mercredi 9 décembre 2015


’71
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Recommandé à l’époque par Notre Agent au Kremlin, nous n’avions pas vu ’71 en salle.

Grave erreur. Très grave erreur.

’71 délivre non seulement pour ce que sa prometteuse bande-annonce annonçait : un film de guerre trépidant dans les rues de Belfast avec soldats British, IRA, et gamins à cocktail molotov. Mais il propose bien plus que ça : une version arty du thriller. C’est-à-dire, en deux mots, tout ce que Sicario rate.

’71, c’est une histoire simple : un jeune soldat anglais débarque en Irlande du Nord et se retrouve plongé dans les méthodes brutales des soldats britanniques, et les arrangements souterrains avec certaines factions de l’IRA.

Voilà notre héros perdu pour une nuit dans l’un des pires quartiers de la ville. Il erre de refuge en refuge, soutenu par quelques irlandais protestants, mais aussi catholiques. Le temps de se dégoûter de cette drôle de guerre avant de repartir chez soi.

Le tout est filmé avec une grâce infinie, les lumières vertes des HLM répondant au rouge des incendies qui la dévastent.

Un film extraordinaire, dans le premier sens du terme, qui, avec une grande économie de moyens, raconte une histoire, décrit des sentiments, fait frissonner.

Du cinéma.




dimanche 6 décembre 2015


Topten 2014
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Incroyable mais vrai ! Le Professore Ludovico a oublié de publier le Topten de l’an dernier, qui comme chacun sait, s’est tenu en janvier 2015. Pire, il vient seulement de s’en apercevoir. Mais mieux vaut tard que jamais, comme dirait l’autre. Voici donc le classement – avec 11 mois de retard – des meilleurs films 2014 :

1 Mommy
2 12 years a slave
3 Un été à Osage County
4 The Grand Budapest Hotel
5 Enemy
6 Gone Girl
7 Edge of Tomorrow
8 La Chambre Bleue
9 Les Combattants
10 Her

Et le BOTTOM FIVE de mes pires films de l’année :

1 Le Hobbit – La Bataille des 5 Armées
2 Pompei
3 Interstellar
4 Dallas Buyers Club
5 D-Day Imax 3D

Voici le Topten de mes petits camarades :

1 The Grand Budapest Hotel
2 71
3 Mommy
4 ex aequo : Les Combattants
5 ex aequo : Pride
6 Pas son genre
7 Last days of Summer
8 Boyhood
9 ex aequo : Night Call
10 ex aequo : La Famille Bélier
ex aequo : Whiplash

Comme vous le voyez, nous ne sommes pas tout à fait d’accord. Et leur Bottom :

1 ex aequo : Transformers IV
2 ex aequo : Le Hobbit – La Bataille des 5 Armées
3 ex aequo : Lucy
4 ex aequo : Ninja Turtles
5 ex aequo : L’amour est un crime parfait

A bientôt pour le Topten 2016 !




mercredi 2 décembre 2015


Le Fils de Saul
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il y a longtemps que l’on attend un film du calibre du Fils de Saul. Un film qui ne traiterait pas de l’extermination des juifs sous un angle romantique comme La Liste de Schindler, ou sous un torrent de larmes racoleuses de La Rafle, ou en essayant de faire rire, comme l’atroce film de Benigni, La Vie est Belle. Un film Primo Levi, en somme, qui montrerait la réalité dans son atrocité, ni plus ni moins. Il y a bien sûr Shoah, le chef d’œuvre immense de Claude Lanzmann, mais c’est un documentaire. Aucun film n’a réussi à résoudre cette terrible équation ; filmer l’horreur et intéresser le spectateur.

Dans Les Naufragés et les Rescapés, Primo Lévi use de cette comparaison maritime : les rescapés ne peuvent pas raconter le naufrage, puisqu’ils sont vivants. Et les naufragés non plus, puisqu’ils sont morts. Donc Levi se gardait bien de raconter les chambres à gaz dans Si c’est un homme. Pour une bonne raison : il ne les avait pas vues. Si cela avait été le cas, expliquait-il, il serait mort, car les sonderkommandos, les juifs chargés de l’extermination des juifs, étaient irrémédiablement tués au bout de quelques semaines*.

C’est pourtant ce à quoi s’attaque Le Fils de Saul. Raconter l’indicible vie des commandos de la mort, résumée dès le premier plan séquence – totalement halluciné – du film : une forêt floue, un visage qui s’approche, devient net, c’est Saul. Juif hongrois, Sonderkommando, il sait qu’il lui reste quelques jours à vivre, pas plus. Il effectue son travail en évitant d’y penser, et donc de le regarder. László Nemes a le génie de nous mettre dans cette position, voir sans regarder, entendre sans écouter, et faire sans penser. Saul guide des juifs vers la chambre à gaz, les déshabille, les fait entrer dans les « douches » puis vide ensuite les corps. Tout cela aura duré moins de dix minutes.

On reste hébété, assommé par cette première séquence, et pourtant ce ne sera pas la dernière. Car László Nemes, (dont c’est le premier film !), utilise toutes les ressources du cinéma pour ce premier geste éblouissant. Son esthétique est entièrement au service de sa cause : plan séquence pour montrer l’implacable itinéraire qui mène les juifs à la mort (et la discipline tout aussi implacable qui règne dans le camp) ; quant à ce flou de l’arrière-plan, il est totalement assumé. Tout le film restera ainsi collé au visage de Saul, improbable selfie sur un visage abominablement crispé, impassible, bloqué, et pour tout dire, mort, de Saul. Le reste, qu’on n’ose deviner, ne sera qu’esquissé dans les flous, le rose des corps contre les gris des vêtements sonderkommando. László Nemes montrer la réalité crue sans tomber dans le voyeurisme. Et identifie parfaitement le spectateur à Saul, qui refuse de regarder l’horrible tache qu’il est contraint de réaliser.

En cela, László Nemes est parfaitement Levien ou Lanzmannien ; les camps de la mort, c’est seulement l’horreur et la survie personnelle.

Il existe cependant un deuxième film, un peu plus complexe à appréhender pour le spectateur. Pour nous intéresser à cette histoire, Nemes crée une intrigue. Saul découvre le corps d’un enfant. Son fils ? On ne le saura jamais, même si c’est qu’il prétend. Dès lors, Saul n’a qu’une idée en tête : enterrer cet enfant selon les rites juifs. Commencent donc une « aventure » sur 48 heures où Saul cherche à cacher le corps de son « fils » et trouver un rabbin pour prononcer le Kaddish.

Le spectateur se trouve alors pris dans une position ambiguë. Sans cette intrigue, Le Fils de Saul serait un documentaire insoutenable. Mais avec, il devient presque un film d’aventure classique qui contredit dès lors le reste du film ; l’extrême privation de liberté, le poids terrible de la double structure hiérarchique du camp (les nazis et les prisonniers Kapos) ; le pouvoir écrasant du SS qui à tout instant a droit de vie ou de mort, l’impossibilité de se déplacer dans le camp. Chaque réussite de Saul en dehors de ces limites très strictes contribue à nous faire décrocher du film.

Néanmoins, grâce à une très belle fin, László Nemes nous abasourdit par le talent cinématographique de son film, la force de son propos, et l’innovation essentielle qu’il représente.

* c’est pourquoi on sait très peu de choses sur les sonderkommandos (même dans Shoah) ; il reste simplement deux photos, dont on parle d’ailleurs dans le film.