jeudi 18 février 2016
Air Force
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Avec Air Force on se trouve à l’intersection (comme en troisième, vous vous rappelez, A inter B), du film de guerre et du cinéma de propagande. Donc évidemment ce qui est bien dans Air Force, c’est qui vient de Howard Hawks. Ce qui n’est pas bien dedans, c’est ce qui est du domaine de la propagande.
Ce qui est étonnant, c’est que le film fait beaucoup penser à Pearl Harbor, l’un des plus mauvais films de Michael Bay. Dans les deux cas, le film commence par le traumatisme de la défaite, et se termine de la même façon, par un déluge de feu sur les Japonais: le bombardement de Tokyo, ou celui de la flotte japonaise dans Air Force. Dans les deux cas, les américains gagnent à la fin, et prennent leur légitime revanche.
Le seul intérêt d’Air Force est, à vrai dire, d’y chercher les traces du cinéma Hawksien. Les gars du B-17 Flying Fortress sont pointus, héroïques, rigolos. On ne s’ennuie pas dans Air Force, car, comme d’habitude, les dialogues sont écrits à la mitraillette.
Mais on est quand même un submergé par la propagande, comme par exemple avec le méchant (John Garfield) qui refuse de servir son pays mais qui finira par le faire, convaincu par le patriotisme de ses camarades et la sauvagerie des japonais.
En tout cas, on est étonné par le contraste techniques entre quelques maquettes d’avions bricolées (qui rappellent celles de Seuls les Anges ont des Ailes, 4 ans plus tôt) et l’utilisation, par ailleurs, de vrais avions. Le début en fait, d’une fructueuse collaboration avec entre Hollywood et le Pentagone*. Une stratégie que va industrialiser Don Simpson, Jerry Bruckheimer et… Michael Bay.
* Comme décrit dans le livre de Jean-Michel Valantin : Hollywood, le Pentagone et Washington, les trois acteurs d’une stratégie globale
Editions Autrement, 2003
lundi 15 février 2016
Un Homme Très Recherché
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Que dire d’Un Homme Très Recherché ? Qu’il est filmé par Anton Corbijn qui n’a rien fait de bien depuis Control, son premier film ? Qu’il y a des acteurs que nous adorons comme Philip Seymour Hoffman, Rachel McAdams, Willem Dafoe, Robin Wright, Daniel Brühl ? Que c’est adapté d’un livre de John Le Carré ? C’est-à-dire, en deux mots, le seul espionnage que nous goûtons, sans gadget, sans fusillades, sans effets spéciaux mais à base de manipulation et de psychologie…
Malheureusement, cet Homme Très Recherché est surtout très banal. Un migrant arrive clandestinement à Hambourg. Est-ce un terroriste en devenir, ou quelqu’un qui cherche une terre d’asile ? Entre ces deux solutions, le cœur balance entre le maître espion (Philip Seymour Hoffman), et l’avocate au grand cœur (Rachel McAdams).
À part la fin, très étonnante et parfaite, le reste est ennuyeux au possible. Malgré la patine moderne (caméra au poing, maîtrise graphique dans des décors réels, acteurs crédibles), on a l’impression de se promener très lentement dans un film des années soixante-dix. Le scénario, les dialogues semblent peser des tonnes, malgré le talent des comédiens qui essaient de l’alléger. Les situations sont ultra convenues, à l’image de la relation crypto-amoureuse entre le réfugié et l’avocate.
C’est paradoxal, car le propos est très contemporain : les islamistes, les conflits entre l’Europe du renseignement et la CIA, et la politique du résultat qui gâche le travail de fond d’infiltration, dont les acteurs de cette tragédie seront les victimes directes ou futures…
« To make the world a better place ». Rendre le monde meilleur, dit à un moment l’agent Bachmann (Philip Seymour Hoffman). Cette phrase est très belle, car elle est dans sa bouche à la fois ironique et totalement sincère.
Ironique et totalement sincère, c’est ce qu’est cet Homme Très Recherché.
vendredi 12 février 2016
Under the Skin
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Pourquoi Scarlett Johansson fascine-t-elle autant les cinéastes ? Elle est très belle, bien sûr. Mais sa beauté est légèrement étrange, pas totalement dans les canons classiques de la beauté hollywoodienne du modèle mondial (Jennifer Lawrence, Anne Hathaway, au hasard).
C’est surtout, on peut le penser, l’extrême plasticité de Scarlett Johansson qui en fait un rêve de metteur en scène. Capable d’une beauté éclatante (la Kay Lake du Dahlia Noir chez de Palma), ou plus modeste, plus vulgaire, de la fille d’à côté chez Joseph Gordon-Levitt (Don Jon), ou encore d’incarner fantasme redhead absolu : La Veuve Noire des Avengers.
D’où vient que bien souvent, l’on a vu Mrs Johansson errer à tous les étages de la maison cinéma ; le blockbuster à haut degré d’octane (Avengers, The Island, Lucy), le cinéma indépendant top crédibilité (Lost in translation, Her, The Barber), la romcom (Ce que Pensent les Hommes, Nouveau départ, #Chef), sans oublier (deux fois) l’inévitable passage chez Woody Allen où elle était parfaite en fille légèrement pompette (Match Point), l’un des meilleurs crus récents du cinéaste newyorkais.
Ici, dans Under the Skin, (la même année que Lucy !) Scarlett Johansson se met à nu, physiquement et moralement.
En n’ayant pas l’air de faire grand’chose : simplement promener ce visage d’habitude si souriant, et cette fois-ci énigmatique, voire terrifiant, et sa coupe de cheveux brune, dans les causses désertiques des Highlands ou dans un Glasgow surpeuplé.
Adapté du livre de Michel Faber, Under the Skin est une histoire de chasse. Une extraterrestre séduit les hommes et les tue. Il n’y a pas d’autre histoire. Tout est dans le traitement de cette idée basique. Que peut penser un alien dans un corps de femme qui tue sans morale tout ce qui tombe à sa portée ? Et qui essaie de comprendre ce corps, cette planète et ces insectes qui rampent à sa surface ? Cette inquiétante étrangeté trouve un réceptacle parfait dans le visage impassible de Scarlett Johansson.
Si le thème a souvent été traité, des Envahisseurs à Predator, c’est la première fois qu’un film s’y attelle de façon sérieuse et artistique. Placé sous le haut patronage de 2001 et de David Lynch, le film est une extraordinaire performance artistique. Beaucoup ont invoqué les mânes de Kubrick et de Lynch, peu ont atteint les maîtres. Mais ici tout est parfait, à commencer par la photographie qui est capable de passer du reportage de rue à l’expérimentation graphique pure, et servi par une musique entêtante, étrange elle-même, parfait support des émotions – si jamais elle en a – de l’alien Scarlett Johansson.
mardi 9 février 2016
Creed
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Ici, on n’est pas très Rocky. On est plutôt Rocky Horror. Plutôt lingerie noire et bas résille que short Everlast et gants de boxe. Plutôt « I didn’t make it for you ! » que « Adrieeeene !!! ». Même si, bien sûr, on a vu tous les Rocky de la grande époque (I , II, III, IV) au ciné ou à la télé. Même si on ne croit pas que le premier Rocky est un film d’auteur ; qu’on ne croit pas non plus que Stallone est un grand scénariste, même si c’est lui qui a tout fait dans Rocky. Et que nous n’avons jamais été franchement fasciné par l’incroyable innovation dramaturgique qui consiste à faire perdre un combat à Rocky pour qu’il gagne moralement le film.
Donc, si on va voir celui-là, c’est pour une toute autre raison que Sylvester Stallone. Pour une seule et bonne raison : Michael B. Jordan. C’est aussi pour lui que vienne deux jeunes garçons de quatorze ans. Parce qu’à quatorze ans, on sait déjà ce que c’est qu’un grand d’acteur. A trente ans à peine, Michael B. Jordan a déjà joué dans trois des meilleures séries américaines : un petit rôle dans les Sopranos, Wallace, l’ado déchirant de The Wire, et le jeune quarterback noir, le Vince Howard de Friday Night Lights*.
Vérifier que Michael B. Jordan est le nouveau Denzel Washington : pas de meilleure motivation pour aller voir Creed.
Au début, nous sommes dans un Rocky traditionnel. Adonis (Jordan) est le fils bâtard d’Apollo Creed, recueilli par sa veuve, qui l’élève comme une mère dans le confort douillet de Beverly Hills. Mais Adonis préfère quitter un job prometteur pour boxer – attention métaphore ! – les fantômes du père. Cette partie-là est la plus ratée de Creed. Car tout simplement, on aurait pu expliciter ce trauma originel, plutôt que de le survoler. Mais rappelons-le, nous sommes dans un Rocky.
Le film commence réellement à décoller quand Adonis part à la recherche de ses racines, downtown Philadelphia, quand Adonis retrouve Rocky Balboa.
Sylvester Stallone en restaurateur septuagénaire qui a du mal à soulever un filet d’oignons, c’est la première grande idée de Creed. Stallone vieilli, inaudible, cassé, mal rasé, le chapeau ridicule indubitablement vissé sur le crâne, c’est probablement le meilleur rôle de Stallone depuis Copland.
Et c’est là le coup de génie de près de Ryan Coogler**, c’est d’avoir décentré la saga Rocky en passant de Stallone boxeur à Stallone mentor. Les premiers combats de boxe, avec leurs faux plans séquences dont seuls les initiés verront les coupes, sont tout aussi magnifiques***.
Dans la troisième partie, on retombe un peu dans la faiblesse Rockyenne, « le Vrai combat est en toi », « Perdre pour gagner », « la rédemption par la douleur », …
Et si la morale finale reste un peu planplan, un nouveau Rocky est né.
* Et Les 4 Fantastiques, et Fruitvale Station, et Chronicle…
** déjà auteur de Fruitvale Station
***Par ailleurs, on reste baba (comme devant tous les films de boxe) devant l’abnégation des acteurs américains, prêts à se plier à une discipline de fer pour se sculpter un corps d’athlète et être capable de simuler un combat en mémorisant tous les coups.
dimanche 7 février 2016
Hitchcock/Truffaut, le doc
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films -
Les gens ]
L’idée était très excitante a priori : mettre en image le chef d’œuvre de Truffaut sur les chefs d’œuvres d’Hitchcock. On avait le texte, les photos, et – miraculeusement retrouvé – la bande son. Illustrer les grands principes du Maître à base des séquences cultes de ses films, voilà qui allait avoir de la gueule. Et en plus, sous le haut patronage de réalisateurs connus et respectés : James Gray, Martin Scorsese, Paul Schrader, Wes Anderson, David Fincher, Arnaud Desplechin, et Olivier Assayas.
Malheureusement, le résultat est assez convenu. Seules quelques séquences sont illustrées (Vertigo, Les Oiseaux) et pas très analytiques, pas très pédagogiques. Par contre les stars parlent beaucoup, comme dans le moindre making of du marché, pour dire que Hitch était un génie.
Ce n’est pas toujours inintéressant, mais malheureusement, Hitchcock est plus passionnant.
vendredi 5 février 2016
Topten 2015
posté par Professor Ludovico dans [ Les films -
Playlist ]
Triste Topten.
Chaque année, depuis vingt ans, l’ami Philippe réunit quelques camarades pour que l’on s’écharpe sur les films de l’année. Force est de constater que la belle équipe s’étiole de plus en plus. Nous étions vingt, nous voilà six. L’humain est un animal social, qui vieillissant, se désocialise. Le couple, les enfants, PSG – St-Etienne, un marathon à préparer : toujours les mêmes excuses pour réduire les occasions de se réunir en commun. Mais du point de vue cinéphilique, est-ce vraiment le problème ? Les gens qui ne vont plus au cinéma voient-ils vraiment plus de films à la télé ? Y a-t-il une séance de rattrapage ? Je ne le crois pas.
C’est tout simplement l’évolution du cinéma auquel nous assistons en direct. Récemment, mon fils que j’ai emmené voir Alien a avoué ne venir « que pour me faire plaisir » car s’il adorait voir des films, il préférait les voir tranquillement chez lui, devant la télé. Où l’on peut se lever, répondre à Snapchat, et revenir avec un Oreo dans la bouche, et un verre de lait à la main. Autre témoignage concordant, le stagiaire de Philippe, qui travaille pourtant dans l’Industrie, préfère aussi voir les films en streaming, à commencer pour de basses raisons financières. Il y a vingt ans, où il était déjà sacrilège de voir les films à la télé, le pauvre stagiaire n’aurait pas fait long feu dans une PME du court métrage. Mais aujourd’hui que tout est accessible en un clic, la tentation est grande, même pour le meilleur des cinéphiles, de rester à la maison.
En clair, qu’est-ce que ça veut dire? Est-ce que la prédiction de Lucas/Spielberg en 2013, sur la broadwaytisation du cinéma, est en route ? C’est à dire le cinéma comme super-industrie produisant quelques mégafilms à 500M$ en 3D soundsurround et fauteuils qui tremblent comme au parc d’attraction, à 50$ la place ? une somme que les spectateurs seraient prêts à payer pour un spectacle extra-ordinaire impossible à rendre sur une tablette Surface ? Et que justement, le reste du marché, les fictions normales, les comédies, les drames intimistes seraient réservés à votre télé ou à votre tablette ?
Le Topten de cette année révèle cela : pour ma part, je suis allé voir des films extrêmes. Je suis allé voir des oeuvres qui, je l’espérais, arriverait à me surprendre, ou qui seraient de toute façon difficiles à voir ailleurs : Pulp – a Film about Life, Death & Supermarkets, Dear White People, The Duke of Burgundy, Cousin Jules, Back Home, Il est Difficile d’être un Dieu…
De leur côté, mes petits camarades sont plutôt spécialisés dans le film français. Mais, de toutes façons, nous étions tellement dispersés qu’un classement ne veut plus rien dire. Telles des galaxies s’éloignant sous l’effet du Big Bang, nos goûts s’écartent à grande vitesse. Et quand nos tickets de cinéma se croisent (Seul sur Mars) c’est pour découvrir avec horreur que l’un l’a mis dans son Topten tandis que l’autre l’a balancé dans la poubelle de son BottomFive.
Mais trêve de ratiocinations : voici mon Topten 2015 :
1 Pulp – a Film about Life, Death & Supermarkets
2 Joy
3 Le Fils de Saul
4 Foxcatcher
5 Dear White People
6 The Duke of Burgundy
7 Trois Souvenirs de Ma Jeunesse
8 La Isla Minima
9 Dheepan
10 Le Pont des Espions
Et mon BottomFive :
1 Il est Difficile d’être un Dieu
2 Seul sur Mars
3 Mia Madre
4 Girls Only
5 Imitation Game
Quant au Topten de mes petits camarades, pas si français que leur fréquentation cinéma :
1 Nous 3 ou Rien
2 Marguerite
3 Star Wars VII – Le Réveil de la Force
4 la Loi du marché ex aequo avec :
5 Vice et Versa
6 Mustang
7 Mon Roi ex aequo avec les trois derniers :
8 Mad Max Fury Road
9 American Sniper
10 Snow Therapy
Et leur Bottom unanime :
1 On Voulait tout Casser
Les autres, comme expliqué ci-dessus, n’étant pas départageables…
mardi 2 février 2016
Mia Madre
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
On a beau aimer Moretti, Mia Madre était un peu sa dernière chance. On s’était ennuyés à mourir à Habemus Papam, et on s’ennuie aussi très fort à Mia Madre.
Le thème est séduisant et, paraît-il, autobiographique : une réalisatrice doit tourner son film tandis que sa mère est mourante. On comprend que Moretti, à qui c’est arrivé justement sur Habemus Papam, veuille prendre un peu de distance avec le sujet, en se donnant un autre rôle, à l’opposé de son personnage public. En l’occurrence, celui du frère de la réalisatrice, calme et posé, et clairvoyant face au décès qui s’annonce.
Mais ni l’un ni l’autre ne sont crédibles. Moretti est bien meilleur quand il fait son numéro d’excité narcissique, énervé après tout le monde. Et Margherita Buy, qui a de beaux yeux verts tout tristes, est bien peu crédible en metteuse en scène. Molle tout le temps, elle s’énerve soudainement contre son équipe, à leur surprise comme à la nôtre. On reconnait bien sûr Moretti ; c’est donc lui aurait dû jouer le rôle, ou quelqu’un qui aurait pu « faire du Moretti ».
Quant au « film dans le film », qui est en général une bonne idée, c’est là aussi une idée toute molle. Les incidents de tournage sont faibles et étirés au possible (le gag de la caméra qui cache le parebrise !) Et John Turturro, acteur vénéré ici, n’a pas un rôle de star-connard US à sa (gigantesque) mesure. Et c’est sans parler de la mourante, qui semble en meilleure santé que ses enfants et petits enfants… Le tout filmé comme une dramatique de France3.
Moretti l’avait dit lui-même dans une interview très clairvoyante à Libé : « Quand j’étais jeune,[…] je me forçais parfois à aimer tel ou tel film. Aujourd’hui, si je vois un film qui ne me plaît pas, même si c’est celui d’un cinéaste que j’admire, je ne me mens plus sur mes goûts. »
Et bien nous en sommes au même endroit, cher Nanni : nous n’allons pas nous fatiguer à voir des films qui ne méritent pas d’être vus.
samedi 30 janvier 2016
The Gospel according to Saint Alfred : Les 10 leçons d’Alfred Hitchcock
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les gens ]
lundi 25 janvier 2016
Joy
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Je n’aime pas Jennifer Lawrence. Je n’aime pas David O’Russell (j’avais trouvé Les Rois du Désert pas très drôle et I love Huckabees insupportable). Je ne supportais pas non plus, à vrai dire, le matraquage publicitaire sur Europe 1. Tout cela faisait trois bonnes raisons d’aller voir Joy.
Pourquoi va-t-on au cinéma ? Ça reste toujours mystérieux. Dans ce cas précis, la télé était prise par madame, je n’avais pas envie d’aller très loin et en même temps j’avais vu mon programme de vacances (Star Wars VII, Le Pont des Espions, Back Home, Mia Madre) Et il me restait un chèque Ciné MK2 en limite de péremption. Et ce que passait le MK2 Bastille c’était Joy. Et derrière la pub d’Europe1, résonnait, comme sur la bande annonce, le Fa et le Do, chanté à choeurs d’enfants, l’intro céleste de You can’t always get what you want…
Donc on va voir Joy. Et le début du film ne nous rassure pas : Joy est comme les autres films d’O’Russell : bavard, intello et pas forcément intelligent, trop de texte, trop de dialogues, trop de voix off, et encore une famille de cinglés virevoltants : De Niro en père irresponsable, Edgar Ramirez en ex fainéant, Virginia Madsen (notre princesse Irulan !) avec cinquante kilos de trop, abonnée aux Feux de l’Amour.
Tout cela semble en terrain trop connu. Mais quelque chose déjà nous attire l’œil : Jennifer Lawrence. Elle joue bien très bien, la petite. Et De Niro aussi, qui n’a pas eu d’aussi beau rôle depuis au moins quinze ans.
Et puis on se laisse gagner par cette histoire. Cette femme qui veut réussir, mais sans l’aide d’un prince charmant, comme l’annonce Joy enfant. Cette femme a déjà tout sacrifié ; sa jeunesse, ses études, sa carrière, son couple, pour aider les hommes (et les femmes) qui l’entourent. Son père garagiste dont elle tient pour la comptabilité, son ex-mari qui pense toujours percer dans la chanson, mais qui vit à ses crochets, chez elle. Sa mère, droguée de télé, dont il faut gérer les moindres faits et gestes. Et son travail pour joindre les deux bouts.
Seul horizon : une grand-mère qui croit en elle et en son esprit incroyablement inventif. Une grand-mère. Pas un homme. Elle est là, l’originalité du film. Un conte de fée qui réussit haut la main le test de Bechdel.
Car c’est un conte de fée, pour sûr, un conte de fée américain, bien sûr ; Cendrillon inventera une serpillère magique, gagnera des millions de dollars au Pays des Opportunités et de la Libre Entreprise… et rencontrera quelqu’un qui correspond beaucoup à l’idée d’un Prince Charmant, car il ressemble à Bradley Cooper.
Mais ce qui est si précieux dans ce film, ce qui est si inouï, c’est que Joy réussit seule, sans ce Prince Charmant justement. Grâce à elle-même, sans amant, compagnon affectueux, conseiller brillant, mentor bienveillant…
Si vous trouvez un film qui propose un personnage féminin comme Joy, écrivez à la rédaction, qui transmettra.
vendredi 22 janvier 2016
Jodorowsky’s Dune
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -
Les films -
Les gens ]
Par les mystères d’Internet, et les sombres affiliations RSS qui nous ont fait, un jour, nous abonner à un forum consacré à l’univers de Dune, nous apprenons la projection fortuite de Jodorowsky’s Dune, le documentaire tant attendu sur le mégafilm mort-né qui précéda la version de Lynch.
Comme chacun le sait, Arrakis, a planet also known as Dune, a été créée pour éprouver les fidèles. Donc l’attente, la frustration fait partie du chemin de croix fremen. Mégafilm planté, adaptation lynchienne ratée, série kitchissime, et maintenant documentaire qui n’arrive pas à sortir : le fremen est habitué à l’attente.
Mais le voici. La tempête. Notre tempête. Tout beau, tout chaud, à L’Etrange Festival*. La salle est pleine pour l’événement. Après une petite pique sur la veuve Moebius qui aurait ralenti la sortie (on ne voit pas bien pourquoi), le présentateur lance la projection. Et le doc est passionnant, pas seulement pour les fans de Dune, mais pour tous ceux qui s’intéressent au cinéma, notamment à la mécanique Hollywoodienne.
Car Dune avait tout pour plaire : un intérêt naissant pour la SF (Star Wars est dans les starting blocks), un livre best-seller, un casting d’enfer (Jagger, Dali, Welles), des concept artists au top (Moebius, Chris Foss, Giger). Et pour la première fois, un storyboard complet du film. Celui-ci circule largement à Hollywood. Les grey suits sont impressionnés : on n’a jamais vu un tel travail de préparation. Mais Dune a juste un petit problème : Alejandro Jodorowsky. Beaucoup de studios sont prêts à faire le film, mais sans Jodo, l’Orson Welles bourré aux amphétamines, vibrionnant 24 heures sur 24, un brin dictatorial**. Hollywood repère les génies à cent mètres, mais veut pouvoir les maîtriser. Sans l’argent US, Michel Seydoux renonce à y aller seul.
Alors que ce terrible échec fait sombrer la fine équipe dans une immense déprime (Dan O’Bannon fera ainsi un séjour en hôpital psychiatrique), Jodo, tout à sa philosophie zen, en tire une leçon de vie : Dune ne sortira jamais, mais Dune – tel l’esprit de Muad’Dib – inondera la pop culture de son influence. A commencer par L’Incal, et Les Metabarons, deux BD où Moebius et Jodorowsky recycleront leurs idées. Et ensuite, évidemment, Star Wars, dont on retrouve des plans issus du fameux storyboard. Mais aussi Alien qui récupère Moebius, Chris Foss, Giger pour produire qui produira le chef d’oeuvre shocker, véritable libération psychanalytique de l’immense frustration d’O’Bannon. Comme si Dune était cette créature tapie dans le ventre d’O’Bannon, et qu’elle ne demandait qu’à jaillir dans l’espace, où – comme chacun sait – personne ne vous entend crier.
Reste une question, entêtante, posée dès l’entrée du documentaire, et qui tourmente le Professore depuis 1977 : quel cinéma de SF aurions-nous aujourd’hui si ce Dune-là était sorti avant Star Wars ?
Poser la question, c’est y répondre.
* Le film sortira le 16 mars 2016 en salles.
** Il faut voir les scènes où il raconte comment il a forcé son fils de 14 ans à un entrainement intense de ju-jitsu pour tenir le rôle de Paul Atréides. Avec le fils (50 ans) à côté de lui. Et aussi celle où il conseille à Dan O’Bannon de « tout vendre » pour venir s’installer à Paris faire le film. Ce que le scénariste fera, à ses dépens.