Derek Cianfrance, c’est l’Atlantide. Le continent oublié du cinéma américain. Quelque chose qui existait encore dans les années 2010, et qui a disparu : un cinéma profond, adulte, orienté sur les personnages et la vraie vie… Ce cinéma indépendant qui faisait des beaux films avec seulement 1M$.
Cianfrance, il en a fait deux, magnifiques : Blue Valentine et The Place Beyond the Pines. Et puis il a disparu, englouti par le déluge Marvel.
Ce continent indé existe toujours, sur Netflix ou sur Prime. Et Derek Cianfrance revient justement sur HBO avec une série en six épisodes, I Know this Much is True, tiré du livre éponyme de Wally Lamb.
En l’occurrence l’histoire tragique de Dominick, dont le jumeau Thomas est schizophrène paranoïaque. Depuis l’enfance, Dominick s’occupe de Thomas qui sombre peu à peu dans la folie. La série prend alors une forme classique du cinéma américain, le thriller psychologique en forme de saga familiale. Un film psy, trauma domestique étalé sur presque un siècle. Le Prince des Marées version HBO.
On retrouve tout de suite la patte Cianfrance, ce cinéma volontairement imparfait, tourné en Kodak 35mm, ces zooms et cette musique discrète qui laisse toute sa place aux performances d’acteur. Et performance il y a : les frères Birdsey sont joués par un seul acteur, l’immense Mark Ruffalo et Philip Ettinger (pour les frères dans leur vingtaine)*…
Ruffalo est prodigieux dans ce rôle de peintre en bâtiment, italo-américain en colère permanente qui tient son frère à bout de bras, et s’oublie dans cette mission quasi christique.
Là où le – trop – long métrage se gâte, c’est que l’accumulation de drames qui tombe sur Dominick finit par devenir ridicule (au point que le personnage se demande lui-même comment autant de malheurs peuvent lui arriver…)
Mais dans le dernier épisode, le cinéaste joue une carte qu’il avait cachée dans sa manche, et qui n’est pas celle que l’on croit. Le propos du film se révèle alors : les spectateurs, comme Dominick, sont tout autant victimes de leurs perceptions, de leurs préjugés, de leurs angoisses.
Il n’en reste pas moins que la série a « triché », qu’elle a joué trop longtemps cette carte-là. Evidemment, la forme sérielle réclame des pistes secondaires, des rebondissements, des cliffhangers.
Mais peut-être que pour une fois, on peut dire qu’un film aurait fait mieux.
* Le reste du cast est à l’avenant (Melissa Leo, John Procaccino, Juliette Lewis, Kathryn Hahn, Rosie O’Donnell, Imogen Poots, Archie Panjabi, Bruce Greenwood…)
