lundi 29 février 2016


Seuls les Anges ont des Ailes
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Quand un film vous émeut encore quatre-vingt ans après, quand un film vous fait toujours rire ou pleurer, c’est que vous avez affaire à un vrai chef-d’œuvre*. Seuls les Anges ont des Ailes est de ceux-là ; un classique, en vérité, et le premier véritable film Hawksien du renard argenté d’Hollywood, comme le surnomme Todd McCarthy.

Seuls les Anges ont des Ailes, c’est la fin des brouillons, le début d’une œuvre. Une histoire qui aurait pu être inspirée par Saint-Exupéry, si l’auteur de Vol de Nuit avait consenti à glisser un peu d’humour à son anxiogène chronique de la Cordillère des Andes. Dans Seuls les Anges ont des Ailes, on suit ces casse-cous des années trente, cette époque glorieuse et hautement périlleuse de l’aviation, où des hommes risquent leur vie jour et nuit pour transporter du courrier (et de la dynamite !) sous les ordres d’un chef cynique et désespéré, Geoffrey Carter (Cary Grant), dans la petite ville portuaire de Barranca (Baraka ?)

Arrive alors Bonnie Lee, une jeune fille qui fait escale. Immédiatement draguée par les pilotes, mais ignorée par leur chef. Pourtant, c’est Jean Arthur, et on a connu Cary Grant moins regardant. Mais on sait qu’on vient d’entrer dans le modèle Hawksien : Je te kiffe mais je te méprise, dirait la Jean Arthur d’aujourd’hui. Ou va, je ne te hais point, celle de 1637. Celle de 1939 ne dit que ça : Je t’aime, mais je veux que ce soit toi qui me désire**.

Quand cet enjeu a bien été créé, et qu’on a joué des astuces du casting à contretemps (Bonnie Lee est dragué par deux acteurs beaux mais inconnus ; où est donc la star masculine, se demande le spectateur), Hawks fait entrer… Rita Hayworth. La future Dame de Shanghai, la future Gilda, est l’explication de la dépression grantienne. Elle est partie, et il l’a laissé partir… Elle revient avec Bat (Richard Barthelmess), son mari, pilote au lourd passé.

Ces deux histoires d’amour contrariés vont se superposer au récit d’aventure proprement dit : les convoyages chaque jour plus dangereux, et une pression financière qui s’accroit sur la petite compagnie aérienne.

Des hommes courageux confrontés à des situations extrêmes, des femmes fortes qui n’ont pas leur langue dans la poche, on est donc dans le prototype du film Hawksien, le premier qui réussit son vol inaugural… Des hommes en danger, comme dans Tiger Shark (Le Harpon Rouge, 1932), des pilotes au bord de la crise de nerfs, comme dans La Patrouille de l’Aube (1930, déjà avec Richard Barthelmess), des femmes courageuses, dans un port noyé dans la brume, comme dans Ville sans Loi (Barbary Coast, 1935), mélangé à un peu de screwball comedy (L’Impossible Monsieur Bébé, 1938, avec Cary Grant). Et déjà des vieux, grincheux mais courageux, comme dans Rio Bravo.

Tous les acteurs sont excellents, mais c’est le dialogue, drôle, ciselé, mitraillette***, qui met le film largement au-dessus du lot de la production Hollywoodienne. Mais surtout qui l’inscrit dans une forme d’éternité, car ces anges-là volent encore.

* « Je ne dis pas que le cinéma soit un art, je ne l’ai jamais dit, mais parfois une œuvre cinématographique est suffisamment réussie pour que l’on puisse la considérer comme œuvre d’art. C’est rare. Il faut un Wilder, un Wyler, un Ford, un Hawks. Il ne fait pas de doute que Seuls les anges ont des ailes est une œuvre d’art. » Jean-Pierre Melville
**« I’m hard to get, Geoff. All you have to do is ask me »
***dont le fameux « he wasn’t good enough » pour parler du premier mort, qui restera dans les mémoires


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