mercredi 25 décembre 2013
All is Lost
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Pas besoin de trop se forcer pour aller voir All is Lost. Si, comme moi, vous avez été nourri des récits d’Alain Gerbault (A La Poursuite Du Soleil) ou de Tabarly, c’est naturellement le Théorème de Rabillon qui s’applique. Vous en connaissez beaucoup, vous, des films sur la voile (à part le récent En Solitaire) ? De plus, All is Lost est réalisé par notre chouchou JC Chandor, déjà l’auteur de Margin Call encensé ici, donc on y va.
Le pitch est ici minimaliste. Un septuagénaire sans nom, « Our Man », est réveillé au petit matin par un bruit sourd. Son voilier vient d’être percuté par un container à la dérive*. A partir de là, Our Man va enchaîner les mésaventures : pannes radio, tempêtes, plus d’eau potable… le film est en fait une ode à l’humanité, à notre incomparable sens de la survie, et notre capacité à résister aux pires difficultés.
Le coup de génie est évidemment de prendre un vieillard (Redford) dans ce rôle : on s’inquiète beaucoup plus que pour Ashton Kutcher. L’autre bonne idée est de dépouiller cette histoire de tout pathos. On ne saura rien de Our Man, s’il a des enfants quelque part, des amis ou une femme… Our Man au début du film envoi un message désespéré mais à qui ? Au spectateur ? On voudrait vibrer pour lui mais on ne peut pas, puisqu’on ne sait rien de lui, et qu’aucune corde sensible nous est tendue…
C’est la faiblesse du film ; on est excité par le traitement anti-Hollywoodien de All is Lost, mais, en même temps, on voudrait un peu de chair scénaristique, façon Seul au Monde ou Into The Wild.
Et la fin déçoit également, même si elle est magnifiquement traitée : pour un film qui se la joue aussi réaliste, il fallait aller jusqu’au bout de ce film jusqu’au-boutiste.
* C’est d’ailleurs le seul lien que l’on pourra faire avec le précédent film de JC Chandor : ces containers de baskets qui polluent l’Océan Indien, ces porte-containers gigantesques et sans âme qui passent dans le noir sans nous voir, n’est-ce pas l’autre face du capitalisme absurde que dénonçait déjà Margin Call ?
mardi 24 décembre 2013
L’intelligence du spectateur
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les films -
Séries TV ]
On dit parfois d’un film ou d’une série qu’elle parle à l’intelligence du spectateur. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? C’est simple : le scénariste pense (ou sait) que le spectateur va remplir les blancs entre deux scènes. Le meilleur exemple de ce phénomène est sûrement Mad Men. L’équipe de scénaristes réunie autour de Matthew Weiner ne s’embarrasse pas d’explications superflues : Machine passe du temps avec Truc, un bébé naît : Truc est donc le père. Aucune ligne de dialogue ne viendra confirmer cela, aucune scène lourde de sens ne viendra certifier cela. De même, on attaque souvent les scènes in media res, c’est à dire au milieu de l’action, car le spectateur de Mad Men sait que le dialogue a peu d’importance dans la série ; nos pubeux sont sûrement en train de parler de la dernière campagne Sunkist, et de toutes façons, on va sauter du coq à l’âne dans quelques secondes, car c’est bien dans le style Mad Men.
A l’opposé, un cop show façon Esprits Criminels ne joue pas sur l’intelligence du spectateur ; il lui prémâche tout, de manière à ne jamais perdre personne en route. Le méchant est évidement méchant-arrogant-procédurier. Et le dialogue va venir expliciter le développement de l’intrigue, et surtout son dénouement.
Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas de mépris du spectateur mais bien de marketing. Mad Men, Game of Thrones, Sur Ecoute sont des produits de luxe qui servent des objectifs marketing précis ; ainsi The West Wing fut conservé dans les dernières saisons par ABC malgré des scores décevants parce que le show était très apprécié des CSP+. Nos politiciens de la Maison Blanche tiraient la chaîne vers le haut, et c’est aussi important qu’un bon rating. C’est toute l’histoire d’une émission comme C’est Pas Sorcier. Les scores ont souvent été mauvais, mais le show pédagogique de Jamy Gourmaud était inamovible car garant d’une certaine image « service public » pour France 3.
En restant abscons, Mad Men flatte l’intello qui sommeille en nous ; on n’a pas tout compris mais on est fiers de faire partie de ces spectateurs haut de gamme. A contrario, Esprits Criminels est un produit basique de la télévision ; il doit fournir la part de marché qu’il s’est engagé à délivrer. Donc pas question de faire dans le subtil. On ne doit perdre aucun spectateur en route, fut-ce au prix d’une intense simplification des intrigues et des situations. C’est ainsi que les plots et sub plots sont quasi standardisées, avec révélation d’indice programmée toutes les dix minutes, avant les pubs. Et que nos inspecteurs favoris expliquent à la fin de l’épisode – via un dialogue convenu – ce qu’il fallait comprendre.
Ce peut aussi être un plaisir régressif, non ?
dimanche 22 décembre 2013
La Grande Scène
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Séries TV ]
Comme il n’y a pas de grand groupe sans grand slow (Stairway to Heaven pour Led Zeppelin, Angie pour les Rolling Stones, Don’t Look Back in Anger pour Oasis …), il n’y a pas de grande série sans La Grande Scène.
C’est quoi La Grande Scène ? C’est une scène dans un épisode quelconque ; à un moment quelconque de la saison, dans n’importe quelle saison. Car la Grande Scène, on ne peut pas l’écrire ; elle émerge par hasard, c’est le coup de génie, par définition imprévu. Une scène qui, soudain, définit la série et dont on se souvient encore vingt après, des larmes dans les yeux et des frissons dans le dos. C’est le moment où l’on tombe amoureux de la série.
Pourquoi ? Parce qu’à partir de cette Grande Scène, qu’on va raconter et re-raconter à tous les collègues à la cafet’, on peut définir toute la philosophie de la série :
La Grande Scène du Caroussel, qui teinte pour toujours Mad Men de cette nostalgie douce-amère, celle d’un passé secret (celui de Dan Draper) ou celle, évidente, du monde doré des fifties en voie de disparaitre)…
La Grande Scène des échecs, dans Sur Ecoute où un damier de 64 cases devient la métaphore de la guerre de la drogue…
La Grande Scène du steak frites dans Un Village Français, qui illustre pour toujours la dualité de la France mi collabo, mi résistante (et qui n’arrive qu’à à la cinquième saison, 1943, évidemment)…
La Grande Scène de Game of Thrones, il y en a tant, mais disons, celle du cerf, ou Tywin Lannister, le père, fait la leçon à son fils Tyrion…
Et vous quelle est votre Grande Scène favorite ?
dimanche 15 décembre 2013
Anvil: The Story of Anvil
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
C’est peut être, comme la dit le critique du Times, « le plus grand film jamais réalisé sur le Rock’n’Roll » ; une chapelle élevée par un fan (Sacha Gervasi, auteur du bof-bof Hitchcock) pour son groupe fétiche. Un hommage à l’essence même du rock, ce mélange détonnant de célébrités apocalyptiques et de destins brisés. Elvis et Vince Taylor. Chuck Berry et Buddy Holly. Les Rolling Stones et Brian Jones. Metallica et Anvil.
C’est quoi l’histoire éternelle du rock ? Deux mecs qui se rencontrent à 15 ans, pas bien dans leur peau, nuls au foot, pas trop à l’aise avec les filles… et qui par conséquent décident de remédier à cela. Stockent des barils de lessive pour se monter une pseudo batterie. Branchent une vieille guitare sur un téléviseur cassé qui fera office d’ampli. Et qui montent un groupe, comme des milliers d’autres adolescents dans le monde.
Après c’est la règle du TTC : du Talent, du Travail, de la Chance. Du talent, parce que c’est peut-être facile de jouer de la guitare, mais il faut quand même apporter quelque chose de nouveau à son art : demandez aux Sex Pistols. Du travail, parce que malgré l’image de glandeurs au bord de la piscine, il faut des heures de répétition stériles pour sortir un son : demandez à Keith Richards. Des nuits entières passées dans des minibus glacés : demandez à Joy Division. Et de la chance, beaucoup de chance : demandez aux groupes qui ont du talent, ont beaucoup travaillé, et n’ont pas percé. Demandez à Anvil.
Anvil, c’est un groupe qui perce au début des années quatre-vingt en pleine New Wave of British Heavy Metal. Pas vraiment la tasse de thé du Professore (cheveux trop longs, idées trop courtes), mais bon ! Anvil sort un premier album qui déchire, 2 ou 3 bonnes chansons (Metal on Metal) un look bondage bien provoc ; bref tout ce qu’il faut pour réussir en cette période où Saxon, Iron Maiden, Def Leppard règnent sur la planète.
Anvil : The Story of Anvil, le doc de Sacha Gervasi commence comme ça : un concert tonitruant au Japon en 1984, avec Scorpions et Whitesnake. Puis le Gotha du métal défile devant la caméra : Slash (Guns’n Roses), Tom Araya (Slayer), Lemmy (Motörhead), Lars Ulrich (Metallica). Pour débiter les âneries habituelles du docu rock complaisant : superlatifs et compliments laudateurs sortis de la photocopieuse : « les inventeurs du heavy metal », « le meilleur batteur de tous les temps », « amazing live performance »… Mais voilà, Anvil était un grand groupe, qu’est-ce qu’il leur est arrivé ? Le grand Lemmy donne la réponse : « You have to be at the right place at the right time. If you don’t… »
Commence alors une plongée extrême dans les enfers du rock. Le groupe existe toujours à Toronto. Il ne reste que le chanteur et le batteur. Le premier, Lips, livre des repas à la cantine du voisinage ; l’autre (Robb Reiner, rien à voir avec l’auteur de Princess Bride) gagne sa vie en menus travaux de maçonnerie. N’empêche qu’Anvil joue toujours. Les deux amis d’enfance ont trouvé d’autres musiciens, plus jeunes, et consacrent leurs vacances à tourner. Tourner, toujours tourner, à chaque fois que c’est possible dans cette tragi-comédie du rock’n’roll : club minable à Prague, gymnase rempli à 10% en Transylvanie (sic), festival en Suède face à d’autres qui ont réussi… Les clichés du rock ont la vie dure : une manager à la ramasse, des trains ratés qui se transforment en heures de sommeil sur le marbre glacé de gares européennes dont on a oublié le nom. La légende du rock ? Oui, quand on parle de groupes qui débutent ; les Beatles à Hambourg, Nirvana qui fait des ménages pour se payer des guitares, les Rita Mistouko qui dealent et tapinent avant de percer… Mais quand il s’agit d’hommes de cinquante ans que le succès a refusé d’honorer, cela tourne au tragique.
Une scène magnifique vient éclairer le personnage de Lips Kudlow, le chanteur. Ses frères et sœurs viennent témoigner sur leur petit frère. A front renversé des clichés du rock – dont la mythologie exige qu’il soit le passeport du prolétariat pour une vie meilleure – toute la famille Kudlow a réussi : comptable, femme d’affaires, endocrinologue ; seul le petit frère s’est gaufré. Une forme d’embarras se dessine alors, teinté d’affection. Dans le même genre, le témoignage des épouses Kudlow et Reiner, coiffées comme en 1984, il ne leur manque que le pantalon rayé rouge et blanc. Trente ans qu’elles se coltinent les traites du pavillon de banlieue, alors qu’elles ont frôlé la vie de Sharon Osbourne ou de Linda McCartney.
Anvil : The Story of Anvil met le doigt sur la réalité de l’art ; les milliers qui échouent pour que quelques-uns réussissent. Bien sûr, nous sommes nombreux à avoir voulu percer un jour dans le showbiz, être acteur de cinéma, chanteur d’un groupe punk, animateur de télé. Ce rêve existe encore, c’est ce que vend tous les jours la téléréalité… Mais un jour, on comprend que ce rêve ne sera pas accessible, et que le confort d’un boulot nine to five n’est pas l’enfer qu’on s’était imaginé. La tragédie d’Anvil est toute autre ; ils ont tutoyé les sommets et en sont redescendus. Ce drame-là est intense.
Le film a été nominé dans la catégorie « Truer Than Fiction » d’un festival de films indépendants.
Truer than fiction. On ne saurait mieux dire.
jeudi 12 décembre 2013
Et Tunnel chuta (comme beaucoup d’autres…)
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
On le sentait arriver mais on a espéré jusqu’au bout qu’il n’en fut rien. Mais si, Tunnel décline, Tunnel se plante. La faute à ces éternelles facilités scénaristiques qui tuent les meilleures intentions.
Quelles sont-elles, ces intentions ? Dépeindre la zone grise de Sangatte-Folkestone, symbole du déclin de l’Europe ? Ses migrants sans papiers, sa prostitution, ses trafics ? Ses flics, ses voyous, et ses saints ? Y superposer un tueur vengeur – façon John Doe de Seven – qui fait la leçon à tout le monde ?
Excellente idée en vérité, qu’il faut tenir jusqu’au bout.
Mais après un début fracassant, Tunnel s’essoufle.
Première erreur : l’assassin (The Truth Terrorist) est trop fort.
Il sait tout, a accès à tout. Il dispose de beaucoup de matériel (sites internet, explosifs indétectables, uniformes divers, planques à foison) ; il est toujours là quand il le faut. Certes, on comprend cette nécessité de multiplier les rebondissements mais un peu de réalisme de temps en temps ne fait de mal. C’est le syndrome House of Cards.
Deuxième erreur : On ne prend pas le temps d’installer les personnages ou les intrigues
C’est tout le plaisir de la série : on a tout le temps du monde. Pourquoi bâcler une histoire de vengeance adultérine en un seul épisode ? Pourquoi amener des personnages d’épiciers maghrébins venus de nulle part et les abandonner presque immédiatement ? Pourquoi lancer quelques milliardaires mystérieux et les oublier ensuite ? Tunnel lance ses filets, mais rejette immédiatement ses poissons à la mer. C’est le syndrome Un Village Français.
Troisième erreur : Tunnel recule devant l’obstacle
Tunnel est glauque, mais il y a un moment où la série sent qu’elle pourrait aller trop loin ; c’est pourtant là que ça devient intéressant. Malgré son courage politique affiché dans le pilote, Tunnel se déballonne quand il s’agit de tuer un flic ou gentil. Seuls quelques méchants y passent. C’est le syndrome Homeland.
Il nous reste encore beaucoup à apprendre des (bonnes) séries US.
mardi 10 décembre 2013
Pensées Coeniennes
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -
Les gens ]
Dans l’excellent So Film de Novembre, il ne fallait pas rater une extraordinaire interview des frères Coen. Florilège.
« Le problème, c’est le gens nous prennent pour des cinéastes sérieux. Les critiques pensent que nous nous foutons de la gueule de notre pays. La vérité est plus simple : nous faisons partie de cette Amérique. »
« Les français sont connus pour vous transformer sont en artiste alors que vous n’avez rien demandé. C’est quand même le peuple qui trouve que Clint Eastwood est un génie, non ? Comme Woody. Vous avez vraiment une affection pour les mecs qui jouent du jazz ! »
Barton Fink : « Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais l’année où on a eu la Palme, c’est Polanski qui présidait le jury. Et dans Barton Fink, on a quand même emprunté pas mal de gimmicks à son cinéma. Si on avait voulu draguer Polanski on n’aurait pas pu mieux s’y prendre… »
« On a eu le temps d’observer ces réalisateurs qui au début gagnent un peu plus de fric que prévu et se mettent à le dépenser n’importe comment. En payant notamment une armée d’agents et d’avocats… après ils achètent des bureaux hors de prix sur Melrose Avenue. Et puis un jour il faut qu’ils remboursent leurs prêts et paient leurs 13 attachés de presse. Alors ils sont prêts à réaliser n’importe quelle merde pour rembourser leur crédit.
Nous, on vient dans les bureaux des producteurs avec des vieilles baskets et des jeans pourris. Au moins ils savent que la négociation sera difficile. »
Sur les Biopics : « On sait déjà tout sur Bob Dylan. C’est super Dylan, mais est-ce que sa vie est plus attirante que celle de Phil Ochs ? »
« On est restés très agnostiques sur la réussite. Est-ce que c’est mieux d’avoir un bon box office avec True Grit ? Est-ce que c’est mieux de gagner les oscars avec No Country for Old Men ? Ou est-ce que c’est mieux d’inspirer les gens, ici et là, avec un film sorti de nulle part comme The Big Lebowski ? Vaste question. »
Vaste question en effet, quand on a tout : le succès, des Oscars et une Palme d’Or !
dimanche 8 décembre 2013
Dans le visage de Dan Draper
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
« La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. »
On pourrait appliquer le deuxième verset de la Genèse au visage de Dan Draper, qui impassible, est le dieu omniscient de Mad Men. Nous vivons depuis 6 ans au rythme de ce visage pourtant le plus souvent impénétrable. Cantonné dans le rôle de l’Homme au Complet Gris, selon le titre du livre oublié de Sloan Wilson sur l’Amérique consumériste des 50’s, Dan Draper apparait comme de plus en plus perdu dans ces sixties qui changent le monde.
Mais pourtant le génie créatif de l’agence Sterling Cooper Draper Pryce semble rester l’homme de marbre : macho viril, modèle de manhood quand il s’agit de s’adresser aux collaborateurs de l’agence, aux clients récalcitrants, à l’ex-épouse qui râle, à la femme qui pleurniche, ou l’amante qui supplie. Don Draper est un roc, et, en même temps, ce roc se fissure depuis le début.
Depuis toujours, nous calquons nos réactions sur ce visage, car nous savons (depuis le célèbre épisode du Carrousel Kodak*) que ce visage n’est pas de marbre ; un cœur angoissé bat sous cette pierre. Dans l’épisode s06e07, il aura suffi d’un fond d’œil qui rougit pour que nous soyons pris par les tripes.
C’est la magie de Mad Men, la série la moins putassière du PAF. Toute la dramaturgie est pourtant basée là-dessus : un héros imparfait – comme le spectateur – chargé de tares – comme le spectateur – qu’on peut justement « aimer » pour cela. Selon les règles antiques du conte, notre « héros » rencontre divers obstacles dont on espère qu’il va les surmonter, et combat divers « antagonistes » qu’il va défaire en combat singulier. Dans les Sopranos, on réprouve les actions de Tony, mais on a peur pour lui et on veut qu’il se tire des griffes de la police comme de la mafia ; dans Six Feet Under, on est Nate et ses errements de trentenaire sont les nôtres ; dans The Wire on craint pour la vie du flic McNulty comme pour celle du bandit Stringer.
Rien de tout cela dans Mad Men. Des choses se passent. Des évènements se déroulent. Les personnages sont ce qu’ils sont. Nous n’avons pas de réelle empathie pour eux, car Matthew Weiner n’a rien fait pour la créer. Mais quels qu’ils soient, grands (Draper) ou misérables (Campbell), moches (Peggy) ou magnifiques (Joan), nous sommes tristes quand il leur arrive malheur.
Car ces mad men sont nos frères.
* « La nostalgie.
C’est subtil, mais très puissant…
Teddy m’a appris qu’en grec, nostalgie signifiait littéralement une blessure ancienne qui fait toujours mal.
C’est un pincement au cœur, teinté de regrets, et bien plus puissant qu’un simple souvenir.
Grâce à cette machine, on ne vole pas dans l’espace. On remonte le temps.
D’une pression on recule, on avance.
Elle nous ouvre les portes d’une époque perdue que l’on rêve de retrouver.
Cette chose n’est pas une roue.
C’est un carrousel.
Grâce à lui on voyage comme un enfant sur un manège.
On tourne, et on tourne, et on retourne au point de départ, ce lieu magique où on se sait aimé. »
samedi 7 décembre 2013
Mad Men saison 6, y’a quand même un défaut…
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Séries TV ]
Ben oui. Un seul. Il faut bien en trouver un dans la Cathédrale de Chartres de Matthew Weiner ; un petit bug très franco-français.
Si vous suivez la série, vous savez que Don est désormais marié à son ex-secrétaire, la délicieuse canadienne Megan. (Si vous ne suivez pas la série, tant pis pour vous. Votre identifiant et votre mot de passe CineFast ont été effacés automatiquement).
Bref. Megan a des parents bien frappés, un père prof et communiste, qui se paie le luxe de se faire ridiculiser par cette petite merde de Kartheiser, et une mère nymphomane, Marie, qui se tape n’importe qui, dès qu’elle a un verre dans le nez.
Fidèle à son positionnement haut de gamme, Mad Men se paie le luxe de faire parler ses personnages en français. Fait rare, comme on sait, dans les films US. C’est là que le bât blesse : Megan est jouée par Jessica Paré, qui propose un accent québécois parfait. Sa mère, censée être française, est jouée par l’excellente Julia Ormond. Problème, elle est anglaise, et, si elle parle un très bon français, elle ne peut faire illusion.
Petite faute de goût, qui sera aisément pardonnée.
jeudi 5 décembre 2013
La Vie d’Adèle
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Les motivations pour aller voir le dernier film de Kechiche ne sont pas claires, voire même tout aussi obscures que les intentions du cinéaste.
Objectivement, qu’est-ce qui pousse à voir La Vie d’Adèle ? Le scandale ? Vérifier in situ que les comédiennes ont bien été poussées à bout par le Kubrick niçois ? La fameuse goutte de morve que Lea Seydoux aurait été obligé de lécher ? Ne faites pas les malins, on vous connait ! On sait bien que vous avez lu ces cancans. Depuis Cannes, la polémique traine comme un boulet aux basques du réalisateur de L’Esquive.
Et s’il n’y avait pas eu le scandale, les raisons ne seraient pas moins avouables : deux petits canons qui s’embrassent sur écran géant (et plus si affinités), dans le film le plus hot de l’année. Rien de nouveau sous le soleil : le cinéma, c’est un art fait par des voyeurs avec des exhibitionnistes, pour les voyeurs. Louise Brooks-Mae West-Élisabeth Taylor-Adjani-Kirsten Stewart. Rudolf Valentino-James Stewart-Hugh Grant-Tom Cruise : c’est ça le moteur pour aller au cinéma ; tomber amoureux de demi-dieux de celluloïd, et si possible les voir tous nus. One pound of flesh, no more, no less… un bout de sein, une fesse, le torse imberbe de Cary Grant. Le cinéma, cet art de foire, vend ce spectacle de strip-tease depuis toujours.
Comme Kechiche l’avait prévu, la polémique pollue le film. On met du temps à s’en détacher ; mais ensuite, le film déploie ses ailes de mini chef-d’œuvre.
Mini car tout n’est pas réussi dans La Vie d’Adèle, et en premier lieu, ces fameuses scènes de cul ; il y en a trop, elles sont trop longues et on ne croit pas une minute que Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos soient lesbiennes. Elles simulent, et c’est horrible. Il est évident qu’il aurait fallu deux actrices homosexuelles et mieux, un vrai couple, car il est impossible de mentir dans de telles circonstances intimes. Et on ne peut s’empêcher de penser que Kechiche réalise un fantasme en tournant cette scène; malheureusement, ça se voit.
Ceci mis à part La Vie d’Adèle est un grand film, tenu de bout en bout. Un film qui arrive à faire reposer sur les épaules d’une actrice débutante (Adèle Exarchopoulos, extraordinaire) le passage de l’adolescente à la femme, de la bachelière pleine d’espoir à la jeune prof. Cette métamorphose est très bien filmée, avec comme d’habitude un Kechiche très précis. On peut filmer caméra portée sans être un tâcheron.
Ensuite le réalisateur a un propos. Toujours le même, depuis L’Esquive ou La Graine et le Mulet. Clair et contestable, mais son film est au service de ce propos. On n’est pas prisonnier de son cœur, dit en substance Kechiche, ni de sa sexualité. On peut expérimenter et découvrir ce que l’on est. Mais les classes sociales sont un piège dont on ne peut s’extraire. Adèle est pauvre, Emma est riche et bourgeoise. Malgré l’amour, malgré le sexe, tout ça n’a pas vocation à changer. Emma peut changer la sexualité d’Adèle mais elle ne peut pas la changer, elle.
Si le propos peut sembler parfois caricatural ou un peu trop appuyé (la fête d’artiste chez Emma, le comédien beur), il n’empêche que ce décrit Kechiche, c’est la loi commune : les cadres font des cadres, les ouvriers font des ouvriers, et les profs font le plus souvent des profs, même si notre idéal démocratique s’accommode mal de cette réalité. La force de La Vie d’Adèle c’est de démontrer cela, implacablement.
lundi 2 décembre 2013
Mad Men saison 6
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Mad Men, c’est le PSG des séries, le truc qui te met 4-0 tous les dimanches quel que soit le sujet que tu mets en face. Problèmes de l’adolescence ? Place des femmes dans l’entreprise ? Discrimination raciale ? Matthew Weiner aligne Hamm et Moss en attaque, Kartheiser comme deuxième milieu récupérateur et gagne le match.
Quel est le secret de cette régularité ? Y’a-t’il une méthode Sopranos* ?
En tout cas, on ne cherche pas la rentabilité immédiate ; pas plus chez les pubards de Madison Avenue que 10 miles plus à l’ouest, chez les mafieux du New Jersey.
Samedi, à la mi-temps d’une partie de poker chez le Professore qui a mal fini pour lui, l’un de ses adversaires lui expliqua qu’il avait décroché de Mad Men parce qu’il ne voyait pas « où la série allait ».
Mais c’est ça le secret, petit !
Weiner ne s’embête pas avec les contraintes des autres séries, pas d’île mystérieuse à expliquer, pas de Numéro 1 à démasquer, pas de meurtrier de Wisteria Lane à mettre sous les verrous.
Mad Men ne mène nulle part parce que Mad Men, c’est la vie elle-même.
*Matthew Weiner a commencé chez David Chase