« Yom asal, yom basal »
Un jour du miel, un jour des oignons
Le cinéphile dunien erre dans le désert depuis 1965, à la recherche d’une bonne adaptation de Dune. Un jour, il mange du miel, le lendemain, des oignons. La suite tant attendue arrive sur les écrans : Dune : Deuxième Partie, la bien nommée. Le Professorino crie au chef d’œuvre. Son père, le Naib Ludovico, n’est pas content et parle d’idiot cinématographique. C’est en réalité une cause perdue. Le Professore est un de ces fondamentalistes, comme dit Villeneuve, qui traquent l’hérésie dans chaque plan – tu ne prononceras pas le nom de Muad’Dib en vain !
La fatwa fera l’objet d’une prochaine chronique. Essayons donc de regarder ça uniquement sous l’angle cinématographique : là aussi, le compte n’y est pas. Rendons grâce néanmoins à Denis Villeneuve d’avoir quelques réussites. Le film a un point de vue, ce qui est rare dans les adaptations de bestsellers. Le cinéaste de Premier Contact déploie ici un débat dialectique entre la vraie foi (incarnée par Stilgar) et un athéisme post-moderne, où la religion n’est qu’un outil de domination des masses (un outil utile pour Jessica, ou scandaleux pour Chani). Villeneuve lance le débat à peu près correctement, mais dans la dernière ligne droite, son propos ne devient plus très clair (Paul, d’abord contre, devient pour).
Autre avantage, Villeneuve injecte un peu d’humour dans Dune, ce qui n’est pas vraiment le point fort du roman. Et puis visuellement, Dune est toujours aussi fantastique. Villeneuve filme le désert comme personne : ergs, couchers de soleil, récoltes d’Epice, ou combat d’arène en noir et blanc.
Beau, oui, mais con à la fois…
« Lourde est la pierre, et dense est le sable.
Mais ni l’un ni l’autre ne sont rien à côté de la colère d’un idiot. »
Qu’est-ce qu’un idiot de cinéma ? C’est quelqu’un (acteur, réalisateur, décorateur) qui ne réfléchit pas à son métier. Ses idées sont un flux de conscience, qui impriment directement la pellicule. À ce titre, Villeneuve est un idiot de cinéma. Prenons tout de suite les précautions d’usage : par bien des égards, Denis Villeneuve est notre frère. Il a notre âge, il vénère le même panthéon cinématographique (2001, Apocalypse Now!, Persona, Blade Runner), et c’est un fan sincère de Dune. Depuis l’adolescence, Villeneuve rêve de « faire » Dune. Il a même storyboardé le livre de Frank Herbert à l’âge de 13 ans. Et voilà, à 54 ans, qu’on lui donne la chance de le faire. On peut comprendre que l’aboutissement de ce rêve soit un achèvement.
Mais un cinéaste ne peut pas être qu’un fanboy. Filmer sa vision n’est pas du cinéma. Qu’est-ce que ce film veut dire ? Qu’est-ce que le spectateur va comprendre ? Ça, Denis Villeneuve n’y réfléchit pas. Est-ce que cela a de l’importance, si les images sont belles, si les acteurs sont bons, si les décors sont grandioses* ? Pour un film à gros budget, il n’est pas très compliqué de réunir les meilleurs talents. Les faire travailler ensemble à une grande œuvre est une tout autre affaire.
Un exemple : la maison de l’Empereur Shaddam IV. Une jolie scène bucolique, un petit pavillon en béton dans un coin de verdure… Mais l’Empereur est la personne la plus puissante, la plus riche de l’univers. Les Harkonnens et les Atreides sont ses vassaux. Pour le lecteur de Dune, pas de problème : il décode, il interprète. Mais pour le spectateur lambda, Christopher Walken est un être faible qui vit dans une petite maison : contresens !
Ensuite, l’Empereur arrive sur Arrakis dans un vaisseau magnifique, une immense boule métallique**. Il s’installe sur la planète et déploie un immense palais, argenté lui aussi. Contradiction : pourquoi le gars qui vivait dans une petite maison possède un si grand palais ?
La confrontation a lieu. Grâce à sa ruse et ses vers géants, Paul écrase ses ennemis. Voilà l’Empereur réduit à se retrancher dans le palais. Ses fidèles Sardaukar forment le dernier carré, faisant rempart de leur corps. Mais Paul pénètre dans le palais comme dans un moulin. Passe devant les Sardaukar. Se dirige vers le Baron Harkonnen. Et le tue, sans que personne ne s’interpose… Cette salle du trône, elle est dans l’obscurité, comme TOUTES les pièces de TOUT le film. Pourquoi l’homme le plus puissant de l’Univers habite dans l’ombre ? Pourquoi la déco (portes rondes, pièces obscures) est la même partout ? Pourquoi ses gardes ne combattent-ils pas ? Pourquoi cet homme, qui possède tout, habite dans un pavillon mal jardiné de Villeneuve-la-Garenne ? Tout cela pollue – consciemment ou inconsciemment – l’esprit du spectateur…
Soit on résout ces questions, comme le pense Kubrick, qui dit qu’on peut filmer n’importe quelle idée, à condition d’arriver à l’incarner correctement*** . Soit on évite au spectateur de se poser ces questions, comme le préfère Hitchcock****. Or ces contradictions montrent qu’il ne s’agit pas d’une volonté de Villeneuve, mais bien d’un oubli, d’un manque de réflexion. Il n’y a pas réfléchi, comme il n’y réfléchissait pas, déjà, dans Sicario.
Denis Villeneuve est un idiot de cinéma.
*C’est ce que semble penser le public, qui fait un triomphe à cette Part Two. On peut aussi penser que Dune touche un public habitué à bien pire (Marvel) et qu’il trouve enfin dans le film de Villeneuve quelque chose d’intelligent et mature.
** Comme Mitterrand, Villeneuve aime les formes simples : triangle/rond/carré.
*** « Hélas, les idées ne font pas les bons films. Il faut des idées dans les bons films, mais cela demande beaucoup de créativité artistique pour incarner fortement une idée… »
**** « Je retrouve ces erreurs partout : [le spectateur] découvre soudain qu’on a changé de lieu, sans explication, ou deux personnages portent le même costume, et de fait, on ne sait plus qui est le méchant… »
Chronique publiée également sur PlanetArrakis
posté par Professor Ludovico
Le Professore Ludovico aurait-il perdu sa légendaire vista? Voilà quatre cinéastes indie qu’il conseille à Notre-Dame-de-Nazareth : quatre échecs, quatre déceptions. Kelly Reichardt (Showing Up), Radu Jude (N’attendez pas trop de la fin du monde), Jonathan Glazer (La Zone d’Intérêt) et maintenant Sean Durkin (Iron Claw)… C’est comme si on ne pouvait plus faire confiance à l’étiquette de la bouteille, comme si un Romanée-Conti produisait du Beaujolais nouveau…
Mais comme le vin, certains cinéastes ne vieillissent pas bien. C’est le cas de Sean Durkin, qui nous avait ébloui avec son coup d’essai-coup de maître Martha Marcy May Marlène, et dont le niveau avait un peu baissé avec The Nest, néanmoins toujours mystérieux et terrifiant.
Iron Claw est toujours sur la marotte du réalisateur, l’emprise, celle d’un père sur ses fils dans le milieu du catch des années 80. Mais c’est comme si l’on avait confié à Durkin un film grand public sur un sujet indie. Et dans les faits, c’est le cas : des 600 000€ de budget de MMMM, Durkin passe à 15M$ pour cet Iron Claw. Le voilà obligé de faire recette.
Au-delà de l’aspect business, l’explication tourne une fois de plus autour de la première phrase du film : « inspiré d’une histoire vraie ». Le film parle d’une famille dont l’un des membres (Kevin) est encore vivant, et qui a probablement, d’une manière ou d’une autre, participé à la production de ce film. Le final ne peut donc être complètement tragique. Et ça ne rate pas : après avoir démontré consciencieusement que le père von Erich avait détruit cette famille de fond en comble pour cause de frustrations personnelles, le film se termine par l’habituel carton BOATS : « Kevin Von Erich vécut heureux au milieu de ses enfants et petits-enfants, et la famille von Erich est considérée comme l’une de plus grandes familles du catch ». Ça valait le coup, donc ?
S. Durkin semble avoir perdu la main. Si l’on reconnait sa capacité à filmer la beauté de la campagne américaine, où est passée le dialoguiste ? On a rarement vu dialogues aussi plats. Quand il y a quelque chose à décrire, et bien, le dialogue le dit. Le père veut devenir champion de catch ? le père dit « je veux devenir champion de catch ! »
Le soir même, la comparaison avec les derniers épisodes de Fargo, saison trois, était cruelle. Pour montrer la folie gagnant Emmit Stussy(Ewan McGregor), l’épisode lui offrait des monologues incompréhensibles, des bouts de phrases sans queue ni tête, tandis que son tourmenteur, l’infâme V.M. Vargas (et génial David Thewlis !), pérorait sur la nourriture ou la décadence de l’Occident pour signifier sa totale mainmise sur le précédent.
Noah Hawley ne cherche pas, lui, à expliciter quoi que ce soit par des dialogues. Il sait que le spectateur, au contraire, jouit de ce puzzle, et que l’intrigue avance d’elle-même, sans les dialogues.
Mais il est vrai que Fargo n’est pas un BOATS, car comme chacun sait : « Ceci est une histoire vraie. Les événements ont eu lieu dans le Minnesota en 2006. À la demande des survivants, les noms ont été changés. Par respect pour les défunts, tous les faits ont été racontés tels qu’ils se sont produits. »
mardi 6 février 2024
La Zone d’Intérêt
posté par Professor Ludovico
A priori, les astres étaient alignés. Jonathan Glazer, le formaliste ultra doué de Under the Skin semblait le parfait écrin pour quelque chose d’aussi indicible que la Shoah. Le parfait adaptateur également du très drôle, et très pénétrant, livre de Martin Amis.
Mais voilà, Glazer n’adapte pas La Zone d’Intérêt, mais plutôt La Mort est Mon Métier de Robert Merle. Le romancier français y biographiait/psychanalysait Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz.
Martin Amis, lui, sait – règle numéro un du Biopic réussi – qu’il faut s’écarter du sujet pour mieux le cerner. Il transformait Höss en Paul Doll, un commandant falot auquel il adjoignait deux co-narrateurs : Angelus Thomsen, officier nazi dragueur qui se rapprochait de la femme de Höss, et Szmul Zacharias, un Sonderkommando juif, pris tragiquement au cœur de ce trio d’opérette. Avec un humour ravageur, sans jamais tomber dans le mauvais goût (autant dire une performance sur ce sujet), Amis montrait la racaille nazie dans toute son incommensurable bêtise, et dans toute sa veulerie.
Ici, Glazer se contente de filmer sérieusement la famille Höss (Monsieur, Madame, la belle-mère et les enfants) comme une sorte d’installation d’art contemporain qui pourrait s’appeler Nazis Love Their Children Too.
Vouloir montrer la banalité du mal (les enfants jouant dans la piscine tandis que les crématoires tournent à plein régime), ou l’avidité revancharde (se « venger des juifs » dont ils étaient la boniche, comme le dit la belle-mère, en volant leur manteau de fourrure, leurs bijoux et leur rouge à lèvres…), ne suffit pas à faire film.
On est plutôt devant des tableaux (des enfants qui jouent, une mère qui jardine, un père qui administre…), tableaux d’une exposition qui aurait pour fond sonore l’extermination. Si l’exhibition du mal est parfaite, si le propos est glaçant, cela n’apporte pas grand-chose à son sujet.
Une heure et quarante-cinq minutes plus tard, nous sommes toujours dans la zone d’inintérêt…
vendredi 19 janvier 2024
Les Galettes de Pont-Aven
posté par Professor Ludovico
Qu’est-ce que vous avez tous avec Les Galettes de Pont Aven ? Film culte ? Chef-d’œuvre de l’humour 70s ? Faut voir.
Après de nombreuses tentatives ratées, on finit par l’enregistrer et le regarder en intégralité. A vrai dire, petit bout par petit bout, car le film est non seulement bricolé avec trois francs six sous – ambiance court-métrage amateur – mais il est surtout parfaitement abscons et inintéressant. L’histoire d’un représentant de commerce, obsédé sexuel mais frustré par sa femme, qui devient peintre à Pont-Aven par amour, sombre dans l’alcool et retrouve le goût de la vie avec une gamine qui vend des pommes d’api.
À part quelques répliques salées (dont le célèbre « Ah quel cul ! » qui deviendra la signature de Jean-Pierre Marielle, il n’y a rien. Tout cela devait être gentiment clivant dans les années 70. Aujourd’hui, il n’en reste rien. Seulement le goût amer d’une blague grivoise de fin de repas, racontée par un vieil oncle qui a forcé sur l’armagnac.