lundi 23 juillet 2012
Le Joker, le retour du Refoulé
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
It’s the same old song, chanteraient les Four Tops. Batman, Aurora, James Holmes, et la machine médiatique repart à fond la caisse, comme une batmobile folle dans les rues de Gotham, sans pilote à son bord, si ce n’est la Bonne Conscience Populaire, déguisée en Justicier Masqué.
Haro donc sur les jeux de rôles, les jeux vidéo, le cinéma, et ces grands enfants américains, incapable de se débarrasser de leurs armes à feu.
Commençons par là, grande incompréhension française. A juste titre d’ailleurs, car le bilan est édifiant : 100 000 blessés par an et 35 000 morts. Rappelons pour un peu de modestie qu’il n’y a pas si longtemps (en 1981) la France, et ses cinquante millions d’habitants (5 fois moins, donc) tuait 12 000 personnes par an avec uniquement sa passion irraisonnée des voitures.
Mais revenons à des questions plus cinéfastiques, c’est à dire l’effet déplorable que produit Graine de violence (1955), Orange Mécanique (1971), The Dark Knight Rises (2012) sur les pauvres cerveaux influençables de notre jeunesse. Or cette question, mille fois posée, mille fois questionnée après chaque tuerie, après chaque évènement incompréhensible au monde occidental, restera tragiquement sans réponse ; les voies de la nature humaine sont impénétrables. Oui, on peut tuer brusquement 12 personnes dans un cinéma même si l’on est blanc, fils de bourgeois, et apparemment sans problème. Oui on trouvera toujours un film, un jeu vidéo, une bande dessinée « qui explique le geste ». Comme s’il était explicable de se teindre les chevaux en vert et tirer à l’arme automatique dans un cinéma…
La vraie question, derrière tout cela, c’est pourquoi un petit blanc américain commet un tel crime en se prenant pour le Joker, plutôt que d’invoquer quelque chose de supérieur : Dieu, le Diable, ou tous les saints ? C’est bien de la déchristianisation du monde occidental dont il s’agit. Quand un acte terroriste est accompli au Moyen Orient, il l’est souvent au nom de Dieu. Ici, au cœur du grand Ouest américain, c’est d’un personnage de BD qu’il s’agit. Quelle ironie !
Qu’est-ce que le Joker, si ce n’est la mauvaise conscience de l’Amérique ? Le Joker est tout ce que l’américain moyen n’est pas : un être sexué, grivois, obscène, qui dit des gros mots et crache sur le sacro-saint système américain (il bat les femmes, brûle de l’argent, menace des petits enfants blonds, et détruit la famille). Le Joker, c’est le Refoulé de l’Amérique puritaine.
Il fait ce que chacun rêve de faire, c’est à dire de s’affranchir de tout, de dire tout ce qui passe par la tête, et de montrer du doigt toutes les saloperies du système. Au travers du Joker, l’américain peut réaliser tout ce que l’Amérique interdit. Car la société US est à la fois très libre dans ses règles, mais très corsetée dans ses mœurs.
La question n’est donc pas de savoir si l’œuvre d’art influe sur les mœurs (car dans ce cas, décrochons tout de suite du Louvre toutes ces œuvres obscènes, sanglantes, qui font l’apologie de la violence et de la luxure). L’art reflète l’époque, un point c’est tout. Les jeux vidéos sont violents parce que l’époque l’est ; les jeux de rôles parlent de fées et de dragons parce que le merveilleux religieux a disparu en occident.
Quant au couple Batman/Joker, il n’est que l’imagerie naïve de notre rapport bizarre à la justice et à la vengeance.
mercredi 18 juillet 2012
Camping
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Forcé par la vindicte populaire (portée elle-même par le sempiternel « comment peux-tu juger, puisque tu ne l’as pas vu ? », j’ai enfin vu Camping.
Fabien Onteniente, plein de pseudo-compassion pour la France des beaufs, ou plein de distanciation parigote sur la province qui part en vacances dans les Landes, s’est intéressé à ce sujet vulgaire qu’est le camping – pour en tirer une comédie : Camping. Mission : faire rire et attendrir en même temps. Malheureusement, il ne suffit pas de décider pour faire.
Camping est donc mal fait, pas drôle, mal joué, affreusement écrit, et ne sait pas décider s’il est gentiment méchant (un film italien) ou méchamment gentil (un film américain).
Car c’est là le ratage principal de Camping, hormis la fainéantise générale. Ça aurait pu être un film meilleur, si Onteniente et Dubosc (coscénariste) n’avaient pas lorgné si désespérément vers la feelgood comedy, avec rédemption du méchant riche à la fin (les riches sont toujours méchants, c’est ce que nous apprend – paradoxalement – le cinéma américain.) S’il avait été Dino Risi, Onteniente nous aurait fait Les Monstres au camping (concours de beauté, coucheries sur matelas pneumatiques, et lutte des classes autour du butagaz). S’il avait été Ken Loach, il nous aurait tracé le portrait de la France prolo, qui se lève tôt mais se couche tard au mois d’août à Arcachon. S’il avait été Lars von Trier, il aurait tout filmé en Super8.
Tout ça pour dire que la méchanceté caricaturale de Camping n’est pas le problème, c’est le manque de talent qui l’est.
mardi 17 juillet 2012
Le Prestige
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Les circonstances étaient contre moi. J’avais vu L’illusionniste à la même période (LE mauvais film d’Edward Norton), et je n’avais pas la moindre envie de me retaper les aventures d’un magicien au XIXème siècle. Devant l’amicale pression de mes amis (et six ans d’attente…), j’ai cédé ce week-end en regardant enfin Le Prestige, le chef d’œuvre de Christopher Nolan.
Ne mâchons pas nos mots : Le Prestige est formidablement écrit, filmé et (légèrement moins bien) joué. Comme d’habitude chez Nolan, le scénario est complexe : un flash-back en forme de double hélice qui se répond : Magicien A versus Magicien B, une complexité qui sert parfaitement le propos puisque justement, il s’agit de deux rois de l’illusion, lancés dans un combat à mort.
Il faudra un psy pour comprendre cette obsession du flash-back chez Nolan, tout comme cette manie des intrigues à tiroir (Inception, Memento). En attendant, si vous avez six ans de retard comme moi, vous pouvez vous régaler avec Le Prestige, et son casting all-stars (Hugh Jackman, Christian Bale, Michael Caine, Scarlett Johansson).
Abracadabra.
lundi 16 juillet 2012
Petite leçon de dramaturgie cycliste
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
Constat.
On se moque du Tour du France, mais il suffit que notre regard croise un téléviseur pour rester collés toute l’après-midi… D’où vient cette magie ? De la dramaturgie spécifique au cyclisme et particulièrement du Tour de France.
D’abord, les décors : quel plus bel écrin que la France rurale qui sert de support à cet événement planétaire ? Aucun Stade de France n’égalera jamais les pentes du Galibier, les plaines jaunes de la Beauce, ou les côtes déchiquetées du Finistère…
Ensuite, les acteurs : ils ne payent pas de mine, ont rarement un physique de Tom Cruise, leurs dialogues sont souvent pitoyables « Ma victoire prouve qu’un Tour propre est possible« , ça sonne faux à l’arrivée. Mais le reste du temps, quel génie ! Attaque, contre attaque, coups de vache en série (Froome, cette semaine, voulant abandonner son leader dans la dernière côte) : le Tour, c’est Dallas tous les jours.
Et puis cette dramaturgie parfaite : une étape, contrairement à une Palme d’Or, c’est de plus en plus intéressant. Ennuyeux au début (train de sénateur, ravitaillement, etc.) Mais peu à peu, ça s’anime, et le final est toujours explosif.
Dépêchez vous, le Tour de France ne reste plus qu’une semaine en salles.
dimanche 15 juillet 2012
Hello, I’m Johnny Cash…
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines ]
Ne ratez pas ce soir le documentaire sur la légende noire de la Country. Oubliez le dispensable Walk The Line. Oubliez Johnny Halliday, ses Harley et ses vestes à franges… Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur la country (camions, rodéos et petites pépés), et écoutez l’authentique blues blanc du fond de l’Amérique :
When I was just a baby,
My Mama told me, « Son,
Always be a good boy,
Don’t ever play with guns, »
But I shot a man in Reno,
Just to watch him die
Plongez-vous dans l’album mythique du Man in Black : Cash, sortant de la drogue, cherche sa rédemption en allant chanter dans l’une des pires prisons des Etats Unis, Folsom, près de Sacramento. Cash ne sait pas qu’il va y enregistrer le meilleur album de sa carrière, le Live At Folsom Prison.
Johnny Cash at Folsom Prison
Arte, 22h15
jeudi 12 juillet 2012
Mélancolie sans fin
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Brèves de bobines -
Les films ]
Revoir des bouts de Melancholia, l’Armageddon wagnérien, le Festen HD de Lars von Trier, voilà un plaisir qui ne se boude pas.
Dans dix ans, quand les polémiques cannoises (consciencieusement entretenues par l’insane punk danois) se seront tues, on découvrira enfin le chef d’œuvre Melancholia.
mercredi 11 juillet 2012
Stand By Me
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -
Les films ]
C’est dur de retourner sur les douces prairies de l’enfance. J’ai revu hier avec le Professorino Stand By Me.
Bon, bof.
Oui c’est bien, oui River Phoenix délivre une performance exceptionnelle. Mais est-ce la VF ? La mauvaise qualité de la copie ? Le film m’a semblé simplissime, avec cette voix off ultra-explicative, et les situations plutôt convenues…
Le temps passe, héhé…
lundi 9 juillet 2012
Adieu Berthe
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Il ne faut pas négliger les circonstances extérieures précédant un film. C’est le cas avec Adieu Berthe, le nouveau film des frères Podalydès. Voulant boire, juste avant la séance de 22h, un café en face de mon MK2 favori (je dénonce pas, mais GoogleMaps c’est pas fait pour les chiens), l’aimable bistrotier me signifia qu’il ne servait que les gens qui avaient dîné dans leur gargote 3 étoiles. Vouant la profession aux gémonies de Starbucks et autres Columbus Café, et leur promettant tout autant de pourrir en enfer avec une TVA à 19,6%, je pris mon café au MK2. Mais c’est donc plein de haine pour les insuffisances francaises, et donc par sur le meilleur pied pour apprécier un petit film francais, que j’entrai dans la salle d’Adieu Berthe.
De fait, le film ne m’a laissé ni chaud ni froid, et c’est peut-être parce qu’il est très bon. On ne le saura jamais, à cause d’un maudit café diderotien.
Tentons donc un critique objectiviste, factuelle, d’Adieu Berthe. Comme d’habitude, chez les frangins Podalydès, la qualité est de mise. Petit film ou pas, ça bosse, on n’est pas chez les Dardenne. Chaque plan est millimétré, travaillé, tout comme les dialogues, ou le jeu des acteurs. Au-delà de la bande habituelle (Denis Podalydès, Isabelle Candelier, Michel Vuillermoz, Bruno Podalydès), Valérie Lemercier fait un show d’enfer, et c’est la partie la plus drôle du film.
Le scénario est bien construit, et mené à son dénouement comme il convient, il porte les interrogations métaphysiques podalydèsiennes habituelles (la vie, la mort, l’amour, la famille), mais bizarrement, on ne rit pas suffisamment. Comme si tous les ingrédients étaient là, mais qu’on n’avait juste pas faim.
Maintenant, vu le contexte, c’est à vous de voir…
mercredi 4 juillet 2012
Un Village Français vs Lost : duel de previously
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Séries TV ]
Poursuivons notre exploration de deux séries antinomiques : la fiction de prestige, qualité française, contre le divertissement décérébré US, l’amateurisme frenchy contre le professionnalisme ricain.
Disséquons par exemple les deux séquences de résumé qui introduisent désormais toutes les séries : « Précédemment dans Un Village Français » contre « Previously on Lost* ». La comparaison est intéressante parce que justement, la série de France3 lorgne désespérément vers ce modèle US : série chorale, multitude de personnages et de rebondissements, et comme son modèle, ajoute désormais à la fin de l’épisode, un résumé… de la semaine prochaine (une idée détestable, soit dit en passant).
Dans Previously on Lost*, on résume, dans un montage très cut, l’intrigue des précédents épisodes. Un visage, un sourire de Sawyer, le visage désespéré de Kate, peut signifier très simplement l’enjeu de l’épisode qui va suivre : Jack sauvera-t-il Kate ? Sawyer avouera-t-il son vol ? Etc.
C’est ce qu’essaie de faire Un Village Français. Elle utilise effectivement les images de l’épisode précédent, mais elle y ajoute bêtement une voix off. Et cet ajout dit tout de l’impuissance française, de son athéisme cinématographique : on ne croit pas, ici, au miracle du cinéma. Pays littéraire, la France vénère ses scénaristes, et ne les considère pas comme de simples techniciens. Même si Un Village Français a opté – une nouveauté au pays de Flaubert – pour l’atelier scénaristique, c’est-à-dire une équipe qui écrit les scénarios, elle en n’a pas su en tirer cette jouissance américaine à produire de l’émotion en collant seulement deux plans côte à côte.
Non, nous sommes au royaume de l’écrit ; les images, c’est pour les enfants. Donc, au cas où on n’aurait pas compris, la voix égrène les événements de la semaine dernière : « L’inspecteur Marchetti protège Rita, sa compagne juive. Le sous-préfet Servier est sorti rasséréner du discours du Maréchal, tandis que madame Larcher prépare son exposition de peinture… » On se met à rêver de ce que ferait les producteurs de Lost d’un tel matériau : un regard inquiet de Marchetti, un sourire de Servier, un plan large de l’exposition, tout serait dit en images…
Tout ceci ne serait que détail, si ce n’était le reflet de la médiocrité cinématographique de cette quatrième saison : rebondissements ridicules, personnages aux motivations chaotiques, intrigues inutiles ne servant qu’à alimenter artificiellement d’autres intrigues…
Mais le propos de la série (le dessillement de notre génération sur les fantasmes liés à l’occupation) reste génial et sauve la série : Un Village Français reste un passionnant OVNI.
* dont l’histoire étonnante de la voix off qui prononce ces trois mots est narrée ici…
vendredi 29 juin 2012
Respect, dignité, et primes de matches
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
Un débat, avec un tout petit d, enflamme depuis peu l’Hexagone au sujet de son équipe nationale, qui aurait jeté le pays dans un opprobre mondial. Rappelons qu’il ne s’agit que de football, et de deux joueurs en particulier, que personne n’est mort, que l’équipe est allée en quart de finale, et a perdu contre l’Espagne, championne d’Europe et du Monde. Une équipe dont par ailleurs aucun joueur ne chante l’hymne national, ce dont personne ne semble s’offusquer.
Rappelons également qu’ils ont prononcé des mots simples, qu’on entend tous les jours dans des engueulades de boulot, ou même entre amis.
Rappelons enfin qu’il est étonnant de revenir sur les termes d’un contrat signé, a fortiori de punir les 21 joueurs restants qui n’ont pourtant pas participé au Crime Contre l’Humanité dont on accuse Nasri et Menez.
Quel rapport avec le cinéma ?
Il s’agit là de constater, une fois de plus, l’étrange relation qui unit un peuple et ses idoles. Prenez Gérard Depardieu. N’a-t-il pas déshonoré le pays, en pissant dans une bouteille Air France, en traitant les français de cons? N’abime-t-il pas l’image de la France à l’étranger ? Lui réclame-t-on pour autant le cachet que lui a donné France3 pour Raspoutine (puisqu’on demande à Nasri de rendre l’argent du peuple, alors qu’il s’agit en fait de l’argent des sponsors) ?
Non, on ne lui demande rien. Parce que la France, pays de l’Art et de la Culture, vénère son cinéma d’auteur, et donc ses comédiens, chargés de décrypter l’actualité internationale tous les soirs au Grand Journal. Et dans le même temps, il exècre son football, et ne s’y intéresse que tous les deux ans, dans l’espoir de revivre un jour ce moment de grandeur nationale que fut le 12 juillet 98.
Mais cracher sur le football, c’est aussi la possibilité de s’élever dans la hiérarchie sociale à peu de frais. Sport populaire, sport des immigrés, le football est facile à détester. On est grandis par l’amour du Tennis (malgré des performances françaises faiblardes), valorisé par les valeurs du rugby (convivialité du bourre pif), mais aimer le football, c’est perdre des points dans l’ascension sociale.
Nous en parlions déjà ici, mais l’histoire se répète.