

Quelle bonne idée qu’a eu France Culture, relayée par l’ami Ostarc du Globe Plat : mettre en ligne les enregistrements des entretiens Michel Ciment / Stanley Kubrick, sur Barry Lyndon, Shining et Full Metal Jacket. Le rédac’chef de Positif faisait en effet partie des rares interlocuteurs de Kubrick. En écoutant ces bandes, on comprend pourquoi. Les questions sont intelligentes, elles ne ressemblent pas à l’interview promo traditionnel (« Vous avez aimé travailler avec Bidule ? » Elles plongent en profondeur dans les films, les livres dont ils sont tirés, les époques où ils se déroulent…  

Mais pour le coup, Kubrick apporte souvent des réponses très prosaïques. Car Ciment a eu très tôt l’intuition que Kubrick ne faisait pas des films, mais s’attachait à bâtir une œuvre cohérente, avec des thèmes la traversant de part en part, et il en fait un livre.

C’est aussi du plaisir d’entendre le réalisateur, qu’on imaginait dans un anglais raffiné d’intellectuel new-yorkais, et qui se révèle être la voix d’un petit gars autodidacte du Bronx.

Ce qu’il était.

Stanley Kubrick, mon expérience du cinéma, un podcast France Culture

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-stanley-kubrick-mon-experience-du-cinema




vendredi 5 septembre 2025


Sorry, Baby
posté par Professor Ludovico

Elle est dure, mais elle est juste, la Dame de Nazareth… A peine entrée dans le MK2 Bastille*, elle fait doucereusement remarquer que le Professore est – de très loin – le doyen de la salle. Remarque prémonitoire : le Ludovico va découvrir ce que « Autre Côté de la Barrière » veut dire.

Nous ne sommes pas du même monde, ni du même cinéma, à cette séance de Sorry, Baby. Mes voisines, twenty-somethings comme Eva Victor, l’actrice-scénariste-réalisatrice, applaudissent à chaque réplique, à chaque mimique, tandis que nous restons de marbre.

Victor, dans le rôle d’Agnès, jeune thésarde talentueuse violée par son directeur de thèse** a de quoi séduire, mais elle est engluée dans la mise en scène de… Victor, Eva. La réalisatrice, si sûre par ailleurs de son cinéma (photo, cadrage) peine à trouver son genre. Est-ce un drame ? Une comédie ? Le film virevolte autour de l’actrice, en permanence à l’écran, qui assène punchline sur punchline. C’est peu dire qu’elle s’aime beaucoup…

Ces afféteries finissent par agacer, surtout sur un sujet aussi grave. Parce que le film est sérieux ; il attaque le problème avec subtilité et même ambiguïté. Les rapports entre thésarde et professeur restent incertains, la séduction intellectuelle n’étant jamais loin de la séduction physique. On veut une bonne note, et on n’est pas mécontent d’être la chouchou du prof. On va tout faire pour lui plaire, comme le suggère plusieurs scènes.

Mais ces personnages snowflakes exaspèrent. Dans la scène de l’hôpital, où Agnès vient faire constater son viol, chaque mot du docteur (éjaculation, pénétration) suscite des cris d’orfraie d’Agnes, de sa copine, et donc du public du MK2. Quels termes aurait-il pu employer à la place ? Le sentiment d’un fossé irrémédiable, se fait alors jour. Ce cinéma-là est-il encore pour nous*** ?

Mais au mitan du film, il y a justement une scène entre un Vieux, gérant d‘une sandwicherie, et Agnes. Eternel angoisse de la jeunesse, Agnes ne s’imagine pas vieillir, pense qu’elle va mourir jeune, qu’elle n’aura jamais d’enfant. Et le Vieux de répondre : « Si tu crois que j’imaginais un jour que j’aurais cette tête de patate…  »

Et nous spectateur, d’imaginer qu’Eva Victor se parle à elle-même : elle aura des enfants, elle fera d’autres films, plus aboutis. Car tout n’est pas à jeter, loin de là. Il y a du cinéma dans Sorry, Baby. La scène du viol, filmée très sobrement (un plan fixe sur la maison du professeur l’après-midi, le soir, la nuit) : en trente secondes intenses, on a compris. Mais Victor ajoute juste après une description détaillée de ce qu’elle a subi. Une volonté évidente, politique, de décrire crûment l’horreur du viol. Politiquement, ça marche. Cinématographiquement, moins. On redescend des trente secondes angoissantes qui ont précédé, dommage. Comme disait Hitchcock, « J’aurais voulu que rien ne soit dit ».

Le film, sinon, est très bavard, trop bavard, dans une veine Woodyallenienne que désavouerait probablement la réalisatrice. Mais dès qu’elle arrête, on respire. On fait du cinéma. On attend donc avec impatience le prochain…

Sorry, Baby. Maybe next time ?

*Les cinémas MK2 sont parait-il des cinémas engagés. Il ferait bien de s’engager à diffuser correctement les films. Sorry, Baby était diffusé format réduit, avec un joli cadre noir autour. Personne n’est intervenu.

** Interprété par le bien nommé Louis Cancelmi

*** Sans oublier une allusion transgenre sans aucun rapport avec la choucroute, mais gros clin d’œil de connivence avec le public




lundi 1 septembre 2025


Le Sang à la Tête
posté par Professor Ludovico

Le Rupellien, en direct de la Rochelle, nous dit que Grangier et Gabin, ça n’a pas toujours fait des étincelles*. Et de nous proposer quand même un film de 1958 du duo Audiard/Grangier, Le Sang à la Tête, adapté d’un Simenon, qui se passe justement à La Rochelle.

Gabin y est un ancien débardeur devenu armateur : un grand bourgeois ayant épousé une jeunette, qui,  évidemment, le trompe avec un ami d’enfance, demi-sel revenu d’Afrique, qui tape dans les finances de sa mère, mareyeuse en conflit avec l’armateur Gabin.

L’intrigue, on le voit, est assez compliquée au départ, et on peine à suivre les dialogues, pas toujours très distinctement prononcés.

Le vrai bonheur est surtout de voir cette France d’antan, à coup de Tractions et d’Arondes, de chaluts dans le port de la Rochelle, et d’Ile de Ré quasi déserte.  

L’autre charme du film c’est Gabin à contre-emploi, cocu à la Raimu, dont Grangier filme l’humiliation de dos, dans son pardessus en flanelle.

On attend le crime, la violence, mais elle ne viendra pas. C’est un peu la défaite du film, un contre-casting qui n’ose pas aller au bout de ses convictions, et pousser Gabin dans cette humiliation.

Audiard d’ailleurs rend les armes en fin de film en offrant à l’armateur cocu des gabinades qui vont constituer l’essentiel de la carrière de l’acteur après-guerre. Une fin morale comme il les aime, mais qui, personnellement, nous casse les couilles.

* A vérifier tout de même : Le Rouge est Mis, Le Cave se Rebiffe, Le Gentleman d’Epsom, Maigret voit Rouge




mardi 5 août 2025


Identité Judiciaire
posté par Professor Ludovico

Un serial killer traîne dans Paris ? Des flics zélés mènent l’enquête, autour d’un commissaire bourru ? Serait-ce déjà le nouveau Fincher ? Une femme du monde, une prostituée, une jeune fille de bonne famille, plutôt un vieux Sautet ? Non, on est dans un Hervé Bromberger, cinéaste méconnu des années cinquante*. Dans Identité Judiciaire, déniché par Captain Rupélien dans les replis de l’espace-temps sur la planète OCS Ciné+…

Oui, un film de 1951 avec personne de connu ou presque : Raymond Souplex**, Marthe Mercadier***,Dora Doll****. Bref, le cinéma de papa honni de la Nouvelle Vague. Pourtant, Identité Judiciaire c’est 1h38 de thriller passionnant mâtiné d’une comédie de mœurs.

Une jeune fille se suicide ; elle porte les mêmes blessures que deux autres femmes brutalement assassinées. Qui tue ces femmes et pourquoi ? Qui fournit le curare pour les endormir ? Le commissaire Basquier (Souplex) mène l’enquête avec sa bande de flics dans le petit monde de Pigalle, et dans le XVIème.

Identité Judiciaire fait la preuve qu’on peut esquisser en 90 minutes une dizaine de personnages, de la pute au grand cœur au flic bourru, de l’avocat opportuniste à la grande bourgeoise toxicomane, et faire le portrait d’une époque, la France qui sort de la guerre.

Les dialogues étincellent (Jeanson bien sûr !) « Un crime c’est un cercle madame, et vous êtes dedans, quoi que vous fassiez… » Mais la réalisation aussi : un impressionnant plan séquence dans la première scène de commissariat, un final expressionniste dans les Grands Moulins de Paris, et le plaisir de voir le Paname disparu, sale, noirci par les pots d’échappement des Traction Avant.

Identité Judiciaire aura une descendance puisqu’il engendrera une des plus célèbres séries françaises, Les Cinq Dernières Minutes.

*Scénariste de Violette Nozières nous dit Wikipedia, mais surtout père de Dominique Bromberger, ancien présentateur du 20h
** Acteur des années 40 rendu très célèbre en Commissaire Bourrel dans Les Cinq Dernières Minutes
***Active des années 50 à 2010, Marthe Mercadier a tout fait : cinéma (89 films !), théâtre, émissions de TV, productrice…
****Dora Doll, beauté des années quarante a fait elle un passage à Hollywood et s’est signalé dans des grands films (Le Bal des Maudits, Mélodie en sous sol, Touchez pas au Grisbi)




jeudi 31 juillet 2025


First Man, lune de contraste
posté par Professor Ludovico

First Man, c’est l’autre chef d’œuvre invisible, le film méprisé par la critique qui n’a ramassé qu’un Oscar technique. La Grande Œuvre (à date) de Damien Chazelle reste néanmoins un continent stylistique à découvrir.

Contrairement à d’autres films qui offrent une profondeur dans les détails, tout est au premier plan dans l’anti-biopic de Neil Armstrong. Tour à tour film années 60, 16mm à gros grain, puis HD IMAX pour les scènes spatiales* ; engins qui vibrent jusqu’à rendre l’image illisible, puis plans fixes ultra nets, bruits tonitruants, puis musiques célestes, tous ces choix ne sont pas anodins. Ce sont ceux d’un cinéaste. Et d’un grand.

A l’évidence, Chazelle a voulu marquer le genre, très rebattu, du film spatial. Face aux décors proprets de 2001, il oppose la saleté industrielle des fusées. Face à l’épopée patriotique de L’Etoffe des Héros, il met en scène le drame familial. Face au buddy movie d’Apollo XIII, il joue la compétition amère entre astronautes. Cette volonté de démonter les clichés se traduit par une réalisation nerveuse, ponctuée de motifs récurrents.

Revue de détail de cette accumulation de contrastes.

Saccadé / fixe

Dès le premier plan, ça secoue. Neil Armstrong n’est encore qu’un pilote d’essai de l’Air Force, aux commandes de l’avion fusée X-15, mais Chazelle lance sa dialectique. Ça va secouer, vous allez avoir peur, et ensuite, je vous émerveillerais.

L’image tressaute dans un vacarme indescriptible, Neil Armstrong lance ses moteurs, l’engin vibre, la caméra à l’unisson. Quand la poussée s’arrête, l’image devient immobile, silencieuse, déposant le spectateur dans les frontières bleutées de l’atmosphère. Plus tard, le X-15 se pose dans le désert du Mojave. Des trombes de poussière jaillissent en une explosion tonitruante, l’engin glisse à toute vitesse sur ses patins jusqu’à s’immobiliser, là aussi, dans un plan fixe. Motif réutilisé quand Gemini accélère, quand le LEM alunit, alignant à chaque fois une séquence frénétique puis un moment de paix absolue.  

Intérieur / Extérieur

Qu’est-ce que la Conquête de l’Espace, sinon jeter des hommes en scaphandre dans le vide inhospitalier, assis sur cent tonnes d’explosifs, et protégés d’une minuscule cabine de métal ? Le film joue entièrement sur cette dialectique, et filme à l’envi des barrières qui permettent de voir, mais pas de toucher (Casques / Hublots / Fenêtres).

L’habitacle du X-15 offre, comme le dit Lovecraft, « des perspectives terrifiantes sur le réel, et sur l’effroyable position que nous y occupons ». Pour la première fois, nous voyons, un peu effrayés, notre petite boule bleue qui flotte dans l’univers. Le fuselage, le hublot, le casque, sont censés protéger Neil Armstrong, mais on comprend que ces protections sont dérisoires. Rebondissant sur une autre paroi, celle de l’atmosphère, Major Tom flotte dans sa tin can, capable de voir la terre, mais incapable d’y revenir.

Cette paroi invisible revient à de nombreuses reprises, indiquant l’inaccessible  : fenêtres des voisins qui s’épient, hublot qui cachent puis révèlent (les mouettes de Cape Canaveral, le ciel bleu puis noir, l’AGENA, la Terre, la Lune, puis l’épouse, lors de la quarantaine finale).

Casques / yeux

Quantité de casques eux aussi, cachent ou révèlent des regards, dans des plans souvent filmés à la limite de l’expérimental. Deux points jaunes qui cherchent l’AGENA en orbite. Deux yeux affolés quand elle part en vrille. Deux yeux bleus, regard de la femme aimée ou des enfants… Et deux points bleus qui jouissent de l’obscurité et découvrent, comme une bête apeurée, la Lune pour la première fois.

Il y a une exception, tout aussi notable : quand le casque ne sert à rien. Lors de l’accident du vol d’essai du LEM, Armstrong est blessé et pour une fois, on voit son visage sans protection. Blessé et noir de fumée, il devient à moitié fou, retourne chez lui, puis repart au travail : rare exemple de perte de contrôle du personnage.

Bruit / musique

Le son est aussi un terrain d’innovation. Le film est parsemé de clinquements, de grincements, d’explosions brutales, qu’on ne voit jamais dans les autres films sur le sujet. La musique – basique mais magnifique – de Justin Hurwitz, (un ou deux thèmes réorchestrés) vient apporter le contrepoint. Face à l’inquiétude technique, il y a l’humanité, il y a la valse. Citation Kubrickienne (Le Danube Bleu de 2001), la valse Hurwitzienne est en même temps sa contradiction. Chez Kubrick, la valse est mortifère, c’est une stagnation. Ici, c’est le signe de l’humanité, de l’amour et des sentiments. C’est la danse de l’amour, des engins et des humains qui s’emboîtent (Gemini et l’AGENA, Neil et Janet). C’est l’âge d’or d’Egelloc, du College, où Armstrong « composait » des comédies musicales et séduisait Janet, sa future femme**. Dans une scène très Chazellienne, le couple danse devant des rideaux, comme dans La La Land. Lunar Rhapsody, un jazz des années 40 : « Je croyais que tu avais oublié », dit Janet. On verra plus loin que ce n’était pas le cas.

Mais parfois, le fou de musique qu’est Chazelle joue de l’absence totale de son. Il sait que le silence est aussi important que la musique elle-même, qu’il créé une tension qu’il faudra résoudre.

Lors du Premier Pas, il applique cette règle de manière extrême. La poigné du sas grince, mais, une fois ouvert, plus aucun son. La caméra, comme emportée par l’air qui se vide du LEM, file vers la surface de la Lune dans un plan – littéralement – à couper le souffle.

Le cinéaste triche, car la lune est en HD alors que les astronautes à l’intérieur sont encore filmés en 16mm. C’est pour mettre le spectateur dans cette sidération, une sidération qu’il fait durer avant qu’on entende la respiration diégétique de l’astronaute.  

Net / Flou

C’est l’un des autres contrastes voulus par le cinéaste. Le 16mm/35mm pour la vie, la famille, les astronautes, les fusées. La Haute Définition pour l’espace, pour la lune, filmée comme l’Astre de la Mort. Il y a le choc de la découverte bien sûr, ce plan que le spectateur attend depuis le début, mais aussi – préoccupation très contemporaine – montrer que la seule vie possible c’est la terre, et pas le fantasme technologique que d’une vie outre-espace***. La lune est morte, je vous la montre en IMAX, mais voilà la vie, les souvenirs, un pique-nique au bord de la rivière, filmé comme un Super8 amateur.  

Indicible / Jargon

S’il y a bien un thème à First Man, c’est l’incommunicabilité. Le couple, les enfants, la presse, les politiques, la NASA sont autant de champs de bataille. Comment communiquer l’incommunicable, quand on va réaliser le plus grand exploit de l’humanité ? Que dire à sa femme, à ses enfants ? Que répondre aux questions idiotes des ingénieurs, des journalistes, des politiques ? Que dire à ses collègues, alors qu’on a tout fait pour être choisi ?

On pourrait parler, bien sûr… On pourrait dire ses angoisses, sa douleur, ou sa foi en Dieu. On pourrait détourner tout cela en blaguant, comme Buzz Aldrin. On pourrait aussi parler de choses personnelles, de sa famille, de Karen, sa fille morte d’une tumeur maligne. On serait dans la culture américano-psy de « dire les choses », de poser ses sentiments, de se livrer.

Pas de ça avec Neil Armstrong, ni avec Damien Chazelle dont la filmographie semble traversée par cette idée (batteur autiste de Whiplash, couple mal assorti de La La Land). Ryan Gosling est le parfait véhicule du refus de se livrer, refus qu’il assumera à trois reprises (entretien d’embauche, enterrement de Elliot See, discussion avec Ed White).

Mais comme le film ne parle finalement que de ça, de la douleur incommunicable de la perte d’un enfant, Chazelle garde le drama pour la fin. On verra donc Armstrong/Gosling de plus en plus buté, totalement concentré vers sa mission, de plus en plus machine, de moins en moins humain, au risque de briser sa famille.

Comment filmer le laconisme armstrongien ? En ne gardant pour dialogue que le jargon de la NASA : « 3000 à 70. Alarme 12 01 ? Reçu. 540 pieds, Descente à 3. 5. En avant 9 ». En jouant avec les clichés et en ânonnant la citation de circonstance « C’est un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l’humanité » : le côté com’ de l’affaire. En faisant confiance à Ryan Gosling, bloc de volonté autiste dans la très belle séquence d’alunissage.

Faire absolument confiance à Gosling, comédien très fin quoi qu’on en dise, car Chazelle va l’utiliser pour ramener l’humain (Il ne l’a jamais oublié), dans les deux scènes finales : la séquence du cratère et les inattendues « retrouvailles »…

Au Cratère Ouest, dans une scène magnifique mais inventée****, Armstrong/Gosling vient dénouer le film. Une scène renversante, qui utilise toutes les ressources du cinéma, en jouant avec les thématiques évoquées plus haut (Intérieur/extérieur et Casque).

Neil Armstrong enlève son couvre-casque doré ; il pleure. Venu déposer le bracelet de Karen, pour la première fois le personnage se dévoile. Toute peine retenue depuis sept ans, seul avec son chagrin, il peut enfin laisser parler les larmes.

Puis l’astronaute remet son couvre-casque, ce qui fait apparaître le reflet du cratère : un immense trou, métaphore 1. Contrechamp sur son ombre dans le cratère, métaphore 2 : le fantôme de l’enfant défunt (« un seul être vous manque et tout est dépeuplé ») tandis que s’intercale, le super8 des souvenirs familiaux.

On enchaîne sur l’étrange scène de retrouvailles. Après avoir montré un couple heureux, franchissant les difficultés ensemble, Chazelle prend à contrepied le spectateur dans le final. Au lieu de l’attendu « I love you/I Iove you too », le retour de Neil Armstrong à Ithaque devient une scène très amère. Le grand homme est incapable de dire un mot à son Hélène, dans un décor ironiquement américain (murs bleus, chemisier blanc, jupe rouge). Chazelle laisse le temps filer.

Armstrong a réalisé le plus grand exploit de l’humanité, mais il n’a pas les mots : il est out of this world, comme l’a dit Janet précédemment. Que dire à sa femme qui l’a cru mort cent fois ? Comment raconter une telle expérience ? Juste avant, Chazelle nous a prévenu par le biais voix off d’un journaliste anonyme : « Cette beauté sera peut-être impossible à léguer aux futurs observateurs. Ces premiers hommes sur la Lune ont vu quelque chose que leurs successeurs ne verront pas, ils ont contemplé une autre vie, qui nous échappe »

L’homme est devenu machine, comme chez Kubrick. Mais au contraire de l’ermite de Childwickbury, l’humanité revient… En gros plan, les yeux magnifiques des comédiens se cherchent, se jaugent, s’épient. Mais tel l’Adam de Michel-Ange, Neil tend le doigt (et un baiser) vers son épouse, à travers (encore) la barrière vitrée de la quarantaine. À contrecœur, Janet finit par s’approcher, et toucher la main de son mari, dans un plan sublime : sa tête se surimprime en reflet sur la tête de son mari.

I always had you on my mind.

* Chazelle et son chef Op’ Linus Sandgren ont tourné en trois formats différents : Super 16mm, 35mm Techniscope & Super 35 3-perf, IMAX 70mm pour la séquence sur la Lune. Le format 16mm a été utilisé principalement pour les scènes à l’intérieur des vaisseaux spatiaux, tandis que le 35mm servait pour celles à la maison des Armstrong ou autour des installations de la NASA. (source Wikipedia)
** Sublime Claire Foy, dans son meilleur rôle après The Crown
*** Le cinéaste donne d’ailleurs à trois reprises la parole aux anti- (Kurt Vonnegut, une jeune fille, et le protest singer qui chante Gil Scott Heron, « Whitey on the Moon »

**** On ne sait pas ce qu’a fait Neil Armstrong pendant qu’il était au Little West Crater.  




lundi 28 juillet 2025


Harris Yulin
posté par Professor Ludovico

Cette nuit, j’ai pensé à Harris Yulin. Là, vous vous dites mais qu’est-ce qu’il a le Ludovico à penser à Harris Machin-Truc à deux heures du matin ? Mais le Professore vit cinéma, pense cinéma, rêve cinéma.

En réalité, j’ai pensé à cet acteur sans retrouver son nom. Et dès le réveil comme il se doit, Ludovico a consulté IMDb : Harris Yulin, c’est bien ce flic pourri dans Scarface, le seul à résister à Pacino sous cocaïne. « Fuck you Tony ! » : en quelques lignes, Yulin emporte le morceau.

La cinéphilie est une affaire de fantômes. Des images, des répliques, des acteurs, qui vous hantent jour et nuit. Ce type nous accompagne en fait depuis cinquante ans, il est dans Kojak, dans les X-Files, La Petite Maison dans la Prairie, mais aussi dans Ghostbusters 2, Les Envoutés, Sang Chaud pour Meurtre de Sang-Froid Looking for Richard, Star Trek Deep Space Nine, Buffy, 24 Heures Chrono… Et récemment, il fait un prêtre pendant deux minutes dans I Know This Much is True , ou tient pendant quatre saisons le vieil homme attachant dans Ozark.

Harris Yulin, c’est le bon soldat de Hollywood, le gars qui n’a jamais décroché un premier rôle, mais a traîné sa carcasse, sa gueule – souvent dans des rôles de ripoux – parce qu’il en avait la physique et, comme on dit, un emploi.  

Il avait l’air subclaquant dans Ozark en 2018, et le Professore Ludovico – nécrophile comme tout cinéphile – s’est demandé quand Harris Yulin était décédé.

Il vient de mourir, il y a un mois à peine, le 25 juin 2025.

Adieu l’artiste.




jeudi 24 juillet 2025


La Poursuite Infernale
posté par Professor Ludovico

Des éleveurs volés, une chanteuse mexicaine, une ingénue qui débarque, un médecin alcoolique ? On n’est pas chez Howard Hawks, mais chez John Ford, dans La Poursuite Infernale, My Darling Clementine pour être précis, un des plus beaux westerns qui soit.

Certes ce n’est pas très clairement mené, on a du mal à comprendre qui veut quoi, ce que Shakespeare vient faire dans cette galère, mais le sujet n’est pas là. C’est, comme d’habitude chez John Ford, rédemption, vengeance, amour impossible et émerveillement devant l’Ouest sauvage.

Et c’est par sa forme que La Poursuite Infernale éblouit. Enième relecture du règlement de compte à OK Corral (qui s’est déroulé 400 km plus bas), My Darling Clementine fascine par sa beauté sublime, dans un noir et blanc ahurissant de netteté. Le chef op’ Joseph MacDonald tire le maximum des ciels bleus, des nuages, des contre-jours. Il n’y a quasiment pas de mouvement de caméra – Ford les réserve aux scènes d’action.

Un pur moment de cinéma.




mercredi 23 juillet 2025


L’espion qui Venait du Froid
posté par Professor Ludovico

Pour le Professore Ludovico, la seule véritable ambiance d’espionnage, c’est celle de John le Carré. Contrairement à Karl Ferenc, qui en pince toujours (30 ans après la Chute du Mur !) pour James Bond. Nous aimons l’ambiance Le Carré, mais pas vraiment les livres du Monsieur (sauf Le Tunnel aux Pigeons, sa géniale autobiographie).

L’an dernier, sur l’insistance de quelques amis, nous sommes retournés à la source, L’espion qui Venait du Froid, le livre. Encore agent du MI6 à l’époque, Le Carré décrit en 1964 les magouilles de la Guerre Froide avec une précision clinique.. Comment intoxiquer les Russes, comment faire passer les transfuges à l’Ouest… Le livre rencontre un immense succès, et surtout la reconnaissance de ses pairs. Martin Ritt en tire immédiatement un film, qui a autant de succès. Qu’en reste-t-il, soixante ans après ?  

Le propos est toujours abscons, et on a du mal aujourd’hui à suivre les circonvolutions des protagonistes. Mais il y a Richard Burton, impressionnant bloc de violence contenue, dans ce rôle de brute avinée qu’il tiendra partout, de Cléopâtre à Quand les Aigles Attaquent

Leamas (Richard Burton) est un agent du MI6 basé à Berlin Ouest. Riemeck, une source de Leamas, se fait tuer alors qu’il essaie de passer le Mur, et Leamas veut se venger. Le MI6 lui propose de passer à l’Est, et créé pour cela une « légende » : licencié, il devient un alcoolique, un asocial, vite pris sous son aile par une jeune militante communiste (Claire Bloom, pas terrible) qu’il entraine, malgré lui, dans cette aventure…

Mais il y a évidemment un plan dans le plan, ce que va découvrir Leamas, et c’est seulement là que le livre (et le film) deviennent intéressants.

Le principal mérite du film de Martin Ritt, c’est probablement d’offrir la matrice des films d’espionnage qui vont suivre. Cet éclairage expressionniste, ce noir et blanc poisseux, et ces zones de gris. Dans les dernières scènes, un blanc aveuglant évoque les projecteurs des miradors, qui piègent les protagonistes comme de mouches.

Et dans un final magnifique, parfaite métaphore de ce monde des ombres : un plan fixe du Mur de Berlin, éclairé par des lumières fantomatiques, comme la mort qui rode.




mardi 15 juillet 2025


Memories of Murder
posté par Professor Ludovico

S’agit-il d’un gouffre culturel ? Car on ne comprend rien au cinéma de Bong Joon Ho. Mickey 17 nous avait déjà assommé par sa bouffonnerie, nous n’avions pas été estomaqués par Parasite et ces Souvenirs de Meurtre ne sont pas impérissables. Problème de l’acting coréen ? Squid Game laissait aussi cette impression de surjeu. Mais on cherche aussi à comprendre dans quel film se trouve Bong Joon Ho.

Ça commence comme Seven, sauf que les deux flics se comportent comme dans Y’a-t-il Un Flic pour Sauver la Reine… Dès qu’on a un suspect, retardé mental, il faut en faire un coupable. Taloches, coups de pied, reconstitution à l’arrache, et flics incompétents qui bousillent la scène de crime : serait-on dans une comédie ? Et puis un jeune flic arrive de Séoul, avec des méthodes plus sérieuses, mais la bouffonnerie continue. Puis, dans un brusque changement du genre, on se tourne vers la folie et la tragédie. Les pistes ne mènent à rien, au grand désespoir du trio…

Arrive alors le final, tendu et désenchanté, qui donne une idée du grand film qu’aurait pu être Memories of Murder.

Si quelqu’un a une explication, on prend.




vendredi 4 juillet 2025


Le Roman de Jim
posté par Professor Ludovico

Au bout de cinq minutes du Roman de Jim, un amateur de littérature sait qu’il est face à un grand livre, profond et généreux. Au bout de cinq minutes du Roman de Jim, l’adaptation des frères Larrieux, on sait qu’on est face à une bouse.

Les acteurs jouent à plat. Le maquillage est raté. La déco est nulle. Les dialogues, purement descriptifs ; la mise en scène, inexistante. Ce niveau de fainéantise dans un certain cinéma français est tellement insupportable. Les 3,8M€, où sont-ils passés ? Avec 800 000 € de moins, Antoine Chevrollier fait La Pampa.

Au bout de ces cinq minutes, nous avons arrêté le massacre, et nous ne saurons donc jamais pourquoi Karim Leklou a eu le César du Meilleur Acteur.

Nous avions mieux à faire : dormir.




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