mardi 7 mars 2017


Nocturnal Animals
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Pendant tout Nocturnal Animals, le spectateur espère que le film va devenir ce qu’il promet d’être. Que derrière ce vernis glacé Vogue ou Vanity Fair – l’influence unique de Tom Ford – le cinéaste finisse par donner une explication à son film, et aux indices semés tout au long.

Pitchons. Une belle rousse glaciale (Amy Adams, qu’on a connue plus inspirée) est une galeriste chic et malheureuse en amour. Elle reçoit un exemplaire du roman écrit par son ex (Jake Gyllenhaal, qui joue avec un manque de subtilité rare chez lui). Le roman raconte l’agression d’une famille par une bande de rednecks texans. Le film oscille donc, de la réalité au roman, en proposant d’étranges et excitantes passerelles. Corps nus dans la même position, téléphone qui sonne dans les deux univers, objet qui tombe dans l’un, et fait du bruit dans l’autre…

Comme le spectateur, l’héroïne est très troublée par le roman. Et se pose les mêmes questions. La galeriste a-t-elle vécu ce traumatisme elle-même ? Le romancier et son héros sont-ils la même personne ? Il nous faudra deux heures pour apprendre la vérité, tout aussi minuscule que ridicule. Une fois de plus, la Loi d’Olivier se vérifie. Un cinéaste ne peut pas être le dieu omniscient de son univers, sans donner au moins quelques clefs.

Le spectateur est prêt à tout accepter ; la scène d’ouverture avec les obèses, à la limite de l’obscénité, les riches très malheureux de Beverly Hills, les rednecks qui parlent pas bien mais quels-beaux-paysages-tout-de-même, et les acteurs qui jouent comme cochon. Prêt à remplir les trous du scénario, caressant l’idée qu’il est devant le nouveau Mulholland Drive, et que le fantastique va finir par donner une cohérence à cet étrange spectacle… Mais il ne peut ni compatir devant le personnage en carton-pâte d’Adams, ni s’effrayer de ce qui arrive à la famille texane… puisque c’est faux, puisque c’est un roman*.

Incompréhensible, donc.


* hormis la première scène, remarquablement filmée et subtile, de l’agression.




mardi 7 mars 2017


Jacques Brel, Kubrick, et Joy Division
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Dans l’excellent documentaire consacré récemment à Brel sur France 3, cette citation :

« A la fin des films, il y a souvent une fille avec des fleurs qui part sur la route au soleil couchant. Mais il n’y a jamais de route avec des fleurs, et la fille qui vous attend depuis toujours ! Sur la route, il pleut, et les fleurs, elles se fanent ! Alors, on peut très bien être heureux, désespéré mais heureux, en vivant avec des fleurs qui se fanent, des filles qui ne vous attendent pas, et des routes où il pleut… C’est ça, vivre. »

Brel venait d’arrêter la chanson et se mettait au cinéma. Il aurait pu reprendre à son compte la phrase de Kubrick : « La vie n’est pas comme dans les films de Frank Capra ».

Ou dire, comme Bob Dylan,

« She said she would never forget
But now mornin’s clear
It’s like ain’t here
She acts like we never have met.
»

Ou Joy Division :

« So this is permanence, love’s shattered pride
What once was innocence, turned on its side
A cloud hangs over me, marks every move
Deep in the memory, of what once was love
».

C’est pour ça, quel que soit l’art, qu’on aime les mêmes artistes. Parce qu’ils nous proposent quelque chose, qui profondément, nous parle.