mercredi 28 septembre 2011


The Social Network, part 2
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

En re-regardant la semaine dernière The Social Network sur Canal+, on ne pouvait qu’être ébahis par le travail à quatre mains de Messieurs Sorkin et Fincher, mais aussi devant tant de modestie. Le chef d’œuvre invisible, comme nous l’avions baptisé à l’époque, est bien là : dialogues impeccables, acteurs géniaux, et mise en scène discrète se pliant au service de ces deux précédentes composantes.

Une autre constatation s’est faite jour ; c’est la multiplicité des niveaux de lecture de The Social Network. Il y a évidemment l’histoire elle-même, comment Marc Zuckerberg devint Maître du Monde, mais il y a aussi d’autres films dans le film.

Même si Fincher, provocateur, a déclaré vouloir faire de cette histoire une comédie à la John Hughes*, The Social Network est avant tout un film étonnamment angoissant, noir, limite American Gothic à la Tim Burton, quand il dépeint le monde de l’université. La soirée Phoenix, où s’éclatent les harvardiens friqués pendant que le besogneux Zuckerberg programme sa première version de Facebook est filmée comme Seven, dans ce noir si familier chez Fincher. Drôle et lugubre soirée où l’on a pourtant l’air de bien s’amuser (strip-poker, bière, et filles qui s’embrassent). Pourquoi la filmer comme un Harry Potter (Ordre du Phoenix ?) On sait que les Sociétés Secrètes pullulent à Harvard, il y a même une scène d’initiation dans le film… Au bout d’une heure, on sortira de ce cauchemar avec Sean Parker, Mr Napster himself. Eclairé au doux soleil de Californie, le torse glabre de Justin Timberlake, et les fesses rebondies de Dakota Johnson apporteront un rafraîchissant contrepoint solaire à l’ambiance gloomy de la Nouvelle Angleterre. D’un côté, l’Est, la rigueur puritaine, le pouvoir. De l’autre, l’Ouest, ses pionniers, voleurs, et bandits rayonnants.

Il y a aussi, et c’est extrêmement rare dans le cinéma américain, un film sur la lutte des classes. Un film qui démonte le mensonge égalitaire US qui voudrait faire croire au PDG qu’il partage la même culture que l’ouvrier : comme toi, je mange des burgers et je regarde le Superbowl. Mais Fincher, lui, en doute. Et c’est même une constante dans son œuvre : c’est évidemment le sujet de Fight Club, mais aussi, souterrain, dans Panic Room (Partageons un peu plus), Seven (extrême richesse vs extrême pauvreté, tous seront égaux devant le Christ Vengeur) ou The Game (Retourne à la poussière homme riche, si tu veux retrouver le bonheur). Dans le Harvard de The Social Network, il est plus facile de s’appeler Winklevoss que Zuckerberg, même si l’on est cent fois plus brillant, plus créatifs, plus travailleurs. Plusieurs répliques viennent asseoir cette démonstration :

« The rest of my attention is back at the offices of Facebook, where my colleagues and I are doing things that no one in this room, including and especially your clients, are intellectually or creatively capable of doing »

Ou encore :

« The « Winklevii » aren’t suing me for intellectual property theft. They’re suing me because for the first time in their lives, things didn’t go exactly the way they were supposed to for them. »

Toute la rage marxiste qui habite le fondateur de Facebook, c’est bien celle-là, formidablement rendue par Jesse Eisenberg. En contrepoint, Justin Timberlake offre la candeur – toute américaine – du self made man. Il n’a fait, comme il dit, que l’Ecole Primaire William Taft. Au final, c’est lui qui gagne : heureux, à l’aise, il se tape toutes les filles, et il emporte – presque – la mise.

Il y a aussi dans The Social Network un film sur Facebook, et sur ce que Facebook a changé dans nos vies. Pour cela, Aaron Sorkin utilise une ficelle classique : les principaux protagonistes sont les propres victimes de leur création : Zuckerberg se fait prendre parce qu’il fait la bêtise de tout raconter sur son blog (une mésaventure qui va arriver à ensuite beaucoup de gens sur Facebook ), et sa girlfriend accuse Internet d’être devenu le repaire de ces gens aigris, qui ne pensent qu’à cracher leur haine (« You write your snide bullshit from a dark room because that’s what the angry do nowadays »). Severin se fait agonir par sa copine, parce qu’il est toujours Célibataire sur son Profil, etc.

Enfin, il y a un dernier film, celui du pacte avec le démon, symbolisé par la scène de la discothèque. Satan (Timberlake) proposant le pacte à Zuckerberg, via la géniale (et authentique) métaphore Victoria’s Secret !) Mais pour cela, il faut se débarrasser des amis, de tous les liens humains, ce qui va parfaitement à l’autiste.

Le génie de The Social Network est là : dans l’intrication de multiples niveaux de lecture, tous lisibles par le spectateur, mais qui y pioche ce qu’il veut, s’il le veut. Tout le contraire d’un film à thèse, même s’il en est un… Caché dans une forme élégante, dont le spectateur ne sent aucune couture, The Social Network ne cesse d’émerveiller…

* ce qu’il est parfois : la scène dans les toilettes avec les groupies asiatiques est le parfait décalque de Une créature de rêve, Zuckerberg et Severin remplaçant avantageusement Gary et Wyatt


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