mardi 31 décembre 2013


Virtuosité
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Il y a quelque chose de mystérieux dans le rock, si on n’essaie pas d’analyser cette musique populaire. Pourquoi les virtuoses n’y percent pas ? Joe Satriani ? Jeff Beck ? Jimi Hendrix, dans une moindre mesure ? Pourquoi des mauvais réussissent ? Keith Richards ? les Sex Pistols ?

Pour revenir à notre règle du « TTC », Talent – Travail – Chance, peut-être que les premiers manquent de chance, mais c’est surtout le mot talent qu’il faudrait redéfinir. Le talent, ce n’est pas juste jouer de la guitare dans son dos, ou d’aligner 125 notes par minute. Non, le talent, c’est cette chose magique que possèdent les « mauvais » susnommés… il suffit parfois de quelques notes très espacées (celle de la Sonate au Clair de Lune, par exemple) pour susciter une incroyable émotion.

Ce débat, en fait, irrigue l’art : les peintres pompiers sont d’excellents techniciens, mais inspirent-ils autant d’émotions qu’un Van Gogh ? Et dans le cinéma, c’est la même chose. Il ne suffit pas du plan parfait pour emporter l’adhésion du spectateur. Spécificité du cinéma, il faut déjà agréger plusieurs talents dans la même image : acteur, photo, musique, dialogue, déco… Mais surtout, il faut se garder d’en faire trop : l’acteur qui surjoue, l’image trop léchée, la musique trop bonne qui enterre le film*, le bon mot de trop, le décor trop luxueux… n’est-ce pas Mr Hitchcock ?

Une fois qu’on a réussi tout ça, il faut encore que la scène soit au service du film, et pas l’inverse.

Les virtuoses au cinéma courent souvent le même risque que les guitaristes de heavy metal : en faire trop dans le solo nuit au morceau. Fincher dans ses premiers films, Ridley Scott ou Coppola, le Scorsese de Hugo Cabret… Mais aussi les jeunes loups d’aujourd’hui comme Zack Snyder (Man of Steel), Michel Gondry, Paul Thomas Anderson (The Master), Christopher Nolan (Les Batman, Inception), James Gray (La Nuit Nous Appartient) qui tuent leurs films sous une forme de perfection graphique

Evidemment quand ça marche, on n’est jamais loin du chef d’œuvre : Wes Anderson (Moonrise Kingdom), Steve McQueen (Shame, Hunger), Nicolas Winding Refn (Drive), Lars von Trier (Melancholia)…

La différence, c’est que la virtuosité de ces films-là n’est que le résultat d’un véritable geste artistique, pas une fin en soi.

*Demandez à Barbet Schroeder, obligé de couper dans les compositions du Pink Floyd pour More : « la musique était trop bonne, elle mangeait le film ! » Pas rancunier, il les rengagea pour La Vallée.


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