samedi 15 décembre 2007
Dans l’espace, personne ne vous entend pleurer…
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
Intéressante anecdote racontée l’autre soir sur Arte, dans un très éclairant documentaire sur notre Jean Giraud – Gir – Moebius national. Réuni autour du premier projet d’adaptation de Dune, on trouvait en 1975 quelques pointures : Jodorowski à la réalisation, Dan O’Bannon au scénario, Moebius, Chris Foss et Giger à la direction artistique.
Après des mois de travail, les financiers abandonnent le projet avant qu’une seule scène ne soit tournée. Chacun réagit à sa façon : O’Bannon pleure toute la journée, quand Jodorowski décide de ne verser « aucoune larme pour ces imbécillles qui n’ont pas vôu laa chef d’œuvre que nous allions réaliser ! ».
Mais O’Bannon se console d’une étrange façon : il écrit immédiatement un autre script, une histoire d’ouvriers de l’espace, des rêveurs (c’est ainsi qu’ils sont décrits dans la novellisation tirée du film), qui se font dévorer, un par un, par une bête immonde qui pousse à l’intérieur de leur estomac. Ce film s’appellera bientôt Alien, designé par Moebius, Chris Foss et Giger.
Ensuite, à Métal Hurlant, Moebius s’emparera d’un vieux scénario de Dan O’Bannon (The Long Tomorrow), qui deviendra L’Incal, LA BD de référence de Moebius/ Jodorowski, mais qui sera aussi l’inspiration du prochain film d’O’Bannon, un certain… Blade Runner.
Il est des refus qui sont féconds, non ?
samedi 15 décembre 2007
Dans la Vallée d’Elah
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Je sais, je suis un peu en retard sur celui-là, mais les films de Paul Haggis (Collision) mettent toujours un peu de temps à me séduire. Celui-là en fait partie. C’est un mélo remarquable, car discret, lent prudent. Pas d’effusion, à l’image du père (formidable, comme toujours, Tommy Lee Jones), quand on comprend que le fils est mort. Paul Haggis prend son temps pour faire pleurer, évite les moyens les plus vulgaires, et pose tranquillement ses personnages : le père, la mère, la flic.
Seul reproche : on en attend un peu plus, sans trop savoir quoi : une révélation ? un complot ? Ce petit plus ne viendra pas. Mais vaut quand même le déplacement.
samedi 15 décembre 2007
I’m Not There
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Il est des films que l’on attendit comme le messie : Dune, Le Seigneur des Anneaux, Full Metal Jacket… I’m Not There fait partie de ceux là : un film sur le grand Bob, et un film de Todd « Velvet Goldmine » Haynes. Au programme, un film expérimental et alléchant : raconter la vie multiple de Dylan au travers de six acteurs, dont un enfant noir et une femme… Bonne idée sur le papier, qui malheureusement peine à se concrétiser sur l’écran. Si ce parti pris est totalement adapté à l’œuvre et à la geste dylanesque, il se prête mal à une narration soutenue. On nous propose donc un sublime kaléidoscope de 2h15, avec des performances d’acteurs (Richard Gere, Cate Blanchett, Christian Bale, Heath Ledger, etc.), mais à la fin, que reste-t-il ?
J’étais avec un ami, peu familier de la vie de Robert Zimmerman. Résultat : il n’a rien compris et s’est bien ennuyé ! Pour ma part, hormis le petit jeu des devinettes comme autant d’événement bibliques dans la vie de St Robert (ah oui, Julianne Moore, c’est Joan Baez !? et là c’est l’Accident de Moto ?! Et La Rencontre Avec les Beatles !!), je suis sorti déçu. La technique du cut-up (je prends le journal, je le coupe en quatre, j’accole les morceaux aléatoirement et je regarde ce que ca donne) peut permettre d’écrire le Festin Nu, ou « Shakespeare, he’s in the alley, with pointy shoes and his bells », mais au cinéma, bizarrement ça ne passe pas. On s’ennuie. Trop de texte, trop de musique. Images sublimes, mais trop de respect, finalement, pour Dylan.
Car si Velvet Goldmine est aussi réussi, c’est d’abord parce que Haynes écrit contre Bowie, qu’il défend une thèse, celle d’un Bowie traître, passé de la gauche décadente homo à la droite la plus extrême, adepte du gay-bashing. C’est aussi parce qu’il décentre son sujet, faisant semblant de centrer son film sur le fan (Christian Bale), plutôt que sur Bowie (Jonathan Rhys Meyers). Au final, Bowie interdit très logiquement Haynes d’utiliser une quelconque musique, obligeant par là même Haynes à faire composer de la musique « à la manière de ».
Ici, il a eu l’accord de Dylan, et finalement, ça se voit. Comme disait Machiavel : « Comme pour peindre une montagne, il faut être dans la plaine, pour juger un prince, il faut être peuple ». C‘est à dire, loin.
lundi 10 décembre 2007
Playlist du Professor Ludovico
posté par Professor Ludovico dans [ Playlist ]
MP3: April march (Chick Habit), Arcade Fire (No Cars Go); Livre : François Bon (Bob Dylan), René Girard (Achever Clausewitz, mais je rame!), Série : Les Sopranos, bien sûr!!!
samedi 8 décembre 2007
American Gangster
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Qu’y a-t-il de plus terrible que de s’ennuyer au cinéma ? Rester coincé deux heures dans le noir ce n’est pas une vie ! On n’est pas devant un DVD, ou devant une série, on ne peut pas déclencher une mutinerie et abandonner le navire !! Ici, on reste à bord avec le capitaine Scott !
Je partais avec un fort a priori négatif, ce qui est finalement, le meilleur état d’esprit pour aller voir un film, non ? On ne peut qu’être agréablement surpris, non ? Surpris, je le fus, car Captain Scott ne sombre pas ici dans ses habituels défauts (mise en scène gonflée à la coke et direction artistique de nouveau riche). Non, ici, c’est plutôt soft, effacé, mais qu’est-ce qu’on s‘emmerde ! Ce n’est pas à proprement parler un mauvais film : très bien filmé, des acteurs épatants, un scénario intéressant… Mais c’est juste qu’American Gangster ne décolle jamais, et qu’on a déjà vu ça 100 fois, 100 fois mieux ailleurs : le petit gars qui reprend le business (Le Parrain I, II & III), l’affrontement viril mais correct entre flic et gangster (Heat, Sur Ecoute), l’héro qu’on va chercher en Thaïlande (L’Année du Dragon), le flic qui détruit sa vie (les mêmes)… Bref rien de nouveau sous le soleil. A voir un jour de pluie sur RTL9.
dimanche 2 décembre 2007
Le paradoxe de l’argent
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
Suite à une remarque sur le cinéma français, j’ai soudain eu la révélation du paradoxe suivant : l’Amérique n’a pas de complexe avec l’argent, mais renâcle à le montrer au cinéma, tandis que notre cinéma hexagonal propose à l’écran des héros bourgeois, dans un pays où, pourtant, il est tabou de dire combien l’on gagne.
Je n’ai pas d’explication particulière à ce phénomène, il s’agit surtout d’une constatation. Chez nous, il n’y pas de honte d’être médecin, avocat, prof… On se moque parfois des riches, comme dans Le Dîner de Cons, mais ça reste anecdotique.
Dans le cinéma américain, le méchant est souvent très riche ; le héros systématiquement middle class. Un bon exemple, c’est Colombo, le brave type qui propose son bon sens et sa bagnole pourrie (et française) face aux riches de Beverly Hills qui opposent eux, crimes, mensonges et trahisons…
Dans les GCA, le méchant est toujours très riche et fomente un complot visant à l’être plus encore… Les profs, et en général ceux qui représentent l’autorité, font souvent problème : ridiculisés (comme dans Ferris Bueller), les patrons sont souvent imbus d’eux-mêmes et chantres du mauvais goût (Heroes, Les Sopranos. Un autre exemple, c’est Batman : très riche, (mais philanthrope !), il apparaît coincé quand il est en costume de riche, mais à l’aise en super héros : l’habit ferait il le moine ?
dimanche 2 décembre 2007
Leçon de cinéma dans Flightplan
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
L’avantage de Canal+, c’est de revoir des films à la volée, dans un délai assez court après leur sortie en salles, mais suffisamment loin du buzz et des critiques de la sortie. Flightplan n’est pas un grand film, loin de là, mais à la revoyure, il offre une intéressante leçon de cinéma, notamment en matière de Point de Vue et de Casting.
Tout est effectivement affaire de point de vue dans Flightplan. Jodie Foster, veuve et mère de famille, est-elle réellement montée à bord de cet avion en compagnie de sa fille ? N’est-elle pas au contraire en pleine bouffée délirante, liée à son deuil récent ? Pendant la première moitié du film, on est avec l’héroïne, son deuil, son retour aux USA, sa fille. Lorsque celle-ci disparaît, on est toujours avec elle, dans l’inquiétude d’une mère qui pourrait être confrontée immédiatement à un second deuil.
Mais lors d’une séquence formidablement maîtrisée, le réalisateur inverse notre point de vue : et si Jodie Foster était folle ? Et si le commandant de bord, suspect au début, n’était pas finalement le good guy ? Et cet US Marshall, à bord de l’avion, qui pose les bonnes questions : Pourquoi personne n’a vu votre fille ? Pourquoi n’est-elle pas sur le manifeste de l’avion ?
En quelques minutes, le spectateur est plongé dans le doute… Lorsque soudain, sur la base d’un indice irréfutable, il rebascule dans la Réalité, la vraie, que je ne révélerai pas ici. Tout est minutieusement agencé dans cette mise en scène : choix de la bande-son, où par exemple le ronronnement des réacteurs s’efface pendant que Jodie Foster assène sa démonstration, puis revient lorsque le commandant de bord accède à sa requête….regards croisés des seconds rôles, qui autorisent toutes les interprétations aux spectateurs… intrigues secondaires (terroristes arabes, psys manipulateurs, américain trop sympa pour être honnête…) qui perdent le spectateur (et lui offrent aussi la jouissance de bâtir) plusieurs histoires possibles…
Il y aussi un autre génie dans Flightplan, c’est celui du casting, cet art souvent ignoré du grand public, mais pourtant art fondamental du cinéma. Car quoi qu’on en dise, tout le monde ne peut pas tout jouer ; un acteur a l’écran dispose d’un a priori (positif ou négatif) au départ, et tout l’art du film est d’utiliser cet a priori pour conforter – ou égarer – le spectateur.
Cet égarement est à l’œuvre dans Flightplan. D’abord le choix de Jodie Foster. La petite fiancée de l’Amérique est parfaitement à son affaire dans ce film-là : elle qui collectionne depuis le début les rôles de victimes (Taxi Driver, Les Accusées) mais aussi les rôles de Mère Courage (Panic Room, Le Silence des Agneaux), joint ici les deux : Victime et Mère Courage. On l’a vu plus haut, on hésite même un moment entre les deux : elle sera les deux, finalement.
En face, tout se joue sur l’ambiguïté des protagonistes : Sean Bean, star grand public depuis son rôle dans Le Seigneur des Anneaux (Boromir, le traître malgré lui), a collectionné depuis les rôles de méchant : Benjamin Gates, Troy, The Island. Il est donc parfait en commandant de bord, dont on suppute pendant tout le film le rôle trouble dans l’affaire. On peut même dire que c’est sa prestation dans le rôle qui fait basculer un banal Boeing en piège de métal. Jusqu’à son apparition, l’avion est un endroit normal, quotidien. Lorsqu’il parait, on sait que Foster est en mauvaise posture. Et tout à coup, l’équipage, les hôtesses de l’air se transforment en créatures maléfiques, tandis que le mise en scène lorgne vers les codes des films d’horreurs (éclairs, flou sur l’arrière plan puis brusque mise au point, etc.)
Au contraire, Peter Sarsgaard, l’US Marshall, peu connu du grand public (il a surtout joué dans des films indépendants), offre sa voix douce et son visage lisse à toutes les interprétations : good guy ? Bad guy ? je vous le laisse découvrir à la fin de Flightplan…
En ce moment sur Canal+
samedi 1 décembre 2007
Les Promesses de l’Ombre
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
J’allais à reculons voir le dernier Cronenberg, et j’avais raison. History of Violence m’avait beaucoup déçu, et celui-là ne fait pas exception, il est pourrait-on dire, du même tonneau. Il y a toujours Viggo Mortensen, toujours la femme blonde (cette fois-ci Naomi Watts), toujours le passé qui remonte à la surface.
Ce qu’il y a toujours, aussi, c’est cette écriture comics qui plonge le film, pourtant superbement filmé, dans le ridicule : les situations sont convenues (quand elles ne sont incroyablement irréalistes), les dialogues sont prévisibles trois répliques à l’avance, et le talent des comédiens (Viggo, la Blonde et Armin Mueller-Stahl) ne fait rien à l’affaire. Les personnages ressemblent à des icônes, et ne prennent que rarement vie.
Mais surtout, le plus grave, c’est que Cronenberg s’est définitivement embourgeoisé. Où est passé le cinéaste de Crash, Dead Ringers, Videodrome ? Les histoires qu’il filme désormais sont des polars mal dégrossis, qui supportent difficilement la concurrence (j’échange volontiers une scène des Sopranos contre les 4 dernières heures de Cronenberg).
Ici, on tourne au mélo le plus ridicule qui soit. Pour pimenter la sauce, Cronenberg fait mine de jouer dans la cour du gore, mais ce n’est que pour épater le bourgeois : « Ouh lala ! Il lui tranche la gorge ! Et on voit drôlement bien le sang qui coule !! » « Ouh la la ! Viggo se bat tout nu ! Et on voit ses roubignolles !!! », ad lib.
Comme le disait Scorsese, la violence ne sert à rien au cinéma si elle ne porte pas en elle un profond dégoût, et une morale. Ici, on sent que des réminiscences du cinéma disparu de Cronenberg. Le reste n’est que conformisme.
mardi 27 novembre 2007
Eloge du cinéma français
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
On me met en demeure via le jeune Giovanni Drogo (N’as-tu donc pas mieux à faire jeune Drogo ? Surveiller ton désert, par exemple ?), de sortir de cette antienne pro-américaine qui fait la spécificité de CineFast, et de s’ouvrir enfin au cher vieux pays en vantant les mérites du cinéma hexagonal. Et on me jette en pâture Melville et Sautet.
Je veux bien m’incliner, mais pas devant ces deux-là ! Pour des raisons fort différentes, d’ailleurs. Melville est pour moi un bon réalisateur (Le Cercle Rouge, L’armée Des Ombres) mais aussi un esthète chiant (Le Samouraï, Les Enfants Terribles). Gotlib avait, en son temps, pointé les clichés du cinéma melvillien dans une Rubrique à Brac assez bien vue. Melville a gardé depuis sa mort une sorte d’aura un peu incompréhensible, mais bon !
Sautet est plus doué (Un Mauvais Fils, Vincent, François, Paul… Et Les Autres, Max et les Ferrailleurs) mais il est – et ce n’est pas de sa faute, évidemment -, l’inventeur du cinéma bourgeois à la française qui depuis fait florès. Un cinéma qui fait tout le charme de notre production germanopratine : des histoires de médecins et d’avocats, qui ont des problèmes d’adultère de médecins et d’avocats, pour un public de médecins et d’avocats.
Donc s’il me faut défendre notre cinéma, je choisirais un autre binôme, plus proche de ma nostalgie et de mon panthéon personnel : Yves Boisset et Pierre Granier-Deferre. S’agissant du premier, qui certes ne fait plus que téléfilms ou des mauvais films depuis Le Prix du Danger (1983, tout de même), voilà un réalisateur qui a enchanté mes années 70 : Le juge Fayard dit le Shérif, Espion, lève toi, Un Taxi Mauve, La Femme Flic, Dupont Lajoie, RAS : la liste est longue de films qui certes ne sont pas des chefs d’œuvre, mais forment une œuvre qui tient la route. Des films « de gauche » comme on disait à l’époque avec des comédiens formidables (l’immense Dewaere, bien sûr, mais aussi Lino Ventura, Jean Carmet, Michel Piccoli, Philippe Léotard, etc.) Ses films étaient des films engagés, mais toujours avec un scénario en béton, dialogués, avec de l’action. Et ils n’hésitaient pas à se colleter avec les problèmes du temps : les agissements du SAC, la corruption des notables locaux, la guerre en Algérie, le racisme ordinaire… Des problématiques qu’on appelle aujourd’hui, trente ans après, à voir enfin sur nos écrans de télévision.
Pierre Granier Deferre est un peu comme Yves Boisset (sauf qu’il vient de mourir !). On lui doit Adieu Poulet, mais aussi Le Chat, La Horse et l’excellent Une Etrange Affaire avec Piccoli et Lanvin. Il a aussi réalisé ensuite un paquet de niaiseries dont l’inénarrable et cultissime Toubib avec Alain Delon et Véronique Jeannot. Mais pour la bonne partie de sa cinématographie, il fut un réalisateur rigoureux et un scénariste minutieux.
mardi 27 novembre 2007
Le Royaume
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Si, après avoir visionné 24 ou Transformers, l’on doutait encore de l’état de confusion mentale qui règne aux Etats-Unis, Le Royaume achève de vous convaincre. Voilà un film qui change tellement de casquettes que l’on frôle la schizophrénie.
L’argument pourtant, est celui de la Grosse Connerie Américaine : lors d’un attentat terroriste, 200 américains sont tués en Arabie Saoudite. Craignant la réaction du gouvernement saoudien (ou respectant simplement la légitimité du royaume ??), le Département d’Etat refuse d’intervenir dans l’enquête. Las, Jamie Foxx, un agent du FBI qui a perdu son meilleur copain là-bas, décide de mener lui-même l’enquête avec une bande de copains : la jolie scientifique (Jennifer Garner), le spécialiste en explosifs texan (Chris Cooper), et le comique juif de service (Jason Bateman). Au début, l’enquête est difficile, parce que le militaire local (je traduis : un arabe), ne fait que leur mettre des bâtons dans les roues : pas le droit de toucher un corps de musulman, pas le droit à une femme de venir dans certains quartiers, etc. Au final, pourtant, l’arabe saoudien et le black yankee vont réussir à travailler ensemble, comme on pouvait s’y attendre…
Que du classique, donc. On aurait aussi bien pu mettre Denzel Washington ou Bruce Willis, mise en scène de Tony Scott. Mais graphiquement, Le Royaume enterre ces films des années 80/90 ; le look est très clairement Syriana, ou plutôt Michael Mann, producteur du film. Images léchées mais ambiance glauque, caméra portée, musique subtile de Danny Elfman : on n’est pas dans le blockbuster traditionnel.
Sur le fond aussi. Il y a dans Le Royaume une volonté pédagogique évidente, présente dès le pré-générique : à l’aide d’infographies, Peter Berg résume en 3mn un siècle d’histoire du pétrole : fondation de la dynastie des Saoud, emprise US sur le royaume, pourtant réservé à l’origine aux anglais, aide d’Ousama Ben Laden puis mise à l’écart d’icelui, et se conclut sur deux histogrammes : à ma droite, le plus gros producteur de pétrole au monde : l’Arabie Saoudite ; à ma gauche, le plus gros consommateur de pétrole : les Etats-Unis. Ces deux histogrammes deviennent deux tours dans lesquels, évidemment, percute un avion. Ce n’est pas la première fois qu’on entend ça mais pour le coup, ça met le spectateur dans un drôle d’état d’esprit : ce que vous allez voir, les gars, c’est pas l’habituelle grosse déconnade, c’est la RE-A-LI-TE !
Ce qui fait que l’on navigue en permanence entre la consternation et l’admiration. Entre l’envie de rigoler devant tant de ridicule (J. Garner offrant des sucettes aux p’tits n’enfants) et l’envie de pleurer devant l’émotion, véritable, qui surgit ici et là, ou encore la force pédagogique du film : « A qui donne-t-on exactement nos soldats, nos ouvriers, nos dollars ? » Difficile à la fin de qualifier le film de droite ou de gauche, par exemple… Difficile de dire si le film est au final manichéen ou pédagogique … Difficile enfin de se sortir du Royaume, car la morale du film, si anxiogène qu’elle ne peut être ici révélée, oblige sans arrêt à y revenir.